Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Chiffonnier, ière s.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 1p. 96-97).

CHIFFONNIER, IÈRE s. (chi-fo-nié, iè-rerad. chiffon). Personne qui ramasse des chiffons ou autres objets abandonnés dans les rues, ou qui achète des chiffons pour les revendre : La hotte, le crochet d’un chiffonnier. Les chiffonniers cherchent leur vie dans les ordures. (A. Karr.) Des chiffonniers ramassent dans l’Europe entière les chiffons, les vieux linges, et achètent les débris de toutes espèces de tissus. (Balz.)

— Fam. Personne qui recueille de tout côté des nouvelles vraies ou fausses, et les répète sans discernement. Il Celui à qui tout est bon, qui ramasse sans chois tout ce qu’il rencontre : Le porc est le grand chiffonnier de la nature ; tout lui est bon pour s’engraisser. (Toussenel.)

— Poétiq. Chiffonnier du Parnasse, Poète plagiaire, qui pille ses vers dans les œuvres d’autrui :

Comment nommer la rampante vermine Des chiffonniers de ta double colline ?

"Voltaire.

Chiffonnier ou chiffonnière, Petit meuble à tiroirs dans lequel les femmes renferment leurs chiffons et les petits objets qui servent à leurs ouvrages.

—Techn. Ouvrière qui est chargée du triage des chiffons, dans les fabriques de papier.

— Encycl. Chaque soir, vers huit heures en été, et un peu plus tôt en hiver, les rues de Paris sont sillonnées par une classe d’individus des deux sexes, vêtus de sordides haillons, portant sur le dos une hotte d’osier et les mains armées, la gauche d’une lanterne, la droite d’un bâton terminé par un crochet de fer. Un étranger ou un campagnard qui rencontrerait un de ces industriels se demanderait sans doute quelle fonction sociale va accomplir ce personnage ; mais tous les Parisiens le connaissent de longue date :ils savent que ce Diogène n’est autre qu’un chiffonnier. Suivez-le ; vous le verrez s’arrêter à tous les tas d’ordures déposés sur la voie publique en attendant que les boueurs viennent les enlever. Le chiffonnier tourne et retourne ces détritus et les fouille en tous sens : à l’aide de son crochet, il pique tous les objets qui peuvent avoir encore quelque utilité et les jette dans sa hotte. Il ne se contente pas de ramasser seulement les chiffons, comme le nom qu’on lui a donné semble l’indiquer : il cueille aussi les vieux papiers, les bouchons, les os, les rognures de carton, les clous, le verre cassé, les chats et les chiens morts jetés sur la voie publique, en violation des ordonnances, les cheveux, en un mot tout ce qui pourra être vendu. Ce sont encore les chiffonniers qui débarrassent, bien que cela soit défendu, les murailles des affiches que la publicité y appose chaque jour. Il arrive aussi que des objets précieux, des cuillers d’argent, des bijoux, des billets de banque même, sont jetés par mégarde aux ordures : les chiffonniers qui font de pareilles trouvailles sont obligés, s ils ne veulent s’exposer à des peines rigoureuses, de déposer ces valeurs au commissariat de police le plus rapproché. Les vieux papiers et les chiffons sont employés pour la fabrication du carton et du papier ; les os sont plus tard transformés en noir animal ; le verre

"cassé est refondu ; les clous vont où va la vieille ferraille ; les chiens et les chats sont dépouillés et leur peau est utilisée ; les cheveux, après avoir subi diverses préparations que nous avons décrites à l’article consacré au mot cheveu, reparaissent, proh pudor ! sur les têtes des élégantes, sous forme de tresses ondoyantes ou de chignons rebondis. Mais ce porteur de hotte, que nous voyons chaque nuit travailler au coin des bornes, n’est que l’émissaire d’un chiffonnier plus huppé. Celui-là ne se dérange pas ; c’est le grand seigneur du crochet :il achète la récolte quotidienne ou plutôt nocturne, la fait trier, classer, et la revend aux diverses professions qui peuvent en tirer parti. Rien de ce qui se ramasse au coin des bornes n’est perdu pour l’industrie ; les vils débris retirés delà fange sont comme autant de chrysalides auxquelles la science donnera des formes élégantes et des ailes diaphanes. Ainsi les fabricants de carton et de papier achètent pour leur usage ; les carons, vieux papiers sales, 8 fr. les 100 kilogr. ; le gros de Paris, toiles d’emballage, restes de sacs, 8 ; le gros de campagne, chiffons de couleur, cotonnades, 18 ; le gros bulle, toiles en fil grossières et sales, 20 ; le bulle, même qualité, mais plus propre, 2G ; le blanc sale, chiffons, ordinairement de cotonnade, 34 ; le blanc fin, chiffons propres et de toile de fil, —14.

