Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CÉSAR (Caius Julius), consul romain, dictateur, et l’un des plus grands capitaines de l’antiquité

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 802-808).

CÉSAR (Caius Julius), consul romain, dictateur, et l’un des plus grands capitaines de l’antiquité, né à Rome dans le mois de juillet (quintilis de l’ancien calendrier), l’an 100 av. J.-C. Il appartenait à une illustre famille patricienne qui prétendait descendre de Vénus, d’Énée et d’Ancus Martius, quatrième roi de Rome. Voici, à cet égard, les paroles qu’il prononça lui-même dans l’oraison funèbre de sa tante ; « Mon aïeule était descendante d’Ancus Martius, la tige des rois de Rome ; la gens Julia, à laquelle appartient ma famille, descend de Vénus ; il y a donc, dans notre famille, et la sainteté des rois, si puissants parmi les hommes, et la majesté des dieux, qui sont maîtres des rois. » D’un autre côté, sa naissance, qui le rapprochait des dieux, le rapprochait du peuple : il était aussi neveu de Marius. Il grandit au milieu des guerres civiles, fut nommé prêtre de Jupiter à dix-sept ans par son oncle Marius, et proscrit par Sylîa, dont il avait refusé d’êpouser la fille. Il se réfugia en Bithynie, auprès du roi Nicomède III, et vécut quelque temps à sa cour. On sait quelles accusations lui furent prodiguées à ce sujet et le poursuivirent toute sa vie, jusqu’au sein même du sénat, et au milieu de sa pompe triomphale. À Rome, les plus grands personnages, et jusqu’aux vestales, sollicitèrent longtemps son pardon de Sylla, qui ne céda à la fin qu’avec la plus vive répugnance, voyant dans ce jeune homme indocile et hardi plusieurs Marius, et prophétisant qu’il détruirait un jour le parti de la noblesse. Toutefois, César ne revint en Italie qu’après la mort du dictateur, et profita de son séjour en Asie pour faire plusieurs campagnes militaires sous les préteurs romains. Il parut alors au barreau, échoua dans plusieurs accusations, observa pendant quelque temps l’attitude des partis, cherchant déjà, dès cette époque, une occasion de fortune politique dans les troubles publics et la lutte des factions. Puis il repartit pour aller prendre, à Rhodes, des leçons d’éloquence auprès du célèbre rhéteur Apollonius Molon. Dans le trajet, il fut pris par des pirates, qui lui demandèrent une rançon énorme ; il leur en promit une encore plus considérable, en les avertissant qu’il les ferait tous mettre en croix, menace qu’il accomplit en effet peu de temps après. Pendant son séjour à Rhodes, il leva spontanément des troupes et battit un lieutenant de Mithridate qui avait attaqué des peuples alliés des Romains. De retour à Rome (74), où on venait de l’élire membre du collège des pontifes, il s’attacha à gagner la faveur populaire par d’abondantes distributions et par des flatteries habiles. Au milieu des occupations de la vie la plus débauchée, il ne négligeait rien de tout ce qui pouvait préparer son élévation. Éloquent, audacieux, dissolu, prodigue jusqu’à la folie, il donnait sans compter, et contractait des dettes immenses, ne se réservant d’autre moyen de liquidation que la guerre civile et les révolutions. Il fut nommé successivement tribun militaire, questeur, édile, exploita l’affection de la plèbe et des soldats pour le souvenir de Marius en faisant hardiment replacer dans le Capitole les images proscrites du vainqueur des Cimbres, appuya Pompée pour faire restituer aux tribuns les privilèges dont ils avaient été dépouillés par Sylla, parut enfin dans tous ses actes favoriser les passions populaires contre le sénat et l’aristocratie. Distributions, jeux, combats de bêtes ou de gladiateurs, festins publics, il prodiguait tout pour gagner des partisans, et parvint ainsi à se faire nommer souverain pontife, malgré ses mœurs, et quoiqu’il professât à peu près ouvertement l’athéisme. Désigné préteur au moment de la découverte de la conjuration de Catilina, il fut violemment soupçonné d’avoir trempé dans ces projets de bouleversement. Il défendit du moins avec beaucoup d’art les conjurés dans le sénat, et fut réduit à invoquer la protection de Cicéron pour détourner l’effet des accusations dont il était l’objet. C’est pendant sa préture, qu’un jeune patricien débauché, Publ. Clodius, s’introduisit chez lui la nuit sous des habits de femme, pendant qu’on y célébrait les mystères de la bonne déesse, dans l’intention de se rapprocher de Pompeia, femme de César, dont il était épris. Reconnu et chassé, il fut mis en accusation comme sacrilège et acquitté par des juges corrompus à prix d’or. César avait répudié sa femme à la suite de cette aventure ; mais, comme il voulait se faire une créature de Clodius (qui devint en effet un de ses instruments), il rendit un témoignage favorable, et les juges s’étonnant qu’il eût répudié sa femme, puisque, d’après son témoignage, il ne la croyait pas coupable : « C’est, répondit-il, parce que la femme de César ne doit pas même être soupçonnée. » Après sa préture, il fut désigné par le sort pour le gouvernement de l’Espagne Ultérieure (61), où déjà il avait été questeur. Ses créanciers s’opposaient à son départ, et il fallut que l’opulent Crassus se portât caution envers les plus exigeants pour une somme de plusieurs millions de francs. C’est en traversant un misérable village des Alpes, pour se rendre dans sa province, qu’il aurait dit à ses amis qu’il aimerait mieux être le premier dans cette bourgade que le second dans Rome, révélant ainsi son caractère et la nature de son ambition. On rapporte aussi qu’en présence d’une statue d’Alexandre le Grand, à Cadix, il se serait écrié : « À mon âge, Alexandre avait déjà conquis le monde ; et je n’ai encore rien fait ! » En Espagne, il fit une guerre acharnée aux barbares, sans oublier de rétablir sa fortune délabrée et d’enrichir ses soldats par d’immenses extorsions. À son retour, il voulut briguer à la fois les honneurs du triomphe et le consulat ; mais il n’obtint que cette dernière charge, par le crédit de Pompée et de Crassus, qu’il avait habilement réconciliés, et avec qui il avait formé une sorte d’association pour dominer la république. C’est ce qu’on a nommé le premier triumvirat. Le sénat était parvenu à lui donner pour collègue Bibulus, son ennemi (60). Mais il le réduisit à une telle impuissance, qu’on disait à Rome : « Nous ne sommes plus sous le consulat de César et de Bibulus, mais sous le consulat de Jules et de César. » Fort de l’appui d’une faction puissante et de l’impopularité du sénat, il agit en effet à peu près souverainement, et, comme s’il s’essayait à la monarchie, fit passer une loi agraire assez équitable, à laquelle le sénat eut la maladresse de s’opposer, gagna les chevaliers en leur livrant des bénéfices plus considérables sur les revenus publics, maria sa fille avec Pompée, pour cimenter une alliance dont il comptait bien recueillir tous les fruits, et se fit décerner, pour cinq ans, le gouvernement de la Gaule Cisalpine et de l’Illyrie, auxquelles le sénat ajouta la Gaule Chevelue ou Transalpine, afin de paraître ménager le puissant ambitieux. Il pouvait désormais quitter Rome, livrée aux factions, et où les saturnales de l’anarchie allaient rendre facile la domination d’un maître ; il y laissait d’ailleurs des séides violents comme Clodius, et un parti puissant, composé non-seulement de tous les hommes perdus, qui comptaient sur une révolution pour rétablir leur fortune, mais encore de tous les ennemis de l’oligarchie et du sénat. Pendant que des rivaux médiocres, Crassus, Pompée, allaient s’user dans des luttes mesquines, il partit, il s’exila pour revenir maître, et alla préparer sa destinée dans un pays neuf, la Gaule, dont la conquête devait lui donner la gloire, des soldats et des richesses, c’est-à-dire les instruments de domination les plus puissants dans tous les temps et dans tous les pays. Pendant les neuf ans que dura cette guerre (il s’était fait proroger dans son commandement), il accomplit des choses prodigieuses, profitant habilement des dissensions des divers peuples, les provoquant même, subjuguant successivement toutes les tribus belliqueuses, depuis la Province (la Provence, que possédaient déjà les Romains), jusqu’aux plages noyées de la Hollande, depuis les mers orageuses de l’Armorique jusqu’au Rhin, qu’il franchit même pour repousser les Ubiens et les Suèves ; partageant les fatigues et les dangers des soldats ; marchant sous les pluies de la Gaule, à la tête des légions ; traversant nos fleuves à la nage ; dictant, dans sa course, à quatre secrétaires à la fois ; écrasant 2 millions d’hommes sur son passage, et franchissant d’un irrésistible élan les montagnes du Jura et de l’Auvergne, les forêts de chênes du centre de la Gaule et de l’Armorique, les marécages de la Meuse et des Flandres, les plaines bourbeuses et les forêts vierges de la Seine ; obligé souvent, comme les conquérants de l’Amérique, de se frayer une route la hache à la main, de jeter des ponts sur les marais ; déployant enfin le génie du plus grand des capitaines, en même temps que le courage du plus humble soldat. Il passa même la mer et alla planter les aigles romaines jusque sur la terre de Bretagne (Angleterre). Cette conquête, d’ailleurs, coûta des torrents de sang, et toutes les richesses de la Gaule passèrent dans les mains de César, qui les répandait dans Rome, achetait toutes les consciences vénales, le peuple, les magistrats, les sénateurs, et agitait continuellement la cité, où, maigre son absence, il était tout-puissant. Pour montrer avec quelle prodigalité il répandait l’or entre les mains de ceux qu’il voulait enchaîner à sa fortune, nous citerons seulement deux exemples : celui du consul Emilius Paulus, frère de Lépide le triumvir, dont il paya 7, 500, 000 fr. la neutralité équivoque, et qui ne gagna même pas l’argent que César lui donnait ; et celui de l’éloquent tribun Curion, qui jusque-là avait été le plus hardi champion du sénat, et qui se vendit, triste exemple de ces défections qui affligent d’autant plus qu’elles forcent à mépriser le talent. Curion coûta à César 2 millions, selon Velléius Paterculus ; 12 millions, suivant Valère Maxime.

Maître des Gaules, cet homme extraordinaire, qui, pour terrifier les peuples, avait souvent fait couper le poing aux prisonniers, changea de conduite à l’égard des vaincus, et se montra clément, humain et modéré. Il diminua les tributs, s’attacha à gagner l’affection des Gaulois, et composa de leurs meilleurs guerriers une légion tout entière, l’Alouette, qu’il devait bientôt associer à ses triomphes dans la guerre civile.

Cependant, à Rome, pendant que sa gloire et ses libéralités prodigieuses éblouissaient le peuple, un petit nombre de citoyens s’effrayaient de sa puissance et de ses projets à peine voilés. On parla de lui ôter un commandement devenu une menace pour la république ; le sénat, éperdu, chercha un appui dans Pompée, déjà irrité contre César, et qu’on gagna entièrement en le nommant seul consul, et en lui donnant, en outre, le gouvernement de plusieurs provinces. Après diverses négociations infructueuses, le sénat éclata enfin, ordonna à César de licencier ses légions, et chargea Pompée de la défense de l’État. Le fer allait décider (49 av. J.-C.)

César, qui passait souvent les hivers dans la Gaule Cisalpine, était alors à Ravenne. Quoiqu’il n’eût avec lui que 5 ou 6, 000 hommes, il se détermina sur-le-champ à marcher sur Rome, pour rétablir les tribuns dans leur dignité et pour rendre la liberté au peuple opprimé par une poignée de factieux, ainsi qu’il affirme sérieusement lui-même (Bell. civ., I, 22). Suivant la tradition (César n’en dit absolument rien), il hésita longtemps avant de passer le Rubicon, limite de sa province. Le Rubicon est un petit fleuve appelé aujourd’hui Garigliano. M. Ampère, dans son Histoire romaine à Rome, raconte ainsi ce qui se passa dans cette circonstance mémorable : « Arrivé à cette rivière, frontière de sa province, au bord de laquelle Manuce prétend avoir lu cette inscription : « Au delà de ce fleuve Rubicon, que nul ne fasse passer drapeaux, armes ou soldats, » César s’arrêta, et dit à ses amis ; « Pensons-y bien, nous pouvons encore revenir sur nos pas ; si nous passons ce ruisseau, la guerre sera notre juge. » — « Alors, dit Suétone, se leva tout à coup un pâtre d’une taille colossale et d’une beauté singulière, qui jouait sur une flûte de berger, et quand il eut amassé les soldats autour de lui, il saisit une trompette, s’élança dans le fleuve et le traversa, en la faisant résonner avec force. La conscience patriotique des soldats avait sans doute besoin de cet encouragement. « Allons, dit César, où nous appellent les présages des dieux et l’injustice de nos ennemis ; les dés sont jetés (alea jacta est). » Et il marcha contre l’univers avec 5, 000 hommes et 300 chevaux. Cette marche de soixante jours à travers l’Italie, presque sans coup férir, les troupes et les généraux envoyés contre César passant de son côté, ressemble beaucoup à la marche du César moderne en vingt jours, de Cannes à Paris ; cependant elle est moins merveilleuse. Il y a entre elles une autre différence : César était bien coupable, puisqu’il marchait sur Rome au mépris des lois ; mais il ne venait pas jouer le sort de son pays contre l’Europe entière sous les armes, hélas ! et, malgré des prodiges de résistance, y amener l’ennemi. Pompée, désespérant de pouvoir défendre Rome, se retira sur Brindes, suivi d’un grand nombre de magistrats, de sénateurs et de citoyens, forma tardivement une armée, mais fut bientôt obligé de passer en Épire. César entra dans Rome, s’abstint habilement de vengeances et de proscriptions, et ne pouvant, faute de navires, poursuivre Pompée, vola en Espagne, où ses ennemis avaient des troupes dévouées, soumit cette province en quarante jours, moins par ses armes que par l’ascendant de son nom et de son génie, revint ensuite en Italie, traversa hardiment la mer sur des barques et des radeaux, et conduisit une petite partie de son armée sur la côte de l’Épire, où sa fortune faillit se briser. C’est pendant une vaine tentative qu’il fit pour ramener de nouveaux soldats à travers les croisières ennemies, qu’il dit au pilote de la barque qu’il montait, épouvanté d’une tempête : « Ne crains rien, tu portes César et sa fortune ! » Enfin il écrasa, avec des forces inférieures, Pompée et l’armée sénatoriale, à la mémorable bataille de Pharsale, qui décida du sort de la république (9 août, 48 av. J.-C.) Dans cette lutte, où 400, 000 hommes combattirent, la cause de Pompée fut perdue en quelques heures. Ses élégants cavaliers, attaqués par deux cohortes, auxquelles César criait : « Frappez au visage, » ne voulant pas être défigurés, tournèrent bride, se cachant le visage dans les mains. Les Thraces et d’autres barbares se défendirent seuls avec courage. Pompée jeta ses insignes, monta à cheval, gagna les hauteurs, laissant son armée détruite et son camp forcé. Au milieu de ce camp, jonché de cadavres : « Ils l’ont voulu, dit César ; si je n’eusse demandé secours à mon armée, moi, César, après tant de victoires, ils me condamnaient. » Il se mit ensuite à la poursuite de Pompée, apprit sa destinée tragique en arrivant en Égypte, et versa, dit-on, des larmes sur sa mort. Là, il entreprit de mettre sur le trône Cléopâtre, dont les charmes l’avaient séduit, à l’exclusion de son frère Ptolémée, et s’engagea dans une guerre difficile, où il faillit périr. Il termina aussi heureusement, et avec moins de périls, une expédition contre Pharnacej, fils de Mithridate, et put écrire, après avoir soumis le Pont avec une rapidité prodigieuse : Veni, vidi, vici, « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. » Il reparut un instant à Rome, remplit le sénat et les magistratures de créatures dévouées, jeta à ses amis et à ses soldats les dépouilles des vaincus, courut abattre en Afrique, à la bataille de Thapsus (46), les restes du parti républicain, et revint triompher quatre fois à Rome, pour ses diverses guerres, évitant avec un tact exquis de triompher pour les guerres civiles. Tout subit alors son irrésistible ascendant ; il absorba tous les pouvoirs sous divers noms : consul, préfet des mœurs, dictateur perpétuel, imperator, etc. Le sénat, qu’il avait peuplé de barbares, de centurions gaulois de son armée, accumula sur lui tous les titres et tous les pouvoirs, lui donna le droit de paix et de guerre, la distribution des provinces, créa en son honneur des prêtres juliens, des temples, des autels, un culte, donna le nom de julius au mois de quintilis (juillet), déclara sa personne sacrée, le nomma père de la patrie, etc. César, d’ailleurs, se montra doux et clément. Il donna une amnistie générale et pardonna à presque tous ceux qui avaient porté les armes contre lui. L’année suivante, il dut retourner en Espagne, où les fils de Pompée avaient rassemblé une armée, et termina cette guerre nouvelle par la sanglante victoire de Munda (45).

