Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CATHERINE DE MÉDICIS, reine de France

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 2p. 587-588).

CATHERINE DE MÉDICIS, reine de France, née à Florence le 15 avril 1519, de Laurent de Médicis, duc d’Urbin, et de Madeleine de la Tour, comtesse de Boulogne ; morte en 1589. Elle fut mariée, à l’âge de quatorze ans, à Henri, dauphin de France. Ce mariage, qui était l’œuvre du pape Clément VII, grand-oncle de Catherine, fut célébré à Marseille le 20 octobre 1533, en présence du pape et du roi François Ier. La jeune dauphine, s’il faut en croire le portrait que nous a laissé d’elle Varillas, était belle de cette beauté italienne qui, à la pureté des traits, à la blancheur mate du teint, joint la mobilité, la vie, l’expression, presque la fascination. Elle paraissait aussi bonne et douce ; cependant elle ne plut pas à son mari, nous dirons pourquoi ; mais elle conquit bien vite, en revanche, la franche amitié du roi. Elle vit qu’elle lui avait plu, en se prêtant comme une enfant à son habitude de causer guerre et affaires, même avec les dames, et en interrompant tout à coup une grave discussion par un éclat de rire enfantin, une plaisanterie italienne, une espièglerie, ce qui égayait fort le roi, assombri et déjà vieux. Quelquefois elle l’étonnait par la justesse de son jugement, la netteté de son esprit. Elle l’accompagnait à la chasse et prenait plaisir à courir avec lui les grandes forêts de Chambord ou de Fontainebleau. Catherine inventa, dit-on, une nouvelle manière de monter sur les haquenées, laquelle consistait à mettre une jambe sur le pommeau de la selle, ce qui permettait à la coquette Italienne de montrer une jambe fort bien faite et recouverte d’un bas de soie bien tiré, suivant l’usage qui s’introduisait alors.

Rien autre, en apparence du moins, car s’il fallait en croire Brantôme nous aurions en cette enfant de quinze ans une femme, une femme italienne, un espion, une monstruosité ; rien autre donc ne marque en apparence les débuts à la cour de France de cette jeune fille, au nom de laquelle devait s’attacher une notoriété sinistre.

Après la mort de François Ier, le l2 juin 1547, Catherine fut couronnée à Saint-Denis par le cardinal de Bourbon, archevêque de Sens. La fille du duc d’Urbin portait donc sur sa belle tête de vingt et un ans la couronne de France ; mais la véritable reine, c’était Diane de Poitiers.

Que fit la jeune Italienne, n’ayant point l’affection de son mari, ne possédant aucun pouvoir, n’ayant autour d’elle aucun parti ? Elle dissimula. Elle se fit l’amie, l’esclave de la redoutée maîtresse ; elle mendia ses sourires, ses faveurs. Diane dominait le roi ; elle fut aussi maîtresse absolue de la reine. Elle arriva même à aimer Catherine, et à tel point qu’elle lui servait de garde-malade. Un jour que les médecins déclarèrent la reine en danger, la favorite perdit la tête et se prit à pleurer. Pourquoi cette amitié de Diane pour Catherine ? C’est que la maîtresse du roi avait en l’épouse une servante, une esclave, et qu’en nulle autre elle n’aurait rencontré complaisance si servile. Pourquoi Catherine aimait-elle ou faisait-elle semblant d’aimer sa rivale ? C’est que sa rivale la protégeait auprès du roi son époux, qui, sans elle, l’aurait répudiée depuis longtemps déjà. Voilà le mot de l’étrange énigme que présente le honteux et tacite contrat passé entre la femme et la maîtresse de Henri II.

