Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Desmoulins (CAMILLE) ou les Partis en 1794, drame en cinq actes et en prose, de Julien Mallian et Henri Blanchard

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Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 2p. 572).

Desmoulins (Camille) ou les Partis en 1794, drame en cinq actes et en prose, de Julien Mallian et Henri Blanchard, représenté à Paris, sur le Théâtre-Français, le 18 mai 1831. Au lendemain des journées de Juillet, alors que les sujets sur l’époque révolutionnaire servaient presque exclusivement à alimenter nos scènes, ce drame ne pouvait avoir qu’un but, idéaliser des types jusque-là trop souvent chargés à dessein et même rendus odieux. L’Ambigu jouait Robespierre, le théâtre des Nouveautés, les Chouans ou Coblentz et Quiberon ; le Théâtre-Français venait de représenter Charlotte Corday, qui, deux ans auparavant, avait déjà figuré dans Sept heures, à la Porte-Saint-Martin, lorsqu’il donna Camille Desmoulins. La lutte entre Robespierre, d’une part, et, de l’autre, Camille Desmoulins, Danton et leurs amis, lutte dans laquelle ces derniers ont le dessous, forme le nœud principal de l’action. Desmoulins est représenté comme un ennemi déclaré de tout excès, et le drame, écrit d’ailleurs à sa gloire, se plaît à le représenter sous les traits les plus sympathiques. Le rédacteur du Vieux Cordelier, l’époux de la charmante et malheureuse Lucile, aimant et cultivant les lettres, est attaché à son foyer et mène de front les vertus domestiques et les vertus civiques. Rappelons au quatrième acte le tableau d’une des séances du tribunal révolutionnaire, tableau animé dont, toutefois, et c’est M. Th. Muret qui en fait la remarque, la mise en scène convenait mieux au boulevard qu’au théâtre de Phèdre et du Misanthrope. N’oublions pas non plus le monologue de Robespierre, au cinquième acte ; il est curieux à reproduire ici au point de vue de l’histoire des idées : « Voyons ce message diplomatique ; il est important, m’a-t-on dit… tant mieux ; il fera diversion aux pensées tumultueuses qui m’agitent. (Il décachète et lit.) Ah ! de Londres !… Les princes français !… Ils m’offrent de l’or ! Ne savent-ils pas que je le méprise ? Ils croient qu’on peut tout corrompre… Un haut rang ! ne suis-je pas au premier ? mais combien il me coûte !… Une conspiration existe, j’en ai la certitude… Ce Dillon !… Camille aura-t-il voulu révéler ?… C’était le seul moyen de se sauver. Je le vois maintenant, je n’aurai de repos que dans la tombe… Du repos ! qui sait encore ? La calomnie insultera peut-être à mes cendres… Ô postérité ! toi seule peux me juger : oui, tu diras que mon projet fut grand, car, si je tombe, la Révolution me survivra. Elle survivra ; mais quelle force ne faut-il pas avoir là (Il se prend le front) pour marcher à mon but ? Opposer sans cesse la régularité de l’échafaud aux fureurs sans cesse renaissantes de la guerre civile !… Les malheureux ! ils envient ma puissance ! Eh ! que suis-je ? Un esclave de la patrie, un martyr vivant de la République, la victime et le fléau du crime. Il suffit de me connaître pour être calomnié ; on pardonne aux autres leurs forfaits, on me fait un crime de mon zèle pour la patrie. Ôtez-moi ma conscience, je serai le plus malheureux des hommes. Ils m’appellent tyran !… Si je l’étais, ils ramperaient à mes pieds ; je les gorgerais d’or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants ! Si je l’étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer, me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais avec eux. Dans leur détresse, qu’attendent-ils, si ce n’est le secours d’une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire de notre pays ? Je dis chaque jour à la Convention, mais en vain : « Si nous laissons flotter les rênes de la Révolution, vous verrez le despotisme militaire s’en emparer, et le chef des factions renverser la représentation nationale avilie. » Peuple, souviens-toi que si, dans la République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l’amour de l’égalité et de la patrie, la liberté est un vain nom ! Peuple, toi que l’on craint, que l’on flatte et que l’on méprise, toi, souverain reconnu qu’on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes et non de destinées. Ô peuple ! sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d’avoir trahi seront accusés d’ambition ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n’osant t’attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens. »

Après Robespierre, c’est Danton qui trace son propre portrait et s’attribue toutes les vertus civiques. Un noble rôle est donné par les auteurs au général Dillon, qui regrette le trône constitutionnel de Louis XVI, tout en défendant le sol de la France. Cette pièce fut en beaucoup d’endroits couverte d’applaudissements. Des gilets blancs à grands revers, reproduisant la mode de 1793, furent aussitôt adoptés et s’appelèrent gilets à la Camille Desmoulins.

Acteurs qui ont joué cette pièce : Firmin, Camille Desmoulins ; Beauvalet, Danton ; Perrier, Robespierre ; David, Arthur Dillon ; Geffroy, Fouquier-Tinville ; Guiaud, Westermann ; Desmousseaux, l’abbé Bérardier (l’ancien professeur de Camille Desmoulins et de Robespierre) ; Rose Dupuis, Lucile ; Eulalie Dupuis, Cornélie Dupleix.