Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LANJUINAIS (Jean-Denis, comte), homme politique et publiciste français

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 164).

LANJUINAIS (Jean-Denis, comte), homme politique et publiciste français, né à Rennes en 1753, mort à Paris en 1827. Fils d’un avocat et nourri d’études sérieuses, il figura avec éclat au barreau de Rennes et obtint au concours, en 1775, une chaire de droit ecclésiastique. Il était fort savant en ces matières et il composa, à cette époque, deux traités latins, l’un sur la législation canonique consacrée en France, l’autre sur le droit canon d’après les Décrétales, ouvrages restés manuscrits.

En 1789, il fut nommé député du tiers état de Rennes aux états généraux. Précédemment, il avait publié quelques brochures politiques, dans lesquelles il se montrait partisan des idées nouvelles et des réformes. Mais ses idées n’allaient guère au delà d’un constitutionnalisme à la manière anglaise, et c’est cette conception politique dont il poursuivit la réalisation pendant tout le cours de sa carrière. Toutefois, il se prononçait avec énergie contre la noblesse, qu’il déclarait un corps parasite, inutile, et, le plus souvent, nuisible à la société, et réclamait la suppression de tous les droits et privilèges féodaux. Il fut le principal rédacteur des cahiers de la sénéchaussée de Rennes, remarquables par la hardiesse et la profondeur des vues.

Aux états généraux, Lanjuinais prit place parmi les partisans des grandes réformes et des principes qui formèrent la base des institutions nouvelles. Il contribua, avec la députation de Bretagne, à la fondation du club Breton, qui devint, dans la suite, la fameuse société des jacobins. Dès le 27 juin, il s’éleva contre les vieilles et impertinentes formules : je veux, j’ordonne, dont le roi s’était servi dans sa déclaration de la fameuse séance royale du 23 juin. Il fut nommé membre du comité ecclésiastique. C’était un chrétien convaincu, mais janséniste et gallican, comme Camus et Grégoire, toutefois sans admettre toutes les opinions théologiques de Jansenius. Le 10 août, il prétendit établir que la dîme était de droit divin et qu’elle devait au moins être rachetée. Il se prononça vivement aussi contre la saisie des biens du clergé. Mais il combattit le système anglais des deux Chambres, quoiqu’il appartînt à peu près à l’école constitutionnelle qui l’admettait. Le 26 octobre, il dénonça la noblesse de Bretagne, du Dauphiné et du Languedoc, comme ayant pris des arrêtés contraires à la liberté. Le 6 novembre, il fit rejeter la motion de Mirabeau tendant à donner aux ministres voix consultative dans l’Assemblée. Le lendemain, l’exclusion fut complétée par l’interdiction des fonctions de ministre aux députés.

Le 16 juin 1790, Lanjuinais demanda l’abolition de tous les titres, se déclara (11 mai 1791) en faveur des gens de couleur et sollicita leur admission aux droits de citoyen actif. Enfin, le 13 août, il témoigna son étonnement de ce qu’on laissait encore le titre de prince aux membres de la famille régnante, et il s’opposa à ce que le roi et le dauphin portassent désormais le cordon des ordres supprimés. Dans l’intervalle, il avait appuyé les mesures prises contre les parlements et la plupart des grandes réformes, contribué à un grand nombre de décrets sur les matières ecclésiastiques, les pensions et le traitement du clergé ; enfin, il avait pris la part la plus importante à la constitution civile du clergé. Dans l’esprit des jansénistes austères, qui furent les auteurs principaux de cette organisation, cette réforme avait pour but la noble illusion de ramener le christianisme à sa pureté primitive. Une réforme bien importante à laquelle son nom est attaché (car ce fut lui qui présenta le projet primitif) fut le règlement qui enlevait au clergé et donnait aux municipalités la rédaction et la conservation des actes de l’état civil.

Envoyé à la Convention nationale par le département d’Ille-et-Vilaine, il n’était plus, dès lors, au niveau des circonstances et des idées, et il se rejeta dans un modérantisme qui eut souvent les caractères de la réaction. Énergique, mais opiniâtre et agressif, il fut du petit nombre des conventionnels dont l’opposition procédait surtout du regret de la monarchie.

