Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHAMPS-ÉLYSÉES, célèbre promenade

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 888-889).

CHAMPS-ÉLYSÉES, célèbre promenade, aujourd’hui la première de Paris, et peut-être du monde entier, par son étendue et les heureuses modifications qu’elle a subies depuis son origine. L’emplacement des Champs-Élysées était encore, en 1616, un terrain semé çà et là d’habitations mesquines, irrégulières, et se composait de plantations privées, de jardins et de terres labourables. En 1616, Marie de Médicis fit l’acquisition de ce terrain ; par ses ordres on planta, le long de la Seine, quatre rangées d’arbres, et cette allée, fermée à ses deux extrémités par une grille, devint la promenade réservée de la reine et de la cour, d’où le nom de Cours-la-Reine qu’elle prit bientôt et qu’elle garde encore de nos jours, malgré les transformations qu’elle a subies. Le Cours-la-Reine, comme aujourd’hui d’ailleurs, était séparé de la rivière par la grande route de Versailles ; de l’autre côté, un fossé le séparait de la plaine, où l’on pouvait passer par un pont de pierre. Cette plaine, qui devait un jour devenir les Champs-Élysées, s’étendait jusqu’au Roule. Ce fut en 1670 qu’elle fut plantée d’arbres, que les premières allées furent dessinées, que des tapis de gazon furent ménagés. Mais, bien que la disposition générale (une grande avenue centrale, bordée d’allées latérales) fût à peu près conforme à la disposition actuelle, on était encore loin des Champs-Élysées que nous connaissons. Le nom d’ailleurs n’existait pas alors : c’était le Grand-Cours, par opposition au Cours-la-Reine, dont nous avons parlé plus haut. Peu à peu le Grand-Cours s’agrandit, s’embellit et finit par devenir la promenade favorite des Parisiens ; il prit alors son nom actuel, qui nous paraîtrait aujourd’hui, si ce n’était l’habitude, un peu mythologique et prétentieux. En 1723, c’est le duc d’Antin, surintendant général des bâtiments, qui fait planter cette promenade presque tout entière et y ajoute de nouveaux arbres. M. de Marigny, un des successeurs du duc d’Antin, poursuit ces embellissements (1764). Dès lors les Champs-Élysées prennent une vie extraordinaire ; c’est le rendez-vous de la société brillante, la galerie où se pavanent l’élégance et la richesse ; c’est, pour tout dire, la route de Longchamps. Laissons ici la parole à un écrivain humoristique : « Là-bas, dans la grande avenue, ces trois files de voitures et toutes ces cavalcades, c’est Longchamps. Longchamps sous Louis XV ! Courons ! Justement, c’est vendredi, le beau jour ! et il fait beau ! Oui, voilà bien les carrosses de la cour sur le haut du pavé, et sur les bas-côtés les carrosses de remise et les fiacres, qui s’en mêlent aussi depuis 1650. Que de broderies ! que d’or et d’argent ! que de paillettes ! Oh ! les jolis bonnets, les jolies dentelles, avec des coques de rubans ! Voici des chapeaux à trois cornes. Quelle est donc cette voiture dont les roues étincellent de métaux précieux ? Les chevaux sont ferrés d’argent et ornés de marcassites : sans doute quelque princesse du sang ? non : c’est une lorette de l’époque. Bon temps pour les lorettes ! Elle a voulu éclipser sa rivale, la femme honnête, la femme légitime, qui est tout bonnement couverte de pierreries, comme on disait alors. Et quels paniers, grand Dieu ! quatre pieds de circonférence. Cela est un composé de cerceaux de baleine et se nomme un bouffant ; cela porte même un autre nom que la pudeur et la civilité puérile et honnête me défendent de prononcer. On a repris les draps de Silésie, les camelots, les velours ciselés. C’est juste : nous sommes au printemps ; demain samedi, on va quitter le point d’Angleterre et reprendre les malines ; ensuite viendront les taffetas, et, d’ici à l’hiver prochain, qu’il fasse chaud, qu’il fasse froid, nous ne verrons plus ni satins, ni draps, ni manchons, ni ratines. Oh !… deux cavaliers qui ont l’air de se disputer le pas : c’est un prince de la maison d’Artois et un prince de la maison d’Orléans ! Que de monde ! quelle confusion ! Et, bien qu’on ait arrosé, quelle poussière !… Non, c’est la poudre. Quels doux parfums exhalent les fleurs !… Non, c’est la pommade. »

Ce tableau animé montre quelle rapide fortune avait faite en quelques années la nouvelle promenade. La Révolution ne l’arrêta point. Mentionnons ici que c’est la Convention, cette Convention si souvent attaquée comme ennemie de l’art, qui fit transporter à l’entrée des Champs-Élysées les deux, chevaux de Marly, œuvre de Coustou, qu’on peut y admirer encore, et qui font à cette place un si bel effet. Les guerres de la République ne donnèrent pas le temps d’ajouter aux Champs-Élysées des attraits nouveaux, mais ils n’en continuèrent pas moins, ainsi que plus tard sous l’Empire, à attirer la foule.

