Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FOUCHÉ (Joseph), duc D’OTRANTE, conventionnel montagnard, puis ministre de la police

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 2p. 649-651).

FOUCHÉ (Joseph), duc d’Otrante, conventionnel montagnard, puis ministre de la police, né près de Nantes le 29 mai 1763, mort à Trieste le 25 décembre 1820. Il était fils d’un armateur, qui le destinait à la navigation ; mais la délicatesse de son tempérament fit renoncer à ce projet. Placé à neuf ans au collège des Oratoriens de Nantes, il y fit des études sérieuses, qu’il acheva à l’institution de l’Oratoire de Paris, et se voua définitivement à l’enseignement dans la savante congrégation. Il est faux, d’ailleurs, qu’il ait jamais été engagé dans les ordres, comme on l’a fort légèrement répété ; il n’a jamais été que professeur dans les maisons de l’Oratoire. Il enseigna successivement les mathématiques et la philosophie à Juilly, à Arras, où il connut Robespierre, à Vendôme, et enfin fut nommé, à l’âge de vingt-cinq ans, préfet des études au collège des oratoriens de Nantes. Il s’occupait alors avec succès de sciences exactes, remplissait ses fonctions avec autant de zèle que de capacité, et il est constant qu’il laissa dans l’Oratoire les meilleurs souvenirs sous tous les rapports.

Il était déjà pénétré des idées et de la philosophie du siècle ; aussi, dès le commencement de la Révolution, il abandonna sa chaire et la congrégation, et se maria à Nantes. Son intention était d’exercer la profession d’avocat, plus analogue à ses inclinations et à l’état de la société nouvelle.

Il se jeta dans le mouvement avec la fougue de son âge et de son tempérament, et fut un des fondateurs et le membre le plus actif et le plus influent de la Société populaire de Nantes.

Toutefois, malgré son enthousiasme révolutionnaire, il n’avait pas répudié le souvenir de la savante congrégation qui avait été son berceau, et, jusqu en 1793, nous voyons des pièces de lui signées Fouché de l’Oratoire.

En 1792, il fut nommé député de la Loire-Inférieure à la Convention nationale. Il fit partie du comité d’instruction publique, où il rendit de notables services par sa haute compétence et ses capacités. Il retrouva à l’Assemblée Robespierre, avec qui il noua des relations assez étroites ; mais la diversité de leurs caractères ne tarda pas à les diviser.

Quoique lié d’amitié avec les chefs du parti girondin, Fouché prit néanmoins sa place à la Montagne, prévoyant peut-être que là était la force et l’avenir ; il vota la mort du roi sans appel ni sursis, et il prononça à cette occasion un discours véhément qui a été souvent reproduit : « Je ne m’attendais pas, dit-il, à énoncer à cette tribune d’autre opinion contre le tyran que celle de son arrêt de mort. Il semble que nous sommes effrayés du courage avec lequel nous avons aboli la royauté ; nous chancelons devant l’ombre d’un roi... Sachons prendre enfin une attitude républicaine ! Sachons nous servir du grand pouvoir dont la nation nous a investis ! Sachons faire notre devoir en entier, et nous sommes assez forts pour soumettre toutes les puissances et tous les événements. Le temps est pour nous contre tous les rois de la terre. Nous portons au fond de nos cœurs un sentiment qui ne peut se communiquer aux différents peuples sans les rendre nos amis et sans les faire combattre avec nous, pour nous et contre eux... »

Nommé membre du comité des finances, il fit rendre, le 10 mars 1793, un décret ordonnant la recherche et la vente des biens d’émigrés, qui jusque-là avaient été soustraits à l’État au moyen de fausses déclarations ou de supercheries des notaires.

Envoyé en mission à Nantes, puis dans l’Aube, il activa les mesures de défense, et, dans ce dernier département, il fit exécuter le décret sur la réquisition par les seuls moyens de la persuasion à l’égard d’une jeunesse qui s’était jusqu’alors refusée avec opiniâtreté au recrutement.

C’est de l’Aube qu’il envoya à la Convention son adhésion à la révolution des 31 mai-2 juin, qui avait eu pour résultat la chute et l’arrestation de girondins dont beaucoup étaient ses amis. Fouché, c’est une des habitudes invariables de sa vie, n’hésita jamais à se ranger du côté de la victoire. Mais, d’ailleurs, il était montagnard par ses tendances et par son tempérament.

Envoyé dans la Nièvre et chargé de mettre à exécution la loi des suspects, il essaya parfois de tempérer la rigueur des décrets conventionnels ; mais il se fit résolument l’un des promoteurs du mouvement anticatholique, qui débuta précisément dans la Nièvre et dans le centre, sous l’impulsion de Fouché et de Chaumette, qui s’y trouvait alors. Il proscrivit les emblèmes religieux qui se trouvaient dans tous les lieux publics, fit placer à la porte des cimetières l’inscription : La mort est un sommeil éternel (en manière de négation de l’immortalité de l’âme), dépouilla les églises de leurs vases d’or et d’argent et de leurs objets précieux, et fit à la Convention de nombreux envois de ces pièces, ainsi que des dons patriotiques des citoyens, pour être employés à la défense de la patrie et aux besoins de l’État.

Il n’est pas douteux, d’ailleurs, que dans ces espèces de spoliations révolutionnaires et patriotiques, qui se répétèrent dans toute la France, Fouché n’ait été soutenu par les populations. Il était trop fin, trop prudemment ambitieux, trop avisé, pour se jeter dans les aventures et précéder la foule. Il se contentait d’étudier les mouvements de l’opinion et de s’y mêler assez pour être en mesure de les exploiter et de se prévaloir de son action, quitte à la renier ou à l’atténuer plus tard, quand le vent tournait.