Il appuya le projet girondin de donner à l’Assemblée une sorte de maison militaire, une garde départementale, s’unit à Louvet et à Barbaroux contre Robespierre, appuya la motion faite par Buzot d’exiler la famille d’Orléans (de sa part, c’était encore un vote de rancune royaliste), et parla, à plusieurs reprises, avec la plus courageuse véhémence contre l’acte d’accusation du roi, contre le droit de l’Assemblée de le juger, contre les formes employées, etc. Cependant, à l’appel nominal du 15 janvier 1793, il prononça que l’ex-roi était coupable ; mais c’était la seule espérance qu’il y eût de lui sauver au moins la vie. Il vota ensuite la réclusion et le bannissement à la paix.

Le 8 février, il appuya le décret qui ordonnait la poursuite des massacres de septembre, combattit en mars l’établissement d’un tribunal révolutionnaire, poursuivit de ses attaques la Commune de Paris et la Montagne, et soutint les plus terribles luttes contre Chabot, Drouet, Legendre, etc. L’irascible Breton, tête de fer et cœur de lion, fut enveloppé dans la chute des girondins, bien qu’à proprement parler il n’appartînt pas à ce parti, car il n’était rien moins que républicain. Dès les journées du 31 mai au 2 juin, quand le peuple soulevé demandait la proscription de vingt-deux députés girondins, Lanjuinais déploya la plus indomptable énergie, se cramponnant à la tribune et faisant tête à tous ses ennemis à la fois. Legendre menaçant de le jeter à bas, il lui cria, faisant allusion à sa profession de boucher : « Fais décréter que je suis bœuf, et tu m’assommeras ! »

Compris dans la liste des représentants qui devaient être gardés à vue chez eux, il parvint à tromper la surveillance de son gendarme et s’échappa avec l’aide du marquis de Châteaugiron et de l’abbé Baron. Il demeura dix-huit mois caché à Rennes, sollicita, en novembre 1794, sa réinstallation, mais ne fut rappelé dans le sein de l’Assemblée que le 8 mars 1795. Il reprit avec la même ardeur sa lutte acharnée contre les jacobins et les débris de la Montagne, parla souvent en faveur des prêtres déportés et des parents d’émigrés, et fut un des rédacteurs de la constitution de l’an III. Quoique engagé fort avant dans la réaction, il s’opposa cependant, mais inutilement, au renvoi devant une commission militaire de Goujon, Romme et autres victimes du mouvement du 1er prairial.

Appelé au conseil des Anciens, où il siégea sans grand éclat jusqu’en mai 1797, il occupa ensuite une chaire de législation à l’école centrale de Rennes, puis enseigna la grammaire générale. Pensant que la république ne devait employer que des moyens légaux, il désapprouva la révolution du 12 fructidor. Après le coup d’État du 18 brumaire, Lanjuinais fut présenté par le Corps législatif pour faire partie du Sénat, et fut élu membre de ce corps le 22 mars 1800. Il s’opposa aux proscriptions qui eurent lieu après le complot de la machine infernale, vota contre le consulat à vie (1802), puis contre l’Empire (1804). Lorsque la France eut accepté la tyrannie de Bonaparte, Lanjuinais se condamna au silence, et forma, avec Grégoire et quelques autres, cette petite opposition discrète et silencieuse qui ne laissait pas, néanmoins, que d’inquiéter et d’irriter le despote. Toutefois, il reçut, comme sénateur, le titre de comte de l’Empire (1808). Il fut, sous le Consulat, un des fondateurs d’une Académie libre de législation, où il occupa une chaire de droit romain, et qui disparut lors de la création des Écoles de droit en 1804. Lanjuinais s’occupa alors de l’étude des théogonies orientales, d’archéologie et d’histoire, et devint membre de l’Institut en 1808. En 1814, il se joignit à Grégoire et à quelques autres sénateurs pour demander et voter la déchéance de l’Empire. Louis XVIII, en revenant à Paris, le nomma pair de France (4 juin 1814). Lanjuinais se prononça, dans cette assemblée, contre la loi de censure, contre l’indemnité réclamée pour les émigrés. Au retour de Napoléon, il se retira à la campagne et refusa de prêter serment. Élu membre de la Chambre des représentants pendant les Cent-Jours et nommé président de cette assemblée, il fut accepté, non sans peine, par Napoléon, qui redoutait ce choix, ne joua qu’un rôle passif et reprit son siège à la Chambre haute après la Seconde Restauration. Comme plusieurs des hommes qui avaient gardé le silence, courbés sous le despotisme de l’Empire, il racheta en partie ses défaillances en revenant, dans une certaine mesure, à ses idées libérales et constitutionnelles. Il combattit avec chaleur le parti ultra-royaliste, les lois d’exception, défendit la liberté individuelle, se prononça contre la mise en accusation de Ney, contre la restitution au clergé de ses biens non vendus, contre le rétablissement des cours prévôtales, demanda le rappel des proscrits, le payement des pensions de Grégoire, de Monge, etc., attaqua, à la Chambre des pairs et dans la presse, les projets de loi restrictifs de la liberté individuelle, s’opposa à ceux qui tendaient à faire revivre les anciens concordats, à rétablir les tribunaux ecclésiastiques, à multiplier les couvents, à encourager les prétentions du pape, etc. En même temps, Lanjuinais attaquait les jésuites, demandait la liberté de discussion en matière de religion, combattait la loi sur la presse de 1822, la loi du sacrilège (1825), au sujet de laquelle il disait : « Tout révolte les esprits et les cœurs dans ce projet de rouvrir les charniers de l’intolérance. » Peu de jours avant sa mort, il se prononçait énergiquement contre le droit d’aînesse et les substitutions. En un mot, Lanjuinais attaqua généralement les mesures de réaction et les lois exceptionnelles ; mais, il faut le dire, avec bien moins d’énergie qu’il n’avait attaqué autrefois les mesures révolutionnaires.

