Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Chiffonniers (les)

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 1p. 97-98).

Chiffonniers (les), vaudeville de MM. Sauvage, Bayard et Frédéric de Courcy, représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre, du Palais-Royal, en août 1847. La pièce de M. Félix Pyat, le Chiffonnier de Paris, avait mis les chiffonniers à la mode : le théâtre du Palais-Royal, voulant profiter de cette vogue, joua la pièce fabriquée de concert par les trois vaudevillistes ci-dessus nommés. Que dire d’une telle œuvre, qui ne se relie par aucun côté à l’art ou à la critique ? Nous ne l’enregistrons que pour mémoire, en indiquant que c’est par erreur qu’on l’a signalée comme étant une parodie du drame de la Porte-Saint-Martin. Le sujet choisi par les trois collaborateurs, sous la brosse d’un peintre comme

Rembrandt, eût pu donner lieu à un chefd’œuvre ; mais, traité par des vaudevillistes et réalisé par des acteurs de vaudeville, il devient triste et repoussant. « Nous sommes loin d’être aristocrate, du moins dans le sens qu’on attache à ce mot, écrivait à ce propos M. Théophile Gautier ; mais nous avons toujours éprouvé en face de pareils tableaux un sentiment qui serait plus encore de l’embarras que du dégoût. Il nous semble que c’est violer la pudeur de la misère que de l’exposer ainsi à l’hilarité des bourgeois : le sort des classes pauvres, des malheureux parias forcés de ramasser dans l’ordure un pain fétide n’a rien de comique en sol, et le rire qui en jaillit est un rire jaune dont on se repent et dont on est honteux. Vieux Momus, nous aimons encore mieux ta marotte, et ta chanson folle, et ton bruit de grelots, que la scène du tri et la ’ronde des chiffonniers ! » Voilà de belles et bonnes paroles, que feront bien de méditer les

13 auteurs trop pressés de perpétrer des vaudevilles sans queue ni tête en pleine actualité. Le laid n’est possible dans les arts que transformé et traduit d’une certaine façon magistrale. Un acteur vêtu de haillons et portant sur le dos la hotte d’un chiffonnier ne diffère en rien de l’industriel d’aspect peu récréatif qui, la nuit, pique des chiffons au coin des bornes, à la lueur rougeâtre de sa lanterne. Il n’intéresse qu’à la condition de s’animer, et si des tons inattendus chauffent ses loques, son nez vineux, sa barbe inculte et ses sourcils en broussailles ; si son œil jette un éclair de philosophie, si sa lèvre se plisse sarcastique et mystérieuse, si enfin sa personne prend cette allure puissante, sauvage et rabelaisienne que Traviès a su donner à son chiffonnier Liard.