Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/HÉLÈNE, héroïne de l’Iliade

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 148-149).

HÉLÈNE, héroïne de l’Iliade, qui appartient plus à la légende païenne qu’à l’histoire. Jupiter, épris de Léda, femme de Tyndare, roi de Sparte, se métamorphosa en cygne, afin de la séduire plus facilement, et en eut Hélène, Castor et Pollux (les Dioscures). Hélène était sœur de Clytemnestre. Dès l’enfance, sa beauté merveilleuse lui avait conquis une telle célébrité dans la Grèce, que Thésée, aidé de Pirithoüs, vint l’enlever dans le temple de Diane pendant qu’elle dansait les danses sacrées, l’emmena en Attique, et la laissa grosse entre les mains d’AEthra, sa mère. Délivrée par ses frères, Castor et Pollux, qui la ramenèrent à Sparte, Hélène y accoucha d’une fille dont l’éducation fut confiée à Clytemnestre. C’est cette fille, dite Iphigénie, qui figure dans l’Iphigénie de Racine, sous le nom d’Ériphile. Aussi Clytemnestre, dans la même pièce, dit-elle à Agamemnon pour le détourner de la guerre de Troie :

             Cet objet de tant de jalousie,
Cette Hélène, qui trouble et l’Europe et l’Asie,
Vous semble-t-elle un prix digne de vos exploits ?
Combien nos fronts, pour elle, ont-ils rougi de fois !
Avant qu’un nœud fatal l’unît à votre frère,
Thésée avait osé l’enlever à son père ;
Vous savez, et Calchas mille fois vous l’a dit,
Qu’un hymen clandestin mit ce prince en son lit.
Et qu’il en eut pour gage une jeune princesse
Que sa mère a cachée au reste de la Grèce.

Le rapt de Thésée, loin de ternir la réputation d’Hélène aux yeux des Grecs, ne fit, au contraire, que l’entourer d’un nouveau prestige, et les héros les plus célèbres de la Grèce, tous ceux dont Homère a immortalisé les exploits dans l’Iliade, briguèrent à l’envi sa main : Ulysse, Antiloque, Diomède, Ajax, Philoctète, Patrocle, Idoménée, Ménélas, et bien d’autres encore. Tyndare, voyant sa fille recherchée par un si grand nombre de princes, et craignant de s’attirer le ressentiment de ceux dont les vœux seraient repoussés, suivit le conseil d’Ulysse et fit jurer à tous ces rivaux de se réunir contre quiconque voudrait disputer Hélène à celui qu’elle aurait préféré. Il se détermina alors en faveur de Ménélas. Bientôt Pâris, fils de Priam, roi de Troie, enflammé par les récits qu’on lui faisait de l’incomparable beauté d’Hélène, se rendit à Sparte, pendant une absence de Ménélas, réussit à se faire aimer de sa femme et l’enleva. L’époux outragé somma ses anciens rivaux de tenir leur serment, et c’est alors que, sous la conduite d’Agamemnon, ils entreprirent la guerre de Troie. Après la mort de Pâris, Hélène épousa son frère Déiphobe, qu’elle livra à la fureur des Grecs dans la nuit même où Troie fut prise et saccagée ; elle se fit ainsi pardonner son adultère. Ménélas la reprit, et tous deux revinrent ensemble à Sparte, où elle régna aussi longtemps que vécut Ménélas. Après la mort de ce dernier, elle fut chassée par Mégapenthe et Nicostrate, fils naturels de son époux, et se réfugia à Rhodes, ou l’Argienne Polyxo, femme du roi Tlépolème, la fit étouffer au bain et pendre ensuite à un arbre (de là son surnom de Dendritido).

Selon quelques commentateurs d’Homère, Pâris ne put vaincre la résistance d’Hélène que grâce à Vénus, qui, pour le favoriser, lui donna les traits de Ménélas. Trompée par cette ressemblance, Hélène suivit Pâris, qui ne se fit connaître que lorsqu’il fut en pleine mer. D’après une autre tradition, Hélène n’aurait jamais été à Troie ; Mercure l’aurait enlevée à Pâris et conduite en Égypte, tandis qu’une vaine image, œuvre des dieux, tenait la place d’Hélène dans le palais de Priam. Ménélas fut donc obligé de se rendre en Égypte pour y chercher son épouse et la ramener à Sparte. Beaucoup d’autres traditions, que nous croyons inutile de mentionner ici, ont trouvé crédit chez les poètes.