Démagogue par calcul tant qu’il avait poursuivi la conquête du pouvoir, il n’avait évidemment d’autre but, en renversant l’oligarchie romaine, que d’hériter de sa puissance ; et c’est bien gratuitement que des théories arbitraires ont voulu faire de lui le chef d’une révolution populaire. Sa victoire n’a résolu aucun des problèmes posés au fond des choses, ni apporté de remède aux plaies qui dévoraient la société romaine. Après comme avant lui, il y eut une plèbe misérable et affamée, sans principes et sans dignité, oisive et mendiante ; des factions militaires, une aristocratie dévorante, des provinces asservies et dépouillées, enfin une Italie où les envahissements de la grande propriété et la multiplication des esclaves entraînaient graduellement l’extinction des cultivateurs libres et la ruine de l’agriculture. Beaucoup de ses mesures, d’ailleurs, montrent bien qu’il était resté aristocrate par caractère comme il l’était par la naissance. Il créa de nouveaux patriciens, augmenta le nombre des hautes magistratures, restreignit le pouvoir judiciaire du sénat et de l’ordre équestre, supprima les communautés d’artisans, dépouilla le peuple d’une partie de ses droits, en ne laissant qu’une ombre de liberté aux comices et en désignant les candidats à nommer, s’entoura d’une garde d’Espagnols, c’est-à-dire de barbares, et parut aspirer au titre de roi. Cependant il fit aussi des règlements utiles, restreignit l’extravagance du luxe, conféra le droit de cité à ceux qui exerçaient à Rome des professions libérales, fonda des colonies en faveur des familles pauvres, admit des vaincus à la cité, releva Corinthe et Carthage, accomplit la réforme du calendrier, appelée de son nom julienne ; et il avait, dit-on, projeté de dessécher les marais Pontins, de former à Rome une vaste bibliothèque publique, et d’opérer une réforme complète de la jurisprudence. On ne saurait aussi trop louer en lui cette mansuétude et cette clémence qui le portèrent à pardonner à ses ennemis, et même à les combler de bienfaits pour les attacher à sa fortune. Armé d’un pouvoir irrésistible, il ne punissait même point les conspirateurs qui lui étaient dénoncés ni les auteurs de libelles contre sa personne. Comme Alexandre, il roulait dans son esprit de vastes projets de conquêtes : il voulait aller soumettre les Parthes indomptables, longer la mer Caspienne et traverser le Caucase, subjuguer les Scythes, les Daces, les Germains, etc. ; mais la mort vint l’arrêter au milieu de ses rêves de grandeur. Des haines vivaces s’agitaient autour de lui ; des hommes qui avaient subi les arrêts de la victoire, mais qui n’avaient pu pardonner à César ses usurpations successives, qui même avaient accepté l’amnistie dont il les avait couverts et les dignités dont il les avait revêtus, mais qui s’effrayaient de ce despotisme grandissant, s’excitèrent mutuellement à venger la violation des lois et la destruction de la liberté. Une conjuration se forma, à la tête de laquelle étaient Cassius et Marcus Brutus. Comme s’il y avait dans l’air quelques pressentiments d’une grande catastrophe, les avertissements arrivèrent en foule à César : le devin Spurinna le suppliait de prendre garde aux ides de mars : « Il y eut un devin qui lui prédit et l’advertit longtemps devant, qu’il se donnast bien de garde du jour des ides de mars, qui est le quinzième, pource qu’il seroit en grand danger de sa personne. Ce jour estant venu, il sortit de sa maison pour s’en aller au sénat, et, saluant le devin, luy dit en riant : « Les ides de mars sont venues. » Et le devin luy respondit tout bas : « Elles sont venues voirement, Caesar ; mais elles ne sont pas passées. » (Plutarque, traduction d’Amyot). Des chevaux, qu’après son passage du Rubicon, il avait consacrés aux dieux et abandonnés dans les pâturages, refusaient, disait-on, la nourriture et pleuraient en abondance. La nuit qui précéda les ides, Calpurnie rêva que le toit de sa maison s’écroulait, qu’elle tenait entre ses bras son mari sanglant, et aussitôt toutes les portes de la chambre s’ouvrirent d’elles-mêmes ; César lui-même, se sentant mal disposé, hésita longtemps à se rendre au sénat, ne se mit en chemin que vers la cinquième heure, pendant qu’un esclave, après avoir inutilement tâché de l’aborder, venait se remettre entre les mains de Calpurnie, pour révéler, disait-il, des secrets importants à César ; et le dictateur entra au sénat, tenant, avec d’autres papiers, le billet encore cacheté où le rhéteur Artémidore lui donnait le détail de la conjuration.

Tout fut grave et calme dans l’action des conjurés. Le sénat était assemblé ce jour-là pour autoriser César à porter le titre de roi, hors de l’Italie. « Ils tuèrent César, dit Suétone, pour ne pas être obligés de voter ce décret. » Cassius, avec un grand nombre d’entre eux, était au Capitole, faisant prendre la toge virile à son fils. D’autres tenaient leur audience comme magistrats ; à un plaideur qui en appelait à César, Brutus répondait : « César ne m’empêchera pas de faire observer les lois. » Les conjurés vinrent au sénat, le poignard sous la toge, en silence, s’interrogeant du regard ; il y eut parmi eux un mouvement de terreur muette, quand un sénateur, qui paraissait avoir deviné le complot, s’approcha de César, lui parla bas et longtemps ; Cassius cherchait son poignard pour se tuer ; Brutus examina la physionomie des deux interlocuteurs, et, sans mot dire, promena sur ses complices un regard tranquille, qui les rassura.

On sait assez comment fut porté le coup. Les conjurés environnèrent César, sous prétexte de lui demander une grâce. Comme il la refusait, Metellus Cimber lui rabattit sa toge de dessus les épaules, ce qui était le signal. Casca le frappa le premier, par derrière, mais d’un coup mal assuré. Tous alors l’environnèrent ; « de sorte, dit Plutarque, que de quelque part qu’il se tournast il trouvoit toujours quelques-uns qui le frappoyent, et qui luy présentoyent les espées luysantes aux yeux et au visage, et luy se demenoit ne plus ne moins que la beste sauvage acculée entre les veneurs ; car il estoit dit, entre eulx, que chacun lui donneroit un coup, et participeroit au meurtre. » Aussi, quand César vit Brutus : « Et toi aussi, mon fils ! lui dit-il en grec. » Puis, il s’enveloppa la tête, ramena sa toge sur ses jambes, pour tomber avec décence, et demeura percé de vingt-trois coups (de trente-cinq, d’après le fragment de Nicolas de Damas, retrouvé en 1849), au pied de la statue de Pompée, qui en fut ensanglantée. « Si bien, dit encore Plutarque, qu’il sembloit qu’elle présidast à la vengeance et punition de l’ennemy de Pompeius. »

Disons, toutefois, que les mots : Et toi aussi, mon fils, adressés à Brutus, ne sont mentionnés que par des historiens postérieurs, Suétone, Plutarque, Salluste, etc. ; Nicolas de Damas, qui a laissé un récit circonstancié du meurtre de César, et qui était contemporain des événements qu’il raconte, n’en dit pas un mot.

Le meurtre n’a jamais sauvé les institutions condamnées. La mort tragique du dictateur ne ressuscita point la république, et elle ne fut que le prélude des guerres civiles d’où sortit l’ère des Césars. Rome était destinée à expier sa gloire militaire et ses violences envers les peuples, sous des maîtres qui lui firent amèrement regretter le grand homme et le tyran relativement débonnaire qu’elle avait sacrifié, après l’avoir divinisé.

Général, homme d’État, législateur, jurisconsulte, orateur, poète, historien, astronome et mathématicien même, César avait reçu de la nature les dons les plus riches et les plus variés. Cicéron le plaçait au premier rang parmi les écrivains et les orateurs. Il ne nous reste rien de ses harangues. Il avait écrit des Poemata, essais poétiques de sa jeunesse ; une tragédie d’Œdipe ; un livre, De astris, sur les mouvements des corps célestes ; des Apophthegmata, recueil de bons mots ; l’Anti-Cato, réplique au Caton de Cicéron ; un traité sur les Augures et les Auspices ; un autre De ratione latine loquendi ; des Épigrammes, etc. Tous ces ouvrages sont perdus, à l’exception de quelques fragments. Ses Commentaires sur la guerre des Gaules, qui nous ont donné les premières notions sur ces contrées dans l’antiquité, sont écrits d’un style pur, sobre et concis, et sont devenus, à juste titre, classiques dans le monde entier. Ils ont, de plus, pour nous la valeur d’un monument national. Les Commentaires sur la guerre civile sont empreints d’une certaine partialité. Le huitième livre de la Guerre des Gaules, ainsi que les Guerres d’Alexandrie et d’Afrique, ne sont pas de César, mais de A. Hirtius. Les Guerres d’Espagne sont d’un auteur inconnu.

De tous les personnages de l’histoire. César est peut-être celui dont on s’est le plus occupé. Nous allons donc terminer cette biographie importante en donnant l’opinion de ceux des historiens auxquels la critique historique accorde le plus d’autorité.

Montesquieu (Parallèle entre César et Pompée). « À Rome, faite pour s’agrandir, il avait fallu réunir dans les mêmes personnes les honneurs et la puissance ; ce qui, dans des temps de troubles, pouvait fixer l’admiration du peuple sur un seul citoyen. Quand on accorde des honneurs, on sait précisément ce que l’on donne ; mais quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire à quel point il pourra être porté. Des préférences excessives données à un citoyen dans une république ont toujours des effets nécessaires : elles font naître l’envie du peuple, ou elles augmentent sans mesure son amour.

« Deux fois, Pompée, retournant à Rome, maître d’opprimer la république, eut la modération de congédier ses armées avant que d’y entrer, et d’y paraître en simple citoyen. Ces actions, qui le comblèrent de gloire, firent que dans la suite, quelque chose qu’il eût fait au préjudice des lois, le sénat se déclara toujours pour lui.

« Pompée avait une ambition plus lente et plus douce que celle de César. Celui-ci voulait aller à la souveraine puissance, les armes à la main, comme Sylla. Cette façon d’opprimer ne plaisait point à Pompée : il aspirait à la dictature, mais par les suffrages du peuple ; il ne pouvait consentir à usurper la puissance ; mais il aurait voulu qu’on la lui remît entre les mains…

« Pompée s’unit d’intérêts avec César et Crassus. Caton disait que ce n’était pas leur inimitié qui avait perdu la république, mais leur union…

« Enfin la république fut opprimée ; et il n’en faut pas accuser l’ambition de quelques particuliers, il en faut accuser l’homme, toujours plus avide du pouvoir à mesure qu’il en a davantage, et qui ne désire tout que parce qu’il possède beaucoup…

« César pardonna à tout le monde ; mais il me semble que la modération que l’on montre après qu’on a tout usurpé ne mérite pas de grandes louanges. »

Le comte de Champagny (dans son livre intitulé les Césars). « César a connu son siècle. César connaît son siècle et le comprend ; il veut, non pas le suivre, mais le devancer. Il a deviné que, dans la révolution qui va se faire, il n’y aura qu’une place digne de lui ; que s’il n’est le maître, il devra être esclave. Pour ne pas être écrasé par cette révolution, il faut qu’il la mène. Nous avons les oreilles rebattues de personnages qui symbolisent une époque, de héros qui sont des mythes : le mythe à part, cette formule banale convient merveilleusement à César. Il rejette les vertus surannées des temps antiques ; il sait qu’elles n’ont plus de chance de succès. Gardera-t-il le respect antique pour Jupiter ? Il vole avec effraction l’or du Capitule, pille les temples, se rit des augures. La sainte parcimonie des Fabius ? Il achète si cher certains esclaves, qu’il n’ose porter le prix sur ses comptes. La chasteté des Scipions ? Ses soldats, au milieu de son triomphe, comme ses ennemis dans leurs invectives, rediront à ses oreilles l’infâme amitié de Nicomède. La foi aux serments ? Il répète sans cesse ces vers d’Euripide :

« S’il faut manquer à la justice, il est beau d’y manquer pour le trône.