Ici, nous devons dire la cause de l’antipathie, du dégoût qu’éprouvait le roi pour Catherine, cause qui explique aussi la décadence, la dégénérescence, l’extinction de la race des Valois. Écoutez un historien qui apporte dans la recherche de la vérité un réalisme implacable, M. Michelet. « En Catherine, dit-il, on sentait la mort ; son mari instinctivement s’en reculait, comme d’un ver, né du tombeau de l’Italie. Elle était fille d’un père tellement gâté de la grande maladie du siècle, que la mère, qui la gagna, mourut en même temps que lui au bout d’un an de mariage. La fille même était-elle en vie ? Froide comme le sang des morts, elle ne pouvait avoir d’enfants qu’aux temps où la médecine défend spécialement d’en avoir. On la médecina dix ans. Le célèbre Fernel ne trouva nul autre remède à sa stérilité. On était sûr d’avoir des enfants maladifs. Henri fuyait sa femme. Mais ce n’était pas le compte de Diane ; elle avait horriblement peur que, Henri mourant sans enfants, son successeur ne fût son frère, le duc d’Orléans, l’homme de la duchesse d’Étampes. En avril 1543, lorsque Henri partait pour la guerre et pouvait être tué, il dut d’abord tenter un autre exploit, surmonter la nature, aborder cette femme et lui faire ses adieux d’époux. Le 20 janvier 1544 naquit le fléau désiré, un roi pourri, le petit François II, qui meurt d’un flux d’oreille et nous laisse la guerre civile. Puis un fou naquit, Charles IX, le furieux de la Saint-Barthélémy. Puis un énervé, Henri III, et l’avilissement de la France. Purgée ainsi, féconde d’enfants malades et d’enfants morts, elle-même vieillit, grasse, gaie et rieuse, dans nos effroyables malheurs. »

Diane n’eut jamais la pensée de voir une rivale dans une telle femme. Elle s’en servait, craignait de la perdre, l’aimait peut-être, la méprisait plus probablement et ne dédaignait pas de s’entourer, dans ses châteaux, de portraits et de médaillons représentant la reine. Du reste, Henri II avait pour sa femme une estime relative. Elle passait tout son temps à élever ses enfants, et le roi, pour reconnaître une conduite si louable et si extraordinaire à la cour, et par ordre aussi de « madame Diane, » daignait chaque soir, après son dîner, passer deux heures chez la reine.

Le règne de Henri II s’écoula ainsi sans grands efforts de la part de Catherine pour changer une situation humiliante. Vers 1554, cependant, au milieu d’une fête donnée eu l’honneur de Marie Stuart, toute jeune fille, la reine présenta à la cour une Écossaise fort jolie nommée miss Haming. Henri II l’aima et en eut un fils. Diane, déjà âgée, courait un grand danger ; elle précipita le roi dans les hasards de la guerre, et la reine échoua dans son projet.

« La maitresse et l’épouse légitime, les deux rivales, se liguèrent cependant pour empêcher le mariage du dauphin et de Marie Stuart. Catherine retrouva une nouvelle miss Haming dans une certaine dame de Saint-Rémy ; celle-ci, comme la première, plut à Henri II, et comme elle en eut un enfant. Mais la vieille Diane n’en resta pas moins en possession du cœur du roi. Tels avaient été jusqu’alors les seuls exploits politiques de Catherine, lorsqu’une catastrophe inattendue renversa le pouvoir de la favorite et fit de Catherine la reine douairière de France, en appelant son fils au trône.

Catherine avait amené d’Italie un astrologue célèbre, Ruggieri, qu’elle logeait rue de Soissons ; là se tenait un conseil d’astrologie. Du haut d’un édifice érigé en forme de colonne et qui subsiste encore près de la Halle aux blés, on observait les astres et on tirait de cette observation des déductions de toutes sortes. Un tournoi devait avoir lieu le 29 juin 1559. La mort du roi fut, dit-on, prédite par le conseil d’astrologie de la reine. L’histoire a enregistré les instances que fit Catherine pour empêcher Henri II de descendre en lice ; il insista pour briser une lance contre un capitaine de ses gardes nommé Montgomméry ; un éclat de bois brisa son casque et lui donna la mort.