Hélène était pour les Grecs le type, la personnification de la beauté, et leur imagination s’était plu à lui créer des aventures. Le caractère d’Hélène nous est surtout connu par les poèmes d’Homère et par une tragédie d’Euripide, œuvres où elle revêt une tout autre individualité. Dans Homère, elle est encore moins coupable que malheureuse ; c’est une victime de la fatalité, destinée au déshonneur par sa beauté. Aussi sa faute n’exclut-elle pas les sentiments généreux, l’amour de la patrie et de son époux, jusqu’au remords et au sentiment de son indignité. Une célèbre description d’Homère nous montre avec quelle affection respectueuse parlaient d’elle les vieillards de Troie. « Autourde Priam, de Panthoüs et de Thymétès, de Lampus, de Clytius, d’Icétoon, fils de Mars, Oucalégon et Agénon les plus âgés du peuple, se tenaient sur les portes Scées. Ils s’abstenaient de la guerre à cause de leur vieillesse ; mais, habiles discoureurs, leur voix était pareille à celle des cigales qui, dans la forêt, sur les rameaux des arbres, font entendre leurs doux accords. Tels, les chefs des Troyens se tenaient sur la tour. Mais, dès qu’ils eurent vu Hélène venir vers la tour, aussitôt ils s’adressèrent les uns aux autres ces paroles ailées : « Il est bien juste que les Troyens et les Achéens aux belles cnémides souffrent pendant longtemps des maux sans nombre pour une telle femme. Elle a vraiment le visage d’une déesse immortelle. Que le malheur nous soit réservé, à nous et à nos enfants, pour qu’une femme si belle ne retourne pas dans les vaisseaux. »

Dans d’autres passages, le poète nous montre Hélène méritant l’estime et l’amitié de Priam et d’Hector par la générosité de ses sentiments, par la noblesse de son caractère et surtout par son repentir qu’elle exhale en paroles pleines d’amertume. Suivant Homère, Hélène n’est pas coupable : elle a été victime de sa propre beauté ; elle a été l’instrument aveugle de la colère des dieux contre Troie. Cette tradition revêtit par la suite un caractère religieux. Manquer de respect envers la mémoire de l’héroïne devint un sacrilège. Le poète Stésichore, ayant parlé d’Hélène avec irrévérence dans un de ses poèmes, fut, dit-on, frappé de cécité ; mais, comme il se repentit aussitôt et répara sa faute dans une Palinodie, la déesse lui pardonna et lui rendit la vue. Plus tard, deux rhéteurs célèbres, Gorgias et Isocrate, rivalisèrent d’éloquence pour faire l’éloge d’Hélène ; le premier s’attacha à prouver qu’elle était innocente, qu’elle avait été enlevée de force par Pâris ; le second, plus habile et surtout plus artiste, lui fit une vertu de sa beauté : « Elle était belle, dit-il, entre toutes les femmes. Et la beauté n’est-elle pas ce qu’il y a sur la terre de plus auguste, de plus précieux, de plus divin ? » Euripide, Théocrite et d’autres poètes grecs ont parlé d’Hélène avec le même enthousiasme respectueux. Les Latins, moins sensibles à la beauté, n’ont guère vu en elle qu’une femme dévergondée. « La renommée de l’héroïne d’Homère n’est pas morte avec l’antiquité, a dit M. Chassang, dans une très-intéressante étude sur Hélène dans la poésie et dans l’art (le Spiritualisme et l’idéal, etc., 1868). Son éclat rayonne encore dans les temps modernes pour tous les poètes qui ont la prétention de conserver le culte de la beauté antique. » Gœthe, pour n’en citer qu’un, a accordé un rôle important à Hélène dans son Faust ; il en a fait une sorte de personnification de l’idéal classique.

Le plus souvent, néanmoins, dans la littérature moderne, plus sceptique, plus railleuse que celle des anciens, le nom d’Hélène est devenu synonyme de beauté séduisante, qui fascine et attire les vœux d’un grand nombre de prétendants. Les poètes l’emploient souvent, mais dans le style badin et par ironie :

L’enfant pleura, cria, fit tel sabbat,
Qu’on aurait dit une Hélène enlevée.
                         Vitalis.

Ils le font même servir figurément à désigner des femelles d’animaux :

Plus d’une Hélène au beau plumage
  Fut le prix du vainqueur.
                   La Fontaine.