« Soyez pieux en tout le reste. »

« Et, plus tard, il dira : « Si les sicaires et les bravi m’eussent rendu service, je ferais consuls les bravi et les sicaires. » Il s’est fait malhonnête homme avec tout son siècle. »

— « Ses dettes. À son départ pour l’Espagne comme préteur, ses créanciers le tourmentant, César fut très-heureux que Crassus le cautionnât pour 830 talents (3, 837, 000 fr.), et partit en avouant qu’il lui manquait 250 millions de sesterces (48, 500, 000 fr.) pour que sa fortune égalât zéro. On comprend qu’un tel homme était le protecteur ardent de tous les prolétaires et des hommes ruinés, l’ennemi acharné de l’oligarchie des riches. »

— « Parallèle entre César et Bonaparte, considérés comme hommes de guerre. Bonaparte et César, si différents comme hommes politiques, se touchent comme hommes de guerre. L’un et l’autre s’affranchissent des lenteurs de la stratégie ancienne, craignent de dissiper leurs forces, de perdre le temps à des sièges sans fin, réunissent sous leur main leur forte armée, la poussent à la hâte partout où est le danger, la mènent par des chemins impraticables, lui font franchir des montagnes où un messager ne passerait pas, la décuplent en la rendant présente partout. L’un et l’autre, pour la manier ainsi, ont commencé par se la rendre propre et par mêler son âme à leur âme. Cette armée si prompte et si docile, et qu’ils opposent à tant d’ennemis à la fois, eux-mêmes l’ont faite, par cette puissance morale qui seule fait les grands généraux. »

Merivale (History of the Romans under the empire). « Portrait de César. Les renseignements que nous avons sur la personne de César nous le représentent pâle de figure, avec les veux sombres et perçants, un nez aquilin, la tête chauve et sans barbe. Dans sa jeunesse, il était remarquablement beau, mais d’une beauté un peu efféminée. Il fut toujours très-vain de sa personne, et prétendait même qu’il tenait sa beauté de sa divine ancêtre, Vénus. Sa calvitie, qui l’obligeait à ramener ses cheveux sur son front, était considérée comme une difformité par les Romains, et, en outre, l’exubérance de sa lèvre inférieure, que l’on retrouve dans ses meilleurs bustes, devait certainement déformer les lignes sculpturales de son admirable profil. Des bustes nombreux et un grand nombre de médailles nous ont conservé ses traits à diverses époques de sa vie ; mais, comme on doit s’y attendre, ils diffèrent beaucoup entre eux. On peut surtout dire qu’il y a une grande disparité entre les bustes et les médailles. Les premiers, plus vivants, plus réels, nous présentent une tête longue, mince, plus élevée que large, sillonnée de rides profondes, qui peuvent être le produit de la maladie, de grandes contentions d’esprit et de la débauche. Ce sont, au contraire, les médailles qui nous ont donné les linéaments de cette figure héroïque et majestueuse que nous reconnaissons pour celle de César. »

— « Son immoralité. Les tentations auxquelles était exposé un jeune noble, si bien fait de sa personne, n’étaient point combattues chez César par la sévérité des principes et par le sentiment de sa dignité personnelle. À cette époque de dépravation sociale, où se faisait principalement remarquer par sa dégradation la classe à laquelle appartenait César, c’étaient les femmes, plus encore que les hommes, qui poussaient à l’immoralité générale. Lorsque, tout jeune encore, il fut l’amant avoué de Servilia, il devint évident que l’adolescent était entré à une bonne école de galanterie. À partir de cette époque, il poursuivit sans aucune vergogne les plaisirs les plus honteux, et s’abandonna au dévergondage le plus complet. Ses amours ont été célébrées en vers et en prose dans les épigrammes de Catulle, les satires de Caecina et celles de Pitholaüs. Il eut des intrigues avec Postumia, femme de Sulpicius ; et, successivement, Gabinius, Crassus et Pompée eurent, à cause de lui, à se plaindre de la fragilité de Lollia, de Tertullia et de Mucia. Eunoe, reine de Mauritanie, fut une de ses passions les plus singulières ; mais Cléopâtre l’eut bientôt attelé à son char, cette reine qui avait été surnommée la femme de tous les hommes. Il fut même accusé d’un vice plus honteux, accusations que semblait rendre probables la facilité avec laquelle il accorda des emplois, auprès de sa personne, aux plus infâmes débauchés. Ces attaques, qu’il est préférable de ne pas faire sortir de l’obscurité et du doute où elles sont tombées, étaient, selon Suétone, les seules auxquelles il fût sensible. »

— « Jugement des anciens sur le meurtre de César. Le jugement des anciens sur ce grand événement varie suivant leurs intérêts et leurs prédilections. Si la république eût été, par ce moyen, rétablie d’une manière permanente, peut-être son sauveur eût-il été unanimement applaudi, et eût-il commandé la faveur des Romains pendant une longue suite de siècles. Cicéron, qui, probablement, n’eût pas consenti à participer au meurtre, crut devoir le louer sans réserve, et exalta la vertu des tyrannicides libérateurs ; mais les courtisans des empereurs futurs traitèrent hautement cet acte d’assassinat, ou gardèrent un silence prudent et cependant significatif. Virgile, qui a pourtant loué Caton et loué le châtiment de Catilina, ne parle pas de l’exploit de Brutus. Bien plus, Lucain, qui considère ce meurtre comme un sacrifice nécessaire, admet pourtant qu’il fut généralement détesté. Auguste, prudemment tolérant, laissa Messala louer Cassius ; mais Tibère ne voulut pas souffrir que Cremutius appelât le compagnon de Brutus le dernier des Romains. Velléius Paterculus, Sénèque et surtout Valère Maxime, exprimèrent avec énergie l’horreur qu’ils avaient de ce meurtre, causé, disaient-ils, plus par la vanité, l’ambition et l’envie des conspirateurs que par un véritable patriotisme. Les auteurs grecs, quoique la Grèce eût contribué peut-être à cet acte par les théories de ses philosophes, ne craignirent pas de le qualifier de crime monstrueux et abominable (Dion Cassius et Appien). D’un autre côté, tandis que Tacite laisse tomber un coup d’œil philosophique sur les opinions des divers auteurs à cet égard, sans se prononcer lui-même, Suétone dit, à la vérité, que César fut massacré avec justice, mais sans absoudre les meurtriers. D’après Tite-Live et Florus, et l’abréviateur de Trogue-Pompée (Justin), nous devons supposer que les sentiments exprimés par Plutarque sont ceux qu’avait adoptés le parti le plus sain, et le plus raisonnable de Rome. Il déclare que les désordres de l’état politique réclamaient l’établissement d’une monarchie, et que César fut envoyé par la Providence comme un médecin pour la conservation d’un malade. En résume, lorsque nous considérons les vices de ce temps et l’ébranlement de tous les principes, il est intéressant de remarquer le peu de sympathie qu’excita un acte préconisé en principe par les philosophes et les historiens de l’antiquité. »

— « César littérateur. Le cercle des études littéraires de César embrasse à peu près tous les genres. Ses travaux historiques sont suffisamment attestés par les ouvrages qui nous sont parvenus sous son nom ; et il faut se rappeler qu’à une époque où les difficultés de la composition étaient si grandes et si nombreuses, la publication même d’un petit nombre d’ouvrages impliquait une grande érudition de la part de l’auteur, et une grande familiarité avec les modèles de la littérature. La clarté du style historique de César contraste heureusement avec la rudesse de Caton et de Varron, les artifices de rhéteur de Cicéron et de Salluste, bien qu’on ne puisse la comparer à l’élégance de Tite-Live et à la sublime concision de Tacite, Mais cet abandon, cette simplicité du style, qui semble une confidence de l’auteur au lecteur, sont supérieurs à tous les artifices littéraires. À la tribune, de l’avis de tous les Romains, César était un grand orateur. Il a composé un traité de grammaire et la fameuse satire contre Caton (l’Anti-Caton), ouvrage qui paraît avoir fait une grande impression sur ses contemporains. Bien que privé de ces qualités aimables qui font le charme des réunions privées, il se montrait sagace observateur et penseur profond, et il écrivit une série de maximes ingénieuses et subtiles où il avait condensé la sagesse des anciens âges, pour l’édification d’une nouvelle philosophie. Dans sa jeunesse, il avait écrit des tragédies imitées des chefs-d’œuvre de la Grèce. Durant sa marche rapide d’Italie en Espagne, avant sa dernière campagne, il s’amusa à composer un poème, peut-être dans le genre humoristique, sous le titre de : Mon voyage. En sa qualité de grand pontife, il fit une compilation officielle sur les augures, et, sans parler de la réforme du calendrier, qui s’opéra à son instigation, il avait, en outre, composé un ouvrage spécial sur l’astronomie. »

Les travaux à consulter des anciens sont trop connus de tout le monde pour qu’il soit besoin d’en donner le détail. Qu’il nous suffise de citer, après Plutarque et Suétone, les noms de Cicéron, de Salluste, de Velléius Paterculus, de Lucain, d’Aulu-Gelle, de Dion Cassius et d’Appien.

La plus ancienne Vie de César, imprimée au moyen âge, est celle de Julius Celsius, qui parut pour la première fois en 1473. Dans l’édition donnée en 1827, par le professeur allemand Schneider, l’ouvrage est attribué à Pétrarque.

Vient ensuite un in-folio imprimé à Bâle, en 1540, par le grammairien italien Floridus. Il traite De l’excellence de César. Ce livre commence la série des œuvres publiées en latin sur César, au XVIe siècle.

AEneas Vicus nous donne, en 1560, une Vie de Jules César, d’après les médailles ; puis, en 1563, Hubert Goltzius, la Vie et les actes de César ; Pierre Ramus, De l’armée de César (1574) : J. Glandorp, Notice sur la famille de Jules César et d’Auguste (1576). Le XVIIe siècle ouvre par une discussion grave la série (toujours latine) des œuvres traitant de César : Jules César (in-fol.), par Louis XIV ; Sehelderup, Discours sur jutes César ; s’il fut tué justement ? (lSH) ; Henrik Fabricius, Discours sur tes belles actions de César (16*0) ; Godefroi Peschwitz, la Famille auguste des Césars (1662) ; Jean Sebald Fabricius, Jules César’numismatique (1678) ; Christophe Lang, De la sublimité de César (1679) ; George Shubart, C.-J. César, dictateur perpétuel, grâce au changement de ta République (1681) ; Daniel-Guillaume Moller, Discussion des circulaires de César (1687) ; la Guerre civile de César et de Pompée, avec tes caractères historiques de ceux qui ont été les principaux auteurs (en français, par le P. Quartier, de la compagnie de Jésus (1688) ; Henry Dodwelî, Dissertation sur la vie de César (1698).

Au xvmo siècle, nous voyons : Théophile Sturm, l’Empereur Jules César non empereur l’en latin, 1724) ; F. Oudendorp, Discours tur les études littéraires de Jules César (en latin, 1740) j Henry-Otto Duysïng, Dissertation sur la foi douteuse et faible de César (en latin, 1748) ; Richard de Burg, Histoire de la vie de Jules César (en français, 1758) ; Giovanni-Maria Secondo, Histoire de la vie de Jules César, d’après les auteurs originaux (en italien, 1776) ; Charles-Emmanuel de Warnery, Mélanges de remarques sur Jules César et autres militaires anciens et modernes (1782) ; Frédéric Rcesch, Commentaire sur les Commentaires de Jules César (en allemand, 1783) ; DePercis, la Guerre de Jules César dans les Gaules, avec des notes militaires (en français, 1786) ; Frédérik Rutœnschen, César, Caton et Frédéric de Prusse (en allemand, 1789) ; J.-R. Schnell, Spécimen d’observations sur les Commentaires de César en latin, 1789) ; Charles Coote, Vie de César en anglais, 1796) ; Jules César ou la Chute de ■a République romaine (en allemand, 1796-1800) ; Théophile Meissner, Vie de César, continuée par M. Ludwig Haken (en allemand, 1799).

Au xixe siècle. Nous ne pouvons mieux commencer cette série qu’en mentionnant l’édition des Commentaires donnée par M. Le Déist de Botidoux ? n 1809. Elle se distingue surtout par les recherches exactes et les notes savantes qui accompagnent le texte. On peut la regarder comme une histoire complète de la vie de César et comme le meilleur commentaire de l’ouvrage. Edmond Lodge, Vie de César, avec des mémoires sur sa famille et ses descendants (1810) ; Jean-André"Wendel, Jules César, type de Napoléon Bonaparte (en allemand, 1820) ; Alphonse de Beauehamps, Vie de Jules César (1823):Michel Stœlti, C.-J. César (1826) ; Laya, Notice sur Jules César (en tête de la traduction Panckoucke, 1828) ; Bonaparte, Précis des guerres de Jules César, écrit par M. Marchand à. Sainte-Hélène, sous la. dictée de l’empereur (1836) ; Baudement, Vie de Jutes César (en tête de la traduction de Jules César (1837) ; Guillaume Dosring, De la foi historique de Jules César (en latin, 1837) ; Enrico Bindi, Discours sur la vie et les œuvres de C.-J. César (en italien, 18-44) ; Jacob Abbott, Vie de César (1849) ; De Champagny, les Césars (1841-1853) ; Lamartine, Vie de César (1865) ; J.-J. Ampère, César, scènes historiques (en vers, 1859), puis l’Histoire romaine à Rome (1864) ; F. de Saulcy, les Campagnes de Jules César dans les Gaules, études d’archéologie militaire (1865) ; Jacques Maissiat, César en Gaule (1865) ; Napoléon III, Histoire de César (1865).