Au commencement du nouveau règne, Catherine de Médicis resta dans le parti des Guises, auquel elle s’était vouée depuis quelque temps, et se déclara contre le cardinal de Montmorency, leur ennemi. Quand ce dernier se rendit au Louvre, il trouva le jeune roi assis entre sa femme et sa mère ; la reine lui reprocha d’avoir dit à Henri II que pas un de ses enfants ne lui ressemblait : « Je voudrois, lui dit-elle, vous faire couper la tête. » Pendant qu’elle flattait les Guises, elle parlementait avec les protestants, entretenait la discorde entre les partis divers pour les neutraliser, commençant ce jeu de bascule politique tant imité depuis. Elle se garda bien d’inquiéter sa bonne amie Diane, et se concilia ainsi les créatures encore puissantes de l’ex-favorite de son mari ; elle affaiblit le parti des princes du sang en donnant une portion des biens de la maison de Bourbon au duc de Montpensier, qui devint sa créature ; enfin elle s’attacha le prince de La Roche-sur-Yon, en lui faisant épouser une de ses dames d’honneur.

Malgré cette savante application de la maxime : « Diviser pour régner, » la situation de la reine mère n’était pas moins précaire. Le roi préférait Marie Stuart à sa mère, et par la jeune reine les princes de Guise dominaient le roi. D’un autre côté, malgré ses intelligences secrètes avec les huguenots, ceux-ci, dès 1560, établirent par un mémoire public qu’une femme ne pouvait prendre aucune part aux affaires de l’État, sans violer les anciennes lois de la monarchie. Elle eut néanmoins le plaisir de voir les deux partis s’user, se détruire l’un par l’autre ; mais elle n’arriva pas à ce but sans lâcheté. Dénoncée au moment où elle allait avoir une entrevue avec l’historien protestant Régnier de la Planche, elle consentit à faire cacher le cardinal de Lorraine dans le lieu de l’entrevue, et le huguenot fut arrêté.

Mais de graves événements se préparaient. Le roi meurt ; après lui le pouvoir des Guises, et les destinées de la France et de la race des Valois sont remis entre les mains de Catherine de Médicis. Pourtant le tuteur naturel de Charles IX, âgé de dix ans, était le roi de Navarre ; celui-ci fit une renonciation en faveur de la reine mère Catherine, qui, par la duchesse de Montpensier, sa maîtresse, le menait à sa fantaisie.

La tenue des états d’Orléans est peut-être le point culminant de la puissance de Catherine. Les souverains les plus pervers ont, pendant les premières heures de leur pouvoir, le désir de faire le bien. Ainsi avait été Néron, ainsi fut Catherine, qui, par l’intermédiaire de L’Hôpital, proposa les plus sages réformes. L’ardeur des partis, prompts à se déchirer, rendit inutile cette bonne volonté qui ne devait plus renaître. La réconciliation des protestants et des catholiques, qui avait inauguré le nouveau règne, n’était qu’à la surface. Un jour les Guises firent porter chez eux les clefs de la maison du roi, exerçant ainsi injurieusement un droit qui n’appartenait qu’au roi de Navarre, premier prince du sang. Les Bourbons réclamèrent, et avec eux la noblesse. Enfin, les députés provinciaux parlèrent dans certaines assemblées de réformer l’État et de nommer un régent. La reine, effrayée, chercha à se réconcilier avec le roi de Navarre ; elle eut recours aux bons offices de Montluc, évêque de Valence, son confident intime, qui passait pour le négociateur le plus habile de son temps et qui, dans le but de plaire aux princes du sang, prononça devant la cour des sermons entachés de l’hérésie calviniste. Le parti catholique s’agita, et, le 6 avril 1561, jour de Pâques, Montmorency, Guise et Saint-André communièrent ensemble dans la chapelle basse de Fontainebleau, et formèrent ce fameux triumvirat qui, sous prétexte de défendre la religion, devait chercher sa fortune dans la guerre civile. Catherine voyait l’orage se former ; elle fit sacrer son fils à Reims et accorda aux calvinistes un édit qui leur donnait le pouvoir d’exercer librement leur religion. C’était toujours le même jeu de bascule politique. Le parti catholique fut assez puissant pour faire révoquer l’édit. Peu après eut lieu le colloque de Poissy, demandé par le triumvirat, accordé sans résistance par la reine.