Une Hélène a soufflé cette ardeur meurtrière ;
Plus d’un héros (il s’agit de coqs) pour elle a mordu la poussière.
                L. Racine.

Mais c’est surtout en prose que les écrivains se sont plu à faire intervenir Hélène et Ménélas chaque fois que leur sujet s’y prêtait, et malheureusement l’occasion s’est présentée trop souvent à leur malice. Hélène est devenue le type de la femme belle, d’une beauté irrésistible, mais légère et volage ; Ménélas, beaucoup moins bien partagé encore, est devenu, en quelque sorte, le patron de tous ceux qui voient leurs inconstantes moitiés regarder leurs serments conjugaux comme des billets souscrits à La Châtre, et se lancer dans les expéditions aventureuses avec un autre Pâris ; bref, on peut considérer le nom de Ménélas, comme un synonyme de cocu, pour peu que l’enlèvement figure dans l’affaire. Au reste, les exemples suivants indiqueront suffisamment dans quelle mesure se font ces sortes d’allusions, dont une mère prudente ne permettra jamais la lecture à sa fille :

« Les rapports entre Buckingham et lady Shrewsbury étaient devenus publics. Le pauvre Shrewsbury, trop honnête homme pour s’en plaindre à madame, voulut pourtant satisfaire son honneur. Il fit appeler le duc de Buckingham ; et le duc de Buckingham, pour réparation d’honneur, l’ayant tué, demeura
paisible possesseur de cette fameuse Hélène. Cela choqua d’abord le public ; mais le public s’accoutume à tout, et le temps sait apprivoiser la bienséance et même la morale. »
               Hamilton.

« La dame fut prise à Viterbe, lors de la
retraite des Français, et reprise avec la
place. Il y a dans son histoire quelque chose
de celle d’Hélène ; peut-être dans sa personne ;
mais plus sûrement dans le rôle que joue son
mari, qui est un plaisant Ménélas, court,
lourd et sourd, d’ailleurs ébloui, on peut
même dire aveuglé par les charmes de la
princesse. »
               P.-L. Courier.

« Le Français est l’Athénien d’aujourd’hui. Seulement, la France a été mieux dotée que la Grèce sous le rapport de la femme. Phidias et Praxitèle eussent taillé dix Vénus, dix Minerves et dix Dianes dans une seule Velléda. Si la Grèce a fait tant de bruit de l’enlèvement de sa belle Hélène, c’est la preuve sans réplique qu’elle n’avait que celle-là. Il se passe peu de jours en France sans qu’un Ménélas ou deux ne perdent leur Hélène ; le peuple ne s’en émeut pas, sachant qu’il en a de rechange. »
               Toussenel.

« Dans le bourg de Tangen vivait une
brillante colonie de cigognes. Or, l’adultère
entra dans un des ménages de la tribu ailée,
et le Ménélas outragé tira de son Hélène une
vengeance éclatante. L’infidèle choisissait
d’ordinaire, pour se livrer à ses honteux
écarts, le moment où son époux s’absentait
du domicile conjugal pour aller chercher de
la nourriture à ses petits ; mais il erriva qu’un
jour celui-ci revint au logis un peu plus tôt
qu’on ne l’attendait, et avant que sa coupable
moitié eût eu le temps de réparer le désordre
de sa toilette. »
              Toussenel.

« Je ne succombai point encore sous le poids
de ce nouveau malheur, et, plus sage que
Ménélas, au lieu de m’armer contre le Pâris »

qui m’avait soufflé mon Hélène, je lui sus bon
gré de m’en avoir défait. »
               Le Sage.

« Dans les derniers journaux qui venaient de nous arriver, parmi plusieurs traits ou jeux de mois bienveillants, il se trouvait, en plusieurs langues, que Pâris ne serait heureux que quand ou lui aurait rendu son Hélène : c’étaient quelques gouttes de miel dans notre coupe d’absinthe. »
               Comte de Las-Cases.

« Cependant, depuis plusieurs semaines, les deux fugitifs vivaient dans Londres, la ville du monde où l’on se cache le mieux, quand un ordre télégraphique émané du mari la ramena
instantanément à Paris.

« À peine informé de l’arrivée des deux coupables, M. de... se rendit chez son rival. Là une entrevue eut lieu entre Pâris et celui qu’il faut bien se résigner à appeler Ménélas. Vêtue de longs habits de deuil, la belle et trop légère Hélène assista en tiers à l’entrevue. »
               Albéric Second.

