Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV, roi de Prusse

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 2p. 798-799).

FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV, roi de Prusse, né le 15 octobre 1795, mort le 1er janvier 1861, régna de 1840 à 1861. Il était fils du roi Frédéric-Guillaume III et de la reine Louise. Son éducation fut extrêmement soignée. Ancillon et Delbrücklui donnèrent des leçons de philosophie et de littérature ; il apprit la guerre sous les généraux Scharnhorst et Knesebeck, l’économie politique avec Savigny, Ritter et Lancezolle, et enfin, avec Rauch et Schnikell, le dessin et la sculpture. Sa vive intelligence recueillait avec avidité toutes les notions qu’on y semait, et, dès l’âge de dix-huit ans, le jeune prince passait pour un des jeunes gens les plus accomplis de la docte Allemagne. Dès 1813, il servit avec distinction dans l’armée prussienne, mais sans grade aucun, son âge ne lui donnant pas droit au commandement. La paix signée, il revint à ses études favorites, et apporta surtout dans la culture des beaux-arts une passion intelligente. Il fit un voyage en France et en Italie, dans le but d’étudier les chefs-d’œuvre de l’art, et les plus célèbres artistes l’escortèrent. À son retour d’Italie, il fut nommé gouverneur général de la Poméranie, et sut, dans ce poste élevé, s’acquérir l’estime et l’affection de toute la province. Aussi, lors de la mort de son père, en 1840, quand il monta sur le trône de Prusse, le pays tressaillit-il d’allégresse, comme si une nouvelle ère allait s’ouvrir pour lui. Il ne démentit pas d’abord ces légitimes espérances, et inaugura son règne en proclamant une amnistie générale pour les délits politiques, rigoureusement punis sous le précédent pouvoir. Il y ajouta une quasi-liberté de la presse, introduisis dans son conseil des libéraux connus et aimés du peuple, tels que Boyen et Eichhorn, donna des chaires de professeurs aux frères Grimm, rappela de l’exil Arndt, « le franc parleur, » et s’acquit, en un mot, les sympathies de tous les chefs libéraux en marchant courageusement dans la voie du progrès.

Le 21 juin 1842, il convoqua toutes les diètes provinciales en une seule assemblée, à Berlin, pour s’y concerter en commun sur les affaires du pays. Les diètes n’avaient auparavant que des pouvoirs excessivement restreints et ne pouvaient se réunir que séparément dans chaque province, tellement le despotisme reculait devant l’expression d’un sentiment général. Frédéric-Guillaume, en les assemblant à Berlin, au cœur de l’État, leur donna un caractère semi-constitutionnel, et le peuple applaudit avec transport. Ce mouvement libéral devait malheureusement trouver dans la reine Élisabeth la résistance la plus redoutable. Sûre de son empire sur le roi, et par conséquent sur les ministres, elle réagit avec violence contre ces mesures, qui diminuaient l’autorité royale. Un à un, les conseillers libéraux tombèrent en disgrâce et furent aussitôt remplacés par des hommes de l’opposition, tels que les professeurs Stahl, Hassenpflug et autres. La reine s’était naturellement appuyée sur le clergé. Les jésuites se glissèrent partout et secondèrent, avec leur habileté habituelle, les vues de leur royale protectrice. La liberté d’enseignement fut considérablement restreinte, et l’orthodoxie ruina complètement le parti libéral. Le roi, entouré de gens à vues étroites qui ne le laissaient plus penser lui-même, était comme pris de vertige entre ces factions intérieures qui se disputaient les lambeaux de son pouvoir. On eut soin de déprécier auprès de lui les ministres en qui il avait le plus de confiance ; on lui fournit même des preuves apocryphes, et, pressé de tous côtés, il donna son adhésion à des mesures illégitimes et presque violentes. Ces tendances rétrogrades exaspérèrent le peuple, trompé dans ses plus chères espérances. Il attendait, depuis 1815, une constitution qui réglât définitivement ses droits, et, leurré continuellement, il résolut de la conquérir. Avant