Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Brissot démasqué, par Camille Desmoulins

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 4p. 1288).

Brissot démasqué, par Camille Desmoulins (février 1792, in-8o de 56 p.). Ce pamphlet fameux, qui se rattache à l’histoire de la lutte des girondins, tout-puissants alors, contre les révolutionnaires plus ardents qui bientôt allaient composer la Montagne, avait été, il faut le dire, provoqué par les plus violentes attaques. Déjà, sous la Constituante, Brissot avait eu de vives polémiques avec le vaillant journaliste des Révolutions de France et de Brabant. Cette fois, la querelle s’était réveillée à propos de la fameuse question de la guerre, qui divisait alors les hommes politiques et les patriotes en deux camps. Camille s’était prononcé, avec Robespierre, dans le sens de la paix. Brissot, le coryphée de la guerre, traita ses raisons de pasquinades, et le maltraita fort dans son journal, le Patriote français, prenant texte d’une cause qu’il avait défendue comme avocat. Le collaborateur de Brissot, le spirituel et violent Girey-Dupré, enchérit encore par quelques articles venimeux ; les autres feuilles girondines firent chorus, et la Chronique de Paris, à bout d’invectives, affirma que Camille s’était vendu à tout le monde. Celui-ci, qui à ce moment n’avait plus de journal à lui, ne pouvait répondre dans les feuilles mêmes qui l’insultaient, car le droit de réponse n’était pas alors inscrit dans nos lois ; mais l’imprudent Brissot n’y perdit rien. De sa plume la plus acérée, de sa verve la plus mordante, Desmoulins écrivit d’un trait ce terrible factum, dont l’épigraphe seule était une satire. C’était un verset du psalmiste : « Factus sum in proverbium ; je suis devenu proverbe ; » allusion sanglante au néologisme brissoter, dont on connaît la perfide signification.

Camille, d’ailleurs, se montre souvent injuste, et fait volontiers flèche de tout bois ; mais il avait été traité avec tant de perfidie, qu’il n’y a guère lieu de s’étonner que la riposte ait été en raison directe de la violence de l’attaque. Ce polémiste passionné, ce charmant et impétueux Picard n’était pas homme à tendre la joue, mais bien plutôt à rendre trois soufflets pour un. Il se disculpe d’abord, et cela victorieusement, relativement à cette cause qu’il avait défendue, et qui avait été un des prétextes des diatribes lancées contre lui. Devenant ensuite accusateur à son tour, et fouillant dans le passé de son adversaire, il lui rappelle les fâcheuses imputations dont sa probité a jadis été atteinte ; il remet en lumière, avec une verve un peu cruelle, toutes les accusations, vraies ou fausses, dont il a été l’objet. Puis, l’amnistiant dédaigneusement pour tous les faits antérieurs à l’ère de la liberté, il examine sa conduite politique, en fait ressortir les contradictions et les défaillances ; lui reproche ses adulations à La Fayette, ses attaques contre Robespierre, Danton et les patriotes les plus ardents, et cette fureur belliqueuse qui lui ferait déclarer la guerre à toute l’Europe, comme si le moment était bien choisi pour courir les aventures, alors que la liberté n’est pas encore affermie chez nous, etc.

Où il s’égare, c’est quand il voit dans cet entraînement de Brissot un projet perfide pour compromettre les résultats acquis de la Révolution ; quand il lui reproche d’avoir contribué aux désastres des colonies en réclamant trop tôt l’affranchissement des nègres ; d’avoir compromis (toujours à dessein) la cause de la liberté en se déclarant prématurément républicain, etc.

Mais on sent bien qu’il ne faut demander à une œuvre de passion et de colère ni une logique sévère ni une constante équité.

Quoi qu’il en soit, Brissot demeura comme accablé sous le coup de cette vigoureuse réplique. Il n’était point de taille à lutter contre un tel adversaire ; et, dévorant son dépit en silence, il laissa le soin de sa défense à ses amis de la Chronique de Paris.

Camille a regretté plus tard ces querelles déplorables. Lors de la condamnation des girondins, il assistait à l’audience, et, en entendant la déclaration du jury, il versa des larmes sur le sort tragique de ses ennemis, et il s’écria, dit-on, avec désespoir : « Ah ! mon Dieu ! c’est mon Brissot démasqué qui les tue ! »

Le mobile jeune homme allait trop loin dans ses remords. L’effet de son factum fut considérable en effet ; mais la perte des girondins tenait à bien d’autres causes, et ce n’est pas une simple brochure qui les eût tués. V. Girondins.

Camille Desmoulins a écrit aussi une Histoire des brissotins. V. plus bas.