Les chiffons d’une dimension raisonnable passent entre les mains des revendeuses à la toilette du marché du Temple. Les fabricants de produits chimiques tirent du sel ammoniac

des lambeaux de laine ou de drap. On fait de nouvelles vitres avec les morceaux de verre cassé, et de nouvelles ferrures avec les anciennes. Les vieilles savates sont amplement utilisées par les cordonniers ; ils en font ce que l’on nomme Y âme des souliers, et il est —tel morceau de cuir qui, sous des formes différentes, entre dix ou douze fois dans la confection de chaussures neuves. Le cuir s’utilise jusqu’à disparition absolue par l’usure. Tout se recueille, avons-nous dit : jusqu’aux bottes à, sardines vidées et défoncées, qui, livrées à. des mains habiles, se transforment en jouets d’enfants : petites trompettes, soldats découpés, ménages lilliputiens, etc.

Notre coureur de nuit, plus éclectique encore que M. Cousin, ramasse indistinctement les choux et les raves de la grande ville sans trop s’inquiéter de séparer le bon grain de l’ivraie. C’est le trieur que cela regarde ; le trieur, encore un intéressant petit industriel à qui le chiffon prête vie, le trieur, ainsi que son nom l’indique, est charge du classement de la récolte. Il met de l’ordre dans ce chaos d’ordures que le chiffonnier en gros, le patron, le singe, saura bien convertir en écus dépourvus d odeur. À ce métier de trieur, on ne brille pas longtemps. Les miasmes qui s’exhalent de toutes ces horreurs amassées sont autant de poisons violents. Les lampes elles-mêmes s’éteignent dans ce cloaque.

Le chiffonnier qui porte la hotte est toujours misérable ; le maître chiffonnier, qui en achète le contenu, est souvent riche à millions et éclabousse, en revenant du théâtre, les pauvres hères qui, le lendemain, viendront lui vendre ce que la grande ville a laissé traîner dans ses ruisseaux.

L’administration, comme bien on pense, s’est occupée de MM. les chiffonniers ; elle a rendu à diverses époques des ordonnances réglementant la profession. Les plus anciennes leur enjoignaient de ne vaguer dans les rues de Paris que le jour, afin qu’ils ne pussent être soupçonnés d’avoir pris part aux vols et effractions nocturnes. Actuellement, pour exercer le chiffonnage, il faut être muni d’une plaque numérotée, ostensiblement attachée à la hotte indispensable. Les arrêtés municipaux interdisent aux industriels en question de circuler dans les rues de minuit à cinq heures du matin. Comme la récolte commence dès huit heures du soir et que les tombereaux des boueurs ne passent que de sept à neuf heures du matin, les chiffonniers, que leurs pérégrinations à la recherche de l’inconnu ont trop éloignés de leur domicile, se voient forcés de passer les heures qui leur sont interdites dans des bouges infects qu’on laisse ouverts pour eux. La célèbre maison de Paul Niquet, auprès des Halles, était autrefois leur refuge de prédilection. La place Maubert, la rue Mouffetard, les hideuses ruelles avoisinantes ont longtemps été et sont encore le centre où s’agglomèrent et d’où partent chaque soir les chiffonniers et les chiffonnières de Paris. La rue Sainte-Marguerite, dans le faubourg Saint-Antoine, semble devoir hériter des habitants du faubourg Saint-Marceau, chassés de leurs gîtes par les démolitions. Outre ces cantonnements plus ou moins malpropres, le chiffonnier a sa cité à part, sa villa, son camp des Tartares, où il campe avec ses petits. Cela a nom la cité Doré, non par antiphrase, mais parce que M. Doré, chimiste distingué, est ou était propriétaire du terrain. Cela s’étale à deux pas de la gare du chemin de fer d’Orléans, à dix minutes du Jardin des Plantes, a la barrière des Deux-Moulins, et s’appelle aussi la villa des chiffonniers. Villa ! c’est une ville à côté d’une autre ville, l’antithèse de la Babylone moderne ; la capitale de la misère en face de la capitale du luxe ; la bohème crottée en regard de la bohème fardée, un Ghetto moins infect que ceux de Rome et de "Venise, mais plus triste, plus pauvre et plus honnête. Vue de haut, la cité Doré est une réunion de cabanes à lapins où logent des citoyens ; vue de près, c’est une colonie de philosophes ayant horreur des garnis sans nom où l’on couche k la corde.

Nous disons philosophes, car tout chiffonnier porte en soi’l’étoffe d’un Diogène. Comme ce dernier, il se complaît dans la vie nomade, dans ses promenades sans fin, dans son indépendance de lazzarone. Il regarde avec un profond mépris les esclaves qui s’enferment du matin au soir dans un atelier, derrière un établi ou un comptoir. Que d’autres, mécaniques vivantes, règlent l’emploi de leurs heures sur la marche des horloges, lui, le chiffonnier philosophe, travaille quand il veut, se repose quand il veut, sans souvenirs de la veille, sans soucis du lendemain. Si la bise le glace, il se réchauffe à l’aide de quelques verres de camphre ou d’une tasse de petit noir ; si la chaleur l’incommode, il ôte ses guenilles, s’allonge à l’ombre de sa hotte et s endort. A-t-il faim, il se hâte de gagner quelques sous, et fait un repas de Lucullus avec du pain et du fromage d’Italie. L’amour ne lui coûte rien, et si quelque noble chiffonnière, effiloeheuse ou marchande d’asticots, lui donne son cœur, ■ c’est à la belle étoile qu’il le reçoit, faisant participer la nature entière à son régal. Est— i il malade, que lui importe ? « L’hôpital, dit-il, n’est pas fait pour les chiens, » Diogène jeta son écuelle ; le chiffonnier n’a pas moins de dédain, pour les biens de ce monde. C’est un chiffonnier, ivre et titubant, qui, décoiffé par son propre roulis, adressait à son feutre bosselé gisant sur le sol cette apostrophe

pleine de logique :« Si je te ramasse, je tombe ; si je tombe, tu ne me ramasseras pas.