César (vie de), par Nicolas Damascène ou de Damas, composée cinq ans environ avant la naissance du Christ. Cet ouvrage passait pour perdu, lorsqu’il fut découvert, en 1849, a la bibliothèque de l’Escurial, par M. Piccolos, qui le fit imprimer l’année suivante à Paris, avec une traduction française de M. Didot. Malheureusement pour les lettres, il n’est pas complet ; ce n’est qu’un fragment d’une grande étendue, il est vrai, qui comprend l’histoire du meurtre de César et le tableau de la situation de Rome et des partis à cette époque. Ce récit, plein de simplicité et de sobriété, est d’autant plus précieux que c’est le plus circonstancié et évidemment le plus exact que nous possédions sur la fin violente du dictateur. Nulle part l’état des esprits, à ce moment, n’a été aussi judicieusement apprécié, ni les causes des événements mieux développées. Néanmoins ces événements étaient encore trop récents pour que l’auteur pût conserver une entière impartialité, et, si la rivalité d’Antoine et d’Octave est parfaitement décrite, Nicolas élève trop la grandeur d’âme d’Octave. Cette Vie de César est d’ailleurs bien supérieure à celle d’Auguste ; l’histoire y est bien plus respectée que dans la Vie d’Auguste. Dans cette dernière, Nicolas de Damas semble avoir complètement oublié les débuts de son héros ; pour lui, Octave a disparu derrière Auguste, la fin a justifié les moyens. Dans la Vte de César, au contraire, l’ambition et les fautes du dictateur ne sont pas entièrement voilées, et l’exposé seul des faits suffit à un lecteur non prévenu, sinon pour excuser, au moins pour s’expliquer le meurtre du tyran et la conduite de Brutus. Quant à Octave, il est encore traité avec trop de ménagements ; l’auteur ne sait pas oublier qu’il fut son ami, et, pour l’épargner, commet un odieux mensonge historique. Nous disons odieux, car nous ne saurions permettre à l’historien courtisan de justifier les crimes d’Octave par la raison d’État ; agir ainsi, c’est ne pas respecter le caractère sublime de l’histoire, qui doit planer calme et sereine au-dessus des passions et des agitations humaines, et désigner à la postérité èèiix qui ont droit à son admiration comme ceux qui doivent être cloués au pilori pour avoir abusé de leur pouvoir et opprimé les peuplés dont le bonheur avait été remis entre leurs mains.

Malgré tous ses défauts, cette Vie de César, est un document précieux à consulter pour ceux qui voudront entreprendre d’écrire de nouveau cette biographie sans parti pris. En outre, le style en est correct, simple, précis et noble ; Nicolas Damascène est un historien suspect, mais un écrivain estimable.

Citar (COMMENTAIRES Mi). V. COMMENTAIRES DE CÉSAR.

Cé « nr (SCÈNES HISTOHIQUES EN VERS), publiées en 1859 par J. Ampère. Ce volume de poésie, le seul qu’ait écrit M. Ampère, est une sorte d’épopée, de biographie rimée du héros1 romain. Au début, nous entendons la prédiction de Sylla, qui voit, dans ce jeune homme à la ceinture lâche, plusieurs Marins ; c’est le prologue. La pièce commence (car c’est là un véritable drame) par la captivité de César au milieu des pirates et le courage indomptable qu’il y montre ; déjà se révèle la fermeté inébranlable du futur dominateur de Rome. Nous suivons, à partir de ce moment, pas à pas l’épopée césarienne, esquissée à grands traits, jusqu’à la mort du héros. Elle est trop connue pour que nous l’analysions ici.

César remplit à lui seul toute la pièce ; c’est le centre unique autour duquel viennent converger tous les événements. Nous le voyons flatter le peuple, ce grand dispensateur de la’ faveur à Rome ; humilier le sénaten corps, tandis qu’il caresse séparément ses membres les plus influents, dont l’appui peut lui être de quelque utilité ; se plier, comme Alcibiade, au caractère de chacun ; prendre Crassus par l’avarice, Cicéron par la vanité. Toute la conduite du futur dictateur n’est qu’une longue comédie destinée à le conduire à sou but ; il va jusqu’à faire, avec tous les signes du plus profond respect, des sacrifices publics à ces dieux dont en particulier il se moque si spirituellement avec ses amis.

C’est bien le César historique ; mais, selon nous, M. Ampère a rapetissé la taille de son héros en mettant trop en relief les moyens de comédie auxquels il a recours ; l’âme de César était réellement plus grande qu’elle ne nous apparaît dans ce drame. Quelques passages ou les citoyens de Rome exposent leurs jugements sur le vainqueur des Gaules sont de bonnes études; les sentiments devaient être tels parmi le peuple. Lés plus belles scènes sont : celle où Caton, chassé du forum, rentre pour tenter d’éclairer le peuple aveuglé, et celle cù César, pleurant devant la tête de Pompée, s’incline en soupirant :

Je plainu un grand destin qu’achevé un grand malheur.

On peut encore remarquer des monologues de Caton, ceux de Brutus, imités de Lucain, et les discours de César et de Caton lors de la. conjuration de Catilina, traduction poétique de la prose concise de Sailuste. Cicéron est peint assez fidèlement ; c’est bien là le grand homme vaniteux ; mais nous adresserons à son sujet le même reproche à M. Ampère que pour César : il a trop laissé dans l’ombre —le grand citoyen pour mettre en lumière le littérateur plein de lui-même. Cicéron aimait trop passionnément la liberté pour dire :

S’il Doua faut an tyran, que ce soit un grand homme. Il avait peut-être aussi, dans sa vanité, trop de délicatesse et de bon goût, pour se permettre le vers suivant :

Démosthènes,

Que l’on appellera le Cicéron d’Athènes. • M. Ampère nous fait assister k une scène entre Cicéron et César, peu digue de ces deux grands hommes, et qui a le tort de rappeler celle de Trissotin et Vadius. C’est là, pour ne plus y revenir, le défaut capital de son livre : il s’y est trop amusé à peindre le petit côté de deux grandes figures, et une pareille affectation, indigne d’un biographe, convient bien moins encore à un poète. Sous le rapport du style, ces Scènes historiques sont assez remarquables ; mais les vers sont souvent durs et quelquefois presque incorrects ; on sent une muse inexpérimentée ; c’est plutôt de la belle prose rimée que de la véritable poésie. La chaleur fait aussi trop souvent défaut ; le César de M. Ampère reste trop froid. Ses calculs qui, en prose, auraient contribué à mettre en relief son caractère ambitieux et habile, ralentissent le’mouvement de la pièce et diminuent l’intérêt. César raisonne trop et n’agit pas assez ; même en tombant, U reste comédien, ce qui est de l’exagêr ration ; la licence poétique ne doit pas aller jusqu’à violer la vérité des caractères historiques, surtout lorsqu’elle met en scène un héros comme César.

César (histoire de Jules), par l’empereur Napoléon III. Les deux premiers volumes de cet ouvrage ont paru, le premier en 1865, et le second en 1866. L’un et l’autre se composent de deux parties : la première partie du premier volume est un précis de l’histoire de Rome jusqu’à César ; la seconde conduit la biographie de César jusqu’à la guerre des Gaules, La première partie du second volume contient le récit de la guerre des Gaules, et la seconde, celui des événements qui précédèrent et amenèrent la guerre civile.

Il y a dans l’histoire tels personnages, tels’ événements, telles luttes, telles batailles qui ont le don d’exciter en nous d’autres passions que la curiosité historique, parce que ces personnages, ces événements, ces luttes, ces batailles, en vertu des retours [ricorsi) dont parle Vieo, ont la faculté de renaître, sous d’autres noms, à diverses époques, et que cette renaissance en a fait des types que l’esprit de parti a idéalisés. Il est bien difficile à un Français vivant au commencement de la seconde moitié du xixe siècle de parler avec une sereine impartialité du vainqueur des Gaules, de sa lutte contre le sénat, du passage du Rubicon et de la bataille de Pharsale, comme s’il n’y avait là pour lui que de l’histoire ancienne. On s’en aperçoit en lisant VHistoire de Jules César, Ce livre est un panégyrique, et ce panégyrique est un plaidoyer en faveur d’une cause qui parait chère à l’auteur. La science historique y est dominée par l’intention politique, qui se montre à chaque page avec une sorte de naïveté. L’érudition s’y déploie, mais on sent très-bien qu’elle sert au lieu de commander ; on sait tout de suite de quoi il s’agit, où l’on va, où l’on doit arriver. À l’entrée même du monument, nous sommes avertis que l’auteur n’a pas écrit ad narrandum ; il a voulu prouver la parfaite moralité de César, et la légitimité du renversement de la république romaine, et, en même temps, faire connaître ses vues sur les conditions générales de la moralité et de la légitimité politiques.

La moralité de César est attestée par la grandeur de ses desseins et l’élévation des mobiles de sa conduite, la grandeur de ses desseins et l’élévation des mobiles de sa conduite par son génie, et son génie par le succès, par le triomphe durable de ses idées.

Lorsque des faits extraordinaires attestent un génie éminent, quoi de plus contraire au bon sens que de lui prêter toutes les passions et tous les sentiments de la médiocrité 1 Quoi de plus faux que de ne pas reconnaître la prééminence de ces êtres privilégiés qui apparaissent de temps a autre, comme des phares lumineux, dissipant les ténèbres de leur époque et éclairant l’avenir ? Nier cette prééminence serait d’ailleurs faire injure à 1 humanité, en la croyant capable de subir à la longue et volontairement une domination qui ne reposerait pas sur une grandeur véritable et sur une incontestable utilité. • (Préf., p. iv.) « A quel signe reconnaître la grandeur d’un homme ? À l’empire de ses idées, lorsque ses principes et son système triomphent en dépit de sa mort ou de sa défaite. N’est-ce pas en effet le propre du génie de survivre au néant, et d’étendre son empire sur les générations futures ? • (Ibid., v.)

On accuse César d’ambition. « Et qui doute de l’ambition de César ? L’essentiel est de savoir si elle était légitime, si elle devait s’exercer pour le salut ou pour la ruine du monde romain. » (Tome Ier, p. 358.) L’ambition de César est celle d’un homme qui représente un principe et pour qui la puissance n’est qu’un moyen, tandis qu’elle est un but pour Pompée. « César seul représente un principe. Depuis l’âge de dix-huit ans, il a affronté les colères de Sylla et l’inimitié des grands pour faire valoir sans cesse et les griefs des opprimés et les droits des provinces. ■ (P. 373.) César est un grand citoyen qui s’est dévoué au salut de son pays : pour sauver le monde romain, il fallait abattre la république j il fallait supprimer la liberté pour faire triompher la cause du peuple. » César, comme les hommes de son temps, faisait peu de cas de la vie, et encore moins du pouvoir pour le pouvoir lui-même ; mais, chef du. parti populaire, il sentait uné grande cause se dresser derrière lui ; elle le poussait en avant et l’obligeait à vaincre en dépit de la légalité, des imprécations de ses adversaires et du jugement incertain de la postérité. La société romaine en dissolution demandait un maître ; l’Italie opprimée, un représentant de ses droits ; le monde courbé sous le joug7 un sauveur. Devait-il, en désertant sa mission, tromper tant de légitimes espérances, tant de nobles aspirations î (Tome II, p. 514.) En refusant d’abandonner un pouvoir gui était l’appui et la garantie de si grands intérêts, il a bien mérité de Rome et du monde, il a rempli son devoir. « Tenir au pouvoir lorsqu’on ne saurait plus faire le bien, et que, représentant du passé, on ne compte pour ainsi dire de partisans que ceux qui vivent des abus, c’est une obstination déplorable ; l’abandonner, lorsqu’on est le représentant d’u ne ère nouvelle et l’espoir d’un meilleur avenir, c’est une lâcheté et un crime. »(P- 515.)

Le renversement de la république était légitime parce qu’il était nécessaire, parce que des causes générales assignaient à cette forme de gouvernement une fin inévitable, parce qu’elle cessait de répondre aux besoins généraux de la société, « Si, pendant près de mille ans, les Romains sont toujours sortis triomphants des plus dures épreuves et des plus grands périls, c’est qu’il existait une cause générale qui les a toujours rendus supérieurs à leurs ennemis et qui a permis que dès défaites et des malheurs partiels n’aient pas entraîné la chute de leur empire. Si les Romains, après avoir donné au monde l’exemple d’un peuple se constituant et grandissant par la liberté, ont semblé, depuis César, se précipiter aveuglément dans la servitude, c’est qu’il existait une raison générale qui empêchait fatalement la république de revenir à la pureté de ses anciennes institutions ; c’est que les besoins et les intérêts nouveaux d’une société en travail exigeaient d’autres moyens pour être satisfaits. » (Préf., p. n et m.) L’utilité qui est relative et temporaire est tout à la fois le critère de légitimité et le principe de vie des institutions. La république remplaça les rois, qui furent expulsés quand leur mission fut accomplie ; elle dut succomber à son tour, lorsqu’elle eut achevé son office. • Il existe, on le dirait, dans l’ordre moral, ainsi que dans l’ordre physique, une loi suprême qui assigne aux institutions, comme à certains êtres, une limite fatale marquée par le terme de leur utilité. Tant que ce terme providentiel n’est pas arrivé, rien d’opposé ne prévaut : les complots, les révoltes, tout échoue contre la force irrésistible qui maintient ce qu’on voudrait renverser ; mais si, au contraire, un état des choses inébranlable en apparence cesse d’être utile au progrès de l’humanité, alors ni l’empire des traditions ni le souvenir d’un passé glorieux ne peuvent retarder d’un jour la chute décidée par le destin. • (Tome 1er, p. 24.)

On objecte la légalité. Mais la légalité ne saurait être immobile ; quand elle est un obstacle au progrès, elle doit disparaître ; elle doit s’incliner devant le droit qu’a le génie de procéder à une transformation qu’appelle l’utilité générale. Quand la cause légale est celle d’un conservatisme aveugle, il est heureux et juste, et en même temps inévitable, qu’elle soit vaincue. « La cause soutenue par les C’aton, les Catulus, les Hortensius était condamnée à périr comme toute chose qui a fait son temps. Malgré leurs vertus, ils n’étaient qu’un obstacle de plus à la marche régulière de la civilisation, parce qu’il leur manquait les qualités les plus essentielles dans les temps de révolution, la juste appréciation des besoins du moment et des problèmes de l’avenir. > (P. 30.) On reproche à César d’avoir recouru quelquefois, pour constituer son parti, à des agents peu estimables. C’est à la défiance et aux préjugés des honnêtes gens qu’il faut s’en prendre : César ne demandait qu à s’appuyer sur eux. ■ Le meilleur architecte ne peut bâtir qu’avec les matériaux qu’il a sous la main... Dans les moments de transition, lorsque le vieux système est à bout, et que le nouveau n’est point assis, la plus grande difficulté ne consiste pas à vaincre les obstacles qui s’opposent à l’avènement d’un régime appelé par les vœux du pays, mais à l’établir solidement, en le fondant sur le concours d’hommes honorables, pénétrés des idées nouvelles et fermes dans leurs principes. » (P. 308.)

