Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BAUDIN (Jean-Baptiste-Alphonse-Victor), médecin et homme politique français (Supplément 1)

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Administration du grand dictionnaire universel (16, part. 1p. 308).

  • BAUDIN (Jean-Baptiste-Alphonse-Victor), médecin et homme politique français, né à Nantua (Ain) le 20 avril 1811, tué à Paris le 3 décembre 1851. — Il fit de brillantes études aux collèges de Saint-Amour et de Lyon, puis il suivit les cours de médecine dans cette dernière ville (1828). Son père, qui était chirurgien, avait peu de fortune. Pour alléger les charges que ses études faisaient peser sur sa famille, il obtint son admission dans un hôpital militaire et fut envoyé au Val-de-Grâce en octobre 1830. Élevé dans les idées républicaines, le jeune étudiant partagea son temps, à Paris, entre l’étude des questions politiques et sociales et l’étude de la médecine. Il devint alors un adepte du saint-simonisme, ce qui le fit mal noter de ses chefs. Malgré le dévouement dont il fit preuve pendant l’épidémie cholérique de 1832, il fut éloigné de Paris et envoyé à l’hôpital militaire de Toulon. De là, il passa en Algérie, en qualité de chirurgien d’un régiment de zouaves, dans lequel servait Cavaignac. Dès qu’il le put, Alphonse Baudin quitta la chirurgie militaire, revint à Paris, s’y fit recevoir docteur et s’y établit comme médecin. Là, il se lia avec plusieurs hommes éminents du parti républicain, notamment avec Lamennais, se fit affilier à des sociétés secrètes, devint franc-maçon et, grâce à une grande facilité d’élocution, il fut un des orateurs les plus écoutés des réunions maçonniques. Ce fut avec une joie profonde qu’il accueillit la révolution de 1848. Il parla souvent dans les clubs et y fut applaudi. Le 18 mai, Baudin fut arrêté pour avoir fait partie de la foule qui avait pénétré le 15 mai dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, mais on le relâcha presque aussitôt. Nommé par les électeurs de l’Ain représentant du peuple à l’Assemblée législative pur 40,739 voix, en mai 1849, Alphonse Baudin alla siéger à la Montagne. Lors de l’expédition de Rome, il signa chez Ledru-Rollin la demande de la mise en accusation de Louis-Napoléon Bonaparte et de ses ministres, ainsi que le manifeste de la Montagne et l’appel au peuple (13 juin). Quelques jours après, il interpella le ministre de l’intérieur au sujet de perquisitions faites par la police dans un local affecté aux réunions des représentants de la Montagne. Le 8 janvier 1850, il prononça un remarquable discours au sujet du projet de loi qui conférait aux préfets la faculté de nommer et de révoquer les instituteurs communaux et proposa de voter l’enseignement primaire gratuit et obligatoire. À trois reprises différentes, le 29 octobre 1849, le 3 avril et le 6 juillet 1850, le représentant de Nantua prit la parole pour réclamer la levée de l’état de siège imposé à la 6e division militaire dans laquelle le département de l’Ain se trouvait compris, et pour signaler les abus de pouvoir commis à la faveur de ce régime exceptionnel. Esprit alerte, prompt à la riposte et plus prompt encore à l’attaque, il n’avait pas toujours la patience de supporter silencieusement les outrages contre la République et le sens commun. Placé au sommet de la Montagne, d’où sa voix tombait stridente et railleuse au milieu des discussions, il avait le talent particulier d’agacer, d’irriter le président Dupin, qui ne se faisait pas faute d’ailleurs de lui infliger les pénalités les plus rigoureuses inscrites dans le règlement. À la séance du 16 mai 1851, lors de la discussion du projet de loi qui conférait au préfet du Rhône les attributions de préfet de police dans les communes constituant l’agglomération lyonnaise, Baudin, par son langage énergique, se fit rappeler deux fois à l’ordre et finalement retirer la parole par une délibération de l’Assemblée. Lors du projet de loi organique sur l’Assemblée nationale, il réclama avec véhémence contre la disposition de cette loi qui attribuait à l’autorité le soin de désigner les individus aptes à être gardes nationaux.