— Je te laisse. » Soumis h. toutes les privations, le chiffonnier est fier, parce qu’il se croit libre. Il traite avec hauteur le marchand de chiffons même, à qui il apporte la gerbe du jour et dont il reçoit de temps à autre de légères avances. « Si tu ne veux pas m’aoheter, j’m’en f… pas mal, j’irai ailleurs, » s’écrie-t-il ; et il fait mine de s éloigner. Les trous multipliés de sa défroque laissent apercevoir son orgueil ; il sait dire aux grands de la terre : « Retirez-vous de mon soleil. »

Les chiffonniers ont une histoire ; ils ont joué un certain rôle et ont, à un moment, été investis de fonctions…, tristes fonctions :en 1S26, M. Delavau leur enjoignit d’assommer dans les rues les chiens attelés aux petites charrettes chargées de pain, de légumes ou de fruits. MM. les chiffonniers s’acquittèrent de cette mission avec une férocité peu digne d’éloges. En 1832, lors de l’invasion du choléra, on les rencontra parmi ceux qui massacrèrent les malheureux que l’ignorance et la superstition accusaient d’avoir empoisonné les fontaines. À la même époque, ils brisèrent des tombereaux d’un nouveau modèle, destinés à enlever immédiatement toutes les ordures de la ville, qu’il ne leur était plus permis do fouiller qu’au lieu de dépôt. La victoire resta aux chiffonniers ; l’administration céda devant leurs violences et remit à d’autres temps les réformes qu’elle s’était proposé d’accomplir. Il y a quelques années, il a été question d’enrégimenter les chiffonniers, de les embrigader comme les balayeurs ou les cantonniers ; cette tentative est restée, comme les précédentes, sans résultat. En France, on n’a pas songé à faire monter les chiffonniers au rang de sergents de ville, comme la Hollande l’aurait fait pour ses clopennan, d’après l’affirmation, d’ailleurs inexacte, du Dictionnaire de la Conversation. Cette police serait assurément peu coûteuse, mais serait-elle bien efficace ? On peut en douter.

On ne peut s’attendre à rencontrer dans la classe des chiffonniers un niveau moral élevé : il est naturel que la fonction laisse son empreinte sur l’individu qui la remplit. Les chiffonniers se recrutent d’ordinaire dans les régions les plus infimes, dans les couches sociales placées immédiatement au-dessus des gens que le tribunal correctionnel appelle des gens sans aveu. On a dit et l’on répète que des comtes et des marquis, victimes peu résignées de la rouge et de la noire, du lansquenet et du baccarat, "sont venus se perdre dans ^ette fange ; le cas a pu arriver, mais il a dû être l’exception de l’exception. Les bohèmes et les déclassés n’ont revêtu que bien rarement le paletot d’osier. Ce n’est pas par la tempérance que se font remarquer les chiffonniers : le fil-en-quatre et le sacré-chien tout pur constituent leur breuvage de prédilection ; ce n’est pas non plus par la piété filiale, s’il faut ajouter foi à l’anecdote suivante : deux chiffonmères, la mère et la fille, cheminaient côte b. côte le long de la rue Mouffetard. La mère était exaspérée et accablait sa fille de remontrances. Elle termina par ces mots : « Malheureuse, tu ne veux pas m’écouter ; ne sais-tu pas que je t’ai portée neuf mois dans mon sein. — Monte dans ma hotte ; je te porterai un an, et tu me devras un terme, t répliqua la fille sans s’émouvoir.

La littérature, elle aussi, s’est occupée des chiffonniers. Un drame émouvant de M. Félix Pj’at, un vaudeville de MM. Frédéric de Courcy, Sauvage et Bayard, ont mis en scène leurs faits et gestes. En 1827, M. Viennet, dans une Épître, aux chiffonniers sur les crimes de la presse, — épître qui n’était en aucune manière adressée à cette classe d’individus, — protesta d’une façon aussi hardie que spirituelle contre la législation ridicule et odieuse qui régissait la presse à cette époque. Enfin le crayon des dessinateurs s’est plu à retracer leurs diverses et pittoresques physionomies. C.-J. Traviès s’est efforcé surtout de peindre leurs habitudes et leurs mœurs vagabondes dans une suite de petites scènes intimes. On connaît son Chiffonnier philosophe, étude d’après le fameux Liard, cet enfant des vieux quartiers démolis. Liard, dessiné par Traviès, était un type à part ; quelques écrivains l’ont admis dans les célébrités de la rue, et il méritait bien cet honneur. Il avait été quelque chose et avait eu des malheurs. Il parlait latin à l’occasion. Dédaignant la hotte, il portait un simple bissac sur l’épaule. Après avoir recueilli ses chiffons, il les lisait et les commentait. Ancien professeur ou ancien beau fils, il Sortait avec majesté la fierté et lagueuserie. laumier etGavamiont aussi pourtiaicturé les chiffonniers. Ceux deGavarni sont de profonds raisonneurs, proches parents de son Thomas Vireloque, et qui, comme ce coureur de grandes routes, ne parlent que par sentences.

