Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Confession de Sancy, ouvrage satirique en prose, par Agrippa d’Aubigné

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 4p. 901).

Confession de Sancy, ouvrage satirique en prose, par Agrippa d’Aubigné, publié en Hollande après la mort de l’auteur, en 1G93. Le fougueux huguenot écrivit cette virulente satire sous le coup de l’émotion qu’il ressentit lors de l’abjuration de Henri IV, préparée et accomplie par Du Perron, qui reçut en récompense le chapeau de cardinal. Aux yeux de d’Aubigné, Sancy est un effronté bateleur’ ; il est le type du converti sans pudeur et sans foi, qui change de religion comme de gîte, pour sa plus grande commodité. L’histoire considère simplement Sancy comme un politique et-un courtisan dévoué, peu scrupuleux, surtout en matière de religion, par.cela seul qu’il est indifférent, se souciant de la messe autant que du prêche, et fréquentant au besoin l’une et l’autre.’ D’Aubigné raille, insulte, soufflette ses adversaires. Les personnalités,

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les défis injurieux abondent dans son pamphlet. Le cœur gros de colère et de mépris- d’Aubigné profite de l’occasion pour satisfaire à la fois ses haines privées et les rancunes de son parti. Il frappe indistinctement, et parfois en aveugle, sur les renégats comme Sancy, Sponde, Palma-Cayet ; sur les politiques conciliants, comme Hurault, Morlas, Rotan, Sully ; sur les anciens favoris de Henri III, comme d’O et d’Epernon ; sur Beliegarde, l’agent et le compagnon des bonnes fortunes royales. Bien qu’elle porte souvent les traces de l’improvisation, la Confession de Sancy n’est pas sortie d’un seul jet ; elle s’est accrue successivement. C’est un journal où d’Aubigné inscrit les médisances, les chroniques scandaleuses et les bons mots qu’il a recueillis ou faits lui-même. « Certaines allusions, dit le commentateur Le Duchat, nous reportent aux années antérieures à la mort de Gabrielle (1599) ; d’autres, au contraire, comme i’histoire du martyr Garnet, nous conduisent jusqu’en 1606. Le récit des conversions miraculeuses opérées par Mathurine, la confidente de Du Perron et de Marie de Médicis, est d’une époque également assez avancée. » Dans sa confu.se diversité, ce livre, précieux pour l’historien, ’ nous offre une image exacte de cette société où se heurtent les discussions politiques et religieuses, les commérages et les galanteries. Lès hommes d’armes se font théologiens, les évêques diplomates, les courtisans prédicateurs ; les dames elles-mêmes se chargent d’achever l’œuvre déla grâce, témoin le dialogue d’un docteur et d’une fille galante, qui se vante d’avoir converti Vignolet, par des procédés, il est vrai, peu canoniques. À la violence des personnalités se mêlent les grandes questions de morale et de religion, d’honneur en ce monde et de salut dans l’autre, les controverses sur la grâce, le culte des saints, la confession auriculaire, la transsubstantiation, auxquelles d’Aubigné rattache, avec une verve et un esprit incroyables, toute l’histoire contemporaine. Sancy, éclairé par Du Perron et instruit par l’exemple du prophète Daniel à tourner toujours ses hommages vers le soleil levant, trouve dans le monde qui l’entoure et dans les faits qui s’accomplissent au Louvre des preuves invincibles en faveur des dogmes catholiques. Qui oserait croire, par exemple, à la nécessité de la grâce de Dieu, quand celle du roi est si puissante ? Qui douterait du mérite des œuvres, « quand, c’est par de belles et bonnes œuvres que tant de gens ont gagné place au paradis de la France ?... Voyons, que sont devenus ceux qui se sont amusés à garder la foi au roi et à l’Etat ? ... Lu. foi n’est rien sans les œuvres... h lu mode... Qui ne reconnaîtrait le mystère de la transsubstantiation en voyant que, sous le nom du roi, s’opèrent tous les jours de si étranges métamorphoses ? La sueur d’un misérable laboureur se change en la graisso d’un riche partisan ou trésorier ; la moelle des doigts d’un vigneron de Gascogne, qui réjouit le cœur d’un chacun, remplit le ventre d’un parasite ; les pleurs de la veuve ruinée en Bretagne font avoir du fard à la femme de Santory ; le sang d’un soldat, perdu à chasser Epernon de Provence, se change en hypocras ; pour l’hôte de la Rose de Biois, on le voit aujourd’hui Lranssubstantié en M. de Bussy-Uuilbert ; les impôts de la France ont transsubstantié les champs des laboureurs en pâturages, les vignes en friches, les laboureurs en mendiants, les soldats en voleurs avec peu de miracle, les vilains en gentilshommes, les valets en maîtres, et les maîtres en valets, »

Il faut s’arrêter sur ce morceau admirable de vigueur et de causticité. Le droit de médisance a des bornes, que d’Aubigué a trop Souvent franchies ; une fois lancé, la plume ou l’épée au poing, il ne se connaît plus ; il tranche et abat tout autour de lui. La Confession de Sancy a été très-diversement et, parfois, très-sévèrement jugée. M. l’oirson, l’apologiste de Henri IV, l’appelle une perpétuelle diffamation ; le mot est dur et injuste. Sans doute, d’Aubigné passe les bornes de la modération, mais il est toujours honnête ; il est parfois inexact, mais du moins il ne ment pas sciemment. D ailleurs, à côté des violences, des injustices de l’esprit de parti, n’y a-t-il pas, ià aussi, un sentiment généreux, une loyale indignation contre ces hypocrites et ces déserteurs toujours prêts à crier : « Vivent ceux que Dieu seconde I » et cette haine vigoureuse contre le vice dont parle le misanthrope Alceste ? Le plus bel éloge littéraire que l’on puisse faire de cette vigoureuse satire, c’est de dire que plusieurs de ses chapitres paraissent avoir servi de modèle aux Provinciales.