En novembre, pendant qu’il était encore dans la Nièvre, la Convention l’adjoignit à Collot d’Herbois pour achever de rétablir l’autorité républicaine à Lyon, qui venait de s’ouvrir aux troupes conventionnelles. Il y joua un rôle terrible, de concert avec son collègue, puis seul pendant deux mois, en l’absence de Collot d’Herbois. D’ailleurs, les représentants ne faisaient qu’exécuter les décrets. Cette reprise de possession de Lyon offre les analogies les plus frappantes avec la soumission de Paris par les troupes de Versailles, après la Commune de 1871, avec cette aggravation que les chefs de la rébellion lyonnaise étaient ouvertement de connivence avec les étrangers et les conspirateurs royalistes. La répression fut implacable, et les représentants exécutèrent les décrets de la Convention avec autant d’exaltation que de fureur, croyant sans doute ainsi venger la patrie mise en péril, la République outragée et les patriotes lyonnais, Charlier et autres, égorgés par les contre-révolutionnaires. Les malheureux condamnés par les commissions militaires étaient conduits aux Brotteaux et fusillés ou mitraillés en masse. On en exécuta ainsi jusqu’à deux cents en un seul coup. Dans ses correspondances, où il exagère encore le langage du temps, Fouché représente effrontément ces exécutions en masse comme moins inhumaines que le long supplice des exécutions successives par la guillotine. Nous avons revu ces fureurs mutuelles des partis en lutte, et il faut dire que les exécutions sommaires de la reprise de Paris ont bien dépassé, par le nombre et par le manque de toutes formes judiciaires, les scènes terribles dont Lyon avait été précédemment le théâtre. (Pour plus de détail sur cette mission, voyez l’article Collot d’Herbois.)

Remplacé par Reverchon, Fouché revint à Paris dans les premiers jours d’avril 1794 et reprit son siège à la Convention. Il subit quelques attaques de la part de Robespierre, mais n’en fut pas moins nommé président des jacobins au commencement de juin. Néanmoins, il se sentait menacé par le puissant triumvir, qui finit par le faire exclure des jacobins, ce qui équivalait presque à un arrêt de proscription. Robespierre le détestait moins pour sa conduite à Lyon que pour ses anciennes relations avec les dantonistes et ses attaches avec le parti hébertiste. Cependant, avec sa souplesse habituelle, Fouché avait applaudi à la proscription de ces deux partis, comme il avait précédemment adhéré publiquement à celle des girondins.

Le jour de la fête de l’Être suprême (20 prairial an II — 8 juin 1794), il eut l’imprudence de se répandre en sarcasmes contre Robespierre, qui jouait le rôle de pontife, et de prédire à haute voix sa chute dans les groupes de députés. Quelques jours après, son irascible ennemi demandait sa tête au comité du Salut public, qui, d’ailleurs, ne consentit point à cette proscription nouvelle.

Mais Fouché n’était pas homme à se laisser ainsi faucher sans résistance, comme une herbe sèche ; il travailla homme par homme les débris des grands partis que Robespierre avait frappés, dantonistes et hébertistes, Tallien, Legendre, Dubois-Crancé, Collot-d’Herbois, Fréron, Billaud-Varenne, etc., leur représenta qu’ils étaient tous également menacés, et contribua largement à nouer la coalition qui fit le 9 thermidor.

Après cette époque, il fut violemment attaqué à diverses reprises ; des plaintes s’élevèrent de la Nièvre et de Lyon contre sa conduite ; on lui reprochait non-seulement ses violences, mais encore des actes de concussion qui sont assez probables, sans jamais avoir été prouvés péremptoirement.

Suivant sa coutume invariable d’avoir un pied dans tous les camps, il cajolait tout à la fois les thermidoriens et les débris de la Montagne et des jacobins, et même le parti naissant et déjà redoutable de Babeuf, que, naturellement, il abandonna dès qu’il le vit menacé sérieusement.

Mais, malgré ses savantes manœuvres, les accusations, les pamphlets, les récriminations se multipliaient contre lui. Il publia une espèce de justification de sa conduite dans le Moniteur du 10 avril 1795. Le 9 août, à la suite de nouvelles dénonciations, un rapport général sur ses actes fut présenté à la Convention par Génissieux, et il fut expulsé de l’Assemblée et décrété d’arrestation. Mais l’amnistie du 4 brumaire an IV (26 octobre), proclamée à l’occasion de la mise en vigueur de la constitution de l’an III, le rendit à la liberté.

Il vécut trois ans fort délaissé, sans parvenir à obtenir aucun emploi, refusant les postes secondaires, préférant attendre son heure pour se saisir d’une position à la hauteur de son ambition dévorante et de ses capacités. Il était resté en relation avec Barras, l’un des directeurs, à qui il révéla dans un mémoire les projets du parti de Babeuf, qu’il connaissait bien pour s’y être associé. Le premier bénéfice qu’il retira de ce service policier fut un intérêt considérable dans les fournitures, commencement ou plutôt continuation de l’élévation de sa fortune.

Après la journée du 18 fructidor, au succès de laquelle il contribua par ses conseils, il fut nommé ambassadeur près la République cisalpine (septembre 1798). Là, il participa, avec le général Brune, à une répétition du 18 fructidor ; toutes nos révolutions, en effet, se reproduisaient dans les petites républiques que nos victoires avaient formées.