Les actes de César ne sont pas seulement légitimés par l’intérêt général ; ils sont la réalisation même de la volonté divine, l’accomplissement d’un mandat divin ; César n’est pas seulement un homme de génie, un héros, ainsi que Charlemagne et Napoléon I«, c’est un homme providentiel, un messie. 11 a reçu du ciel une mission, il l’a remplie. Quiconque lui résiste est à la fois aveugle et coupable. « Mon but est de prouver que lorsque la Providencesuscita des hommes tels que César, Charlemagne, Napoléon, c’est pour tracer aux peuples la voie qu’ils doivent suivre, marquer du sceau de leur génie une ère nouvelle, et accomplir en quelques années le travail de plusieurs siècles. Heureux les peuples qui les comprennent et les suivent 1 Malheur à ceux qui les méconnaissent et les combattent ! Ils font comme les Juifs, ils crucifient leur Messie ; ils sont aveugles et coupables : aveugles, car ils ne voient pas l’impuissance de leurs efforts a suspendre les triomphes définitifs du bien ; coupables, car ils ne font que retarder le progrès, en entravant sa prompte et féconde application. En effet, ni le meurtre de César ni la captivité de Sainte-Hélène n’ont pu détruire sans retour deux causes populaires renversées par une ligue se couvrant du masque de la liberté. Brutus, en tuant César, a plongé Rome dans les horreurs de la guerre civile ; il n’a pas empêché le règne d’Auguste, mais il a rendu possibles ceux de Néron et de Caligula. L’ostracisme de Napoléon par l’Europe conjurée n’a pas non plus empêché l’Empire de ressusciter, et cependant que nous sommes loin des grandes questions résolues, des passions apaisées, des satisfactions légitimes données aux peuples par le premier Empire ! » (Préface, p. vi et vu.) L’apologie, comme on le voit, a tourné à l’apothéose, et dans l’apothéose se trouvent associés d’une manière spéciale, en raison du parallélisme, de la symétrie de leurs destinées, les deux noms de César et de Napoléon.

Le lecteur peut juger maintenant l’esprit dans lequel a été écrite Y Histoire de Jules César. Nous tenons en quelques passages tous les théorèmes que l’auteur s est attaché à démontrer. Comment procède-t-il à cette démonstration ? En appliquant les règles de la logique à l’appréciation des faits, des institutions et des hommes. «Pour celui qui écrit l’histoire, quel est le moyen d’arriver à la vérité 1 C’est de suivre les règles de la logique.» (Préf., p. xi.) Les règles de la logique /Voilà qui est peu nouveau, bien général et bien vague : quelle logique 1 U y a une logique qui respecte scrupuleusement la réalité ; il y en a une autre qui s’impose aux faits et qui prétend les enfermer violemment dans des catégories abstraites établies a priori. La logique dont on nous parle ici est celle qui rapporte toujours les grands événements a de grandes causes ; qui voit dans la durée des institutions le signe certain de leur bonté ; qui mesure le génie d’un homme à son influence sur son temps ; qui ne "prête à l’homme de génie que de purs, grands et nobles mobiles ; qui reconnaît dans la grandeur extraordinaire des œuvres et des hommes l’inspiration et la main de la Providence. « Tenons pour certain qu’un grand effet est toujours dû à une grande cause, jamais à une petite ; autrement dit, un accident insignifiant en apparence n’amène jamais de résultats importants sans une cause préexistante qui a permis que ce léger accident produisit un grand effet. L’étincelle n’allume un vaste incendie que si elle tombe sur des matières combustibles amassées d’avance.» (Préf., p.. XI.) De même que la logique nous démontre dans les événements importants leur raison d’être impérieuse, de même il faut reconnaître et dans la longue durée d’une institution la preuve de sa bonté, et dans l’influence incontestable d’un homme sur son siècle la preuve de son génie. » (Ibid., m). La logique condamne les historiens qui» trouvent plus facile d’abaisser les hommes de génie que de s’élever par une généreuse inspiration à leur hauteur, en pénétrant leurs vastes desseins ; » qui se plaisent à nous représenter César, » dès son jeune âge, méditant déjà le pouvoir suprême ; ■ plus tard apportant dans tous ses actes et dans toutes ses relations « cette astuce prévoyante qui a tout deviné pour tout asservir ; » enfin, s élançant dans lès Gaules « pour acquérir des richesses par le pillage ou des soldats dévoués à ses projets.» La logique déclare la grandeur de l’intelligence inséparable de la noblesse du caractère ; elle ne permet pas d’admettre que le génie soit compatible avec l’immoralité ; la mission providentielle avec l’égoïsme et ta ruse. César était un homme de génie et un homme providentiel ; donc, il faut l’élever au-dessus de la sphère des faiblesses, des défaillances, des inconséquences humaines ; donc, il faut repousser comme des calomnies les témoignages invoqués contre sa moralité privée et sa moralité politique ; donc, il faut chercher l’explication de ses actes dans le dévouement, non dans l’intérêt personnel, dans l’inspiration, non dans le calcul ; donc, il faut croire qu’il n’a ni préparé ni même prévu la fortune à laquelle une main cachée l’a conduit ; donc, il faut tenir pour impossible la moindre tache en ce soleil destiné à dissiper les ténèbres de son époque et à éclairer l’avenir. « Les historiens, en général, n’ont donné comme raison du triumvirat que l’appât de l’intérêt personnel. Certes Pompée et Crassus n’étaient pas insensibles à une combinaison favorisant leur amour pour le pouvoir et les richesses ; mais on doit prêter à César un mobile plus élevé et lui supposer l’inspiration du vrai patriotisme. » (T. Ier, p. 368.)

Cette logique si préoccupée, si jalouse de l’infaillibilité, de l’impeccabtlité des héros, des génies, implique en ces hommes exceptionnels 1 équilibre harmonieux et constamment soutenu des diverses facultés, intelligence, cœur et caractère : une hypothèse qui a éveillé des doutes, notons-le, dans l’esprit de M. Nisard lui-même. M. Nisard croit cependant, lui aussi, aux hommes providentiels ; en la vie de César, il reconnaît la mission ; mais il ne consent pas à refuser toute place au calcul ; il lui parait contestable que tout soit pur et noble dans les moyens que César a employés pour monter sur le faîte ; l’édifice de cette fortune est divin sans doute, mais tous les matériaux pourraient bien ne pas l’être. M. Nisard » est e ceux qui veulent le héros aussi grand avec plus de mélange. » —■ « La mission subsiste, dit-il, seulement elle s’accomplit par le moytsn humain de l’ambition, et au prix de ses faiblesses. Les temps font l’ambition plus ou moins pure. Il y a des époques où elle se confond si entièrement avec la mission, qu’elle y disparaît ; il y en a d’autres où le mal est si universel qu’il en arrive quelque chose jusqu’à la main qui le répare. » 11 est vrai que si M. Nisard ne partage pas cette foi du biographe à l’union nécessaire du génie et de la vertu, il se jalaît à reconnaître et à proclamer qu’elle témoigne d’une belle âme. » Entre les eux manières dont peut s’expliquer la conduite de César, nous dit-il, il est beau que celle qui honore le plus son caractère moral ait pour défenseur un chef d’empire. Celui-là seul de qui viennent de telles missions sait ce qui s’y mêle de l’homme aux inspirations du prédestiné ; mais croire qu’il ne s y mêle rien de mesquin est d’un grand cœur ; et je félicite mon temps et mon pays de voir sur le trône de France un historien qui ne souffre pas qu’il soitfait de grandes choses par d’autres moyens que les grandes vues et les grands sentiments. »

Ce n’est point par la nouveauté, par l’originalité que brillent les théories qui caractérisent Y Histoire de Jules César. Ces théories :légitimité des institutions et des révolutions fondée exclusivement sur ■ l’utilité ; mission providentielle des peuples et des individus éminents qui se placent ou se trouvent placés à la tête des peuples, — et même l’application qui en est faite à César et à la révolution d’où est sorti l’empire romain, — ne sont que l’écho des doctrines historiques qui ont régné avec éclat au commencement de ce siècle : nous les retrouvons dans les philosophies hégélienne, éclectique, saint-simonienne et positiviste de l’histoire. Les critiques n’ont pas, il nous semble, appelé suffisamment l’attention sur cette filiation doctrinale de Y Histoire de César.

On rencontre dans l’histoire, dit Hegel, des moments au la constitution politique d’en peuple ne répond plus aux besoins du temps et où il devient nécessaire de la renverser. Une grande lutte s’élève alors entre l’ancien régime et la politique de l’avenir. L’ancien régime a pour lui la légalité, la possession antique ; le nouveau, qui n existe encore qu’à l’état de rêve, a contre lui les lois, les traditions, toutes les règles admises du devoir et du droit, et cependant la révolution qu’il prépare est légitime, parce qu’elle est utile, parce qu’elle est nécessaire. Lorsque se déclare une de ces grandes crises où la loi est d’un côté et l’utilité, la nécessité de l’autre ; où, en face dupasse encore debout, mais vermoulu, "se dresse la politique de l’avenir, celui-là est un grand homme qui, devinant l’énigme du sphinx, renverse hardiment ce qui est pour le remplacer par ce qui doit être. Un grand homme, d’après Hegel, est l’esprit le plus clairvoyant de son siècle, le cœur le plus ferme, la main la plus habile. Il sait le premier que les temps sont venus, et il a aperçu, encore voilée, mais déjà formée au sein des choses, la vérité qui convient à son siècle. C’est lui qui la dégagera, qui la fera triompher ; il est taillé pour cette besogne ; il parle, et onj’écoute ; il marche, et on le suit ; il est la force autour de laquelle naturellement, spontanément, se groupent les autres forces. De cette théorie des grands hommes et des révolutions, Hegel a tiré, avant l’empereur Napoléon III, la justification et la glorification de César.

Nous trouvons, dans un ouvrage de M. Cousin, Y Introduction à l’histoire de la philosophie, une théorie très-développée des missions providentielles et des hommes providentiels. Le grand homme, l’homme providentiel est, pour le père de l’éclectisme, une merveilleuse synthèse de généralité et d’individualité : c’est un être à la fois peuple et individu, un être en qui tout le monde se reconnaît, parce qu’il exprime la pensée de tous plus clairement et plus complètement qu’aucun autre. « Voilà, dit M. Cousin, l’étoffe d’un grand homme : c’est là son véritable piédestal. C’est du haut de cet esprit général et commun à tous qu’il commande à tous. Ce qui fait le grand homme, c’est la croyance intime, spontanée, irrésistible, que cet homme, c’est le peuple, c’est le pays, c’est l’époque. » Le grand homme ne représente pas seulement son pays, son époque, il représente une idée spéciale qu’il est appelé à faire triompher malgré tes obstacles qu’il trouve dans les idées anciennes. Pour cela, il arrive sur la scène de l’histoire, juste au moment où sa présence est nécessaire ; il paraît quand on a besoin de lui ; disparaît quand son œuvre est finie. À ces divers caractères s’enjoint un troisième, qui en est une suite : c’est que, pour faire l’œuvre à laquelle il est appelé, le grand homme a besoin d’une grande puissance. Cette puissance, il la puise ans l’ascendant qu’il exerce sur les masses, lesquelles voient en lui leur image, leur idéal. Quatrième caractère du grand homme : il réussit ; sans le succès, il ne serait d’aucune utilité, il ne laisserait pas de grands résultats, il ne serait pas grand homme. Ces quatre caractères distinctifs du grand homme, de l’homme providentiel, se complètent par un cinquième : c’est que la gloire, récompense des grandes actions, ne lui fait jamais défaut. ■ Les grands résultats, dit M. Cousin, ne se contestent pas ; ils sont visibles à tous les yeux. La gloire, qui en est l’expression, ne se conteste pas davantage : fille des grands faits, toujours manifestes, elle est manifeste comme eux. La gloire est le jugement de l’humanité, et un jugement en dernier ressort. »

Partant de cette théorie du grand homme, M. Cousin n’hésite pas à prendre parti avec les dieux pour César contre Caton et Brutus, «J’aime et j’honore, dit-il, le dernier des Brutus, mais il représentait l’esprit ancien, et l’esprit nouveau était du côté de César ; cette longue lutte, que M. Niebuhr a si bien discernée et décrite dans l’histoire romaine dès ses, origines, entre les patriciens et les plébéiens, cette lutte dé plusieurs siècles finit à Pharsale. César était Cornélien par sa famille, non par son esprit ; il succédait, non à Sylla, mais a Marius, lequel succédait aux Gracques. L’esprit nouveau demandait une plus grande place ; il la gagna à Pharsale. Ce ne fut pas le jour de la liberté romaine, mais celui de la démocratie, car démocratie et liberté ne sont pas synonymes. Toute démocratie, pour durer, veut un maître rfuila gouverne ; ce jourlà, elle en prit un, le plus magnanime.et le plus sage, dans la personne de César. »

Le saint-sîmonisme ne connaît d’autre critère de la légitimité des institutions et des révolutions que leur rapport avec la marche nécessaire qu’il assigne à l’humanité. Il en résulte qu’il ne faut pas chercher le bien, la juste, le légitime, ailleurs que dans le progressif ; le mal, l’injuste, l’illégitime, ailleurs que dans le rétrograde, et comme le progressif et le rétrograde varient suivant les époques, que toute légitimité est variable et temporaire ; en un mot, que ce n’est pas la conscience qui nous révèle Injustice, mais la contemplation du mouvement historique, du plan providentiel. On peut lire, dans le journal saint-simonien le Producteur, un curieux article intitulé Des préj’uyés fiistorigues, où cette théorie de la légitimité est appliquée à l’œuvre de César : « Ce fut moins la liberté, dit l’auteur de cet article, M. Laurent, que l’aristocratie que César vainquit à Pharsale ; en humiliant 806 CÊSA

une caste orgueilleuse et oppressive, il ne • fit que continuer l’œuvre des Gracques, auxquels il remontait par Marius et Saturnin, et la suprême autorité sous laquelle il plaça indistinctement toutes les classes de l’État améliora de plus en plus le sort des tribus populaires, que la dureté du joug aristocratique avait autrefois poussées si souvent à la révolte... Ainsi, les Cicéron et les Caton ne s’offrent plus à nous que comme les défenseurs intéressés d’un système que le mouvement progressif de la société avait irrévocablement condamné, et ceux qu’on a surnommés les derniers des Romains, Brutus et Cassius, Ces vieilles idoles des républicains de tous les pays, dont on ne peut trop d’ailleurs admirer les vertus et le courage, ne nous paraissent pas différer beaucoup des opiniâtres champions que les institutions du xie siècle ont rencontrés parmi les écrivains ou dans les assemblées politiques du xtxe siècle. »