Si l’on veut comprendre d’un seul coup le caractère de Catherine de Médicis, le sentiment qui inspira tous les actes de cette femme, qu’on aille au Luxembourg contempler la belle toile de M. Robert Fleury, représentant le Colloque de Poissy. 11 règne sur l’ensemble du tableau une teinte sombre qui traduit bien celle qui enveloppa cette lamentable époque ; mais le vrai sens du tableau n’est pas dans la lutte des deux orateurs : le cardinal de Tournon, orgueilleux, arrogant, et de Bèze, pâle et inspiré comme un prophète de l’Ancien Testament ; il faut voir d’un côté les princes lorrains, la main fièrement posée sur le pommeau de leur épée ; de l’autre, Coligny et les seigneurs protestants, calmes dans leur foi inébranlable ; puis, entre ces deux groupes qui bientôt se décimeront, de jeunes enfants, les princes de la maison royale, et une femme, leur mère, la reine régente. C’est là le mot de l’énigme de toute la vie de Catherine de Médicis, c’est la raison d’être des trahisons, des crimes de cette étrange femme : une mère prise au milieu des guerres civiles et des guet-apens les plus horribles dont on se souvienne. Bien des années après, un de ses ennemis, le roi Henri IV, disait : « Que vouliez-vous qu’elle fît entre nous tous, avec tant de petits enfants ? »

Cependant, malgré l’édit de juillet, les protestants s’assemblaient plus nombreux que jamais. La reine convoqua pour le 16 janvier tous les grands du royaume à Saint-Germain et donna un nouvel édit en faveur des calvinistes. À cette nouvelle, le parti catholique éclata ; le parlement n’enregistra l’édit qu’après trois ordres successifs de la reine, et les princes de Guise, par le massacre de Vassy, donnèrent le signal de la guerre civile. La reine mère se trouva prise au milieu des intrigues des deux partis, et les événements qui se déroulent au commencement de cette crise montrent à quoi se réduit son habileté tant vantée.

Condé lui demandant justice des massacres de Vassy, les Guises lui opposèrent le roi de Navarre auquel ils prétendaient rendre la régence. Un des triumvirs, le maréchal de Saint-André, alla même jusqu’à faire proposer la mort de Catherine ; mais le duc de Guise s'y opposa, se contentant de la prison pour elle et de l’enlèvement de son fils. Catherine se réfugia alors dans le château de Melun, et appela à elle les protestants et Condé leur chef. Elle fut bientôt suivie par le roi de Navarre et par le prévôt des marchands, auquel elle dut rendre ses armes, puis elle se retira à Fontainebleau.

Mais Condé approchait ; on ne voulut pas laisser tomber entre ses mains de pareils otages, et le roi de Navarre emmena la mère et le fils à Paris. Les princes de Lorraine eurent un instant la pensée d’exiler la reine dans sa terre de Chenonceaux ; mais ils prirent un parti plus politique, ils lui enlevèrent le pouvoir, tout en lui en laissant les honneurs. Néanmoins, songeant à sa sûreté personnelle, Catherine se réserva deux asiles, l’un en Normandie, où gouvernait Matignon, un gentilhomme dévoué à ses intérêts ; un autre chez le duc de Savoie, qui avait épousé une fille de France. Elle eut besoin, pour s’assurer le dévouement de ce dernier, de lui abandonner diverses places frontières, retenues en vertu du traité de Cateau-Cambrésis. Cette cession, en ramenant en France plusieurs garnisons, grossissait les troupes du triumvirat. On la laissa faire.

Jamais la fortune de la fille des Médicis ne tomba si bas. Peut-être eût-il mieux valu pour elle fuir alors devant ses ennemis ; elle n’avait encore trempé dans aucun massacre et elle n’eût point attaché à son nom d’épouvantables souvenirs ; mais, depuis son arrivée en France, elle avait été constamment avilie, brisée, soit par son mari, soit par Diane de Poitiers, dont elle s’était faite la servante, soit par Marie Stuart, qui l’espionnait. Elle resta, et suivit comme une prisonnière l’armée catholique, assistant aux combats, aux défaites des protestants. À Rouen, elle dut faire son entrée par la brèche.

