Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLES IX, roi de France, deuxième fils de Henri II et de Catherine de Médicis

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1010-1012).

D’ailleurs, dès qu’il eut trempé dans le meurtre, une sorte de frénésie s’empara de lui. Des documents contemporains (notamment Vie de Charles IX, Brantôme) font même jouer au monarque insensé un rôle actif dans cette tragédie et le représentent arquebusant les huguenots fugitifs d’une fenêtre de son palais. (V. Barthélemy). Quelques jours plus tard, il tint un lit de justice où il justifia hautement le massacre en dénonçant le prétendu complot calviniste qui l’avait poussé à cette résolution. Des instructions analogues furent adressées à toutes les cours étrangères. On raconte aussi que le roi, par une odieuse forfanterie de cruauté, alla avec sa cour insulter aux restes de l’illustre Coligny, à Montfaucon ; et, comme quelques courtisans se bouchaient le nez devant ce cadavre déjà décomposé, il se serait écrié : « L’odeur d’un ennemi mort est très-bonne. » La Saint-Barthélémy, qui devait anéantir les protestants, n’eut d’autre résultat que d’ouvrir une nouvelle ère de guerres civiles, de convulsions et de déchirements. Le misérable prince fut dès ce moment en proie au remords et à la terreur ; dévoré par une fièvre ardente, troublé par les images sanglantes des victimes, il ne connut plus le repos et mourut à la suite d’une agonie longue et douloureuse pendant laquelle le sang lui sortait par tous les pores, moins de deux ans après l’événement qui a donné à son nom une si horrible célébrité. Il avait à peine vingt-quatre ans. Sa fin avait été hâtée par la débauche, par sa manie de sonner du cor et par l’abus des exercices violents. Suivant le procès-verbal d’autopsie signé par Ambroise Paré, il était phthisique. On a parlé aussi de poison. Il paraît certain qu’il avait manifesté sa volonté de régner par lui-même et d’introduire de grandes réformes dans l’État. Il avait épousé, en 1570, Élisabeth d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien II, qui ne lui donna point d’enfant. Il laissa, de sa maîtresse, Marie Touchet, un fils, Charles d’Angoulême, qui troubla les règnes suivants par sa turbulence et son ambition.

Charles IX avait eu pour précepteur l’illustre Amyot ; son esprit était cultivé et il a composé des poésies agréables. On a aussi de lui un livre intitulé la Chasse royale, publié par Villeroi en 1625. Il s’annonçait avec d’heureuses dispositions, une intelligence précoce et un tempérament impétueux. Sa mère s’attacha de bonne heure à le dépraver en le livrant à des aventuriers italiens qui l’entraînèrent dans la débauche. Cette odieuse politique porta ses fruits, et le malheureux prince, hébété de voluptés, devint incapable de régner et consuma sa vie en de bizarres et extravagantes fantaisies. La chasse était chez lui une passion effrénée et il s’y livrait jusqu’à l’épuisement de ses forces. Charles IX avait l’amour des lettres et des arts ; il protégeait les poëtes, dont il disait : « Il faut les traiter comme les bons chevaux : les bien nourrir, mais ne point les engraisser, » entendant par là que trop de bien-être étouffe l’inspiration et endort l’esprit. Il ne suivit point toutefois son précepte à la lettre. Il se montra généreux envers les favoris de la muse, et lui-même, comme nous l’avons dit, il s’adonna à la poésie. Malheureusement, les troubles d’une époque si dramatiquement agitée le détournèrent trop des doux labeurs poétiques.

Ce fut dans un accès d’humeur qu’il fit cette boutade épigrammatique, restée célèbre :

François premier prédit ce point :
Que ceux de la maison de Guise
Mettraient ses enfants en pourpoint,
Et son pauvre peuple en chemise.

Les vers de Charles IX ne passent pas le niveau de la médiocrité, à l’exception de cette petite épître à Ronsard, que ne désavouerait point un bon poète :

Ton esprit est, Ronsard, plus gaillard que le mien ;
Mais mon corps est plus jeune et plus fort que le tien ;
Par ainsi je conclus qu’en savoir tu me passe
D’autant que mon printemps tes cheveux gris efface.
L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes :
Mais, roi, je les reçus ; poëte, tu les donnes.
Ton esprit enflammé d’une céleste ardeur
Éclate par soi-même, et moi par ma grandeur.
Si du côté des dieux je cherche l’avantage,
Ronsard est leur mignon, et je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits, dont je n’ai que les corps ;
Elle t’en rend le maître, et te fait introduire
Où le plus fier tyran n’a jamais eu d’empire.

Ces vers sont remarquables à double titre. Un seul mot les dépare : celui de mignon, que le temps autorisait d’ailleurs. Une autre pièce — un billet également adressé à Ronsard - est moins remarquable. La voici :

Ronsard, tu connois bien que si tu ne me vois
Tu oublies soudain de ton grand roi la vois ;
Mais pour t’en souvenir, pense que je n’oublie
Continuer toujours d’apprendre en poésie ;
Et pour ce j’ai voulu t’envoyer cet escript
Pour enthousiasmer ton phantastique esprit.
Donc ne t’amuse plusà faire ton ménage.
Maintenant n’est plus temps de faire jardinage ;
Il faut suivre ton roi qui t’ayme par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux ;
Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu’entre nous adviendra une bien grande noise.

Ces vers, s’ils ne sont pas bons, semblent exprimer, du moins, un sentiment sincère et cordial, une vive admiration.