« Je serais envieux de savoir auquel des deux champions restera, en définitive, cette belle Hélène, et qui l’emportera du Ménélas industriel ou du Pâris en robe noire... Sur mon âme, c’est Pâris, reprit tout à coup le
vicomte, qui aperçut dans la rue M. de La Rochette,
marchant fort vite, rasant les maisons, et donnant le bras à un petit jeune homme dont la jolie figure sembla produire
sur le fumeur une impression peu agréable. »
               Ch. de Bernard.

— Iconogr. Homère n’a dépeint la beauté d’Hélène que par quelques-unes de ces épithètes qu’il accorde également à ses autres héroïnes, et qui rappellent leurs « belles joues, » leurs « belles chevelures », leurs « beaux bras. » Les seuls renseignements que nous possédions sur les traits distinctifs d’Hélène nous sont fournis par des écrivains de l’époque byzantine. Le faux Darès prétend qu’elle avait la bouche petite et un signe entre les deux sourcils. Le moine Constantin Manassès ne parle pas de ce signe ; mais, parmi les avantages qu’il attribue à Hélène, et qu’il énumère avec une foule d’épithètes emphatiques, il a soin de compter la beauté de ses sourcils. Cette beauté particulière est signalée également par Cédrénas, qui ajoute qu’Hélène avait les cheveux bouclés et d’un blond ardent.

Les auteurs anciens ne mentionnent qu’un très-petit nombre d’images d’Hélène. La plus célèbre fut peinte par Zeuxis, à qui les habitants de Crotone accordèrent, par décret, la permission de prendre pour modèles les cinq plus belles d’entre leurs vierges. Cicéron, qui rapporte le fait, ajoute que les noms de ces jeunes filles furent transmis à la postérité par les poëtes. Elien nous apprend qu’avant de livrer son tableau aux Crotoniates, Zeuxis l’exposa quelque temps en un lieu où nul ne fut admis sans payer un droit d’entrée : de là le nom d’Hélène courtisane, que les rivaux de l’artiste donnèrent à cette image. C’était, d’ailleurs, une œuvre vraiment accomplie. Le peintre Nicostrate, saisi d’admiration en la voyant, demanda à Zeuxis comment il s’y était pris pour créer une pareille merveille. « Tu ne me ferais pas cette question si tu avais mes yeux, répondit fièrement l’artiste ; aies-en de pareils, et tu seras capable de peindre une déesse. »

One autre image d’Hélène, peinte par Eumelos, artiste grec établi à Rome, fut jugée digne d’être exposée au Forum, d’après ce que nous apprend Philostrate.

Quant aux compositions peintes, sculptées ou gravées, anciennes et modernes, dans lesquelles Hélène joue un rôle plus ou moins important, elles sont trop nombreuses pour que nous ayons la prétention de les citer toutes. Il nous suffira de signaler les plus célèbres.

Dans la peinture de la Prise de Troie, dont Polygnote décora la Leschè des Cnidiens, à Delphes, on remarquait Hélène, qui, reconquise par son époux, était assise sur la plage, à peu de distance des navires grecs prêts à faire voile pour la patrie. Toujours jeune et toujours belle, elle s’abandonnait nonchalamment aux soins de ses esclaves occupées à la parer. Briséis et les autres captives troyennes la contemplaient avec admiration, et AEthra, la mère de Thésée, que les Troyens avaient réduite depuis longtemps en esclavage, invoquait son témoignage pour se faire reconnaître de Démophon, son petit-fils. Ainsi, pour Polygnote comme pour Homère, Hélène n’avait rien perdu de son prestige.

Un des bas-reliefs qui ornaient le fameux coffre consacré à Olympie par Cypsèlas représentait Ménélas se précipitant sur Hélène, le glaive à la main, mais aussitôt désarmé par un regard de l’infidèle (Pausanias, V, ch. XVIII). C’est une scène qu’on retrouve souvent sur les vases peints, et que nous représente un miroir conservé au British Museum : on y voit l’épée s’échapper des mains de Ménélas, et Aphrodite intercéder pour Hélène. Réfugiée au pied d’un autel, la belle Lacédémonienne a l’air de compter sur la puissance de ses charmes au moins autant que sur celle de la divinité qu’elle implore. Un bas-relief en terre cuite, un des plus beaux, sans contredit, de la galerie Campana, la représente ramenée à Sparte sur un char attelé de quatre chevaux rapides. Rien n’égale la noblesse de son attitude, la fermeté avec laquelle elle tient elle-même les rênes, et cet air confiant qui montre assez combien elle est sûre du cœur de son époux.

