Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Chanson d’Antioche (LA), poëme de chevalerie

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 928).

Chanson d’Antioche (la), poëme de chevalerie, composé au commencement du XIIe siècle par Richard le pèlerin, et complété sous le règne de Philippe-Auguste par Graindor de Douai. Il fut publié pour la première fois à Paris en 1848 (2 vol. in-12). La Chanson d’Antioche est la partie la plus ancienne et la seule réellement historique de cet ensemble de poëmes qui forme la légende du Chevalier au cygne. C’est un monument d’une certaine valeur littéraire, très-important pour l’histoire de la première croisade. Le texte a été divisé en huit chants par l’éditeur, M. Paulin Paris, qui n’a pas été bien inspiré peut-être, en retranchant un épisode ajouté par Graindor de Douai. Les vers du pèlerin Richard, au nombre de neuf mille, racontent la funeste échauffourée de Pierre l’Hermite ; ils suivent les princes croisés à leur arrivée à Constantinople, racontent leurs démêlés avec l’empereur, signalent la loyauté d’Estelin l’Esnasé, montrent les soldats du Christ à Nicée, et pénètrent avec eux dans la ville. Ils nous ont conservé le caractère réel des principaux guerriers qui prirent part à la croisade. Étienne, comte de Blois, qui avait fui à Antioche, était quelque temps resté un objet d’exécration dans l’armée chrétienne ; le trouvère le représente comme un parfait modèle de trahison, de lâcheté et de perfidie. Après avoir suivi les traces de Boémond dans le mauvais pas de Gurhénêe, le poète s’attache à Tancrède, à Baudouin : on lui doit de précieux détails sur la querelle de ces deux fiers chevaliers, sur les excuses que l’impatient Tancrède fut obligé de faire au frère de Godefroi; mais la partie la plus importante de ce poëme est le récit du siège et de la prise d’Antioche, et la déroute de Corbaran. « Dans cette partie de la chanson, dit M, Paulin Paris, le trouvère est bien supérieur à tous les chroniqueurs latins, et je crois pouvoir placer au rang des morceaux les plus importants de l’histoire moderne le récit de la trahison de Dacien et de l’entrée des croisés dans la ville. Richard ne dissimule, dans aucune circonstance, les torts et les mauvaises passions des chefs qu’il honore le plus : Boémond tremble plus d’une fois, et plus d’une fois il a besoin d’être rappelé à son devoir ; le duc de Normandie est représenté tel que nous l’ont dépeint les historiens particuliers de la province, brave, mais léger, irascible, impétueux et facile à se laisser prévenir, La chanson abonde en détails précieux sur les guerriers d’Artois, de Flandre et de Picardie. C’est avec une sorte d’émotion patriotique que Richard nous a peint les adieux de la comtesse Clémence, et qu’il a rappelé les prouesses de Baudouin Cauderon, de Gontier d’Aire, d’Enguerrand de Saint-Pol et l’héroïque, fait d’armes de Raimbaut Créton, le bon chevalier picard. Il nous attendrit, il sait nous élever à la hauteur de ses héros quand il nous montre le brave Renaud Porquet énervé, chargé de chaînes, et renouvelant la douteuse action de Régulus. L’amour du pays ne lui fait pas oublier la gloire des autres corps d’armée : c’est un écuyer de Chartres qui, sur l’échelle d’Antioche, veut précéder le bon comte de Flandre ; c’est à Boémond que le principal honneur de la prise de la ville sera réservé, et l’évêque du Puy planera comme un ange tutélaire au milieu des chefs pour les ramener sans cesse à l’espérance, à la résignation. »

Cette chanson de geste suivit les croisés à Jérusalem ; elle y fut évidemment écoutée par les chrétiens qui venaient de toutes les parties de l’Europe contempler le divin sépulcre et la Terre sainte. La Chanson d’Antioche fut revue par Graindor de Douai, dans les premières années du règne de Philippe-Auguste, c’est-à-dire au temps où l’usage d’écrire les chansons de geste venait de s’introduire, où l’habitude de lire, substituée à celle d’écouter, avait rendu les juges plus difficiles. L’histoire du siège d’Antioche occupe le quatrième rang dans la série chronologique des légendes du Chevalier au cygne. On y intercala l’incident fabuleux des chétifs (captifs), récit des désastres des compagnons de Pierre l’Hermite, de leur captivité dans le Khorassan, de leur retour à travers mille dangers imaginaires devant Jérusalem, au moment où le dernier assaut allait être livré. C’est cet épisode, d’un intérêt purement littéraire, que M. Paris a retranché. L’éditeur a comparé avec les témoignages du poète ceux des chroniqueurs latins ; des notes nombreuses, de bonnes tables ajoutent encore au mérite de cette publication. Mme  de Saint-Aulaire a traduit en français moderne la Chanson d’Antioche.