La chanson qui suit est le dernier morceau que nous connaissions de Charles IX. D’autres pièces ont dû être composées, mais ne sont point parvenues jusqu’à nous. Ce sixain commence par deux verbes qui forment l’anagramme du nom de Marie Touchet, la très-séduisante maîtresse du jeune monarque :

Toucher, aimer, c’est ma devise ;
De celle-là que plus je prise.
Bien qu’un regard d’elle à mon cœur
Darde plus de traits et de flamme
Que de tous l’archerot vainqueur
M’en feroit oncq appointer dans mon âme.

La véritable anagramme du nom de Marie Touchet était : je charme tout, et ce fut un courtisan qui la découvrit.

Charles IX, ou l’École des rois, tragédie en cinq actes, de Marie-Joseph Chénier, représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre-Français, le 4 novembre 1789.

Chénier avait déjà fait jouer Edgar ou le Page supposé en 1785, et Azémire, tragédie, en 1786, lorsqu’il obtint un succès éclatant et surtout bruyant par sa pièce de Charles IX. assez généralement considérée comme son premier ouvrage. Lui-même a dit, dans le discours préliminaire placé en tête de cette tragédie : « J’ai choisi pour mon coup d’essai le sujet, j’ose le dire, le plus tragique de l’histoire moderne, la Saint-Barthélemy. Nul autre ne pourrait offrir, peut-être, une aussi forte peinture de la tyrannie jointe au fanatisme. » Chénier avait écrit Charles IX dès 1785. Fervent disciple de Voltaire, il s’était attaché par-dessus tout au thème philosophique ; mais l’absence de couleur locale, défaut trop général de nos tragédies, révèle ici la préoccupation évidente du poète, il y a tout lieu de croire qu’à l’aurore de la Révolution, et sous la pression des grands événements qui frappaient son âme républicaine, Chénier dut remanier son œuvre de manière à y faire entrer plus énergiquement qu’il ne l’avait fait d'abord l’allusion contemporaine. Le sous-titre ajouté, l’École des rois , appuierait au besoin cette supposition. Plus tard, l’éditeur des œuvres complètes du poëte (1818) substitua à ce sous-titre celui de la Saint-Barthélemy, qui, sans doute, était entré le premier, en 1788, dans la pensée de l’auteur. Quoi qu’il en soit, le spectacle d’un roi égorgeant ses sujets convenait à tous les esprits, lassés de la monarchie, et qui se disposaient à prendre une terrible revanche. Les libres penseurs ne pouvaient manquer en outre d’applaudir aux vigoureuses attaques dirigées contre le fanatisme religieux. Avant de raconter les tempêtes soulevées par l’apparition de Charles IX, voyons de quelle façon Chénier s’était emparé de son sujet.

François de Chante-Louve, gentilhomme et poëte bordelais, donna, en 1575, une tragédie de Feu Gaspard de Coligny, contenant ce qui arriva à Paris le 24 août 1572, où Coligny est représenté sous les couleurs les plus odieuses. Il forme le projet de tuer le roi, les Guises et les papistes ; mais on le prévient, il est assassiné et le peuple célèbre cet heureux événement. Le style de cet ouvrage, où Mercure intervient, est aussi barbare que le sujet. Environ un siècle après, Natanaël Lee, auteur dramatique anglais, fit jouer à Londres la Saint-Barthélemy ou le Massacre de Paris. Le rôle de Charles IX, séduit par Catherine de Médicis et entraîné au crime par la voix fanatique du cardinal de Lorraine, est du plus grand intérêt dans cette pièce. Ces deux ouvrages n’ont, pour les détails, aucun rapport avec la composition de Chénier, qui a sa place marquée à jamais dans les fastes dramatiques. Rien ne pouvait paraître plus audacieux que de montrer sur la scène un roi de France ordonnant le massacre de son peuple, et ce tableau de la royauté, se livrant à l’égorgement sous l’impulsion du fanatisme religieux, était bien propre à accélérer l’époque de la grande crise nationale.

Le cardinal de Lorraine, le duc de Guise et Catherine de Médicis ont juré la perte de Coligny et des protestants. Charles IX, faible, irrésolu, crédule surtout, cède aux influences de sa mère et aux ordres sanguinaires du cardinal ; entraîné, vaincu, subjugué par les terreurs dont on l’environne, par la séduction de faux intérêts, et plus encore par un zèle insensé pour la religion catholique, il donne lui-même l’ordre et le signal du massacre. Ce fanatique couronné, ce monarque imbécile demande au cardinal la bénédiction du ciel pour l’horrible attentat qui va être commis, et le cardinal, après avoir bénit les armes de cette meute d’assassins que l’on va lâcher sur Paris, promet les palmes du martyre à ceux qui rencontreraient la mort au milieu du carnage. Aussitôt sonne le tocsin ; des flambeaux s’allument et les égorgeurs se dispersent. Le chancelier de L’Hôpital vient ensuite faire le récit de l’effroyable événement. Charles IX reparaît ; le roi de Navarre, le futur Henri IV, lui reproche avec autant de chaleur que d’amertume le crime odieux dont il vient de se souiller. Charles, que le repentir a déjà saisi. est écrasé sous le poids de son forfait, dont il se retrace avec horreur les suites épouvantables. Dans son délire, il maudit ses atroces conseillers, et tombe vaincu par le remords.

