Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FORBIN (Claude, chevalier, puis comte DE), célèbre marin français

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 2p. 586).

FORBIN (Claude, chevalier, puis comte de), célèbre marin français, né au village de Gardanne, près d’Aix en Provence, le 6 août 1656 (d’où il fut surnommé Forbin-Gardanne, pour le distinguer des deux autres chevaliers de Forbin, qui servaient dans la marine, et dont l’un était son oncle), mort au château de Saint-Marcel, près de Marseille, le 4 mars 1733. Forbin eut une jeunesse des plus orageuses, qu’il s’est complu à dépeindre dans ses Mémoires. Le jeu, les orgies, les duels occupèrent presque exclusivement Forbin jusqu’à l’âge de dix-huit ou dix-neuf ans. Enfin, en 1675, il entra dans la marine et servit d’abord sur les galères avec le grade de porte-étendard. Il passa en cette qualité dans l’escadre de Valbelle et fit la campagne de Messine. Les gardes de l’étendard ayant été supprimés en 1676, Forbin prit du service à terre et entra dans une compagnie de mousquetaires, commandée par son parent, le bailli de Forbin ; il fit ainsi la campagne de Flandre. En 1677, Forbin rentra dans la marine et fut nommé enseigne de vaisseau. Il perdit bientôt cet emploi pour avoir tué un homme en duel : il fut même poursuivi pour ce fait et condamné à avoir la tête tranchée ; mais il obtint des lettres de grâce et l’affaire n’eut pas d’autres suites. Puis il rentra dans la marine en se substituant à un de ses frères, enseigne de vaisseau, qui lui ressemblait fort de taille et de visage, et que sa mauvaise santé engageait à quitter le service. En 1680, Forbin suivit le vice-amiral Jean d’Estrées dans une campagne pacifique aux Antilles. En 1682 et 1683, il prit part aux deux bombardements d’Alger par Duquesne ; il s’y distingua même par sa bravoure et son sang-froid, et fut nommé lieutenant de vaisseau à la suite de cette campagne. Deux ans plus tard, il obtint d’être nommé major de l’ambassade envoyée par Louis XIV au roi de Siam, sous les ordres du chevalier de Chaumont, capitaine de vaisseau. Le roi de Siam retint Forbin à sa cour et le nomma amiral et général de ses armées, puis il l’éleva à la dignité de opra sac di sou craam, ce qui signifie une « divinité qui a toutes les lumières et toute l’expérience pour la guerre. » Cependant Forbin se fatigua bientôt de tous ces honneurs, et, prétextant sa mauvaise santé, il demanda un congé et passa à Pondichéry, d’où il s’embarqua pour la France. À son arrivée, Forbin fut reçu par Seignelay et par Louis XIV, auxquels il fit une description assez peu séduisante du pays de Siam. En 1689, à la rupture de la paix de Nimègue, Forbin reçut le commandement d’une frégate de 16 canons, et fut chargé, sous les ordres de Jean Bart, d’escorter un convoi. Les deux capitaines furent rencontrés par le travers des Casquets, dans la Manche, par deux bâtiments anglais beaucoup plus forts, qui les contraignirent à se rendre après une résistance désespérée. Ils furent conduits à Plymouth, d’où ils ne tardèrent pas à s’évader. Ils traversèrent la Manche dans un canot, et, après une heureuse navigation, débarquèrent près de Saint-Malo. À la suite de cette campagne, Forbin et Jean Bart reçurent tous deux leur nomination au grade de capitaine de vaisseau et une gratification de 400 écus. Forbin termina l’année en faisant plusieurs prises anglaises avec une flûte très-bonne voilière, nommée la Marseillaise. L’année suivante, il assista à la bataille de Bévezieu, sous les ordres de Tourville : il montait en cette occasion le Fidèle. Puis il alla croiser dans la mer du Nord avec le comte de Relinguer. En 1692, il se retrouva sous Tourville à la désastreuse bataille de la Hogue, où il reçut une grave blessure au genou. Son vaisseau, la Perle, fut criblé de coups de canon et faillit être anéanti par un brûlot ennemi ; toutefois il réussit à s’échapper et à gagner Saint-Malo sain et sauf. Forbin fit ensuite, sous les ordres de Jean Bart, cette fameuse campagne de la mer du Nord, qui fut si désastreuse pour le commerce anglais et hollandais. En 1693, il eut sa part de la brillante affaire de Lagos, où Tourville dispersa et ruina la grande flotte de Smyrne et son escorte ; il brûla trois bâtiments marchands et en prit un quatrième. Forbin fit ensuite diverses campagnes à bord du vaisseau le Marquis dans la mer du Nord et dans la Méditerranée, et, en 1697, suivit le comte d’Estrées dans son expédition de Catalogne. En 1699, Forbin fut nommé chevalier de Saint-Louis. Pendant la guerre de la succession d’Espagne, il continua à se signaler par ses courses audacieuses et fructueuses, répandit la terreur dans l’Adriatique, brûla Trieste, détruisit tous les bâtiments de commerce autrichiens, et se rendit tellement redoutable que les marins de ces parages, en prenant la mer, ne demandaient à Dieu que de ne pas rencontrer le chevalier de Forbin. Pendant les années 1706 et 1707, il prit ou détruisit dans les mers du nord plus de 180 bâtiments anglais ou hollandais. Élevé au grade de chef d’escadre et devenu comte de Forbin, il se remit en course et fit une brillante campagne dans la mer Blanche, au delà du cercle polaire. Puis, cette même année 1707, il remit à la voile avec son escadre, que vint rallier celle de Duguay-Trouin. Les deux vaillants marins livrèrent bataille à une escadre anglaise très-considérable. Malheureusement, par suite d’une fausse manœuvre, Forbin n’arriva en ligne que sur la fin de la journée, et ce retard évita aux ennemis un désastre complet. L’année suivante (1708), Forbin fut chargé de conduire à Édimbourg le chevalier de Saint-Georges, fils de Jacques II et prétendant au trône d’Angleterre. Cette expédition n’ayant pas réussi, on en fit retomber la responsabilité sur Forbin, qui, déjà mécontent de ne pas avoir été nommé lieutenant général, abandonna le service et se retira dans une maison de campagne qu’il possédait à Saint-Marcel, près de Marseille : il y avait quarante ans qu’il tenait la mer. Il mourut à l’âge de soixante-dix-sept ans. Forbin était un bon marin et un brave soldat ; mais son caractère ombrageux, son orgueil démesuré lui firent le plus grand tort et lui nuisent dans le jugement de la postérité. Il a laissé des Mémoires, rédigés par un certain Reboulet et publiés en 1730, dans lesquels il maltraite de la façon la plus indigne et la plus injuste les meilleurs hommes de mer de son temps, et notamment Jean Bart et Duguay-Trouin. Cette réserve faite, ces Mémoires contiennent des pages fort intéressantes. Ce sont les seuls, avec ceux de Duguay-Trouin, laissés par un marin.