Comme le saint-simonisme, le positivisme considère l’histoire comme ta physiologie da notre espèce ; il voit les événements s’y succéder dans un ordre qui rapproche de plus en plus l’humanité du terme.normal de son développement. U ignore Dieu et n’emploie pas

le mot Providence, mais il n’en parle pas moins de mission et de destination historique ; il n’en voit pas moins dans cette idée de mission et de destination le critère de toute légitimité, de toute justice. Avant d’arriver au régime positif, qui est le régime final, l’humanité a passé et a dû passer par le régime fétichique, le régime polythéique et le régime monothéique. La période du polythéisme se divise en trois périodes secondaires : celle du polythéisme conservateur, représentée par les théocraties orientales ; celle du polythéisme intellectuel, où fleurissent les cités grecques, et celle dû polythéisme social, où règne le peuple romain. Chacune de ces périodes a eu sa raison d’être. Le polythéisme théocratique était nécessaire a l’origine pour ébaucher l’ensemble de l’évolution humaine ; la civilisation grecque et la conquête romaine l’ont été à leur tour pour développer d’une manière spéciale, celle-ci l’activité, celle-là l’intelligence. Ces deux évolutions de l’intelligence et de l’activité sociale devaient se produire isolément, et, de plus, l’essor de l’intelligence devait précéder le développement de l’activité. Destinée àl’empire universel, Rome, après avoir trouvé dans sa constitution aristocratique le principe de son activité conquérante, devait chercher dans une concentration permanente du pouvoir le moyen de conserver ce qui était acquis. Ainsi s’explique et se légitime, selon Auguste Comte, la révolution qui a détruit la république et fondé l’empire. Auguste Comte place l’auteur de cette révolution, Yêminent, l’incomparable César, parmi les plus grands saints de son calendrier ; il donne le nom de César au cinquième mois de l’année positiviste ; il se plaît à remarquer que le génie de César, pleinement émancipé du thêologisme, avait presque devancé la pensée positiviste ; il est heureux de signaler dans la mort du grand homme les coups de l’ennemi qu’il poursuit de son mépris et de sa haine, de la métaphysique ; il appelle le tyrannicide de Brutus « un meurtre infâme,

non moins insensé qu’odieux, où le fanatisme métaphysique secondais rage aristocratique. »

On voit clairement, parce qui précède, qu’à l’Histoire de César ne peut s’appliquer cette expression : Prolem sine matre creatam. On voit aussi combien M. Nisard se trompe quand il dit que l’historien de César est, dans une

Eartie de son livre, de l’école de Montesquieu, a. vérité est que nulle part le souffle de Montesquieu ne s’y fait sentir, et que, de la pre- ’ mière à la dernière page, l’esprit qui l’anime est très-différent, très-éloigne de l’esprit du xvnie siècle. Il faut laisser aux créateurs des grands systèmes historiques dont nous venons de parler l’honneur d’avoir inspiré l’impérial écrivain. Dans aucun des ouvrages de Montesquieu on ne trouve la théorie finaliste, Optimiste, présidentialiste de la succession des événements et des pouvoirs. Ce que Montesquieu recherche dans l’histoire, ce sont des actions causales : action du climat, action des croyances religieuses, action des institutions et des gouvernements ; ce ne sont pas des fins, des destinations, des fonctions, des râles, des missions, un plan providentiel. N’étant pas, comme Hegel, comme Cousin, comme l’école saint-simonienne, comme Auguste Comte, comme l’auteur de l’Histoire de César, préoccupé de justifier l’histoire pour justifier l’humanité, il accepte la décadence comme un

fait, et cherche à expliquer ce fait par ses antécédents, sans songer à le nier et à le présenter comme une transformation salutaire ; il n’a pas de scrupule à croire possibles « les dominations qui ne reposent pas sur une grandeur véritable et sur une incontestable utilité ; » ce n’est pas lui qui proclamerait, comme l’historien de César, « qu’il faut reconnaître dans la durée d’une institution la preuve de sa bonté» •

La datée une preuve de bonté.’ Pour soutenir une telle assertion, il faut être singulièrement aveuglé par la théorie optimiste et providentialiste. « Si nous faisions le bilan du

passé, dit très-bien M. Ch, Dollfus, nous serions obligés de reconnaître que ce que l’humanité a connu de pire, le despotisme religieux et le despotisme politique, est précisément ce qui a le plus duré. L Orient et l’Occident nous le disent à l’envi. Et cela

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s’explique, bêlas t car les plus mauvaises institutions sont celles qui reposent sur l’ignorance, l’iniquité, l’égoïsme et là lâcheté des hommes. La nature humaine a de grands et de nobles côtés : ce ne sont pas ceux toutefois qui jusqu’à ce jour ont prédominé dans l’histoire. Dans tous les temps, les oppresseurs ont exploité l’homme contre lui-même en spéculant sur ce qu’il renferme de mauvais. Ils ont fait leur force de nos faiblesses, leur succès de nos défauts, leur gloire de nos hontes et de notre corruption... L’histoire a de magnifiques pages sur lesquelles on voudrait pouvoir rester ; mais quelques pages ne font pas le livre... Le beau et le vrai ont tant de peine à s’enraciner sur notre fangeuse planète, que nous serions bien près de renverser la proposition de l’historien couronné et de dire qu’il en est des plus belles institutions comme des roses dont a parlé le poBte et qu’elles ont le pire destin. •

On voit que la théorie optimiste et providentialiste soutenue par l’auteur de l’Histoire de César est tout à fait contraire à l’esprit scientifique qui, en histoire comme ailleurs, doit toujours procéder par la méthode a posteriori. On a le droit de tenir pour suspecte toute histoire, toute biographie dans laquelle les faits, c’est-à-dire les témoignages des contemporains, sont subordonnés à une idée préconçue qui les accueille ou les repousse suivant qu’elle y trouve ou non un appui. Les systèmes a priori de philosophie de 1 histoire et les systèmes, a priori de philosophie naturelle se valent. « La philosophie des causes finales, dit avec raison Herder, en accoutumant ceux qui l’ont adoptée à mettre leurs conjectures a la place de la recherche des faits, n’a été d’aucun secours à l’histoire naturelle ; combien moins encore peut-elle.l’être à l’histoire de l’homme 1 •

Mais le plus grand reproche que nous devions faire à la théorie des missions providentielles, c’est de supprimer la conscience

naturelle de l’histoire et d’y introduire une conscience mystique favorable à toutes les ambitions, à tous les despotismes ; c’est d’élever les maîtres du monde dans une sphère supérieure à l’humanité, de les placer en dehors et au-dessus de toute discussion, et de les décharger de toute responsabilité vis-à-vis des peuples ; c’est, . en un mot, de fonder le droit divin des dictateurs. Nous croyons inutile d’insister sur ce point.

Il nous reste à dire quelques mots sur la valeur littéraire de l’œuvre. Le ton élevé qui convient à l’histoire y est toujours soutenu ; le style ne manque ni d’élégance ni de force ; et il y a de l’ordre dans les idées, un grand talent d’exposition, une remarquable propriété d’expressions, de la sûreté et de la netteté dans les jugements. L’auteur commande à sa plume et il est maître de son sujet, U dit bien et franchement ce qu’il veut dire : il a pris César pour son héros, et il arrive en face de la statue avec l’intention bien arrêtée de ne trouver rien à reprendre aux mouvements du torse, au jeu des muscles, à la distribution des veines, aux plis de la draperie. Enfin, on voit qu’il y a dans l’auteur tout à la fois un écrivain et un penseur qui ne sont pas ordinaires, et l’aveu de cette qualité de penseur n’affaiblit en rien, selon nous, la critique que nous avons faite de la théorie soutenue dans tout l’ouvrage. On remarque çà et là quelques irrégularités grammaticales ou, pour mieux dire, syntaxiques. Mais on aurait tort de s’arrêter à ce détail : Aquila non capit muscas ; il faut s’en prendre à l’ignorance ou plutôt à la maladresse de quelques réviseurs ofdciels qui ont pris trop à la lettre la morale de la fable la Cour du Lion.

César (Jules), tragédie en cinq actes, de Shakspeare. « La conjuration dont César fut la victime, dit Mm Montague, diffère presque autant des crimes que font commettre les passions basses et mauvaises, que la vertu diffère du vice. Elle fut ennoblie par les plus graves motifs ; c’étaient le génie de Rome, les droits de sa constitution, 1 esprit de ses lois, qui s’élevaient contre l’ambition de César. Ces motifs armèrent la main du vertueux Brutus, et le forcèrent, en quelque sorte, à porter en gémissant le coup mortel dans le sein du conquérant illustre qui avait rendu les Romains maîtres du monde. » Tel est le sujet de la tragédie de Shakspeare, et jamais sujet ne fut plus digne de la muse tragique que cet événement, si terrible par lui-même, si important par ses suites et si fameux par la grandeur de la victime et des citoyens qui immolèrent César à la liberté de Rome. Cette tragédie aurait dû plutôt s’intituler Brutus. Brutus, en effet, à la tête de ses conjurés, les premiers citoyens du plus puissant peuple du monde, parait bien autrement grand que César, prêt à monter sur le trône. Brutus, assassin de César qu’il aimait et dont il était chéri ; Brutus, souillant ses mains d’un meurtre et conservant un cœur pur, est l’être moral le plus rare et le plus sublime que puisse rêver une imagination de poëte. Si Antoine a dit de lui : « Voilà un homme, > Shakspeare put à son tour dire avec non moins de raison : « Voilà un caractère ; » et, en effet, c’est le plus beau qui ait jamais été mis sur la scène. La vérité des mœurs et des peintures est surtout admirable dans cette pièce, et l’on citera toujours la harangue d’Antoine au peuple romain. Cet admirable discours est si adroit, si éloquent, si bien approprié au sujet et aux circonstances,

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qu’il est impossible que la harangue du véritable Antoine ait été plus pathétique et plus propre à soulever le peuple. Brutus, avonsnous dit, est le véritable héros de la pièce ; c’est son caractère qui domine tout ; c’est sa mort qui fait le dènoûment ; mais comme l’assassinat de César est le nœud du sujet, c’est le vainqueur de Pompée qui donne son nom à l’ouvrage. La traduction que Voltaire a faite des trois premiers actes de cette tragédie les a rendus familiers à beaucoup de lecteurs. Voltaire, cependant, peut-être pour rehausser l’éclat de la tragédie qu’il a composée sur le même événement, semble s’être fait un malin plaisir de présenter un grand nombre de passages sous un point de vue ridicule, qu’ils n’ont pas dans l’original, et il serait injuste de prononcer sur l’ouvrage de Shakspeare d’après une traduction qui se rapproche quelquefois du ton et de l’intention de la parodie. • Jamais peut-être, dit M. P. Duport, le génie du poète anglais n’a saisi des caractères inconnus, n’a ressuscité une époque historique avec plus de force et de vérité. Shakspeare pénètre dans le cœur de la situation ; il comprend, il devine les intérêts, les passions, les sentiments qui durent animer les principaux acteurs de ce grand drame politique, et même ceux.de la simple populace, dont il peint merveilleusement la mobilité dans les jours de révolution ; en un mot, il nous étale le spectacle de Rome toute vivante et tout animée. Mais s’il évoque, pour ainsi dire, les Romains par la puissance de son art, s’il leur rend la vie et s il les replace dans leur action, il ne sait pas également retrouver leur langage. Semblable à un peintre ou à un statuaire, il nous montre ses personnages dans l’attitude qui leur était naturelle ; il nous fait même conjecturer ce qu’ils ont dû dire, mais il ne nous le dit pas. Presque toutes les formes de son style appartiennent à un ordre de civilisation qui n’a pas la plus légère analogie avec la société romaine, telle que nous la retracent Plutarque, et surtout Cicéron dans ses lettres familières. • Ajoutons que, dans cette tragédie, l’action est double, et ce défaut est d’autant plus sensible que, l’intérêt des trois premiers actes reposant sur une conspiration très-animée, les deux derniers ne font plus que languir.

Voici l’opinion de M. Villemain : t Le reproche que Fénelon faisait à notre théâtre, d’avoir donné de l’emphase aux Romains, s’appliquerait bien plus au Jules César du poëte anglais. César, si simple par l’élévation même de son génie, ne parle presque dans cette tragédie qu’un langage fastueux et déclamatoire. Mais, en revanche, quelle admirable vérité dans le rôle de Brutus I Comme il paraît tel que le montre Plutarque, le plus doux des hommes dans la vie commune, et se portant par vertu aux résolutions hardies et sanglantes I Antoine et Cassius ne sont pas représentés avec des traits moins profonds et motus distincts. J’imagine crue le génie de Plutarque avait fortement saisi Shakspeare, et lui avait mis devant les yeux cette réalité que, pour les temps modernes, Shakspeare prenait autour de lui. Mais une chose toute neuve, toute créée, c’est l’incomparable scène d’Antoine soulevant le peuple romain par l’artifice de son langage ; ce sont les émotions de la foule à ce discours, ces émotions toujours rendues d’une manière si froide, si tronquée, si timide dans nos pièces modernes, et qui là sont si vives et si vraies, qu’elles font partie du drame et le poussent vers le dènoûment. •

Plusieurs tragédies sur le même sujet semblent avoir précédé, en Angleterre, celle de Shakspeare, qui parut, suivant Malone, en 1607. Cette pièce a été depuis retouchée, à différentes époques, par Davenant, Dryden et le duc de Buckingham. En France, elle est devenue classique, et a eu de nombreux imitateurs ou traducteurs, parmi lesquels Letourneur, M. Guizot et V. Hugo.