« C’était, dit M. Villemain, une chose nouvelle pour la forme, de mettre sur cette scène française, si longtemps soumise à l’étiquette du goût et de la censure tout à la fois, un cardinal, le cardinal de Lorraine, Charles IX et sa cour, une reine comme Médicis, un ministre comme L’Hôpital. Mais la nouveauté des costumes et des personnages ôtée, approchez, prenez ces scènes, lisez-les : c’est la régularité pompeuse de notre tragédie ; rien de simple, de familier ; nulle naïveté de fanatisme, nulle vérité de crime ne vous transporte dans ce siècle et dans cette cour. Le langage de tous les acteurs du drame est d’une élégance uniforme ; c’est ainsi que Chénier fait parler le chancelier de L’Hôpital, qui n’était pas alors à la cour de Charles IX, qui ne devait pas, qui ne pouvait pas s’y trouver encore ; la vraisemblance dramatique l’en chassait comme l’histoire. Il avait fallu trois ans d’absence de ce grand homme de bien, pour que la cour, où il avait habité, devînt le théâtre d’un tel crime. Mais passons sur cette inexactitude. Ce chancelier de L’Hôpital, ce personnage demi-gaulois, demi-romain, cette longue barbe blanche qui imposait aux jeunes courtisans, cet homme d’une constance si ferme, qui, avec ses expressions justes et familières, troublait Catherine de Médicis et la faisait hésiter sur une mauvaise action, que fait-il dans le drame de Chénier ? Il parle bien, il parle élégamment ; il ressemble un peu au Burrhus de Racine. Ce n’est pas le chancelier de L’Hôpital retrouvé, ressuscité, rhabillé devant le public. Le talent de Chénier était bien loin d’avoir en originalité ce que son esprit politique avait en audace et en violence. » En effet, dans cette tragédie comme dans toutes celles de Chénier, ce qui manque, dès que disparaît l’allusion contemporaine, c’est le nerf, c’est la chaleur. Et pourtant, quelle peinture énergique à tirer du massacre de la Saint-Barthélemy ! Chénier, tout en donnant l’essor à sa pensée, avait jeté sa tragédie dans le moule classique. Il remplace l’action par des discours qui la refroidissent. De belles tirades suffisaient sans doute à l’enthousiasme du moment ; mais on peut regretter pour sa gloire qu’il n’ait pas introduit dans ses ouvrages ces beautés qui sont de tous les temps, ces vérités qui sont de toutes les opinions ; elles seules rendent durables les œuvres de l’esprit humain. Chénier savait bien cependant que les dissertations ont peu de prise sur une moitié au moins de l’auditoire ; aussi adressait-il aux femmes, dans sa préface, cette allocution écrite dans, le style un peu boursouflé du temps : « Femmes, sexe timide et sensible, fait pour être la consolation d’un sexe qui est votre appui, ne craignez point cette austère et tragique peinture des forfaits politiques. Le théâtre est d’une influence immense sur les mœurs générales ; il fut longtemps une école d’adulation, de fadeur, de libertinage ; il faut en faire une école de vertu et de liberté. Les hommes n’y recevront plus de ces molles impressions qui les dénaturent : ils deviendront meilleurs et plus dignes de votre amour, ils redeviendront des hommes. » Cette apostrophe, échappée à la jeunesse de Chénier, renferme de nobles idées ; mais, en dépit de cette précaution oratoire, le sexe timide et sensible s’intéressera toujours beaucoup plus à Orosmane ou à Othello qu’à Henri VIII ou à Caïus Gracchus. « Les forfaits politiques, écrit M. Hippolyte Lucas, et surtout les dissertations politiques, ne sont guère de l’essence du théâtre, quoi qu’en dise Chénier. Il faut célébrer les vertus publiques et privées, élever l’âme et faire battre le cœur, donner l’éveil à toutes les grandes pensées, cela est vrai, mais en évitant le précepte et la déclamation. »

Chénier portait un coup terrible à la royauté en faisant jouer son Charles IX sur le Théâtre-Français. Quelques jours avant cette représentation, longtemps attendue, avait paru dans le Journal de Paris, dans un but facile à comprendre, une apologie anonyme de la censure théâtrale. Chénier répondit : « Des citoyens libres ne sont responsables que devant la loi. L’anonyme parle d’une censure légale ; cette alliance de mots n’est qu’absurde ; j’aimerais autant parler d’un despotisme légal. Je conçois que des censeurs royaux, au nom desquels peut s’escrimer l’anonyme, trouvent la censure nécessaire ; c’est le raisonnement de M. Josse qui est orfèvre, et de M. Guillaume qui vend des tapisseries. Mais si l’on connaît le mot de l’abbé Desfontaines : Il faut bien que je vive, on connaît aussi la réponse de M. d’Argenson : Je n’en vois pas la nécessité. » La chaleur que met Chénier dans sa riposte ne saurait étonner, si l’on se rappelle les innombrables difficultés qu’on lui suscita. Dès le 20 août, les spectateurs, en plein Théâtre-Français, réclament à grands cris la représentation de Charles IX. Le parterre prend fait et cause pour la tragédie interdite. Dans une représentation de la Vestale, il tomba de quelques loges une pluie de billets et de placards imprimés. Nous en citons un transcrit sur l’original :

Adresse aux bons patriotes. — Français, le théâtre de la Nation a été livré assez longtemps à des ouvrages infestés de fadeurs et de servitude. La burlesque autorité des censeurs avait abâtardi le génie des poètes dramatiques ; vos pièces nationales surtout n’offrent que des modèles d’esclavage. Il existe une tragédie vraiment politique, vraiment patriotique ; elle est reçue à la Comédie-Française, elle a pour titre Charles IX ou la Saint-Barthélemy ; l’auteur est M. Chénier. Cet ouvrage inspire la haine du fanatisme, du despotisme, de l’aristocratie et des guerres civiles. Les ennemis de M. Necker, ce grand ministre, ce sauveur de la France, craignent la ressemblance qu’on trouverait infailliblement entre lui et le chancelier de L’Hôpital, l’un des personnages de la pièce. Les comédiens n’osent la représenter en ce moment. Si vous croyez un tel sujet digne de vous occuper au théâtre, dans les premiers jours de la liberté française, ce n’est plus aux gentilshommes de la chambre qu’il appartient de leur donner des ordres, c’est à vous. Du Croisi. »