Les amours d’Hélène et de Pâris ont bien souvent tenté les artistes. Parmi les nombreuses représentations qui nous en restent, nous citerons une peinture des Thermes de Titus, où l’on voit Hélène assise, et, vis-à-vis d’elle, Pâris prenant une flèche des mains d’Éros, placé entre les deux amants. Un remarquable bas-relief, qui a été plusieurs fois publié, notamment par Winckelmann (Monuments antiques inédits, n° 115), offre une allégorie des plus ingénieuses : près d’un stèle, surmonté d’une statue de la Persuasion, est assise Hélène, fort jeune et d’apparence délicate, à côté d’Aphrodite, qui la domine de toute la tête et lui a passé les bras autour du cou, montrant ainsi, avec sa tendresse, son désir de gouverner le cœur de sa protégée. En face d’elle s’avance Pâris, conduit et encouragé par Éros, tandis que, de l’autre côté, trois Muses s’apprêtent à célébrer l’hyménée, « L’idée de ce bas-relief, dit M. Chassang, est ingénieuse, et l’exécution en est parfaite ; on y admire surtout l’attitude décente et pensive d’Hélène, qui ramène à elle un pan de sa robe, et dont les yeux baissés trahissent une lutte intérieure. »

La scène de l’Enlèvement d’Hélène a inspiré une foule d’artistes, tant anciens que modernes. Aux compositions que nous avons décrites au mot enlèvement, il faut ajouter un tableau d’Andréa Schiavone, qui est au musée de Turin, et une estampe de N-F. Bertrand, d’après Cl.-A. Fleury. Un admirable dessin de Prud’hon, qui a été gravé, représente Hélène et Pâris réconciliés par Vénus : Hélène, fièrement drapée dans les grands plis de ses voiles, rejette avec mépris les molles caresses de Pâris, qui la convie au plaisir ; mais Vénus, ironique, presque menaçante, la pousse des deux mains vers le lit adultère, comme dans un piège tendu par les dieux.

Un statuaire moderne, M. Clésinger, a fait d’Hélène une statue en marbre qui, sans s’élever à la beauté supérieure du type antique, ne manque cependant pas de noblesse et de fierté. « C’est une Hélène, a dit T. Gautier, du marbre le plus pur, du travail le plus fin et le plus exquis, qu’on pourrait prendre, tant elle est belle, pour un portrait fait d’après nature par un artiste grec, si du temps de la guerre de Troie la sculpture eût atteint cette perfection. C’est bien là cette majestueuse et noble Tyndaride, la blanche fille du cygne, devant qui les vieillards assis aux portes Scées se levaient quand elle passait. Ses draperies voilent son beau corps sans le cacher ; sa main distraite joue avec tes grains de son collier de perles, et sa tête s’incline légèrement. Elle rêve. À qui ? À Pâris, sans doute ; à Ménélas, peut-être, car Homère nous peint Hélène vertueuse, et subissant, comme à regret, de fatales amours. » Cette statue a figuré dans la galerie de Khalil-Bey.

Hélène (éloge d’), par le sophiste Gorgias. C’est un petit discours du célèbre rhéteur. Après avoir parlé de la naissance d’Hélène, et de sa beauté céleste, qui la fit rechercher par une foule de rivaux, il expose les causes qui ont pu la conduire à Troie, et entreprend de démontrer qu’elle n’est pas coupable, quelque supposition qu’on fasse : 1° si on admet un ordre des dieux et un décret de la nécessité, la chose est évidente ; 2" si on dit qu’elle a été enlevée de vive force, il est encore certain qu’elle est innocente ; 3° si on prétend qu’elle a cédé à la persuasion, il est facile de la justifier ; 4° enfin, elle n’est pas coupable si l’amour seul lui a dicté sa conduite. Des lieux communs et des raisons sophistiques tendent à démontrer que la puissance de la parole est une violence tyrannique, et que l’impression subie par les sens force notre volonté. Une récapitulation des quatre motifs qui ont pu conduire à Troie cette femme célèbre termine le discours.