Chiffonnier de Paris (le), drame en cinq actes et douze tableaux dont un prologue, de M. Félix Pyat, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le il mai 1847.

Le prologue nous montre deux chiffonniers se rencontrant le long du quai d’Austerlitz, un soir que le temps est sombre^, le pavé boueux, et que, des lanternes vacillantes, il tombe de ces rouges lueurs qui miroitent sur les flaques d’eau et les font ressembler à des mares de sang. Ces deux hommes sont entrés dans la vie d’une façon bien différentes : l’un d’eux n’a pris le crochet et la hotte qu’après avoir dissipé follement son patrimoine ; il a connu les délicatesses et les recherches du luxe : aussi se sent-il épris d’un insurmontable dégoût de la vie, avec laquelle il veut une bonne fois en finir. Au moment où il va se précipiter dans les flots noirs de la Seine qui grondent sous ses pas, son camarade, quoique ivre et se soutenant k peine, se suspend à ses haillons et l’empêche d’accomplir sa fatale résolution. Ce dernier n’a jamais connu autre

chose que la misère, et c’est peut-être à cause de cela qu’il la supporte avec tant de philosophie ; grâce au petit bleu et au fH-en-quatre, les jours s’écoulent pour lui d’une façon supportable. Il raisonne le confrère qu’il vient d’arracher à la mort, et son éloquence bachique réussit auprès du malheureux qui, dans le paroxysme du désespoir, s’écrie pourtant : « Soit, je ne me tuerai pas, mais je tuerai. » En cet instant passe un garçon de recette attardé ; il lui saute à la gorge, l’assassine, le vole et s’enfuit. Le père Jean, c’est ainsi que se nomme l’ivrogne, essaye d’empêcher le crime, mais ses jambes avinées se dérobent sous lui ; le meurtrier, d’un coup de poing, l’envoie rouler à quelques pas, et quand, dégrisé par cette horrible scène, il parvient à reprendre l’équilibre, la victime râle dans le ruisseau ; le bruit d’une patrouille se fait entendre, et il se sauve à son tour, de crainte d’être pris pour le coupable. Lorsque la toile se relève, vingt ans se sont écoulés. Le père Jean, chiffonnier vertueux et rangé, n’a pas trempé ses lèvres dans le vin depuis cette nuit épouvantable dont le souvenir le poursuit comme un cauchemar. Il a juré de ne plus boire ; car, s’il eût été dans son état normal, au lieu d’être réduit à l’inertie par l’ivresse, il eût pu empêcher l’assassinat du pont d’Austerlitz. Comme expiation de cette faute, il s’est imposé la tâche de veiller sur la fille de la victime, Marie Didier, restée seule au monde et sans secours. Marie Didier habite près du toit une mansarde assez nue et vit difficilement de son travail, et n’ayant d’autre distraction que les visites de son voisin, le père Jean, dont nous pouvons, grâce à la division par compartiments du théâtre, voir également le logis. Etrange logis, éclairé péniblement par une fenêtre à tabatière qui n’offre aux yeux du vieillard qui l’occupe que la perspective des tuyaux de cheminées. On y serait mal dans ce grenier, même à vingt ans, n’en déplaise au chantre de Lisette. Les murailles sont délabrées et moisies par les infiltrations du toit : le moyen d’y charbonner des vers I Une toile d’emballage, fenestrêe plus que de raison, voile de son canevas grossier le mince grabat du chiffonnier. Une mauvaise table boiteuse, un tabouret percé à jour, une cruche égueulée, composent tout le mobilier. Pendant que chez elle Marie Didier veille et achève une robe de bal pour une de ses pratiques, le chiffonnier endosse sa hotte et descend de sa mansarde. Au dehors, la rue est pleine de rires, de chansons et de lueurs. C’est îa dernière nuit du carnaval. « Le faubourg est en train ce soir, » dit le chiffonnier, qui, frappant sur sa hotte, s’écrie : « Voilà mon domino à moi… » Mardi-Gras fait tinter ses grelots et s’épuise dans son cornet à bouquin. Marie, tout en cousant, rêve aux plaisirs que va goûter sous cette soyeuse parure qu’elle achève la dame pour qui elle travaille ; puis, par un mouvement de coquetterie enfantine, elle essaye si dans l’étroit corsage tiendrait sa taille fine et souple ; comme elle tâche de saisir son profil dans le miroir étoile cloué à la muraille, une folle boutfée de grisettes s’engouffre dans l’escalier, et vient tourbillonner autour de la chambrette ; ce sont les compagnes de Marie déguisées en pierrettes, en hussards, en débardeurs, et qui, au risque de n’avoir pas de pain, pendant le carême, sacrifient au démon du carnaval. Riant, chantant, dansant, elles veulent entraîner Marie au bal. Marie n’a pas de costume : qu’elle garde celui de sa pratique ! On l’entoure, moitié de gré, moitié de force, on l’habille en un chird’œil ; elle est emmenée, toute timide dans sa belle robe, par ses amies Mazagran et Turlurette. Le père Jean, qui la croit endormie paisiblement dans son lit virginal, revient au petit jour, le cœur content, de son expédition nocturne, et se livre à un examen philosophique de sa récolte. Cette scène, si pittoresquement rendue par l’inimitable Frédérick-Lemaïtre, est restée célèbre. Elle a été, avec celle de l’ivresse (huitième tableau), un des grands succès de curiosité de la pièce. Aussi ne résistons-nous pas au plaisir de la reproduire ici dans son entier : « Vidons l’écrin !… vidons le panier aux ordures, et faisons l’inventaire de ma nuit 1… dit le père Jean, renversant sa hotte… Voyons si j’aivraiment fait une grasse journée… si je trouverai quelque chose de bon dans ce résidu de Parisl… C’est peu de chose que Paris vu dans la hotte d’un chiffonnier… Dire que j’ai tout Paris, le monde, là, dans cet osier… Mon Dieu, oui, tout y passe, la feuille de rose et la feuille de papier… Tout finit là tôt ou tard… à la hotte ! (Remuant le tas du pied.) L’amour, la gloire, la puissance, la richesse, a la hotte ! à la hotte !… Toutes les épluchures !… Tout y vient, tout y tient, tout y tombe… Tout est chiffon, haillon, tesson, chausson, guenillon !… Voyons… (Il s’assied sur le vieux tabouret entre le tas et la hotte, prend un papier et lit.) « Société pour l’exploitation générale des mines d’or de l’Auvergne et des chemins de fer du Pérou… Baron Hoffmann et Compagnie. Capital social deux cents millions,. Action de