Ce Du Croisi n’était autre, on s’en doute, que le prête-nom de Chénier. Un anonyme, dit Grimm, se leva pour demander aux acteurs d’une voix de Stentor pourquoi ils ne jouaient pas Charles IX. Un long dialogue s’établit alors entre l’orateur et le comédien Fleury. Celui-ci déclara qu’on n’avait pas la « permission ». Aussitôt la salle s’agita, des cris nombreux se firent entendre demandant, au milieu du tumulte, qu’il se passât de permission. Le directeur promit qu’il prendrait les ordres de la municipalité dans les vingt-quatre heures, et la foule s’écoula bruyamment. Or l’anonyme de Grimm, le spectateur bruyant, c’était Danton. Après maintes hésitations et maints délais (la question fut déférée à l’Assemblée nationale), la pièce de Chénier prit possession de l’affiche.

« On craignait du trouble, dit Charles Labitte : un orateur du parterre, avant le lever du rideau, prit la parole et demanda que tout perturbateur fût livré à la justice du peuple ; Palissot se leva pour appuyer la motion, et Grimm raconte que le cri : « À la lanterne ! » retentit dans quelques coins de la salle. Une fois la pièce commencée, il n’y eut que des applaudissements. Mirabeau, qui en donnait avec affectation le signal, fut, à chaque entr’acte, salué dans sa loge par des bravos enthousiastes et redoublés. Ce jour-là, la loge de Mirabeau était la loge royale. La pièce fut accueillie avec transport. Quand arriva cette prophétie :

Ces tombeaux des vivants, ces bastilles affreuses,
S’écrouleront un jour sous des mains généreuses,

la salle se leva avec acclamation, et fit redire le passage, tout comme s’il s’était agi d’une ariette de la Comédie-Italienne. »

Grimm assure que, dans sa nouveauté, Charles IX attira plus de monde encore que Figaro. Les trente-trois premières représentations produisirent 128,000 livres. Mme de Genlis conduisit ses élèves à la première représentation, et les emmena à la scène exécrable des serments. La Harpe et d’autres ennemis de Chénier couvrirent la pièce d’invectives, et Palissot fit en faveur du poëte la Critique de Charles IX. Tous les petits journaux aux gages de la cour firent voler un feu roulant d’épigrammes. Les districts consolèrent Chénier en lui décernant une couronne civique. La cour ressentit vivement l’attaque, et Monsieur (Louis XVIII) ne tarissait pas sur cette profanation. Mais le poëte avait atteint son but ; les masses étaient ébranlées, agitées ; le drame offrit longtemps au peuple un intérêt palpitant. Au sortir de la première représentation, Danton s’était écrié : « Si Figaro a tué la noblesse, Charles IX tuera la royauté. » Camille Desmoulins avait dit en plein parterre : « Cette pièce-là avance plus nos affaires que les journées d’octobre. »

Charles IX attira la foule, bonne aubaine pour le théâtre, en ce temps surtout, où les préoccupations et les événements politiques n’avaient pas manqué de nuire aux recettes. Cependant, après trente-deux représentations qui n’avaient pas épuisé le succès et l’influence attractive de la pièce, on vit avec étonnement Charles IX disparaître de l’affiche. Comment expliquer cette interruption évidemment préjudiciable aux intérêts de la caisse ? Les têtes échauffées se donnèrent carrière. À la disparition de l’œuvre en vogue, on assignait deux causes : l’opinion publique et les jalousies du métier. Ni l’une ni l’autre n’étaient peut-être absolument imaginaires. Certes, les agitations et les luttes du dehors avaient leur écho à l’intérieur de la Comédie-Française ; deux partis s’y étaient formés, aussi prononcés, chacun dans son sens, qu’à l’Assemblée constituante et sur la place publique. Au culte de l’art se mêlaient des dissentiments politiques chaque jour plus profonds. Mais, tandis que la majorité était acquise partout ailleurs à la Révolution, le sentiment peu favorable au nouvel ordre de choses dominait au foyer et dans les coulisses. Dans le monde théâtral, les comédiens du roi formaient une aristocratie qui, de même que l’aristocratie de naissance, ne pouvait voir avec plaisir tomber ses privilèges. Les pensions de la cour, les cadeaux, les faveurs, les brillantes représentations à Versailles devant le roi, la famille royale et tout le grand monde qui les entourait, ces bénéfices, ces splendeurs, devaient laisser des regrets faciles à comprendre. Ces gentilshommes de la chambre, avec leurs belles manières, si bien transportées sur la scène par Mole, par Fleury ; avec leurs générosités magnifiques dont plus d’une, parmi les actrices, avait pu faire l’épreuve, comment ne pas les préférer à ces bourgeois vulgaires du conseil de ville, qui ne portaient ni broderies ni paillettes ? Ajoutons, pour être juste, que les bienfaits du roi et de sa famille avaient, sans doute, laissé chez plusieurs comédiens, en dehors de la question d’intérêt, les sentiments d’une reconnaissance honorable. Parmi ceux en moins grand nombre chez qui prédominaient les idées nouvelles, il faut citer Talma, qui avait trop souffert au théâtre même de l’abus du privilège, pour ne pas accueillir avec joie l’aurore d’un régime qui tendait à supprimer les privilèges de toutes sortes. Ce sentiment, joint à l’esprit nouveau qui faisait, pour ainsi dire, explosion dans Charles IX, stimula encore chez Talma l’inspiration et le zèle. Mme Vestris, cette belle reine tragique, qui jouait le rôle de Catherine de Médicis d’une façon admirable, figurait aussi parmi les adeptes de la Révolution, avec son frère Dugazon. L’assemblée des comédiens avait donc ses deux camps, les avancés et les rétrogrades. Le camp rétrograde, tout en encaissant les grosses recettes de Charles IX, était opposé à la pièce, d’autant qu’elle faisait une position toute nouvelle à Talma, astre levant à qui s’attachait l’éclatante faveur de la foule. Ainsi Talma avait tout à la fois contre lui son talent et ses opinions. Charles IX lui offrant la seule création digne de lui qu’il eût dans le répertoire, il réclamait vivement la reprise de la pièce sans pouvoir l’obtenir. Il est vrai que si le mauvais vouloir de la majorité était peu équivoque, Talma, de son côté, exalté par le succès, n’apportait pas dans la question tout l’esprit de conciliation désirable. Naudet et lui en vinrent aux soufflets et se battirent ensuite au pistolet.