Ciaar (REPRÉSENTATIONS ANTIQUES ET MO-DERNES oe Jules). Les images antiques de J ules César sont très-rares. Parmi les six statues que M. de Clarac a fait graver dans son Musée de sculpture, la seule qui passe pour offrir incontestablement la ressemblance du célèbre dictateur est au musée Capitolin : elle représente Jules César, revêtu de la cuirasse et du paludamentum, tournant la tête à çauche, ayant l’avant-bras gauche à peu près horizontal, et tenant une pomme dans la main droite qui est abaissée. Cette Statue, qui est en marbre de Luni et dont l’exécution est médiocre, figurait autrefois dans la collection de Mgr de Rufini, évêque de Melfi, et décora ensuite le palais des Conservateurs. Le Louvre possède une statue de César en marbre de Paros, qui provient de la galerie Borghèse ; elle a 2 m. de haut ; la tête, qui est rapportée, rappelle assez bien celle delafiguredu Capitole ; la statue, enstyle héroïque romain, tient de la main droite le parazonium et a le paludamentum rejeté sur 1 épaule gauche. Une statue en marbre grec, du musée de Naples, a une cuirasse ornée de l’aigle et des griffons qui distinguent d’ordinaire les personnages de la famille impériale de Rome ; mais cette statue est d’une date postérieure à l’époque de César, et la tête est d’ailleurs rapportée. On ne saurait non plus regarder comme une statue authentique de César celle de la villa Albani, qui représente un personnage entièrement nu, s’appuyant de lavant-bras gauche sur une colonnette et élevant la main droite fermée à la hauteur du biceps. Parmi les bustes anti CESA

ques du dictateur, un des plus remarquables, tant pour la beauté du travail que pour la ressemblance, est celui que l’on voit at> musée de Naples, et qui provient de l’ancienne galerie Farnèse : il s’accorde bien avec les médailles authentiques de César. Deux autres bustes se trouvent au musée des Offices : l’un, en marbre, se distingue par la manière dont les cheveux de la tête sont ramenés sur le front, qui est complètement chauve ; on pense qu’il aura été exécuté avant que César eût obtenu du sénat le privilège de porter une couronne de laurier, prérogative a laquelle le dictateur attachait beaucoup de prix, car elle lui permettait de dissimuler quelque peu sa calvitie. Le mèmémusée possède un busto en bronze à peu près semblable au précédent, mais que quelques connaisseurs croient moderne. Parmi les statues modernes de Jules César, imitées de l’antique, nous citerons celle de marbre que Von voit dans le jardin des Tuileries et qui est due au ciseau de Nicolas Coustou ; elle représente le dictateur tenant une pomme dans la main droite et un rouleau dans la gauche ; il est revêtu d’une cuirasse et du paludamentum ; près de lui, à terre, est un aigle.

Nous ne connaissons pas de peintures ni do bas-reliefs antiques qui représentent des sujets se rattachant à 1 histoire de Jules César. Il existe bien au musée des Offices deux basreliefs dans lesquels d’ingénieux archéologues avaient cru reconnaître Afarc-Antoine déployant la chlamyde ensanglantée de César, et l’Ouverture du testament de César, mais ces sculptures, mieux étudiées et comparées à d’autres monuments de l’antiquité, ont été reconnues comme représentant deux Boutique» de marchands tailleurs/ ! En revanche, les artistes modernes se sont souvent inspirés de l’histoire du vainqueur des Gaules. Nous donnons ci-après une description spéciale du célèbre Triompke de Jules César, par Mantegna, Le même, sujet a été traité récemment par M. Chenavard (v. ci-après). Un tableau du Giorgione, appartenant au comte de Darnley, et qui a figuré à l’exposition de Manchester, en 1867, représente César recevant la tête de Pompée : c est une composition importante, pleine de mouvement et d’une couleur splendide. Sébastien Bourdon a peint Jules César devant le tombeau d’Alexandre : le grand capitaine romain, accompagné de deux prêtres et de quelques guerriers, vient de descendre de son char et de déposer une couronne sur le tombeau du grand capitaine macédonien ; à gauche, près du sarcophage, dont la matière transparente laisse entrevoir la dépouille du héros, une femme, un enfant, un soldat et un licteur sont groupés. Vers le milieu du tableau, des gens du peuple considèrent cette scène, et un homme est assis au premier plan. Dans le fond, on aperçoit le char de César et son conducteur, un arc de triomphe, un cirque, un obélisque et divers autres monuments. Ce tableau, qui appartient au musée du Louvre, a été gravé par Masquelier le jeune dans le Musée français. La publication de l’Histoire de Jules César, par Napoléon III, a remis en honneur, dans la peinture, les sujets tirés de cette histoire. M. G. Boulanger, notamment, a représenté Jules César en tête de la Xe légion (Salon de 1863), et César passant le Ruoicon (v. ci-après). Un tableau de M. Couder, expose au Salon de 1827, représente César allant au Capitole t le dictateur refuse de céder aux instances de sa femme, qui le retient par le bras. La Mort de César a inspiré plusieurs artistes, entre autres le célèbre graveur en pierres fines Valerio Belli, dit le Vicentino, dont une belle intaille en cristal de roche, représentant ce sujet, a figuré dans la collection Pourtalès et a été gravée dans les planches du catalogue de Tassie. Plusieurs artistes modernes t Court, MM. Piloty, Gérôme, Clément, ont retracé la même scène dans des tableaux que nous décrivons ciaprès. L’épisode final, les Funérailles de César, forme le sujet d’une vaste toile de Lanfranodont nous donnons également la description.

César (le Triomphe de), célèbres peintures d’Andréa Mantegna, exécutées pour le marquis Louis de Gonzague, dans le palais de San-Sebastiano, à Mantoue. Ces peintures, qui

formaient une frise circulaire, devinrent, suivant Lanzi, la proie des Allemands, lors du sac de Mantoue en 1630, et plus tard elles furent vendues au roi Charles Ier, Mariette prétend qu’elles avaient été cédées directement au roi d’Angleterre par le duc de Mantoue, qui était pressé d’argent et qui prévoyait le siège dont les Impériaux menaçaient la ville. Ou voit aujourd’hui, au palais de Hampton-Court, neuf grandes toiles peintes à la détrempe et formant une longue frise, de £7 m, de long sur 3 m. de hauteur, où se déroule le Triomphe de Jules César. Ces neuf toiles, qui sont de la main de Mantegna, sont regardées par M. Viardot comme les cartons des peintures de San-Sebastiano, peintures que Lanzi etd’autres auteurs assurent avoirété détruites. M. Charles Blsnc veut, au contraire, que les neuf toiles de Hampton-Court soient celles qui décoraient le palais du duc de Gonzague. « Cinq ou six fois, dit-il, j’ai vu cette frise superbe. Les neuf toiles qui la composent sont peintes, non pas à l’huile, comme le prétend Mariette, mais en détrempe ; non pas en camaïeu, comme le disent les éditeurs de l’Aiecedario, mais en couleur. A demi effacées par le temps et décolorées, ces peintures sont CËSA

comme une apparition du monde romain. Leur pâleur les éloigne de la réalité et les idéalise en les reculant dans les perspectives lointaines de l’histoire. Toute l’antiquité romaine y est évoquée, et on la voit passer processionnellement avec une pompe qui, pour n’être pas emphatique, est tempérée par le naturel le plus charmant. Dans cette foule en marche, les uns sont triomphants et les autres traînés en triomphe. César, chauve et ridé, couronné par la Victoire, trône sur son char attelé de chevaux qui rappellent les antiques bas-reliefs. On y suit du regard des soldats qui portent sur des brancards des trophées d armes, des dépouilles opimes, des vases, des candélabres, les aigles du vainqueur mêlées aux drapeaux conquis ; on y voit les rois et les reines qu’on amène prisonniers, des éléphants couverts d’ornements et de riches draperies, des taureaux ornés pour le sacrifice, précédés par les joueurs de flûte et les trompettes et suivis des sacrificateurs et des prêtres. Puis viennent les licteurs portant les faisceaux couronnés ; enfin le cortège est fermé par les officiers de l’arméej de sorte que le peuple romain tout entier s’agite dans cette frise comme sur les marbres des arcs de triomphe de Titus, de Septime Sévère et de Constantin. On y remarque des matrones en larmes qui tiennent leurs enfants par la main, des adolescents pleins de grâces, et des vieillards replets qui conservent là dignité de la vieillesse jusque dans les disgrâces de l’obésité. Des spectateurs se pressent aux fenêtres de Rome pour voir passer le cortège. Parmi la foule, quelques détails pris sur nature arrêtent un moment l’attention et empêchent le style d’être tendu et surhumain, en introduisant les choses intimes de la vie dans la pompe brillante et bruyante d’un spectacle aussi solennel. Un enfant qui s’est mis une épine dans le pied se plaint à sa njère, de la façon la plus naïve, la plus gracieuse et ta plus naturelle... » M. Charles Blanc ajoute : « 11 nous souvient que lorsque nous vîmes pour la première fois ces peintures fameuses au palais de Hampton-Court, nous étions en compagnie d’un historien illustre (Louis Blanc î) étranger à l’étude spéciale des arts, mais auquel est familier le sentiment de la grandeur. Nous venions de regarder dans la galerie voisine les célèbres cartons de Raphaël... Quand nous eûmes contemplé cette longue et pâle frise du Triomphe, à la fois vivante et idéale, naturelle jusqu’à la naïveté et noble jusqu’à l’héroïque, notre compagnon se retourna vers nous et noua dit, en désignant du doigt les toiles de Mantegna : « Celui-ci me semble encore plus grand que l’autre.» Unteljugement méritait d’être mentionné ici, comme un hommage rendu sans prévention au génie de Mantegna par un esprit aussi mâle que délicat, aussi élevé que sincère, par un écrivain qui, lui aussi, est, k sa manière, un grand artiste. La vérité est que, sans placer Mantegna au-dessus de Raphaël, ni même à sa hauteur, nous ne le trouvons jamais plus beau que lorsqu’il est rapproché du maître par excellence. » Vasari regardait le Triomphe de César comme le chef-d’œuvre de Mantegna (la miglioracosa che lavorasse mai). Ce Triomphe est d’un style « si librement grandiose, dit M. Burger, que Rubens, qui n affectionnait que les formes splendides, a eu l’idée de le copier : sa copie, retrouvée à sa mort et cataloguée dans son inventaire, est aujourd’hui un des morceaux curieux de la National Gallery.» Mantegna considérait lui-même le Triomphe de César comme une des œuvres qui pouvaient lui faire le plus d’honneur ; il en avait commencé l’exécution avant son départ pour Rome, en 1488, et il écrivait de cette ville, au mois de janvier de l’année suivante, pour recommander au marquis de Gonzague de ne pas exposer • les Triomphes » aux injures de l’air, » parce que, disait-il, je n’ai vraiment pas honte de les avoir composés. » Mantegna acheva son œuvre à son retour de Rome. Pour le récompenser, le marquis lui fit donation entre vifs de deux cents mesures de terrain. L’acte de donation, qui nous est parvenu, est du 14 février 1492. L’artiste a gravé lui-même deux des fragments de sa longue frise : des Soldats portant des trophées et des Eléphants portant des torches. On a de lui aussi une estampe qui représente le Sénat de Home accompagnant un triomphe, pièce que 1 on croit avoir été exécutée d’après un dessin fait par l’artiste pour cette même frise, mais non employé. Les neuf fragments dont se compose le Triomphe de Jules César ont été gravés par Andréa Andreani et par Audenaerde en neuf pièces, se réunissant avec un frontispice. Deux de ces pièces, César sur son char et des Soldats faisant partie du cortège du triomphateur, ont été reproduites sur bois par M. J. Robert, dans l Histoire des peintres de toutes les écoles.

César (le Triomphe de Jot.es}, carton de M. Chenavard. Cette composition est une des plus remarquables du long cycle historique et philosophique que M. Chenavard se proposait de dérouler sur les murailles du Panthéon. Elle donne bien l’idée de l’appareil pompeux déployé dans la Rome antique pour l’entrée des triomphateurs : quadrige attelé de chevaux blancs, Victoires aux ades d’or, esclaves nombreux portant sur des brancards le butin enlevé k l’ennemi, les vases d’or, les cratères d’argent, les tapis persiques, la pourpre, les masses d’ambre, d’encens et de nard... Dans le fond du tableau s’élèvent des monuments rnSguifiqués.

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Céaar (les FUNÉRAILLES de), tableau de Lanfranc ; musée de Madrid. Au milieu d’une

place que termine la façade du Panthéon S’Agrippa s’élève, en forme de pyramide, un grand bûcher de bois de cèdre sur lequel est couché le corps de César, couvert d’une armure et enveloppé d’un long voile d’amiante. Des cassolettes pleines de parfums furent k l’entrée, et plusieurs prêtres mettent le feu aux angles du bûcher. Sur le devant du tableau, au milieu d’une foule curieuse, des gladiateurs nus s’entre-tuent pour accompagner les mânes de César. Plusieurs combattants, sont déjà étendus morts. Deux couples sont aux prises : l’un des lutteurs est renversé et va recevoir le coup fatal. Ce tableau est un des plus vastes qu’ait peints Lanfranc. « La composition ne manque pas d’une certaine grandeur théâtrale, dit M. Viardot, et elle offre plusieurs détails dignes d’attention ; mais l’exécution sent trop la fresque. •

Céaar arrivé devant le Rubicon, tableau de

M. Gustave Boulanger ; salon de 1857. Suétone raconte qu’un prodige triompha des irrésolutions qui enchaînaient César sur la rive du Rubicon..Un homme d’une taille et d’une beauté extraordinaires (eximia magniludine et forma) se montra tout k coup aux regards du rival de Pompée ; il était assis et jouait de la flûte. Des bergers, des soldats, des musiciens de l’armée (œneatores), se rassemblent autour de lui. Il saisit la trompette d’un des légionnaires, l’embouche, en sonne de toute sa force, s’élance dans la rivière et la traverse. « Allons, s’écrie César, allons où nous poussent les présages des dieux et l’iniquité de nos ennemis. Le sort en est jeté. » M. Boulanger s’est sans doute rappelé le récit de Suétone, mais il n’a pas su en traduire la poésie fantastique. Au lieu de cette apparition figantesque qui décida César, il nous montre, travers les brumes matinales, un jeune et paisible Tityre, assis parmi les roseaux ; au lieu des légions dévouées à la fortune du vainqueur des Gaules, il a peint un soldat barbare suivant k distance le général ambitieux. La figure principale est médiocrement réussie. "Jules-César ne porte pas sur son cheval, a dit M. de la Bédollière ; les pensées qui doivent l’assiéger en ce moment solennel ne se reflètent pas sur sa physionomie. Ce n’est qu’une figure académique. » M. de Calonne, plus cruel dans son appréciation, ne voit dans cette composition «qu’un palefrenier sollicitant son cheval k se baigner dans la rivière. > Suivant M. Du Camp, » ce n’est pas un drame que ce tableau, ni même une tragédie ; c’est un monologue sans confident ; c’ost une grande maehine, #comrne il y en a tant, académique jusqu’au dernier grain de la toile ; c’est froid et honorable, suffisamment dessiné, peint suffisamment, sans qualités, sans défauts ; c’est une toile qui figurera honnêtement dans quelque musée de province. » Un classique, feu M. Delécluze, des Débats, prétend que M. Boulanger a mis dans cette toile « une poésie triste et sombre comme le sujet. ■ M. About s’est borné àconstater que, «malgré le3 proportions énormes de la toile, le Jules César arrivé au Rubicon n’est autre chose qu’un tableau de genre bien conçu, bien composé et tout à fait spirituel. » Entre ces jugements, lecteur, devine si tu peux, et choisis si tu l’oses.