Mais il fut désavoué par le Directoire, revint à Paris en janvier 1799, reprit assez de crédit pour obtenir, quelques mois plus tard, l’ambassade de Hollande, enfin quelque temps après (1er août) le ministère de la police, objet de ses convoitises.

Il avait trouvé le poste qui convenait à son tempérament, à son génie et à sa passion des hautes intrigues et des manœuvres ténébreuses.

Dépourvu de moralité politique, indifférent à tout, uniquement préoccupé de son élévation personnelle, par quelque moyen que ce fût, il devait désirer, en effet, cette place forte de la police générale, qui lui donnait tant de pouvoir sans l’assujettir à un contrôle bien sérieux, et qui lui assurait des ressources pécuniaires énormes, sans qu’il eût à rendre de comptes rigoureux et réguliers. En outre, cette situation lui permettait de se créer des relations dans tous les camps et de se tenir prêt pour toutes les éventualités.

Avec le plus parfait cynisme, ce révolutionnaire, ce régicide, ce terroriste, se montra dès lors l’ennemi de toutes les libertés. Il ferma les sociétés populaires, supprima d’un seul coup onze journaux, d’ailleurs avec l’assentiment du Directoire, et, bien que fortement attaqué au Corps législatif, il fit arrêter un certain nombre de journalistes.

Pour se donner un vernis d’impartialité, il prescrivit en même temps des mesures contre les chouans de Bretagne et de Vendée ; mais, dans l’application, il tempérait les rigueurs de la loi, moins par humanité peut-être que dans [’intention de se créer des relations dans la faction royaliste. À dater de ce moment, en effet, il eut toujours à sa solde des agents de ce parti, qui lui rendirent dans l’Ouest de grands services.

Toute sa tactique consistait d’ailleurs à se mettre en mesure avec tous les partis. C’est ainsi que, devinant la fortune prochaine de Bonaparte, il s’était rendu Joséphine favorable par de larges subventions provenant du produit des jeux, et d’autres sources plus impures qu’il avait à sa disposition. La future impératrice était pour ainsi dire à sa merci, par suite de ses prodigalités et de ses continuels besoins d’argent ; et comme elle recevait tout Paris dans ses salons, il savait par elle beaucoup de choses, en obtenait de réels services de haute police et se l’attachait par les liens solides de l’intérêt personnel.

Quand Bonaparte accourut d’Égypte avec l’intention de s’emparer de l’autorité, Fouché, avec son flair subtil de grand policier, sentit que la force et l’avenir étaient du côté du jeune général ; il n’eut pas une heure d’hésitation. Avec la plus complète tranquillité, il trahit à peu près officiellement le gouvernement qu’il était censé servir, ferma les yeux de sa police, laissa la conspiration se développer, et prit même une part assez active aux intrigues préliminaires, endormant le Directoire, neutralisant Dubois-Crancé, le seul ministre clairvoyant, recevant les conjurés chez lui et affectant un dévouement sans bornes pour Bonaparte. Il va sans dire qu’il l’eût renié avec enthousiasme si la fortune l’eût abandonné. Cela était bien compris des deux côtés.

Il suivait d’ailleurs d’un œil attentif la marche de la conjuration, toujours prêt à la favoriser ou à la renier, suivant l’événement.

Le 18 brumaire, le succès lui semblant assuré, surtout après le décret des Anciens ordonnant le transfèrement du Corps législatif à Saint-Cloud, il agit ouvertement dans le sens du mouvement, fit fermer les barrières, arrêter le départ des courriers, placarda une proclamation, suspendit les douze municipalités du Paris (qui étaient républicaines), enfin se mit absolument à la disposition de l’usurpateur et de ses complices.

Il fut récompensé de cette connivence doublement coupable par son maintien au ministère de la police, malgré l’opposition de Sieyès, qui voulait le remplacer par Alquier, une de ses créatures. Ce prêtre haineux, comme Fouché le nommait lui-même, réclamait avec acharnement des proscriptions, notamment contre un grand nombre de représentants républicains, parmi lesquels l’illustre Jourdan, le vainqueur de Fleurus. Mais, sur les conseils du ministre de la police, Bonaparte se contenta de soumettre les opposants à la surveillance, au lieu de la déportation, qui avait d’abord été prononcée par arrêté des consuls.

Fouché montra d’ailleurs beaucoup d’habileté et de sang-froid, et, par une modération calculée, contribua à déshabituer la France des institutions républicaines, à la façonner au régime nouveau, qui, suivant ses propres prévisions, ne devait pas tarder à dégénérer en absolutisme pur.

Il sollicita des mesures favorables aux émigrés et se fit ainsi des clients dans le parti royaliste, que le premier consul jugeait alors politique de ménager pour y trouver un point d’appui contre les dernières résistances de la République expirante. C’est dans cette vue que furent opérés un grand nombre de radiations de la liste des émigrés et l’abandon des mesures de rigueur contre les prêtres non assermentés. Un peu plus tard, la plupart des émigrés purent rentrer, et beaucoup obtinrent la restitution de la portion non vendue de leurs biens.