La suspension de Charles IX suscitait dans les cafés et autres lieux publics des commentaires où les influences que l’on regardait comme dominantes au théâtre étaient traitées avec fort peu de ménagements. Il faudrait un volume pour raconter dans ses détails toute cette histoire dont nous n’esquissons que les traits principaux. Un soir, dans l’été de 1790, une voix bien connue, celle de Mirabeau, s’éleva dans la salle. Au nom des fédérés provençaux encore présents à Paris, Mirabeau demande que l’on joue Charles IX. La motion est aussitôt appuyée par des adhésions nombreuses. Naudet se présente et prétexte une indisposition de Saint-Prix et de Mme Vestris. Mais, au même moment, Talma s’élance de la coulisse, déclare que l’indisposition de Mme Vestris n’est pas assez sérieuse pour mettre obstacle à son zèle, et qu’il est facile de faire lire le rôle de Saint-Prix par un autre acteur. Talma est acclamé, et la Comédie se voit mise en demeure de s’exécuter séance tenante. Talma, chaleureusement applaudi, fut demandé après la représentation, qui avait été assez orageuse pour nécessiter l’expulsion, par la force armée, de plusieurs spectateurs. L’un d’eux surtout, Danton, se fit remarquer parmi les tapageurs ; il fut arrêté et conduit à l’Hôtel de ville. Cette soirée triomphale pour Talma exaspéra ses camarades contre lui et contre la pièce. Des lettres publiées par Mirabeau, par Chénier, par Danton, par Talma, aigrirent davantage encore le débat, si bien que, sur la proposition de Fleury, Talma fut déclaré exclu de la Société. Une grande effervescence se produisit dans le public à la nouvelle de cette décision ; l’Hôtel de ville envoya l’ordre aux comédiens de révoquer leur sentence, mais ils s’y refusèrent. Le peuple s’en mêla. Le 16 septembre 1790, la salle des Français se trouva envahie de bonne heure, et à peine la toile fut-elle levée qu’un cri formidable s’éleva de toutes parts : « Talma ! Talma ! » Au milieu du tumulte qui s’accroît sans cesse, la Comédie fait annoncer que le lendemain on rendra compte des motifs pour lesquels M. Talma est éloigné de la scène. Le lendemain, en effet, au lever du rideau, Fleury vint annoncer au frémissant et tumultueux auditoire que M. Talma ayant trahi les intérêts de la Société, la Société n’aurait plus aucun rapport avec lui. Un ouragan de huées, de cris, de sifflets, éclata à l’instant même, et le fougueux Dugazon, s’élançant vers la rampe, prit contre la Comédie la défense de l’acteur expulsé. Il s’ensuivit une scène indescriptible ; les banquettes furent brisées, la scène fut prise d’assaut ; Dieu sait ce qui serait advenu sans l’arrivée de la force armée. Après de nouveaux pourparlers avec l’Hôtel de ville, il fallut enfin céder aux ordres les plus précis et les plus sévères. Talma fit sa rentrée dans Charles IX. Mais Fleury avait blessé Dugazon en duel ; Talma, qui déjà s’était battu avec Naudet, avait blessé assez grièvement Larive, et Mlles Contat et Raucourt avaient donné leur démission. Ce fut le mardi 28 septembre que Charles IX et Talma reparurent. La pièce et l’acteur furent l’objet d’une ovation éclatante, que partageaient Mmes Vestris et Dugazon. Il serait difficile de dire combien de fois depuis lors cette tragédie de Charles IX a été représentée, reprise, imprimée, traduite. Après la révolution de Juillet, le Théâtre-Français essaya une reprise de Charles IX, pour sacrifier aux idées du moment : mais cette reprise n’obtint aucun succès. Charles IX a fourni deux belles scènes aux auteurs des Huguenots.