Céaar pansant le Rubicon, carton de M. Chenavard. Cette composition est une des plus remarquables parmi celles que M. Chenavard destinait à la décoration du Panthéon. Le torrent occupe le devant du tableau. César, à cheval, assez séparé du gros de sa troupe pour la dominer comme une imposante statue équestre, hésite sur la rive, pesant la destinée du monde à cette minute suprême. Le cheval a déjà le pied dans l’eau et retourne la tête du côté de son maître d’un air interrogatif. Allons ! c’est résolu. César passera ; il rend la bride au noble animal. Le sort en est jeté. M. Théophile Gautier, auquel nous empruntons la description qui précède, ajoute : à Cette composition nous a vivement frappé par une

grandeur de style et une expression morale dont peu de peintures offrent l’équivalent... C’est simple, noble et beau, d’une beauté qui se sent mieux encore qu’elle ne peut se rendre. » Gustave Planche a cité aussi ce morceau comme un des meilleurs qu’ait composés M. Chenavard.

Céaar (la Mort de), tableau de M. Charles Piloty ; Exposition universelle de 1867. César, une couronne d’or sur la tête et un sceptre a la main, repousse le placet que lui présente Metellus Cimber, agenouillé devant lui avec deux autres sénateurs. C’est l’instant prévu par les conjurés. Les autres complices attendent avec une impassibilité farouche que le premier coup soit porté, pour consommer l’oeuvre de sang. Les sénateurs étrangers au complot sont glacés de crainte et d’horreur. « M. Piloty a choisi le moment le plus pathétique du terrible drame, dit M. Marins Chaumelin (yArt contemporain), et il l’a rendu d’une façon vraiment saisissante. Peut-être serait-il à désirer qu’il eût donné k ses personnages plus de noblesse dans la physionomie et la tournure, pour que la scène ressemblât moins à un vulgaire assassinat. L’exécution n’est pas dépourvue de charmes ; il y a trop de recherches dans les lumières frisantes qui glissent sur les pavés et les colonnes de marbre, mais le clair-obscur a de la tr&nspafônéèv le coloris est clair et harmonieux, •

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Céaar (la Mûrt db), tableau de M. Clément ; salon de 1867. César, renversé au pied de la statue de Pompée, au milieu de ses meurtriers, ramène sur son visage un par de son laticlave et lance un regard plein de tristesse à Brutus, qui s’avance pour le frapper. Celui-ci, enveloppé de sa toge, le bras gauche élevé vers le haut de la poitrine, la main droite tenant un poignard, se présente de profit au milieu de la composition. Près de lui, Cassiusse penehe d’un air menaçant vers César, à qui il semble adresser la parole. D’autres conjurés entourent le dictateur, dans des attitudes de forcenés. L’un d’eux, le saisissant à la gorge, lève sur lui son poignard. Un autre, ressemblant k l’un des bourreaux du Couronnement d’épines, du Titien, se rue sur César, lui met le pied sur la hanche et écarte violemment la draperie sous laquelle il cherche à cacher son visage. César, insensible en apparence à. ces attaques féroces, semble absorbé dans la douleur que lui cause la vue de Brutus, Derrière celui-ci, à droite, un sénateur s’enfuit en se voilant la face ; d’autres, saisis de crainte, sont restés à leurs bancs. Dans le fond, près de la Louve de bronze, s’ouvre une porte que paraissent garder deux conspirateurs. Par cette porte, on aperçoit un portique. Cette composition, dont les personnages sont de grandeur naturelle, révèle de sérieuses études de dessin ; mais on y sent beaucoup trop la préoccupation du style académique. Son plus grand défaut, du reste, est son exagération mélodramatique. Elle n’en a pas moins valu une

médaille à son auteur, et elle a été placée à l’Exposition universelle, avec les autres ouvrages récompensés au Salon de 1867.

Céaar (la Mort de), tableau de M. Gérôrae ; Exposition universelle de 1867. Le crime est consommé. Le corps inanimé de César, enveloppé dans les plis de la toge qui ne laissent voir que le haut du visage et le bras droit, est étendu au pied de la statue de bronze du grand Pompée, dont le piédestal est souillé de sang. Ce corps se présente en raccourci, k gauche, au premier plan, la tête en avant. Les conjurés se dirigent pêle-mêle vers le fond de la salle, où s’ouvre une arcade par laquelle on aperçoit le péristyle d’un temple ; ils brandissent presque tous leurs poignards au-dessus de leurs têtes, et, comme ceux d’entre eux qui sont tournés vers le spectateur ont la bouche ouverte, on croirait avoir affaire à des choristes simulant une sortie et disposés,

! d’ailleurs, k revenir sur le devant de la scène.

1 Deux premiers rôles, restés un peu en arrière, cherchent à attirer l’attention : le plus âgé, qui ouvre la bouche toute grande, se retourne vers le second, dont nous ne voyons que le dos et le profil perdu, et lui montre la statue de Rome, devant laquelle monte une fumée d’encens qui s’élève d’un trépied. Ces deux personnages sont apparemment Cassius et Brutus. Quelques sénateurs quittent en toute hâte le lieu du crime ; un vieillard, tout courbé par l’âge et appuyé sur un bâton, se retire pénétré d’horreur. Seul, un père conscrit est resté, assis sur son banc, enchaîné à la fois par son émotion et par son obésité. Les chaises curules des sénateurs, simples bancs de bois k dossier arrondi, sont rangées à droite sur des gradins formant hémicycle ; en face, entre les statues de Rome.et de Pompée, s’élève le tribunal réservé au dictateur et aux consuls : le siège doré qu’occupait César est renversé sur les degrés de l’estrade, où il se maintient par un miracle d’équilibre. Dans l’espace qui sépare l’hémicycle des sénateurs du tribunal, il y a deux sièges isolés, une chaise curule destinée au préteur urbain et un banc sans dossier pour les tribuns du peuple. Des trophées, formés d’étendards et de pièces d’armures enlevés k l’ennemi, sont suspendus aux murailles et aux fûts des colonnes ioniques du temple ; le pavé est orné de marbres précieux et d une mosaïque représentant le Soleil. « M. Gérôme a fait preuve, dans tous ces détails, de son érudition accoutumée, a dit M. Chaumelin (l’Art contemporain) ; mais, au point de vue de l’art, son tableau nous paraît manquer d’animation ; l’action est décolorée, le drame amoindri ; lès figures, qui sont de petite dimension, n’ont pas de caractère et ne vivent pas ; la plupart d’entre elles, d’ailleurs, ne sont vues que par derrière, ce qui n’est pas précisément de na- ; ture k faire ressortir le talent de l’artiste pour exprimer les passions. On ne peut nier, après cela, que la composition ne soit originale, que l’exécution n’ait une certaine largeur, et que la couleur ne soit harmonieuse et juste ; la lumière qui vient d’en haut est bien distribuée, et, si elle ne produit pas de ces effets et de ces contrastes vigoureux qu’on admire chez les anciens maîtres hollandais, elle ne pèche du moins ni par crudité ni par insuffisance. > Le tableau de M. Gérôme fait partie de la collection d’un amateur parisien, M. J. Allard.

Céaar (la Mort de), tableau de Court ; musée du Luxembourg. Ce tableau pourrait s’intituler plus exactement : Antoine excitant le peuple romain contre les meurtriers de César. Tel est, en effet, le sujet de la composition. Du haut de la tribune aux harangues, sur laquelle des licteurs viennent de déposer le corps inanimé de César, Marc-Antoine harangue la foule, à laquelle il montre là tunique ensanglantée du dictateur. Des gens du peuple se pressent au pied des rostres* dans les

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attitudes diverses de la douleur, de la colère, du mépris et de l’horreur. Parmi eux, a droite, un vieillard demi-nu, dont la tête rappelle celle du buste antique de Démosthène, montre du doigt et signale à la vindicte publique Cassius et Brutus, qui, entraînés par un de leurs partisans, s’éloignent vers la gauche. L’espace qui sépare ces derniers de la tribune est rempli par le groupe de deux citoyens, dont lun, prêt k se jeter sur Cassius, est retenu par son compagnon, Cassius a tiré son glaive et se retourne avec fierté ; il est arrêté par Brutus qui, les mains sur un poignard caché sous sa toge, semble encore préoccupé du grand coup qu’il vient de frapper. Ce groupe, placé au premier plan, à gauche, est étudié avec soin et vigoureusement accusé : la foule lance aux conjurés des regards menaçants ; un homme ramasse des pierres pour les frapper ; le vieillard qui les montre du doigt, assis au bas de la tribune, est soutenu par un adolescent à genoux ; près d’eux, une belle jeune femme, dont la chevelure est retenue par une résille, et qui est vu© de profil, tient dans ses bras un jeune garçon qui regarde avec une attention particulière Brutus et Cassius. Un autre adolescent escalade la tribune aux harangues pour baiser la main de César. On aperçoit au fond, dans le lointain, l’édifice où le meurtre a été commis ; des sénateurs en descendent les degrés ; le peuple les entoure, les interroge ; une foule immense s’agite et soulève un nuage dépoussière.

Cette vaste composition se déroule sur une toile de 4 m. 30 de hauteur et de 5 m. îî de largeur. Exécutée à Rome et exposée d’abord à l’École des beaux-arts à Paris, elle reparut avec éclat au Salon de 1827, et valut les plus brillants éloges k M. Court, dont elle est restée l’œuvre capitale. Le Journal des Artistes l’apprécie dans les termes suivants : « Avant de voir le tableau, nous tremblions qu’un pareil sujet ne fit taxer de témérité et même échouer la noble entreprise du jeune artiste. Il ne s’agit pas seulement ici d’agencer un groupe de quelques figures ; c’est une masse entière en mouvement qu’il faut disposer sur la toile, et cette tâche présente toutes les difficultés qui font le désespoir même des maîtres les plus habiles. M. Court s’en est tiré avec succès. On voit qu’il a pensé avant de prendre ses pinceaux, chose fort rare de nos jours où tant de peintres ont le tort d’exécuter une idée aussitôt qu’ils la conçoivent. » Le critique passe ensuite k une analyse raisonnée de la composition ; puis il résume ainsi ses observations sur les qualités et les.défauts de l’ouvrage : » Les beautés sont : une composition grande et savante ; un dessin généralement ferme et correct ; enfin une grande pensée rendue par de grands traits, dont quelques-uns ont tous les mérites qu’on cherche dans le véritable peintre d’histoire. Les défauts sont : une disposition trop resserrée ; des plans qui manquent d’air et de profondeur ; une lumière moins bien entendue qu’elle ne pourrait l’être ; un dessin qui n’a pas toute la noblesse de style désirable ; quelques exagérations de forme et de couleur ; un manque de proportion dans la hauteur de certaines figures, et quelques actions de détail qui ne sont pas aussi bien pensées que l’action’principale. M. Court, docile à la critique,

a corrigé, autant qu’il a pu le faire, la tête ignoble de l’homme au manteau brun assis au pied de la tribune ; il a donné un peu d’air à ses premiers plans ; c’étaient là les seules corrections qui pouvaient être exécutées. Ce

jeune peintre nous parait destiné à devenir l’un des soutiens de l’école ; mais pour cela, il ne doit faire aucune concession aux idées nouvelles qu’on cherche à faire prévaloir en peinture ; il doit s’attacher k dessiner, à ac 3uérir de l’élévation de style, et surtout se éfendre de cette idée pernicieuse, qu’une exécution soignée refroidit le génie. » Les idées nouvelles dont il est ici question, ce sont les théories du romantisme, que le Journal des Artistes, dévoué à l’Académie, combattait à. outrance. Sans être resté complètement fidèle aux doctrines classiques, Court n’eut pas l’énergie suffisante pour devenir un des chefs de Ta nouvelle école : il s’endormit sur ses premiers lauriers, et si l’on excepte son Boissy d’An g las, il ne produisit par la suite aucun ouvrage digne d’être comparé k la Mort de César. Ce dernier ouvrage, qui figure depuis près de quarante ans au musée du Luxembourg, et qui est destiné sans doute k prendre place au Louvre, restera comme une des bonnes productions de l’école française au xixe siècle. • Au point de vue de l’exécution, a dit M. de Pesquidoux, la Mort de César laisse sans doute k désirer, et la couleur pourrait être plus brillante ; mais ce tableau a un mérite d’un ordre supérieur : il est très-dramatique et transporte réellement au milieu de la scène et de l’époque que l’artiste a voulu représenter. C’est bien ainsi qu’a pu se passer et qu’on se figure ce grand événement qui bouleversa le monde. » Nous ajouterons, avec M. H. Acquier (Bévue française) : « Pour peindre ces grands sujets d’histoire ancienne, moins intéressants pour nous par le sujet que par la manière dont ce sujet est traité, il faut des qualités précieuses que M.. Court possédait k un haut degré : d’abord un véritable talent de composition, un arrangement heureux des lignes et des groupes, que "étude et le travail peuvent seuls donner, une Goalenr sobre, enfin un dessin large qui sacrifie les détails sans pouvoir être accusé de négligence. » La Mort de César n’a pas été gravée ; Julien a lithographié séparément cinq ou six des figures, et ses lithographies sont au nombre des modèles les plus répandus dans les écoles de dessin.