En politique, Fouché, s’il est permis d’employer cette expression, était un roué consommé ; il avait des aptitudes supérieures et de fortes capacités ; mais il était desséché de scepticisme, ne croyait à rien, qu’à la force et au succès. S’il défendait dans une certaine mesure les principes de la Révolution, c’était moins par conviction peut-être que par une réaction de bon sens et parce qu’il avait joué un rôle dans le grand drame. De bonne heure, il avait pris pour règle de conduite et pour toute morale cette idée, que les hautes positions dans la société nouvelle devaient appartenir aux hommes forts, aux capacités révolutionnaires, héritiers naturels de l’aristocratie qu’ils avaient vaincue ; toute sa doctrine était contenue dans l’adage vulgaire : « Ôte-toi de là que je m’y mette ! » Exempt de passion par indifférence de tout principe, il était d’ailleurs capable de modération, quand les intérêts de son ambition n’étaient pas en jeu. La société n’était pour lui qu’un échiquier, le drame des événements une grande partie, et lui-même se considérait comme un joueur, et comme un joueur qui tient surtout à gagner. C’est sous cet aspect qu’il faut le considérer, si l’on veut bien comprendre sa conduite au milieu des événements.

Toute sa préoccupation fut dès lors de garder sa place, de se faire considérer par Bonaparte comme l’homme nécessaire et propre à contenir tous les partis, à déjouer toutes les intrigues hostiles. Entre ces deux grands ambitieux, qui ne s’estimaient guère, il y eut comme une espèce de lutte. Bonaparte, à l’exemple de Louis XV, avait sa police particulière, pour contrôler celle de son ministre, dont il se défiait. Mais Fouché, à l’aide des ressources énormes que lui fournissaient les jeux, la prostitution, etc., s’arrangeait pour n’être jamais pris en défaut. Avec les confidences de Joséphine, celle du secrétaire intime Bourrienne, qu’il gorgeait tous deux d’argent, il était toujours en mesure, connaissait la pensée du maître, et s’amusait à égarer les agents de sa contre-police dans toutes sortes de pièges et de bévues.

La connaissance qu’il avait du personnel républicain, ses nombreux agents répandus parmi les royalistes et un peu partout, sa dextérité, sa clairvoyance, son absence de scrupules, le rendaient d’ailleurs précieux à Bonaparte, qui avait la passion, la superstition des moyens de police, comme il avait celle de la force. Soupçonneux comme tous les tyrans, il était plein de méfiance envers ses sbires, et cependant ne pouvait se passer d’eux.

Fouché fit avorter le complot de Chevallier, Laignelot, etc. ; mais il paraît être resté à peu près étranger aux machinations policières qui firent donner dans le piège d’une prétendue conspiration, vendue d'avance, Topino-Lebrun, Aréna, Cerrachi et autres infortunés, qui payèrent de leur vie la faute d’être tombés dans une souricière tendue par la police du premier consul, qui recherchait alors l’occasion d’un simulacre d’attentat contre sa personne pour étendre son pouvoir.

Dans l’affaire de la machine infernale (3 nivôse an IX — 24 décembre 1800), il soutint que l’attentat était le fait des royalistes (on l’accusait secrètement de protéger les jacobins), et il demanda huit jours pour fournir ses preuves. Son assertion était vraie ; mais il ne céda pas moins servilement aux haines de Bonaparte, qui voulait saisir l’occasion pour frapper les républicains, et il dressa une liste de cent trente démagogues destinés sommairement à la déportation, sous prétexte d’un attentat auquel ils étaient absolument étrangers. Néanmoins, il parvint à sauver quelques-uns de ces malheureux.

Malgré sa puissance, il était souvent obligé de se défendre contre les reproches violents du maître, qui le rendait responsable de tout ce qu’il ne découvrait pas, et qui, d’ailleurs, tout en subissant son influence, le redoutait et ne pouvait lui pardonner de se poser en homme indispensable.

Fouché avait, en outre, contre lui une coterie très-forte à la tête de laquelle étaient Lucien, Joseph et Élisa Bonaparte.

Quelque temps après la paix d’Amiens, en septembre 1802, le premier consul lui annonça, avec les remerciements obligés pour ses services, que le ministère de la police allait être supprimé, réuni à la justice, et que, comme compensation, il le nommait sénateur et titulaire de la sénatorerie d’Aix, dont le revenu était de 30,000 fr. (ajoutés à son traitement de sénateur, qui était de 30,000 fr.). En outre, il lui abandonna la moitié d’une réserve de 2,400,000 fr. qu’il avait ménagés sur les fonds de police. En un mot, il lui faisait un pont d’or pour se retirer.

Avec les richesses qu’il avait amassées, les dignités dont il était revêtu, l’influence qu’il avait acquise et les appuis qu’il s’était ménagés un peu partout, Fouché avait encore une grande situation. Il vivait alternativement dans sa magnifique terre de Pontcarré et dans son hôtel de la rue du Bac, recevant une foule de personnages marquants et mêlé activement encore aux affaires. Il faisait même de la police en amateur, car il en avait le goût. C’est ce qu’il appelait « se tenir au courant. »

On l’a même accusé de nouer des intrigues de tous côtés pour susciter des embarras à ses successeurs et se faire regretter. On a été jusqu’à dire qu’il avait secrètement encouragé la conspiration de Georges Cadoudal et celle de Moreau. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait un génie vraiment machiavélique et qu’il se complaisait dans les intrigues les plus diverses et les plus compliquées.

Le premier consul le consultait souvent, et il le comprit même dans une commission chargée d'une négociation avec les délégués des cantons suisses. Fouché lui conseilla la clémence à l’égard de Moreau, et remplit souvent auprès de cet homme si absolu et si entier le rôle de modérateur. On assure que ce fut lui qui, à propos du meurtre du duc d’Enghien, prononça la fameuse parole : « C’est plus qu’un crime, c’est une faute. » On sait que ce mot, d’une immoralité paradoxale, a été attribué également à Talleyrand.