Charles IX, drame en cinq actes, de M. Rosier, représenté pour la première fois à Paris, sur le Théâtre-Français, le 30 septembre 1834. L’auteur comptait déjà quelques succès au théâtre lorsqu’il s’attaqua, après Chénier, dont on venait de reprendre la pièce sans succès, à cette lugubre tragédie de la Saint-Barthélemy. Le premier acte nous introduit au Louvre ; Victor et Albert, deux frères élevés dans le protestantisme, et dont le premier s’est fait catholique, tandis que le second est demeuré fidèle à la religion de ses pères, vont mettre l’épée à la main après une chaude discussion, lorsqu’un certain Blandy, poète de cour, intervient et sépare ces frères ennemis. Albert, capitaine d’une compagnie de reîtres, a reçu l’ordre de partir pour Orléans ; jugez de son désespoir, il s’est uni secrètement à la belle Anna, fille d’honneur de la reine mère, que Charles IX trouve à sa convenance : cela n’explique guère l’arrivée de Coligny, mais enfin Coligny arrive. Charles et Catherine l’accueillent avec un empressement hypocrite. Catherine a fixé l’heure de la Saint-Barthélémy. Elle veut que la première victime soit l’amiral. À peine Coligny a-t-il quitté le Louvre pour regagner son hôtel de la rue de Béthisy, qu’un coup de feu retentit. L’assassin apposté par Catherine a tenu parole, mais l’amiral n’a été que blessé. Grand tumulte au Louvre : le roi joue l’étonnement. Nous ne revoyons Coligny que lorsque sa blessure est à peu près guérie. En vain les réformés sont effrayés de l’attentat ; Coligny, lui, conserve toute confiance dans la parole du roi qui vient lui rendre visite avec sa mère. Pendant ce temps, le massacre des réformés est résolu en conseil. Charles, au milieu des préparatifs qui ont lieu, songe à Anna, en l’honneur de laquelle il a rimé quelques mauvais vers. Les assiduités d’Albert, le huguenot, auprès de la fille d’honneur l’irritent et il ordonne à Anna de se retirer dans son hôtel tandis que le jeune capitaine restera consigné au Louvre. Blandy — les poëtes, même les poëtes de cour, sont parfois bons à quelque chose, — Blandy favorise l’évasion d’Albert qui, une fois libre, court chez sa femme. Les deux époux sont réunis lorsqu’on, annonce le roi. Albert se cache, mais bientôt il est forcé de reparaître, car son rival couronné devient pressant. Charles ne quitte l’hôtel que pour donner le signal du massacre dans lequel le huguenot Albert devra trouver la mort. Enfermé dans le Louvre avec sa mère et un peuple de pâles courtisans, il se repaît de la vue des assassins et des victimes. Deux jeunes gens ferraillent sur le balcon. C’est Albert et Victor. Albert a le triste avantage de triompher. Anna, éperdue, se précipite aux pieds du roi et demande grâce pour lui. Charles met à cette grâce un prix honteux : Albert intervient à son tour, il n’acceptera rien de l’assassin des protestants, de ce monarque bourreau de son peuple. Il est livré aux soldats. Anna tombe expirante, et, saisissant une arquebuse, le roi de France fait feu sur ses sujets. — Ce drame n’obtint aucun succès. Les scènes offrent un désordre fâcheux. Les caractères, mal soutenus, ne peuvent faire oublier l’insignifiance de l’intrigue. On était en droit d’espérer mieux d’un sujet aussi tragique que celui de la Saint-Barthélemy. Le rôle de Charles IX était joué par Firmin, et celui de Catherine de Médicis par Mlle Dupuis.

Charles IX (la vision de), tableau de M. Henri Scheffer ; exposition universelle de 1855. Cette composition, assez médiocrement peinte, mais d’un caractère tout à fait fantastique, a été décrite par M. Maxime Du Camp en quelques lignes pleines d’énergie : « Une mer de sang monte vers Charles IX, portant sur ses flots sinistres Coligny, qui montre sa poitrine percée par l’épée catholique ; Jean Goujon, tendant avec tristesse sa masse et son ciseau ; des femmes, tenant leurs petits enfants égorgés ; des vieillards, levant un doigt accusateur et montrant leurs cheveux blancs ; toutes sortes de victimes enfin tuées par le poignard orthodoxe forgé à Madrid, trempé à Rome et abreuvé à Paris. Le roi prévaricateur, agenouillé, éperdu, plus pâle que le remords, accroché aux tentures qu’il déchire dans son effroi, recule sans pouvoir fuir l’effroyable apparition qui lui rejette son arquebuse infâme. Il pleure, il crie, il sanglote, il demande grâce, il interpose entre lui et la vision un crucifix impuissant, un crucifix qui l’accuse, car celui qui étend ses maigres bras, sur la croix a dit : « Tu ne tueras pas ! » Ce soir, il ira se confesser à quelque prêtre vendu qui l’apaisera en lui citant les versets sanguinaires du livre de Josué ; mais c’est en vain : à chaque heure, à chaque minute de la nuit, le songe providentiel viendra vers lui tout chargé d’épouvante et d’anathème. Cela durera deux ans ; rien ne calmera ce cerveau à jamais troublé par le crime ; rien n’adoucira cette conscience perdue, ni les débauches, ni les prières ; et, un jour, le roi bourreau mourra d’une maladie horrible, frappé d’une effroyable plaie et plus détesté que Judas, car celui qui trahit son peuple l’emporte sur celui qui trahit son Dieu ! » La description que nous venons de reproduire prouve à elle seule que le sujet choisi par M. Henri Scheffer est de ceux qui prêtent à la peinture littéraire, mais dont s’accommode mal l’art plastique : un tableau, un bas-relief, une statue ne sont intelligibles qu’autant que la composition en est simple, l’expression claire et précise.


CHARLES X, fils de Charles de Bourbon, proclamé roi par les ligueurs après le meurtre de Henri III. Il était archevêque de Rouen et cardinal. Prisonnier à Fontenay-le-Comte, puis à Tours, il ne porta son vain titre qu’une année à peine et n’est point compté dans la liste des rois de France. V. Bourbon (le cardinal de).