Hélène (éloge d’), par Isocrate, composition du genre de la précédente, dont elle offre une sorte de réfutation. Isocrate, prétendant que Gorgias avait fait plutôt une apologie d’Hélène qu’un éloge, nuance délicate, « car, dit-il, on fait l’apologie d’un coupable, et l’éloge de ceux qui ont mérité d’être loués, » relit, à ce point de vue nouveau, l’œuvre de son maître. Son Éloge, écrit d’un style fin et délicat, composé avec toutes les ressources de l’art oratoire et de la dialectique, est un modèle de l’éloquence fleurie. Il nous occuperait peu, cependant, si Paul-Louis Courier n’en avait fait une de ces savantes traductions par lesquelles il essayait de transporter dans notre langue la pureté et la correction du style attique (1803, broch. in-8°).

Hélène, tragédie d’Euripide, représentée l’an 412 avant J.-C. Le fond de cette pièce est en désaccord avec la vérité historique. Pour expliquer la guerre de Troie et la croyance générale que le rapt d’Hélène par Pâris en avait été la cause, Euripide suppose que Junon, irritée contre le berger troyen, au lieu de lui livrer Hélène, n’avait mis entre ses bras qu’un fantôme vivant et aérien, formé à la ressemblance de la belle Lacédémonienne. Grecs et Troyens avaient été, comme Pâris, déçus par cette vaine apparence.

Dans l’hypothèse adoptée par Euripide, Hélène aurait été enlevée dans les airs par Mercure et enveloppée d’un nuage, puis transportée dans le palais du sage Protée, roi de Pharos, en Égypte, afin que Ménélas pût l’y retrouver chaste et fidèle. C’est par la bouche même d’Hélène que le poète nous met, dès le début de la pièce, au courant de ces événements. Tout à coup Protée meurt ; son fils et successeur, Théoclymène, se dispose à épouser Hélène, et ordonne des préparatifs magnifiques pour la cérémonie nuptiale. Sur ces entrefaites, survient Ménélas, jeté par la tempête dans l’Île de Pharos. La reconnaissance et la réunion des deux époux forment le sujet de la pièce ; les obstacles qu’oppose à leur départ l’amour de Théoclymène en constituent le nœud. Le dénoûment est dû à l’intervention des Dioscures, qui déclarent au roi d’Égypte qu’il serait insensé et impie de s’opposer à la volonté du Destin, qui a décidé qu’Hélène n’appartiendrait qu’à son époux. Ce changement apporté au mythe d’Hélène n’appartient pas en propre à Euripide ; il ne l’obtient qu’en exhumant et en accommodant arbitrairement à son but une légende mise en circulation par le poète Stésichore, cité par Platon au neuvième livre de sa République. Stésichore avait représenté le fantôme d’Hélène suivant Pâris à Troie. On ne saurait évidemment supposer qu’Euripide ait pris cette idée au sérieux, et qu’il ait considéré cette forme de tradition fabuleuse comme vraie et authentique. Il ne s’en sert que pour les besoins de son invention tragique. Le sujet d’Hélène roule tout entier sur la délivrance de l’héroïne en Égypte, où Théoclymène veut la forcer violemment à l’épouser, délivrance qui s’opère uniquement par l’habileté des desseins d’Hélène elle-même, que Ménélas ne fait qu’exécuter. Elle est la tête, il est le bras. « Le pays et le peuple d’Égypte, remarque Ottfried Müller, étrangement grécisés, if faut le dire, sous presque tous les rapports, fournissent un fonds intéressant à l’imagination. Théonoé, une sœur du roi, vierge prophétique, instruite par le Destin, pure comme une prêtresse, et pourtant pleine d’une compassion tout humaine, Théonoé, qui veille sur les projets de l’époux comme une divinité protectrice, est certainement une belle et grande invention du poète. »

Tel qu’Euripide le traite dans cette pièce, le mythe d’Hélène offre une grande ressemblance avec l’action d'Iphigénie en Tauride. Le côté saisissant de cette tragédie, c’est qu’elle sort entièrement des habitudes du poète. On sait que ses attaques contre le sexe féminin lui avaient valu le surnom d’Ennemi des femmes ; dans l’Hélène, il semble faire amende honorable, en leur donnant le beau rôle.

Le style de l’Hélène est élégant, harmonieux, coulant et flexible. Malheureusement, les personnages discutent, disons le mot, avocassent trop souvent et oublient, dans le plaisir d’étaler leur faconde, qu’ils sont là pour autre chose qu’un assaut d’éloquence ; ils ont le tort de parler plus qu’ils n’agissent, défaut capital à la scène.

Hélène (l’enlèvement d’), tableaux de Raphaël, du Guide, de Cl. Lorrain, etc. V. enlèvement.