Au commencement de l’Empire, par décret du 10 juillet 1804, Napoléon rétablit le ministère de la police, et désigna Fouché pour occuper ce poste, en lui donnant des attributions plus étendues qu’autrefois. Cet homme, véritablement supérieur dans cette redoutable spécialité, réorganisa le service et en fit cette puissante machine de la police impériale qui pourrait servir de modèle à tous les despotismes. Il avait quatre conseillers d’État pour lieutenants et qui étaient chargés de la correspondance avec les préfets ; il établit dans les principales villes des commissariats généraux ; ses agents innombrables (des deux sexes) étaient répandus dans toutes les classes de la société ; il avait à ses gages, non-seulement des sénateurs et autres dignitaires, mais des grands seigneurs de l’ancien régime titrés de princes. Le réseau de sa police s’étendait également à l’étranger et dans toutes les villes importantes de l’Europe. Il avait aussi dans ses attributions les prisons d’État, la gendarmerie, les passe-ports, les émigrés, les amnistiés, les gazettes étrangères, etc. Un pareil établissement engloutissait des millions prélevés, comme nous l’avons dit, sur les jeux et la prostitution ; ce qui n’empêchait pas l’empereur d’avoir toujours ses contre-polices.

Fouché était bien certainement le second personnage de l’Empire ; et pendant les fréquentes absences de Napoléon, surtout, il avait un pouvoir énorme sur la marche des affaires. Il est juste de dire qu’il n’abusa pas autant qu’on aurait pu le craindre de cette puissance monstrueuse, et que, sans aller jusqu’à compromettre sa position, il sut bien souvent, par son bon sens et sa dextérité, atténuer l’arbitraire et la violence du régime impérial. Toujours prévoyant, il ménageait les royalistes, mais sans persécuter les vieux républicains. Il y avait longtemps qu’il avait abandonné ses idées philosophiques et démocratiques, en supposant qu’il ait jamais été sincère, et il n’avait guère d’autre préoccupation que de jouer un grand rôle, d’exercer le pouvoir et d’édifier une fortune considérable. Cependant il avait trop de sens et d’intelligence pour ne pas s’attacher à sauvegarder les résultats sociaux de la Révolution. Quant aux choses de forme, il y attachait peu d’importance. Ainsi, il appuya la création d’une nouvelle noblesse purement honorifique, car il sentait bien qu’il n’eût guère été possible de rétablir les privilèges de l’ancien régime. Il reçut lui-même le titre de comte, puis celui de duc d’Otrante, avec de riches dotations, ce qui sans doute lui était plus sensible.

Malgré ses complaisances intéressées, il blâma le projet gigantesque et absurde du système continental, ainsi que l’expédition d’Espagne. En revanche, avec une indiscrétion courtisanesque, il conseilla le divorce à Napoléon (dont il savait que c’était le désir secret).

Après la bataille de Wagram, les Anglais étant débarqués à Walcheren et menaçant toute la Belgique, Fouché (alors chargé par intérim du ministère de l’intérieur) organisa rapidement la garde nationale, en donna le commandement à Bernadotte, quoique ce général fût en disgrâce, et força par ses mesures énergiques les Anglais à se rembarquer. Mais dans une proclamation, l’ancien conventionnel se réveillant en lui, il avait osé dire : « Prouvons à l’Europe que, si le génie de Napoléon peut donner de l’éclat à la France par ses victoires, sa présence n’est pas nécessaire pour repousser les ennemis. »

L’empereur, choqué et du choix du général et de ce qu’un de ses ministres eût osé supposer que la nation pouvait se passer de lui, se plaignit avec aigreur à son retour de Vienne. Au reste, Fouché avait eu très-souvent à souffrir de ses emportements et de ses défiances, et il lui avait fallu toute son habileté et sa souplesse pour se maintenir, car il avait de nombreux et puissants ennemis, et il suscitait lui-même les soupçons du maître par les intrigues dont il nouait les fils de tous les côtés.

Dans l’espoir d’atténuer ces préventions et de prévenir la disgrâce dont il se sentait menacé, il s’engagea imprudemment dans une véritable aventure. Napoléon, après son mariage avec Marie-Louise, avait montré quelques velléités pour la paix générale. Pensant n’être point désavoué, Fouché, pour sonder le terrain, envoya en Angleterre le célèbre fournisseur Ouvrard, pendant que, de son côté, l’empereur envoyait secrètement un autre agent. Le ministre anglais, le marquis de Wellesley, travaillé de deux côtés à la fois, crut à une mystification, et il éconduisit les deux agents.

Quand Napoléon, à l’aide de sa contre-police, eut pénétré la cause de cette mésaventure humiliante, il entra dans une violente colère. En plein conseil, il interpella rudement Fouché : « Ainsi, vous faites la guerre et la paix sans ma participation !»

Le lendemain, le portefeuille de la police fut donné à Savary. Fouché était définitivement disgracié. Ce changement ne rassura point le public ; car, malgré sa servilité, Fouché offrait encore des garanties de modération, tandis que Savary n’était que l’instrument brutal des volontés du maître. La police générale se trouvait désormais confondue avec la police personnelle du chef de l’État.

Le duc d’Otrante, en manière de compensation, fut nommé gouverneur de Rome. Mais il n’entrait pas dans les vues de l’empereur qu’il prît réellement possession de ce poste important ; cette nomination d’apparat n’avait d’autre but que de sauver les convenances gouvernementales en voilant sa disgrâce aux yeux du public.