IV.

CHIP

« cinquante francs… » Chiffon !..’. (Prenant une affiche et lisant.) </Concert au célèbre pianiste Octave Six-Mains, donné au profit des sourdsmuets, dans la salle des Menus-Plaisirs. » (Prenant une assiette cassée.) Tesson !… (Prenant une autre affiche et lisant.) « Ouverture du grand bal des Quatre-Saisons, avec valses et quadrilles nouveaux. » (Prenant une savate.) Chausson !.,. (Piquantun morceau d’uniforme brodé.) Habits, galons !.. : (unnœudde boutonnière.) Ruban ! guenillon I (un rouleau de papier.) Roman, feuilleton !… (Prenant une petite brochure et lisant.) « Discours de réception à l’Académie française… » (Prenant une perruque.) Gazon !… (Prenant une affiche et lisant.) « Ordonnance de police. Il est défendu aux chiffonniers d’enlever les affiches… » Quelle vengeance !… (Lisant un petit billet.) t Cher ange, mon sang, ma vie, mon âme, je donnerai tout pour toi… • (Il s’arrête.) An I il y a un pâté, et qui n’est pas d’encre… (Le mettant dans la hotte.) À la hotte 1 à la hotte !… comme le reste… Et dire que tout cela refera du beau papier à poulet, de belles étoffes à grandes dames, et que ça reviendra là encore et ainsi de suite jusqu’à extermination. O folies d’hier… ô superbes rogatons… c’est là votre humiliation !… C’est le rendez-vous général, c’est la fosse commune, c’est la fin du monde… C’est plus que lamort, c’est l’oubli !… Qu’est-ce qui reste après le père Jean, je vous le demande un peu ? — Rien, un os, comme celuilà ! … (Il prend l’os.) Comme c’est nettoyé, disséqué ça ; c’était un jambon !… Le maître y a passé, puis le valet, puis peut-êtré le chien… Et moi après tout le monde. Aussi il n’y a plus rien… Allons, mangeons mon pain sec… (Il tire un morceau de pain de sa poche.) Un morceau de pain à manger et un morceau de journal à lirai Les deux nourritures… Le repas et la lecture, comme au restaurant. Que veux-tu de plus ? Trop heureux chiffonnier, qui trouve son pain dans le fumier et son instruction dans l’ordure ! (Il va à la table, pose son pain, tire un journal de la poche de son tablier et mange, puis se verse de l’eau dans un bol et boit. Il lit.) « Messieurs les souscrip■ teurs dont l’abonnement expire sont priés… » (S’arrêtant.) Ils commencent toujours par là… Mais cela ne me regarde pas, moi ; je reçois mon journal gratis… Voyons ce qu’il chante, celui-là. (Il lit tout bas et finit par s’endormir. Se réveillant en sur saut.) Ces diables de journaux, ’, ça me fait toujours cet effet-là… Ne disons pas de mal des imprimés… C’est le plus clair de mon bien. Vive la liberté de la presse !… à Tout à coup une liasse de papiers minces frappe la vue du père Jean. Ce sont des billets de mille francs. Il en compte dix. « Pauvre diable qui les a perdus ! > s’écrie le chiffonnier avec un accent sublime. L’idée de" s’approprier cette trouvaille ne lui vient même pas. « S’il y a une récompense honnête se dit-il, j’achèterai une hotte neuve. ■ En attendant il serre avec soin les dix billets, de peur qu’on ne les lui prenne. Il ne dormira plus jusqu’à ce qu’il ait découvert le propriétaire de cette somme dont il trouve déjà la possession malsaine, puisqu’elle lui donne la fièvre… la fièvre de la peur.