CHARLES X, roi de France, petit-fils de Louis XV, frère puîné de Louis XVI et de Louis XVIII, né à Versailles le 9 octobre 1757, mort à Goritz le 6 novembre 1836. Il porta jusqu’à son avènement le titre de comte d’Artois. En 1773, il épousa Marie-Thérèse de Savoie, dont il eut deux fils, les ducs de Berry et d’Angoulême. L’éducation de ce prince fut empreinte des mœurs de la cour où il avait été nourri. Frivole, livré sans retenue à tous les plaisirs, il se rendit célèbre par les aventures scandaleuses de sa jeunesse, qui le mirent d’ailleurs fort en vogue parmi la noblesse de cour, et mérita de piquantes railleries pour son humeur peu belliqueuse et le peu d’étendue de son instruction. À la veille de la Révolution, il fit une opposition bruyante. aux réformes réclamées par l’opinion publique, émigra dès que les événements eurent pris un caractère menaçant (juillet 1789), et parcourut l’Europe en fatiguant les souverains de sollicitations et en s’épuisant en efforts pour susciter des ennemis à la France et à la Révolution. Il assista à la conférence de Pilnitz (1791), couvrit de son patronage les rassemblements d’émigrés, reçut de son frère, le comte de Provence, le titre de lieutenant général du royaume et se rendit en Russie pour solliciter les secours de l’impératrice Catherine, qui lui fit le présent, peut-être ironique, d’une épée enrichie de diamants. En 1795, appelé par les Vendéens, il partit d’Angleterre à la tête d’un corps d’émigrés et de troupes anglaises, s’entendit avec Charette et Stofflet, qui durent appuyer son débarquement, mais ne put pas ou ne voulut pas aborder sur la côte de France, resta simple spectateur du désastre de Quiberon et provoqua ainsi cette lettre célèbre de Charette : « Sire, la lâcheté de votre frère a tout perdu. » — Le comte d’Artois se borna dès lors à soudoyer avec les revenus princiers que lui fournissait le gouvernement anglais les divers complots royalistes qui furent tramés contre la République et contre Napoléon. Depuis la mort du fils de Louis XVI au Temple, il portait, en vertu de la fiction monarchique, le titre de Monsieur, comme son frère portait celui de roi de France. Il séjourna successivement à Londres, à Édimbourg, à Holy-Rood, en Écosse, et à Hartwel, auprès de Louis XVIII. En 1814, il entra en Franche-Comté à la suite des armées étrangères et accourut à Paris dès qu’il eut appris du baron de Vitrolles la tournure favorable que prenaient les événements. Lieutenant général in partibus depuis 1793, il prit possession du gouvernement au nom de son frère, et s’empressa de signer ce traité du 23 avril que Marmont lui-même qualifie de monstrueux, que Louis XVIII blâma amèrement, et qui livrait aux alliés, sans aucune compensation, toutes les places fortes conquises depuis 1792, avec un immense matériel, et réduisait la marine française à 13 vaisseaux de ligne, 21 frégates, 27 corvettes et bricks et divers autres bâtiments. En même temps, il charmait son entourage par quelques mots heureux, entre autres le fameux Il n’y a rien de changé en France, il n’y a qu’un Français de plus, que le comte Beugnot avait ciselé pour la circonstance. Son rôle ne se dessina bien nettement qu’après la seconde Restauration. Pendant que le roi songeait à désarmer l’hostilité des partis par cette politique de transactions habiles et de louvoiement qu’il recommandait encore à son lit de mort, Monsieur se fit le représentant direct de la faction des ultras et l’instrument d’une société religieuse dont le nom seul était odieux à la nation. Il resta d’ailleurs sans importance politique jusqu’à son avènement au trône (16 septembre 1824). Dans un premier mouvement, il suspendit la censure. Mais bientôt la loi contre le sacrilège, celle qui affectait un milliard d’indemnité aux émigrés, présentées par le ministère Villèle et votées par les Chambres après une discussion passionnée, vint, en agitant le pays, détruire les illusions qui avaient pu se former. La cérémonie surannée du sacre (29 mai 1825), pour laquelle on retrouva miraculeusement la sainte ampoule, détruite publiquement en 1793, exerça la malignité de l’opposition libérale, qui gagna chaque jour du terrain par suite des tendances ultramontaines du pouvoir, des envahissements de ce qu’on nommait alors le parti prêtre, de la tentative de rétablissement du droit d’aînesse, de la présentation d’une loi destructive de la liberté de la presse, qu’on nomma ironiquement loi d’amour, et qu’on dut retirer, du licenciement de la garde nationale, du rétablissement de la censure, enfin de la dissolution de la Chambre. La victoire de Navarin n’apaisa que faiblement le mouvement formidable d’opinion contre la politique du gouvernement. Quelques troubles sanglants éclatèrent dans Paris au moment des élections, dont le résultat força le ministère à se retirer. Le ministère Martignac, auquel on donna le titre de réparateur, fut une tentative équivoque de conciliation qui ne satisfit guère l’esprit public, et il laissa en se retirant la royauté plus affaiblie et l’opposition plus exigeante et plus irritée. Ce fut alors que Charles X, par une sorte de défi, nomma le ministère Polignac, composé d’hommes profondément impopulaires (1829). Une agitation menaçante se répandit dans tout le pays ; aux bruits de coup d’État, le libéralisme répondit par la menace caractéristique d’un coup de collier ; à la Chambre, la fameuse adresse des 221, hostile au cabinet, consomma légalement le divorce entre le gouvernement et la nation. Charles X ne s’arrêta point et ne pouvait plus s’arrêter, et la dissolution de la Chambre suivit de près l’avertissement qu’elle avait donné à un pouvoir qui courait aveuglément à sa perte. Un fait militaire important, la prise d’Alger, marqua les derniers jours du gouvernement des Bourbons, et peut-être avait-on compté sur l’éclat de cette victoire pour triompher des résistances désespérées du pays. Une dernière épreuve, celle des élections générales, où l’opposition obtint un succès éclatant, au lieu d’éclairer le roi et ses conseillers, précipita la catastrophe. Le 25 juillet 1830 parurent ces fameuses ordonnances, violation manifeste de la charte, et dont les dispositions principales détruisaient la liberté de la presse et modifiaient profondément le système électoral. Une révolution soudaine, irrésistible, éclata dans Paris, et le vieux roi, après s’être replié de Saint-Cloud sur Rambouillet, après avoir inutilement abdiqué avec le dauphin en faveur du duc de Bordeaux, dut reprendre une dernière fois la route de l’exil, expiant moins ses fautes, peut-être, que cette fatalité qui, depuis la Révolution, avait associé les triomphes de sa race aux victoires de l’étranger et aux humiliations de la patrie. Depuis, il habita successivement Holy-Rood, Prague et Goritz, où il mourut du choléra. Ses deux fils, le duc d’Angoulême et le duc de Berry moururent, le dernier en 1820, assassiné par Louvel, le premier en 1844. Le duc de Bordeaux, connu aujourd’hui sous le nom de comte de Chambord, est le dernier prétendant de cette branche épuisée.