Fouché Feignit d’être dupe de cette comédie officielle ; il fit bruyamment ses préparatifs de départ, fit inscrire sur ses voitures : Équipages du gouverneur de Rome, et monta sa maison comme s’il prenait sa position au sérieux.

Appelé naturellement à mettre son successeur Savary au courant de ses fonctions, il le joua comme jamais les Mascarilles de comédie n’ont joué les tuteurs et les Gérontes, enleva les papiers les plus importants, lui supprima avec soin les renseignements les plus essentiels, l’égara à plaisir dans le labyrinthe de la grande police, en un mot le mit perfidement en état de commettre les bévues les plus grossières.

Invité à aller attendre dans sa terre ses ordres de départ, il se retira à son château de Ferrières, qui formait, réuni à Pontcarré, un domaine de quatre lieues. C’était un bien national qu’il avait successivement accru. (Il appartient aujourd’hui aux Rothschild et fut occupé par Bismark dans la dernière guerre.) Il n’y fut pas longtemps paisible. Napoléon lui fit réclamer impérieusement sa correspondance privée et divers papiers importants. Il assura les avoir brûlés. En réalité, il entendait les garder pour se couvrir, pour prouver que les actes violents venaient de l’empereur, non de lui. Ce fut une véritable lutte. Menacé d’arrestation, et peut-être de pis que cela, il fila rapidement en Italie, et, sur des avis de plus en plus alarmants, se décida à s’embarquer pour les États-Unis. Mais il fut vaincu par le mal de mer, et on fut obligé de le débarquer à demi mourant.

Alors il se résigna à une transaction, demandant simplement, en échange des papiers, un titre quelconque d’irresponsabilité pour tous les actes de son administration, ce qui lui fut accordé. Il put se retirer au chef-lieu de sa sénatorerie, à Aix. Le danger qu’il avait couru ne l’avait point corrigé de ses habitudes invétérées de tout connaître et d’être mêlé à tout. Au moyen d’émissaires, il recevait régulièrement les nouvelles importantes, et avait pour ainsi dire sa contre-police. En juin 1811, il obtint de retourner à Pontcarré. Mais Napoléon, tout en le consultant quelquefois, n’avait pas cessé de se défier de lui. En partant pour l’expédition de Russie (que Fouché avait désapprouvée), il eut même un moment l’idée de le faire arrêter, ainsi que Talleyrand. Après l’affaire Mallet, il le soupçonna jusqu’à ordonner une enquête secrète, qui fut sans résultat. Enfin pendant la campagne de 1813, inquiet de le voir à Paris, il l’appela au quartier général, à Dresde, et l’envoya en Illyrie comme gouverneur général, puis à Rome, après l’occupation des provinces illyriennes par les Autrichiens ; enfin à Naples, avec la mission de retenir Murat dans les intérêts de la cause impériale. Fouché, qui depuis plus de deux années jugeait la chute de Napoléon infaillible et prochaine, ne se compromit d’abord avec Murat ni dans un sens ni dans l’autre, et ne lui donna que de vagues conseils, celui, par exemple, d’avoir de bonnes troupes, de s’entourer d’hommes de mérite, etc. Mais il paraît certain que, finalement, il encouragea ses tendances à se jeter dans la coalition.

Considérant sa mission comme terminée lors des premières opérations militaires de Murat, sur lesquelles il n’y avait plus à se méprendre, il se retira à Florence, auprès de la grande-duchesse Élisa. Il y demeura jusqu’à l’envahissement de la Toscane par les troupes du roi de Naples, puis reprit la rouie de France, non sans avoir conseillé au prince Eugène, vice-roi d’Italie, de ne pas conduire son armée dans les Vosges, comme l’empereur lui en donnait l’ordre.

Arrivé à Lyon, en mars 1814, absolument convaincu du triomphe des alliés et de la chute de Napoléon, il s’attacha à détourner Augereau et les principaux fonctionnaires du projet d’une défense désespérée de la ville, reçut des autorités l’ordre de se retirer à Valence, alla ensuite à Avignon, et, vu la difficulté des communications, ne put parvenir à Paris qu’après les événements. Il en ressentit un amer dépit, car il avait espéré faire partie du gouvernement provisoire. En plein Sénat, il affecta un grand zèle pour les Bourbons. Cependant, il est à croire qu’en sa qualité d’ancien régicide, il eût mieux aimé une autre solution. Il avait songé à une régence avec le roi de Rome, à un prince d’Orléans, etc. Au reste, il s’arrangeait toujours pour avoir un pied dans tous les camps et sa carte dans toutes les intrigues, nouant des relations partout et se ménageant des chances pour tous les événements. Un grand nombre de royalistes le regardaient comme un homme nécessaire, et Louis XVIII le fit plusieurs fois consulter. Lui-même s’offrit pour le ministère, car la passion du pouvoir était chez lui une maladie invétérée ; et cependant, dans le même temps, il complotait avec plusieurs partis le renversement des Bourbons. Dans les quelques jours qui précédèrent le retour de l’île d’Elbe, on songea enfin à lui, mais il n’était pas homme à s’embarquer sur un vaisseau qui sombrait. Il refusa le pouvoir. Alors la cour voulut le faire arrêter ; mais il glissa entre les mains des sbires et attendit dans une retraite sûre l’aigle qui s’avançait rapidement vers Paris.

