Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Courrier de Provence, par Mirabeau

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Administration du grand dictionnaire universel (5, part. 2p. 366).

Courrier de Provence, par Mirabeau. Quelques jours avant la réunion des états généraux, Mirabeau, sautant par-dessus les lois restrictives de la presse, lança le prospectus d’un journal, dont il fit paraître en effet le premier numéro le 2 mai 1789, sous le titre d’États généraux. Le numéro 2, portant la date du 5 mai, qui contient une critique amère du discours de Necker à l’ouverture des états généraux, amena la suppression du journal, par arrêt du conseil. Mais l’assemblée des électeurs de Paris protesta, l’opinion publique se prononça fortement dans le sens de la liberté de la presse, et l’audacieux tribun put continuer son journal, en se couvrant en quelque sorte de l’inviolabilité parlementaire et en donnant à sa feuille le titre de Lettres du comte de Mirabeau à ses commettants (10 mai-25 juillet, 19 nos in-8o), publication qui, après la prise de la Bastille, devint un journal régulier sous le titre de Courrier de Provence. Ces Lettres, dont l’autorité n’osa entraver la publication et qui affranchirent la presse de fait, offraient le compte rendu des séances de l’Assemblée, accompagné de réflexions et de critiques. Chacune se composait de 16, de 24, de 40 et même de 50 pages. Cette série, qui présente un grand intérêt, a été plusieurs l’ois réimprimée.

Le Courrier, qui se publia jusqu’au 30 septembre 1791 (350 nos, 17 vol. in-8o), embrasse toute la durée de l’Assemblée constituante, ayant survécu six mois à son fondateur. Il contient également les séances de l’Assemblée, ainsi que des dissertations sur les questions politiques à l’ordre du jour. Naturellement il est plein de Mirabeau. On y trouve ses discours et ses-motions, souvent avec des développements nouveaux. Aussi le nombre des pages de chaque numéro était-il souvent triple et quadruple de celui que promettait le prospectus. À part ses discours, Mirabeau écrivait peu pour le Courrier, mais il inspirait, il dirigeait un grand nombre de collaborateurs, Duroveray, Clavière, Dumont, Chamfort, Cuzaux, Méjan, Lamourette, etc. À partir du 103e numéro, il cessa même à peu près complètement d’y écrire, mais sans cesser de le patronner de son nom. Ce journal était fort répandu, mais il n’exerça jamais une grande influence sur la marche des événements. C’était l’organe d’une personnalité bien plutôt que le drapeau d’une opinion. Des résultats semblables se sont produits de nos jours : l’auteur d’un livre doit être un, l’auteur d’un journal doit être mille.

Il y a beaucoup de ressemblance entre le style de Mirabeau journaliste et le style de Mirabeau orateur. Donnons un extrait, tiré d’un article où il reprend son discours sur le veto du roi. L’écrivain y prévoit, faute de frein et d’équilibre dans les pouvoirs publics, l’avènement d’un despotisme niveleur, fils adultérin ou bâtard de l’anarchie. « Quand le pouvoir exécutif, dit-il, livré à ses propres excès, sans frein et sans règle, en est à son dernier terme, il se dissout de lui-même ; il retourne à la nation qui l’a départi. Tous réparent alors les fautes d’un seul ; la machine politique se recompose et la liberté naît soudain ou se rajeunit dans cette crise. Nous n’irons pas loin en chercher l’exemple. Mais si la Révolution était inversée, si le Corps législatif, avec de grands moyens de devenir ambitieux et oppresseur, le devenait en effet, des factions terribles naîtraient de ce grand corps décomposé ; les chefs les plus puissants seraient le centre de divers partis, qui chercheraient à se subjuguer les uns les autres ; l’anarchie anéantirait tout gouvernement. Et si la puissance royale, après des années de division et de malheurs triomphait enfin, ce serait en mettant tout de niveau, c’est-à-dire en écrasant tout. La liberté publique resterait ensevelie sous les ruines. On n’aurait qu’un maître absolu sous le nom de roi, et le peuple vivrait tranquillement dans le mépris, sous un despotisme presque nécessaire. » Mirabeau, on le voit, fut prophète à un mot près.