La bataille de Dreux fut livrée peu de temps après. On prétend que, sur la nouvelle que les catholiques étaient battus, elle s’écria : « Eh bien ! désormais nous entendrons la messe en français. » Cette bataille, du reste, la délivra d’une partie de ses ennemis ; le maréchal de Saint-André fut tué, Condé fut pris par les catholiques, Montmorency par les protestants, et bientôt après le duc de Guise fut assassiné. La reine, craignant les soupçons qu’on aurait pu faire planer sur elle à propos de ce crime, se transporta dans le camp des catholiques et assista elle-même à l’interrogatoire qu’on fit subir au meurtrier.

Enfin, la paix fut signée à Amboise le 12 mars 1563. Catherine triomphait et redevenait reine. Elle donna de grandes fêtes. Les cent cinquante nobles demoiselles connues sous le nom de filles de la reine en faisaient les honneurs. Cet escadron avait été, durant la crise qui venait de se terminer, le moyen d’attaque et de défense dont elle usait le plus volontiers. Elle menait avec elle et étalait partout ces singuliers gardes du corps, et l’on a vu que le roi de Navarre lui-même y fut pris et déserta le parti des princes du sang. Dans une expédition faite en vue de reprendre le Havre aux Anglais, la reine mère emmena force protestants ; Condé n’en revint que pris dans les filets de Mlle de Limeul. « Le son des violons, dit Montluc, n’était point étouffé par celui des trompettes. Le même équipage traînait les machines des ballets et les machines de guerre. Dans un même lieu, on voyait les combats où les Français s’égorgeaient et les carrousels où les dames se divertissaient. »

La reine, pendant le cours de l’année 1564, fit raser le palais des Tournelles, qui lui rappelait la mort de Henri II, et fit construire les Tuileries, puis accompagna son fils dans un long voyage à travers le royaume et alla avec lui jusqu’à Bayonne, où elle eut une entrevue avec la reine d’Espagne, sa fille. Malheureusement, la paix devait être de courte durée. La seconde guerre civile éclata, et les protestants voulurent la commencer par un coup hardi, en enlevant le roi. L’entreprise échoua, et Catherine eut recours aux négociations, pendant que les révoltés livraient bataille aux portes de Paris.

Vers cette époque se place une conversation entre la reine et le nonce du pape, rapportée par Capilupi. « Elle et le roi, y est-il dit, n’avaient rien plus à cœur que d’attraper un jour l’amiral et ses adhérents, et d’en faire une boucherie mémorable à jamais. »  »

Catherine avait un fils qu’elle chérissait entre tous, c’était le duc d’Anjou, depuis Henri III. Les fureurs de Charles IX l’inquiétaient, tandis qu’elle reconnaissait dans le plus aimé de ses fils le pur sang italien. Elle rêva d’en faire un héros. N’ayant pu obtenir que le roi le créât connétable, elle sollicita pour lui la lieutenance du royaume, l’obtint et plaça près de lui deux hommes d’énergie et de talent, Tavannes et Strozzi, chargés de lui préparer des victoires ; mais ces combinaisons déplurent au roi et furent le commencement d’une véritable haine entre le fils et la mère. Le duc d’Anjou eut les succès que désirait sa mère ; il battit les protestants à Jarnac, mais souilla sa victoire par le meurtre de Condé. Plus tard, la reine, effrayée du succès de Coligny, se rendit en Limousin auprès du duc d’Anjou, puis elle fit de grands efforts pour obtenir la paix. Elle fut conclue à Saint-Germain, le 8 août 1570.

Les écrivains du temps, surtout les auteurs calvinistes, font remonter jusqu’à Catherine la responsabilité de toutes choses et donnent à cette princesse une valeur exagérée. On reconnaît cependant que ses lettres avaient une grâce remarquable ; elle était laborieuse, écrivant sans cesse, aussi bien pour les affaires politiques que pour tout ce qui était relatif aux palais qu’elle faisait bâtir. Philibert Delorme la félicite du « grandissime plaisir qu’elle prend à esquicher les Tuileries. » Elle siégeait aux fêtes de la cour, et avec beaucoup de dignité. Elle prisait fort les plaisanteries, même hardies. Un jour qu’elle entendait chanter des chansons outrageantes contre elle, elle en rit beaucoup et empêcha le roi de Navarre de faire pendre les coupables, en lui disant : « Mon cousin, ce n’est pas notre gibier. » Malgré ces qualités, elle n’en était pas moins prête à tous les crimes, et tous les conseillers de Philippe II, Granvelle comme le duc d’Albe, ne la nommaient qu’avec mépris.