1814 arriva, et avec lui l’invasion. L’ennemi entra en France, et, après Waterloo, les alliés, bivouaqués dans les Champs-Élysées, les dégradèrent à tel point qu’il fallut, de 1813 à 1819, les replanter presque en entier. En 1828, la couronne les céda à la ville de Paris.

Les Champs-Élysées se composent actuellement d’une vaste avenue centrale, bordée de deux contre-allées sur lesquelles un ruban d’asphalte permet aux piétons de se promener à pied sec. Tout le long de ces contre-allées, au bord de l’avenue, une quadruple rangée de chaises permet aux cockneys parisiens de regarder, dans la belle saison, défiler les équipages. Des deux côtés de la grande allée, non loin de la place de la Concorde, ont été érigées deux fontaines à jets d’eau. Une place circulaire, le rond-point, divise en deux les Champs-Élysées. Du rond-point partent en étoile l’avenue Montaigne, l’avenue d’Antin, la rue Montaigne, la rue du Cirque, etc. Détail curieux : l’avenue Montaigne s’appela longtemps avenue des Veuves ; c’était autrefois, sous la République et sous l’Empire notamment, la promenade spéciale et réservée des veuves, auxquelles le deuil et les convenances interdisaient le bruit et le tumulte de la grande avenue des Champs-Élysées.

Tout près de là s’élève le nouveau quartier François Ier, entièrement habité par la fine fleur de l’aristocratie parisienne, et qui doit son nom au voisinage de la maison bâtie par le roi chevalier à Moret, près de Fontainebleau, et transportée pierre à pierre, en 1826, à l’angle de la rue Bayard et du Cours-la-Reine. Aujourd’hui, d’ailleurs, les contre-allées des Champs-Élysées sont, dans presque toute leur longueur, bordées d’habitations princières, et il ne serait pas étonnant que d’ici à quelques années ce quartier détrônât à son profit le vieux boulevard, ce centre de la vie parisienne. Le palais de l’Industrie, où eut lieu l’Exposition universelle de 1855, s’élève sur remplacement de l’avenue Marigny et d’un terrain jadis cher aux joueurs de boules. C’est aux Champs-Élysées qu’on a vu les premiers concerts dits cafés chantants, et le café de l’Horloge, à gauche, le café des Ambassadeurs, à droite, ont su conserver à cet égard leur vieille réputation. Le cirque de l’impératrice, ancien Franconi, est à quelques pas du rond-point, dans un massif d’arbres. En face de lui, de l’autre côté de l’avenue, est le Panorama du capitaine Langlois, où revivent les grandes batailles d’Orient et d’Italie. Dans les contre-allées, une rangée de boutiques uniformes, qui se poursuit jusqu’au rond-point, tente le flâneur par l’appât de jeux de toutes sortes : jeu de quilles, jeu de macarons, jeu de billard anglais, jeu de toupies allemandes, etc., etc. Les chevaux de bois, les balançoires sont en réquisition perpétuelle.

Les Champs-Élysées, promenade étrange, sorte de parc, de hameau, de bazar tout ensemble, n’ont de nos jours, nous le répétons, d’équivalent chez aucun de nos voisins, et ni Regent’s-Park, ni Hyde-Park de Londres, ne peuvent rivaliser avec eux. Il y a quelques années, la ville y a fait transplanter à grands frais une profusion de plantes exotiques de Hollande, qui ajoutent encore à la beauté du coup d’œil. Un souvenir, en terminant, aux gloires éteintes : le Jardin d’hiver, le Château des fleurs, l’hôtel d’Albe, depuis longtemps tombés sous la pioche, et ce petit hôtel du coin de la rue de Chaillot, où cette femme d’esprit, Mme Delphine Gay de Girardin, a reçu pendant quinze ans tout ce qui avait un grand nom dans la littérature.