Mais revenons à Marie. Nous voici dans un cabinet de la Maison dorée, somptueusement décoré. De joyeux compagnons de plaisir enterrent autour d’une table étincelante de bougies et de cristaux le célibat de leur camarade Henri Berville, qui doit se marier bientôt. Henri résiste seul à la gaieté générale, il ne boit ni ne mange, et c’est vainement que le champagne crépite dans les verres et envoie ses bouchons au plafond, jamais poste élégiaque n’eut la mine plus allongée. Tout à coup, la porte s’ouvre ; Mazagran, Turlurette et la bande pétulante des grisettes font irruption dans le salon, sur un mouvement de polka, en criant les ohé ! sacramentels, cri vulgaire qui correspond sans qu’elles s’en doutent assurément à YEoohé des antiques bacchanales. Marie les suit, mais honteuse et éperdue, croisant les mains sur son masque, comme si son masque ne la cachait pas suffisamment. Ses compagnes n’y mettent pas tant de façons, elles découvrent à qui les veut voir leurs petits nez retroussés et leurs yeux bleus ou noirs. Un des convives s’attache à Marie, et pousse l’insolence jusqu’à lui arracher son masque. La pauvre enfant, toute confuse, se débat ; en échappant aux mains qui la violentent, elle déchire un peu de cette précieuse robe qu’une année de son travail ne suffirait pas à payer. Henri s’interpose, il reproche en termes assez vifs à son ami la conduite qu’il tient ; l’ami riposte, un duel devient inévitable. Marie, pendant ce temps, à demi folle de honte et de désespoir, s’entuit. En son absence, une femme mystérieuse a pénétré chez elle et déposé sur le lit un enfant roulé dans une étoffe dont on a coupé la marque. Cette femme a été payée pour tuer l’innocente créature, mais elle a reculé devant un crime aussi grand et se contente de l’abandonner au hasard. Elle a reçu dix mille francs. Ce sont ces dix mille francs que le chiffonnier a trouvés au bout de son crochet ; dans sa précipitation à accomplir sa triste mission, elle les a perdus. Marie rentre dans sa mansarde, traînant les morceaux de sa robe comme une colombe blessée qui traîne l’aile, et tout émue encore de l’affront qu’elle a reçu. Il est vrai que, si elle a été grossièrement insultée, elle a été aussi bien noblement défendue. Autant l’un des jeunes gens était

lâche, autant l’autre était généreux et brave ! L’ouvrière sent tressaillir dans son cœur le

CHIF

germe d’un amour impossible, tandis que mille pensées, mille regrets tourbillonnent dans sa pauvre tête qui se perd. Comment remplacer cette robe ainsi déchirée ?… Désespérée, elle veut mettre fin à ses jours. Déjà le réchaud est allumé et dégage sa vapeur délétère, lorsqu’un vagissement plaintif se fait entendre. Elle se traîne jusqu’au lit, et aperçoit l’enfant. Aussitôt une résolution nouvelle s’empare d’elle, et, quand le père Jean paraît, il trouve sa pupille berçant le nouveau-né qu elle prétend adopter. Jusqu’à présent, rien ne paraît rattacher l’action au prologue ; mais patience ! Entrons à l’hôtel du Baron Hoffmann sur les pas de Marie qui vient avec son mémoire chez M’iç Claire Hoffmann. Ses ressources sont épuisées:depuis un mois l’enfant qu’elle a adopté est à sa charge. On la reçoit fort mal ; elle s’excuse de son insistance en en disant les motifs, qui troublent fort la tille et irritent violemment le père. À la pâleur de Mlle Hoffmann, à son attitude brisée et contrainte, on devine tout de suite une jeune personne dont l’ingénuité a reçu quelques écorniflures. La vérité est que M’1 » Hoffmann en sait long sous sa robe d’un gris de pénitent. Le mariage que son père veut lui faire contracter avec Henri Berville ne lui apprendrait rien, pas même les travaux de Lucine. L’enfant déposé chez Marie par une main inconnue est du fait de cette demoiselle, qui n’aime pas l’époux que son père lui destine. Elle a avoué son péché à son père, qui en a un bien plus terrible sur la conscience. C’est lui qui se trouve être l’auteur de l’assassinat du quai d’Austerlitz; le gilet à chaîne d’or du baron Hoffmann cache un cœur bourrelé de craintes. La raison pour laquelle l’ex-chiffonnier tient tant au mariage de sa fille avec Henri Berville est celle-ci:Henri est le fils du banquier dont il a tué l’employé, et dont il est devenu plus tard l’associé ; il a toujours peur que son crime ne se découvre, et, pour neutraliser les poursuites, il veut rendre communs ses intérêts et ceux d’Henri. Le jeune homme n’a pas plus de sympathie pour la fille d’Hoffmann que celle-ci n’en montre pour lui. En outre, depuis qu’il connaît Marie, il s’est pris pour la pauvre et chaste ouvrière d’une passion réelle. Par le récit de Marie, qui ne soupçonnerait jamais dans Mlle Hoffmann la mère de l’enfant déposé chez elle,.rex-chiffonnier comprend que son petit-fils n’est pas mort. La femme qui déjà a reçu dix mille francs reçoit une somme égale et s’acquitte cette fois de sa mission à la lettre. Elle s’introduit de nouveau chez Marie, trouve l’enfant seul et le tue. Marie, accusée d’infanticide, est mise en prison, et le père Jean jure de découvrir le vrai coupable. Le hasard le sert à souhait. En reportant à la femme qui les a perdus les dix mille francs qu’il a trouvés, le trouble, l’embarras, la cupidité de cette misérable le frappent. Avec beaucoup d’habileté il obtient d’elte un aveu et une lettre compromettante. Muni de preuves accusatrices, il