CHARLES (saint), dit le Bon, comte de Flandre, fils de saint Canut, roi de Danemark, succéda à Baudouin dit à la Hache, comte de Flandre, qui l’avait désigné en mourant (1119), fut l’allié fidèle de la France, refusa la couronne de Jérusalem et celle de Germanie, et périt assassiné à Bruges, en 1127. Il était célèbre par sa dévotion enthousiaste et son inépuisable charité.


CHARLES DE VALOIS, comte du Maine et d’Anjou, troisième fils de Philippe le Hardi, né en 1270, mort en 1325. Il fut un des grands capitaines de son siècle. Chargé par son frère Philippe le Bel du commandement de la guerre contre les Anglais, il prit Saint-Sever et La Réole, combattit en Flandre et fit prisonnier Guy de Dampierre, qui s’était allié aux Anglais. Veuf de sa première femme Marguerite de Naples, fille du roi Charles le Boiteux, il épousa Catherine de Courtenay, petite-fille de Baudouin II, dernier empereur latin de Constantinople, vint en Italie, où le pape Boniface III le reconnut comme empereur d’Orient et l’établit son vicaire en Italie. Il chassa les gibelins de Florence, aida son beau-père, Charles le Boiteux, à reconquérir la Calabre et la Pouille, revint contribuer en Flandre à la bataille de Mons-en-Puelle, convoita inutilement l’empire d’Allemagne, eut une large part dans les dépouilles des templiers, conserva une influence prépondérante après la mort de Philippe le Bel et fut accusé d’avoir poursuivi le supplice d’Enguerrand de Marigny. Sous Charles le Bel, il reconquit une partie de la Guyenne sur les Anglais. On a dit de lui : Fils de roi, frère de roi, oncle de trois rois, et jamais roi.


CHARLES D’ANJOU, comte du Maine, troisième fils de Louis II d’Anjou, roi de Naples, né vers 1414, mort en 1473. Il fut un des favoris de Charles VII, son beau-frère, contribua à l’expulsion des Anglais et reçut le gouvernement du Languedoc. Louis XI lui confia, au commencement de son règne, plusieurs missions dont il s’acquitta assez mal. Pendant la ligue du Bien public, il eut le commandement d’un corps de troupes royales, et s’enfuit honteusement du champ de bataille de Montlhéry (1465). Lâche ou traître, il osa cependant rentrer dans Paris avec le roi, qui le dépouilla de son gouvernement. — Son fils, Charles d’Anjou, comte du Maine et duc de Calabre (1436-1481), vécut à la cour de son oncle le roi René, qui lui légua ses États en mourant (1480). Lui-même mourut l’année suivante, en instituant Louis XI son héritier universel pour ses domaines en France et pour ses droits sur Naples et la Sicile. Malgré les protestations d’un petit-fils de René, le roi de France réunit provisoirement l’Anjou et la Provence à la couronne, réunion qui ne fut définitivement opérée que par Charles VIII. (1486).


CHARLES D’ANJOU, frère de saint Louis. Le même que Charles Ier, roi de Naples.


CHARLES DE BLOIS ou DE CHÂTILLON, frère puîné de Louis, comte de Blois et neveu de Philippe de Valois, épousa en 1337 Jeanne de Penthièvre, fille de Gui de Bretagne, à la condition d’hériter du duc Jean III, qui n’avait point d’enfant, et qui mourut en 1340. Mais un autre compétiteur, Jean de Montfort, frère du duc défunt, revendiqua la riche succession, s’empara du trésor ducal et des villes de Nantes, de Rennes, de Vannes, de Brest et de quelques autres places. Il était soutenu par le peuple des villes et des campagnes et par l’Angleterre. Charles avait pour lui la plus grande partie des prélats et des barons, le roi de France et la cour des pairs. Une guerre sanglante éclata entre les deux rivaux. Fait prisonnier dans la ville de Nantes, Montfort fut enfermé à la tour du Louvre. Sa femme continua à défendre vaillamment sa cause. Charles fut lui-même pris à la bataille de La Roche-Dérien (1346), conduit en