Aussi laborieux que savant, Lanjuinais a considérablement écrit. Il était membre de l’Institut. Outre ses discours, ses rapports, ses opinions, etc., comme membre de nos assemblées, lesquels forment une masse très-considérable, il a publié beaucoup d’écrits politiques, de nombreux travaux sur la législation, les matières ecclésiastiques, sur les langues et les religions de l’Asie, sur les langues et les nations celtiques, quelques études biographiques, etc. Nous citerons, parmi ses écrits : Mémoire sur l’origine, l’imprescriptibilité, les caractères distinctifs des différentes espèces de dîmes (1786, in-8°) ; Réflexions patriotiques sur l’arrêté de quelques nobles de Bretagne du 25 août 1788 (1788, in-12) ; Rapport sur la nécessité de supprimer les dispenses de mariage (1701, in-8°) ; Dernier crime de Lanjuinais aux assemblées primaires sur la constitution de 1793 (1793, in-8°) ; Notice sur l’ouvrage de l’évêque Grégoire, intitulé : De la littérature des nègres (1808, in-8°) ; Christophe Colomb (1809, in-8°) ; De l’initiative des Chambres (1816, in-8°) ; Appréciation du projet de loi relatif aux trois concordats (1817, in-8°) ; Du conseil d’État et de sa compétence (1817, in-8°) ; Notice sur la Dissertation de feu le curé Badère sur l’usure (1817, in-8°) ; Constitution de la nation française (1819, 2 vol. in-8°) ; la Charte, la liste civile et les majorats (1819, in-8°) ; Examen du système de M. Flaugergues, établissant la dictature du roi et des Chambres (1820, in-8°) ; Contre les privilèges de surséance légale au payement des dettes privées (1820, in-8°) ; histoire abrégée de l’inquisition religieuse en France (1821, in-8°) ; Mémoire sur la religion (1821, in-8°) ; De l’organisation municipale en France (1821, in-8°) ; Vues politiques sur les changements à faire à la constitution d’Espagne (1820, in-8°) ; Études biographiques et littéraires sur Ant. Arnauld, P. Nicole, etc. (1823, in-8°) ; Tableau général de l’état politique intérieur de la France depuis 1814 (1824, in-8°) ; la Religion des Indous selon les Védas (1823, in-8°) ; Examen du huitième chapitre du Contrat social de J.-J. Rousseau, intitulé : De la religion civile (1825) ; la Bastonnade et la flagellation pénale (1825, in-8°) ; Contre le rétablissement des péchés de sacrilège dans le code criminel (1825, in-8°) ; Des jésuites en miniature (1826, in-8°), etc. En outre, Lanjuinais collabora à de nombreux recueils et journaux, à la Revue encyclopédique, aux Annales encyclopédiques, aux Mémoires de l’Académie celtique, au Mercure de France, à l’Encyclopédie moderne, aux Annales de grammaire, etc. — Son fils a publié une édition de ses Œuvres complètes (Paris, 1832, 4 vol. in-8°).