s’en va chez Hoffmann, qui, le reconnaissant, le fait enivrer par ses laquais. Une abstinence de vingt ans a pu maîtriser, mais non tuer tout à fait son penchant à l’ivrognerie. Le père Jean succombe, et c’est vainement que ses mains tremblantes cherchent à écarter les doigts du baron, qui tirent de sa poche les papiers redoutables. D’accusateur, il devient accusé, et Hoffmann le fait arrêter comme coupable de l’assassinat du garçon de caisse. Débarrassé de ce témoin dangereux, le baron va trouver à Saint-Lazare Marie qui y est détenue, lui fait croire qu’elle sera cause de la ruine de Henri en empêchant le mariage de celui-ci avec M’e Claire Hoffmann. Marie, que Berville a juré d’épouser, et qu’elle aime éperdument, comprime les élans de son cœur; par un sacrifice sublime, elle consent à s’avouer mensongërement coupable, et signe une déclaration qui lui est présentée. Chez le commissaire, le père Jean n’a qu’une idée : c’est de prouver l’innocence de Marie. Il parle avec tant d’éloquence et de douleur, il trouve des accents si vrais, si déchirants, que le magistrat ébranlé consent à tenter une épreuve que le chiffonnier propose, à Prêtez-moi trente mille francs ! • s’écrie-t-il. À cette demande singulière, tout le monde croit le bonhomme complètement fou, excepté Berville, qui donne ces trente mille francs. Au moyen de cette somme, le père Jean obtient de la femme qui a tué l’enfant de Claire la preuve du crime du baron et de l’innocence de Marie. Hoffmann est arrêté, et sa fille assiste au bonheur de Henri Berville et de Marie, dont le mariage sera prochainement célébré. « Comment reconnaître un semblable dévouement ? » disent les deux jeunes gens au père Jean. Et lui, philosophe jusqu’au bout, répond : Donnez-moi une hotte neuve. • Diogène ne se fût pas montré moins exigeant.

Cette pièce, dont le principal rôle fut une remarquable création de Frédérick-Lemaïtre, respirait un parfum démocratique qui ne contribua pas peu à son immense succès. Elle est Eleine de couleur et de sentiment. Les scènes, ien étudiées, sont fortement conçues ; le souffle de l’idée y circule librement et puissamment. Les intentions sociales de l’auteur dramatique font pressentir l’homme politique et ie futur exilé dont le temps n’a pas éteint l’audace impétueuse. » Le style, dit M. Matharel, est vif et nerveux, quoique parfois un peu tendu ; les pensées sont honnêtes, dignes, élevées. C’est là de la bonne tragédie popufaire, et l’on reconnaît l’œuvre d’un écrivain démocrate et consciencieux. » On a exagéré

CHIP

97

beaucoup en attribuant au Chiffonnier de-Paris, sur les événements de Février, une portée à laquelle il faut bien se garder de croire entièrement. Nous savons à quoi nous en tenir