Le lendemain de la rentrée de l’empereur aux Tuileries, il fut rappelé au ministère de la police, et il est juste de dire qu’il s’efforça d’arracher à Napoléon la plus de concessions libérales qu’il put. Mais, en même temps, ce prodigieux acteur, qui ne croyait nullement au succès de la restauration napoléonienne, tendait ses fils de tous les côtés et se tenait prêt pour toutes les combinaisons. Il correspondait avec Metternich, avec les Bourbons, sous le prétexte de réclamer les diamants de la couronne, avec Wellington ; il offrait ses services à Louis XVIII ; il caressait La Fayette et les patriotes ; il ménageait les royalistes et les faisait renoncer à leur prise d armes intempestive dans la Vendée, etc.

Napoléon, qui se défiait toujours de lui, et qui avait de bonnes raisons pour cela, crut un moment avoir surpris ses manœuvres, et ne parlait de rien moins que de le faire fusiller ; mais il rencontra une résistance énergique dans son conseil, et Fouché sut encore se jouer de lui et dérouter toutes poursuites.

On assure que lorsque l’empereur partit pour la Belgique, le ministre de la police envoya le plan de la campagne à Wellington, mais qu’il s’y prit de manière que son émissaire arrivât trop tard, en lui suscitant des obstacles sur sa route. Cett e duplicité même dans la trahison serait assez bien dans sa manière, car il était surtout préoccupé de se mettre en règle pour toutes les éventualités.

Après Waterloo, il agit avec une habileté diabolique, et sur la Chambre et sur les hommes influents de tous les partis, pour arracher l’abdication de l’empereur. Par suite de ses manœuvres, il ne fut tenu aucun compte de Napoléon II, et la Chambre des représentants. nomma un gouvernement provisoire (23 juin 1815) qui choisit pour président Fouché lui-même. Placé ainsi à la tête de la nation, il était au comble de ses vœux. Dans cette crise effrayante, cet homme singulier éprouvait surtout la jouissance d’être en quelque sorte l’arbitre de la France, et il se jouait avec sang-froid au milieu des mille difficultés du moment. Au centre des intrigues, il était comme dans son élément. Sceptique, sans passion d’idées, sans scrupules, il était d’autant plus à l’aise, qu’il n’avait de parti pris exclusif pour aucune solution, et qu’il se croyait assuré, comme on dit, de retomber toujours sur ses pieds, quelle que fût l’issue de la tragédie.

Il fit d’abord tous ses efforts pour activer le départ de Napoléon ; c’était déjà liquider un péril. Des plénipotentiaires furent envoyés pour traiter de la paix avec les alliés. En même temps, Fouché, toujours prévoyant, expédiait des émissaires à Wellington, à Louis XVIII et au duc d’Orléans. Il se serait volontiers accommodé de ce dernier comme roi, en vue de sauvegarder les intérêts créés par la Révolution, qui étaient les siens ; mais il était en mesure pour le cas d’une nouvelle restauration des Bourbons. Quand il vit que ceux-ci l’emportaient décidément dans les conseils des alliés, il s’arrangea pour exploiter la combinaison. Soupçonné par ses collègues et par la Chambre, car il trompait tout le monde à la fois, il était pressé de brusquer la solution et il se prononça (d’ailleurs avec le conseil de guerre) pour la reddition de Paris. La comédie militaire lui paraissait terminée et il ne croyait pas la résistance possible. En outre, la résistance n’était pas dans son jeu.

On sait ce qui arriva : Paris fut livré, et il n’était guère défendable en effet. Louis XVIII rentra à la suite des alliés, et Fouché, maudit comme un traître par le gouvernement provisoire, par les patriotes, par les bonapartistes, mais imperturbable au milieu de ces clameurs, reprit possession du ministère de la police, par ordonnance du roi.

Pour un régicide, c’était une fin vraiment éclatante, et cette âme toujours tourmentée par les ambitions et les satiétés de la fortune, sans être jamais assouvie, dut éprouver une jouissance suprême de ce couronnement d’une vie d’orages et d’aventure. Peu de temps après, l’ancien terroriste épousa une jeune personne de la vieille aristocratie, Mlle de Castellane. Cela terminait le roman bigarré de son existence.

Sa position dans le gouvernement de Louis XVIII devint de jour en jour plus difficile. Il essaya de jouer le rôle de modérateur, mais n’en fut pas moins obligé de prendre part aux premières mesures de proscription, tout en s’efforçant de diminuer le nombre des victimes. Malgré ces concessions, il ne put garder le pouvoir, surtout après la nomination de la Chambre introuvable (où cependant il avait été élu par deux collèges). Sa démission lui fut demandée (17 septembre 1815) ; mais on colora sa disgrâce en le nommant ambassadeur auprès de la petite cour de Saxe. Il était à son poste lorsqu’il fut compris, par la loi du 6 janvier 1816, dans la mesure de bannissement contre les conventionnels régicides.

Il était décidément au bout de sa carrière. Il vécut depuis à Prague, puis à Lintz, enfin à Trieste, où il mourut de phthisie le 25 décembre 1820. Il n’avait que cinquante-sept ans.

Comme homme privé, Fouché avait laissé les meilleurs souvenirs : ami sûr et dévoué, bon père de famille, charitable et bienveillant, il a fait encore plus d’ingrats qu’il ne s’est suscité d’ennemis. Ses principaux écrits politiques sont deux Rapports au roi, des Notes aux ministres étrangers (1815) et une Lettre au duc de Wellington. Les Mémoires publiés sous son nom en 1824 (2 vol. in-8o) ont été judiciairement déclarés apocryphes ; mais nous savons de source certaine que le rédacteur, Alphonse de Beauchamp, a travaillé sur des documents authentiques et sur des notes autographes.