Nous touchons à la fatale année 1572, à la Saint-Barthélemy ; nous passerons rapidement sur certains détails relatifs à cet événement lamentable que nous racontons ailleurs. Il convient cependant de bien fixer quel fut le rôle de la reine mère. Tous les historiens français ou étrangers qui ont écrit sur ce sujet, avant l’école moderne, sont d’accord sur un point : c’est que la Saint-Barthélemy fut l’œuvre personnelle de Catherine, œuvre longuement méditée, froidement exécutée, avec une sorte de grandeur, s’il peut y avoir de la grandeur dans le crime. Il n’en est rien cependant. Chacun eut sa part, son rôle, dans cet affreux drame. La haine du roi contre le duc d’Anjou contribua à faire éclater la catastrophe. Pendant que la reine mère formait le projet étrange de marier le duc d’Anjou avec Marie Stuart et le duc d’Alençon avec la protestante Élisabeth, le roi prenait en amitié Coligny et préparait une expédition en Flandre. Il entendait bien n’en pas donner le commandement à son frère, qu’il avait hâte de mettre hors de France. Catherine, suivant sa tactique habituelle, rusait et suivait ce nouveau mouvement d’opinion. Puis, tout à coup, elle pleura auprès du roi, fit semblant de partir pour Florence ; le roi courut après elle et la ramena. Alors elle se rallia à la maison de Guise et complota la mort de l’amiral de Coligny. L’assassinat ayant échoué, la situation de la reine mère à l’égard du roi son fils et celle du duc d’Anjou devenaient graves ; cette circonstance précipita les événements. On assure qu’après avoir obtenu l’ordre du massacre, elle eut horreur des crimes qui allaient se commettre : « elle se seroit désistée, dit Tavannes, si elle avoit pu. »

Charles IX mourut jeune encore et à moitié fou. Son frère, le roi de Pologne, dut rentrer en France pour lui succéder. Vers ce temps, la reine mère mit la main sur Montgomméry, l’auteur involontaire de la mort de Henri II, et qui s’était fait huguenot ; elle le fit décapiter. Catherine, maîtresse de l’esprit de son fils, continua son existence agitée au milieu des deux anciens partis que ni les guerres ni les massacres n’avaient pu anéantir. Elle vit naître la Ligue, qui s’attaquait franchement à la royauté et avait pour chef le duc Henri de Guise. La paix fut de nouveau conclue cependant. Alors Catherine porta à l’étranger le théâtre de son activité : on la vit réclamer les droits de sa famille à la couronne de Portugal et envoyer aux îles Tercères, sous la conduite de Strozzi, une flotte qui fut détruite.

Après la journée des Barricades, elle suivit à Blois Henri III, qui venait d’ouvrir les états.

Un matin de décembre, la vieille reine, alitée et atteinte de la maladie qui devait l’emporter, entendit au-dessus de sa tête un bruit violent, des cris et des chocs d’épées. Peu d’instants après, Henri III entra dans sa chambre, et, s’étant approché de son lit, lui dit : « Madame, je suis roi d’aujourd’hui ; je viens de me débarrasser de M. le duc de Guise. » Le roi des Barricades venait, en effet, d’être tué par les quarante-cinq. « C’est bien taillé, mon fils, répondit la reine mère, à ce qu’on assure ; maintenant, il faut coudre. » Peu de jours après, elle mourait. Si elle eût vécu quelque temps encore, elle aurait vu disparaître le dernier des Valois et monter sur le trône le premier des Bourbons.

Catherine de Médicis, roman par H. de Balzac. V. Études philosophiques.