sur l’influence des livres et des drames. Elle est malheureusement moins grande que ne voudraient nous le prouver d’excellents fonctionnaires décorés du titre de censeurs, et un peu trop portés par état à s’écrier : « C’est la faute à. Voltaire ! ■ ou « c’est la faute à Rousseau ! t Ce que l’on peut dire de ce drame, c’est qu’il est venu à son heure, ni trop tôt ni trop tard. Il était un symptôme. Le père Jean, espèce de Diogène parisien, éclairant de sa lanterne les sottises et les ridicules dont sa hotte recueillait chaque soir les échantillons, personnifiait la probité, le dévouement, la misère courageusement, subie des classes laborieuses ; le baron Hoffmann représentait l’hypocrisie, la lâcheté, la corruption d’une catégorie d’individus à qui tous les moyens de faire fortune sont bons. Frédérick-Lemaïtre prêtait la vie, l’animation, l’intérêt, l’attendrissement, le rire et les larmes au personnage du père Jean. Les traits d’observation, en passant par sa bouche, prenaient une incroyable valeur et une étonnante profondeur. On oubliait les longueurs et les invraisemblances de la pièce en voyant l’impétueux artiste se montrer si multiple et si grand. L’énergie populaire trouvait en lui son plus magnifique interprète. « Quelle étonnante vérité dans l’habillement, la tenue et les gestes du chiffonnier, au premier acte ! écrivait M. Théophile Gautier. Quelle ironie dans la revue des chiffons ! Quel profond amour dans les scènes avec Marie ! Quelle adorable gaucherie paternelle quand il endort le petit enfant ! Mais ce qui surpasse tout, c’est la grande scène de l’ivresse… Quel réveil quand il s’aperçoit qu’on lui a pris le portefeuille qui assurait sa vengeance 1 Comme il repousse violemment son ivresse, qui se re.cule effrayée ainsi qu’un esclave pris en faute ! De quel geste superbe et digne d’un héros des Niebelungen qui s’aperçoit qu’il vient d’assister à un repas empoisonné, il renverse la table avec ses bouteilles, ses seaux de glace, ses verres, son argenterie ! En ce moment, ce vieux chiffonnier en haillons a l’air d’un Titan foudroyé par Jupiter, et qui se relève en jetant deux ou trois montagnes de côté. Jamais acteur n’a été accueilli avec de pareils applaudissements. C’était du fanatisme, de la

frénésie. Frédérick a été rappelé trois fois, d’acte en acte, et à la fin de la pièce. » Le succès du Chiffonnier de Paris faisait son tour de France loisqu’éclata la révolution de Février. M. Félix Pyat vit son œuvre solenniser la réouverture théâtrale. Une représentation en fut donnée gratis, le samedi 26 février, à deux heures de l’après-midi. La manière dont Frédérick-Lemaïtre marqua et accentua toutes les intentions de son rôle en accrut encore l’effet devant.le public populaire tout frémissant de sa victoire, et qui était convié, portes ouvertes, à cette fête 5e joyeux avènement. ■ Dans la scène où le chiffonnier vide sa hotte et fait l’inventaire du contenu, avec accompagnement de réflexions philosophiques, une

couronne, rapporte M. Théodore Muret, fut ajoutée aux épaves ramenées dans la nocturne récolte. Ce trait en action et le mot qui la commentait ne furent pas perdus pour les spectateurs. » On se rappela alors cette parole prophétique du maréchal Bugeaud : « Lorsque le peuple se presse à de tels ouvrages, les nuages précurseurs de la foudre révolutionnaire s’agitent dans l’air. »

Acteurs qui ont créé le Chiffonnier de Paris •• Frédérick-Lemaïtre, le père Jean ; Jemma, Pierre Garousse, sous le nom du baron Hoffmann ; Clarenee, Henri Berville ; Mmes Clarisse Miroy, Marie Didier ; d’Harville, Claire Hoffmann, etc.

Chiffonniers (les), vaudeville de MM. Sauvage, Bayard et Frédéric de Courcy, représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre, du Palais-Royal, en août 1847. La pièce de M. Félix Pyat, le Chiffonnier de Paris, avait mis les chiffonniers à la mode : le théâtre du Palais-Royal, voulant profiter de cette vogue, joua la pièce fabriquée de concert par les trois vaudevillistes ci-dessus nommés. Que dire d’une telle œuvre, qui ne se relie par aucun côté à l’art ou à la critique ? Nous ne l’enregistrons que pour mémoire, en indiquant que c’est par erreur qu’on l’a signalée comme étant une parodie du drame de la Porte-Saint-Martin. Le sujet choisi par les trois collaborateurs, sous la brosse d’un peintre comme

Rembrandt, eût pu donner lieu à un chefd’œuvre ; mais, traité par des vaudevillistes et réalisé par des acteurs de vaudeville, il devient triste et repoussant. « Nous sommes loin d’être aristocrate, du moins dans le sens qu’on attache à ce mot, écrivait à ce propos M. Théophile Gautier ; mais nous avons toujours éprouvé en face de pareils tableaux un sentiment qui serait plus encore de l’embarras que du dégoût. Il nous semble que c’est violer la pudeur de la misère que de l’exposer ainsi à l’hilarité des bourgeois : le sort des classes pauvres, des malheureux parias forcés de ramasser dans l’ordure un pain fétide n’a rien de comique en sol, et le rire qui en jaillit est un rire jaune dont on se repent et dont on est honteux. Vieux Momus, nous aimons encore mieux ta marotte, et ta chanson folle, et ton bruit de grelots, que la scène du tri et la ’ronde des chiffonniers ! » Voilà de belles et bonnes paroles, que feront bien de méditer les

13