Nous allons donner ici l’opinion fort juste formulée par Lamartine sur cet homme célèbre :

« Génie plus brouillon que pervers, mais véritable génie de l’intrigue, poursuivant sa trame à travers des révolutions si diverses ; terroriste d’attitude et de langage plus que de cœur et de main sous la Convention, suspect à Robespierre, menacé quelques jours avant le triomphe de la modération, reniant, un des premiers, la Révolution aussitôt qu’elle décroît, et s’offrant à Bonaparte comme un médiateur nécessaire entre le jacobinisme et lui ; se servant de la puissance sous l’Empire pour se faire, par l’indulgence, des amis des royalistes et des républicains, cherchant à modérer le despotisme de Napoléon pour le faire durer à son profit, l’abandonnant dès qu’il décline pour se faire pardonner des Bourbons, les congédiant d’une main, les ramenant de l’autre après le retour de l’Île d’Elbe, avec une audace et une duplicité qui ne furent jamais égalées ; ne trahissant pas Napoléon, mais le laissant trahir par son génie et par les événements ; se préparant à le congédier de la scène et à l’empêcher d’incendier une troisième fois la France ; dominant en ce moment, par son interposition, une des transitions les plus compliquées et les plus hardies de l’histoire ; sauvant de grands malheurs à son pays, des flots de sang à l’Europe, peut-être le démembrement à la France ; triomphant deux jours et forçant la cour des Bourbons à implorer la main d’un régicide ; dupe ensuite de sa propre habileté et englouti dans son triomphe par la colère des royalistes qu’il avait servis : tel fut Fouché... Acteur consommé sous les deux visages de l’homme de ruse ou de l’homme d’audace, il ne lui manque rien en habileté, peu en bon sens, tout en vertu. Ce mot le définit, mais ce mot le juge. On le regardera éternellement, on l’admirera quelquefois, on ne l’estimera jamais. »

Nous donnons ci-dessous une liste d’écrits à consulter ; plusieurs sont des pamphlets.

— Bibliogr. : Liébaud (du Jura), Quelques mots sur deux ex-ministres [Talleyrand et Fouché] (1815, in-8o) ; Mémoire sur Fouché (de Nantes), maintenant duc d’Otrante, par un Anglais (Paris, 1815, in-8o) ; Sept mois de la vie de Fouché de Nantes [1793-1794] (Paris, 1816, in-12) ; Aus dem leben J. Fouccé, herzogs von Otranto (Leipzig et Altembourg, 1816, in-8o) ; Notice sur le duc d’Otrante (Leipzig, 1816, in-8o : extr. et trad. de l’ouvr. allem. intitulé : Zeitgenossen, c’est-à-dire Nos contemporains célèbres. Cette notice a aussi été publiée à Londres [1816, in-8o] sous le titre de : Précis de la vie publique du duc d’Otrante) ; A sketch of the public live of the duke of Otranto (Londres, Leipzig et Amsterdam, 1816, in-8o) ; Fouché (de Nantes), sa vie privée, politique et morale, depuis son entrée à la Convention jusqu’à ce jour, par Sérieys (Paris, 1816, in-12, portr. ; trad. en holland., Zalt-Bomm, 1820, in-8o, portr. ; réimpr. en 1821, in-12, sous le titre de Vie de Fouché, depuis son entrée à la Convention nationale jusqu’à sa mort, avec son portr.) ; Notice biographique sur le général Carnot et le duc d’Otrante, par Th. Mandar (Paris, 1818, in-4o) ; Mémoires de la vie publique de M. Fouché, duc d’Otrante, contenant sa correspondance avec Napoléon, Murat, le comte d’Artois, le duc de Wellington, le prince Blücher, S. M. Louis XVIII, le comte de Blacas, etc. (Paris, 1819, in-8o) ; Denkwûrdigkeiten aus dem öffentlichen leben J. Fouché, herzogs von Otranto (Gotha, 1819, in-8o) ; le Duc d’Otrante, mémoire écrit à L*** (Lintz), en janvier 1820, par M. F*** (Fouché) (Paris, 1820, in-8o) ; Portefeuille de Fouché, Lettre de Fouché à Napoléon (Paris, 1821, in-8o) ; Mémoires sur la Révolution, matériaux pour servir à la vie publique et privée de Joseph Fouché, dit le duc d’Otrante, recueillis par M. N*"* (Paris, 1821, in-8o) ; Mémoires de J. Fouché, duc d’Otrante, par A. de Beauchamp (Paris, 1824, 2 vol. in-8o ; Bruxelles, 1825,2 vol. in-8o, portr. ; trad. en allem. par G. Dambmann, 1825, 2 vol. in-12) ; Joseph Fouché,... jugé par ses Mémoires (Paris, 1825, in-8o, extr. de l’Aristarque) ; J. Sarrazin, Examen des Mémoires de Fouché, duc d’Otrante (Bruxelles, 1844, in-8o) ; Desmarest, Témoignages historiques ou Quinze ans de la haute police sous Napoléon (Paris, 1833, in-8o) ; Galerie historique des contemporains (Bruxelles, 1817-1820) ; Michaud, Biographie des hommes vivants ; Mahul, Annuaire nécrologique (année 1820, p. 89, avec portr.) ; Rabbe, Boisjolin, etc., Biographie universelle et portraits des contemporains ; P.-A. Vieillard, dans l’Encyclopédie des gens du monde.