d’en venir aux extrémités, il demanda encore au roi une administration populaire, avec une représentation nationale pour la surveiller. La cour ne jugea pas à propos de répondre, ou plutôt répondit à ces justes réclamations en faisant incarcérer les chefs du parti politique libéral. De sourds murmures se firent entendre dans Berlin, le peuple s’agita. La situation, à l’extérieur, n’était rien moins que paisible. L’Autriche, de concert avec la Prusse et la Russie, s’empara de Cracovie, désormais rayée des États indépendants. Cet acte arbitraire et despotique trouva chez les Polonais prussiens une opiniâtre résistance. Une conspiration organisée contre le roi fut découverte, et le gouvernement réprima, par les mesures les plus énergiques, ces velléités de révolte. On jeta indistinctement dans les prisons innocents et coupables, et l’on crut avoir terminé d’un seul coup une affaire sans importance. Les Prussiens désapprouvaient hautement ces mesures d’un despotisme si dédaigneux. Une autre tentative d’assemblée échoua par les intrigues de la reine et souleva enfin l’indignation générale. La France agitée communiqua jusqu’à Berlin son ébranlement politique. Le peuple se dressa vigoureusement contre la royauté et battit les troupes qu’on lui opposait. On se massacra dans les rues de Berlin depuis le 17 jusqu’au 19 mars ; le canon labourait profondément ces flots du peuple exaspéré, mais le sang qui coulait criait vengeance, et l’émeute rugissait comme un lion blessé. Le roi s’aperçut que ce n’était pas un jeu, et, se dégageant soudain de la tutelle de la reine, il descendit lui-même dans la rue, seul, sans gardes, fraternisa avec le peuple, annonça un changement de ministère, reconnut la légitimité des réclamations, promit une constitution avec responsabilité des ministres, l’unité allemande et la dissolution de la diète de Francfort. À peine rentré, il appelle auprès de lui le comte de Schwerin, d’Auerswald et d’Arnim, pour former un nouveau ministère, et renvoie de Berlin tous les soldats qui avaient essayé de refouler l’émeute. Cette généreuse initiative séduisit le peuple, toujours prompt à pardonner. Seul et sans défense, le roi fut plus respecté qu’il ne l’avait encore été jusque-là. Retiré dans son château, il se montrait de temps en temps, et son apparition était toujours saluée par des applaudissements chaleureux. Une malheureuse circonstance faillit rompre encore une fois ces liens à peine établis. Le peuple avait décidé qu’on enterrerait avec pompe et solennité les corps de deux victimes de la dernière révolution, le docteur Léon Weiss et le Polonais Malinski. Le 22 mars 1848, le cortège se mit en marche et passa sous les fenêtres du roi. La foule, ne le voyant pas sur son balcon, l’appela, prête à se révolter de nouveau devant cette hautaine indifférence. Le roi et la reine parurent, le roi, la tête couverte, la reine, pâle de frayeur et d’indignation, jetant sur la populace des regards courroucés. Ce n’était rien encore : la révolution lui ménageait une autre humiliation. Quelqu’un fit observer que le roi gardait son chapeau, et un murmure s’éleva qui bientôt dégénéra en cris furieux. Le roi se découvrit, et la reine, ne pouvant supporter ce spectacle, s’évanouit sur le balcon. Le cortège victorieux reprit sa route, et Berlin rentra dans le calme. Enfin la Prusse allait donc devenir libérale et constitutionnelle ; le peuple se tranquillisa. Fatal repos, confiance puérile. La réaction releva peu à peu la tête, sourde d’abord, elle osa bientôt davantage. La reine reprit son empire sur le rot, l’aristocratie sa domination dans les conseils. Une chambre de pairs fut créée, et, pour comble d’audace, le ministère Manteuffel vint jeter la terreur dans le peuple par ses oppressions et ses crimes. À Francfort, les choses n’allaient pas mieux qu’à Berlin. Le roi de Prusse fut élu, le 28 mars 1849, empereur d’Allemagne ; mais, sur les conseils de la reine, il refusa ce titre et accueillit fort mal la députation qui venait le lui