À cette occasion, il prononça un discours éloquent, vibrant, d’une conviction profonde, et le dernier qu’il devait faire à l’Assemblée : « Nous agirons, s’écria-t-il, nous vivrons, nous mourrons s’il le faut avec et pour la vile multitude. » Quelques mois plus tard, en revenant de l’Ain, où il était allé passer les vacances de la législature, Baudin s’arrêta à Dijon, Là, dans une réunion d’amis, il fit cette déclaration prophétique : « Notre mandat est de défendre la République. Demain, je serai à Paris, et si elle est attaquée, je jure ici de me faire tuer pour sa défense. »

Lorsque, le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte commit contre l’Assemblée nationale l’attentat qui devait avoir de si terribles conséquences pour la France, Alphonse Baudin se réunit aux quelques députés qui résolurent de soutenir jusqu’au bout la grande cause de la République et de la liberté et, s’il le fallait, de mourir pour elle. Le matin du 3 décembre, une douzaine de représentants de la Montagne se trouvaient à la salle Roysin, en face de la rue Sainte-Marguerite ; il y avait Baudin, Briller, Bruckner, de Flotte, Dulac, Maigne, Malardier, Schoelcher, Esquiros, Madier de Montjau et quelques autres. La troupe, sous les ordres du général Marulaz, stationnait sur la place de la Bastille. Plusieurs centaines d’ouvriers circulaient dans le faubourg, il était environ huit heures ; la barricade, ou plutôt l’ombre de barricade, n’existait pas encore. Les représentants, ceints de leur écharpe, sortent tous de la salle Roysin et se mettent à parcourir le faubourg ; ils essayent de faire passer une étincelle de leur colère patriotique dans le cœur des ouvriers qui étaient là mêlés à leurs femmes. Mais les paroles les plus vibrantes ne trouvaient point d’écho ; on voyait l’indifférence sur presque tous les visages : le faubourg gardait rancune des fatales journées de Juin. C’est alors qu’une femme du peuple, qui était dans le groupe et qui paraissait très-exaltée, dit en s’adressant aux représentants : « Ah ! vous croyez donc que nos hommes vont aller se faire tuer pour vous conserver vos 25 francs ! — Attendez un peu, répliqua Baudin avec un sourire amer, vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »

Les représentants comprirent dès lors que tout était perdu et qu’il ne leur restait plus qu’à protester énergiquement et à mourir pour le droit s’il le fallait. La fermeté de cette attitude, parut ranimer un instant le patriotisme des ouvriers ; trois ou quatre voitures de maraîchers passaient en ce moment au coin de la rue Sainte-Marguerite. En un instant elles furent arrêtées, on détela les chevaux ; une dizaine d’insurgés coururent chez un charron du voisinage, un omnibus traîné à bras parut bientôt, et une barricade commença à s’élever. Quelque temps après, le général Marulaz, prévenu qu’une sorte de résistance s’organisait dans le faubourg, envoya plusieurs compagnies sous les ordres d’un chef de bataillon. Celle du capitaine Petit marchait en tête. Le premier rang apparut bientôt à une distance d’environ 300 mètres. Les représentants, sans armes, mais ceints de leur écharpe, viennent se placer résolument devant la barricade ; derrière se tiennent les insurgés, deux à trois cents hommes armés d’une vingtaine de fusils qui avaient été enlevés à un poste. Sept des représentants marchent vers les soldats, tandis que Baudin, comprenant l’inutilité de cette démarche, escaladait la barricade et s’enveloppait dans un drapeau, attendant fièrement la mort. Cependant les représentants continuaient à marcher au-devant de la troupe. Les soldats s’arrêtent instinctivement. Schoelcher prend la parole et dit : « Nous sommes représentants du peuple ; au nom de la Constitution, nous réclamons votre concours pour faire respecter la loi du pays. Venez à nous, ce sera votre gloire. — Taisez-vous, s’écrie le capitaine, je ne veux pas vous entendre ; j’obéis à mes chefs, j’ai des ordres ; retirez-vous ou je fais tirer. — Vous pouvez nous tuer, nous ne reculerons pas. — Vive la République ! vive la constitution ! » répondent d’une seule voix les représentants.

L’officier fait apprêter les armes et commande : « En avant ! » Plusieurs des représentants, croyant la dernière heure venue, mettent le chapeau à la main, comme pour saluer la mort, et poussent un nouveau cri de : « Vive la République ! » Mais l’officier ne commande pas le feu. Neuf rangs de soldats passent successivement, marchant vers la barricade et se détournant des représentants. Ceux-ci continuent de les adjurer de se joindre à eux. Cependant quelques soldats, plus impatients que les autres, repoussent les représentants. Un fourrier couche en joue Bruckner ; mais, sur un mot calme et digne de celui-ci, il relève son fusil et le décharge en l’air. Au même instant, un soldat repousse Schœlcher avec l’extrémité du canon de son fusil, cherchant à l’éloigner et non à le blesser, comme l’a dit Schœlcher lui-même. Tout à coup une balle part de derrière la barricade : un militaire tombe mortellement frappé. La troupe, qui n’était plus qu’à trois ou quatre pas, riposte par une décharge générale ; Baudin tombe foudroyé.

Le 5 décembre, le corps de l’héroïque défenseur du droit fut conduit au cimetière Montmartre, escorté par son frère Camille Baudin et par une centaine de personnes.