offrir. Ce fut le signal des catastrophes qui ensanglantèrent l’Allemagne. D’abord, l’assemblée de Francfort fut dissoute et la constitution allemande supprimée par la force militaire. Chassé de Francfort, le parlement se réfugia à Stuttgard, où il ne fut pas plus heureux, et fut définitivement forcé de se dissoudre. Une seconde révolution, à Vienne, protesta contre la tyrannie ; à Bade et en Saxe, la république fut proclamée. Cependant, le roi de Prusse, conseillé par son ministre Radowitz, voulait se délier de l’Autriche et former, avec le nord de l’Allemagne, une espèce de confédération où n’entrerait pas l’Autriche ; seulement, cette dernière serait libre de s’unir avec le reste de l’Allemagne. À ce sujet, il s’entendit avec le roi de Saxe et le roi de Hanovre, et convoqua un parlement à Erfurth. La reine Élisabeth, qui intriguait toujours, était au courant de toutes ces trames politiques et en informait fidèlement la cour autrichienne, qui protesta violemment contre ces projets d’alliance. Le roi demanda donc une entrevue à l’empereur d’Autriche, et les deux souverains conférèrent à Olmütz, le 29 novembre 1850. C’était en pure perte, parce que l’empereur ne voulut accepter aucun arrangement, et dit au roi de Prusse que s’il n’entrait pas dans la vieille confédération germanique telle qu’elle avait existé avant 1848, il lui déclarait immédiatement la guerre. Frédéric-Guillaume fut profondément humilié des paroles altières de l’empereur d’Autriche, mais recula devant une guerre presque fratricide. La reine se chargea de panser la blessure qu’elle avait faite, et l’ancienne confédération germanique fut rétablie. Depuis lors, l’Autriche exerça sur le reste de l’Allemagne une prépondérance incontestée, et ouvrit un système de persécutions politiques qui portèrent l’effroi jusque dans la Prusse. Elles étaient naturellement approuvées par la reine et le ministère Manteuffel. La réaction, maîtresse enfin des listes de proscription, se débarrassa de ceux qui pouvaient s’opposer à sa marche triomphante. Les Prussiens émigrèrent en masse. Reine enfin, de nom et de fait, Élisabeth se livra ouvertement à ses fantaisies politiques. Elle voulait soumettre l’Église à l’orthodoxie et supprimer complètement la liberté de l’enseignement. La loi du 29 juin 1850 n’annonçait pas seulement ces prétentions audacieuses, elle les mettait à exécution. Le rot disparaissait totalement derrière la reine et le ministre. On avait eu bien soin de l’entourer d’amis qui avaient pour mission de tuer cette intelligence déjà obscurcie, et de le rendre complètement incapable d’intervenir dans les affaires publiques. Comme pour tenter un dernier essai, la reine provoqua une nouvelle entrevue de Frédéric-Guillaume avec l’empereur d’Autriche. Quand il revint dans son royaume, après un arrangement insignifiant, le mal était incurable, et, dès les premiers symptômes, on avertit le peuple que son roi était atteint d’aliénation mentale. Un décret royal du 23 octobre 1857 autorisait le prince Guillaume de Prusse, frère du roi, à prendre en main les rênes du gouvernement, avec le titre de régent, pour une période de trois mois. À l’expiration du temps fixé, la régence fut prolongée de trois autres mois, puis de six et enfin indéfiniment. La reine et son ministère conspirèrent contre le nouveau gouvernement ; mais leurs manœuvres échouèrent devant l’aversion du public, et la démocratie commença à reprendre le dessus. Frédéric-Guillaume, atteint au physique et au moral, se retira quelque temps au château de Sans-Souci, près de Potsdam, et mourut le 1er janvier 1861.

Il avait été l’objet de deux tentatives d’assassinat : la première, de la part d’un ancien maire de la ville de Storkow, nomméTscbech ; la seconde, d’un sous-officier appelé Sefeloge. Sous son règne, la monarchie s’agrandit du duché de Hohenzollern, acquis en 1851, et d’un morceau de terrain au bord de la mer du Nord (acquis par le traité du 20 juillet 1853), dans le but d’y établir un port pour la marine prussienne