Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LEBRUN (Ponce-Denis ÉCOUCHARD-), surnommé Lebrun-Pindare, célèbre poëte

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 292-293).

LEBRUN (Ponce-Denis Écouchard-), surnommé Lebrun-Pindare, célèbre poëte, né à Paris le 11 août 1729, mort dans la même ville le 2 septembre 1807. Ses parents étaient attachés à la maison du prince de Conti. Il fit ses études au collège Mazarin, et s’y distingua par de brillants succès. Des vers qu’il composa étant encore enfant commencèrent à attirer sur lui l’attention. En sortant de la classe de rhétorique, il récita un discours en alexandrins, où l’on devina tous les germes du talent qui éclata plus tard. L’Académie française ayant proposé comme sujet de prix : l’Amour des français pour leurs rois consacré par les monuments publics, Lebrun concourut et ne remporta point la palme, bien que sa pièce valût, à beaucoup d’égards, celles qui avaient été écrites par des concurrents plus heureux. Louis Racine, qui entendit le morceau, s’en montra charmé. Il voulut voir Lebrun, et le mit en relation avec son jeune fils, qui avait alors un goût très-vif pour la littérature. Les deux jeunes gens se lièrent intimement. Mais quelque temps après, le petit-fils du grand Racine, ayant quitté les lettres pour le commerce, partit pour l’Espagne et périt près de Cadix, lors du tremblement de terre qui renversa Lisbonne. Cette mort causa la plus vive douleur à Lebrun, qui composa sur ce triste sujet deux odes, dont l’une surtout, la seconde, est particulièrement touchante. Au départ, Lebrun avait déjà adressé au fils de Louis Racine de touchants adieux, dans lesquels il imitait Horace, en l’égalant dans plus d’un endroit :

Quoi, tu fuis les neuf Sœurs pour l’aveugle Fortune,
Tu quittes l’amitié qui pleure en t’embrassant !
Tu cours aux bords lointains où Cadix voit Neptune
              L’enrichir en le menaçant.
Sur les flots où tu suis ta déesse volage,
Puissent de longs regrets ne point troubler ton cours !
Les Muses, l’amitié, ces délices du sage,
              N’ont point d’infidèles retours.

Son dithyrambe sur le désastre de Lisbonne (1755) est composé sur un rhythme plus rapide. Quant à son ode à M. de Buffon, elle a, selon nous, un défaut capital : celui de rappeler la pièce de Le franc de Pompignan, sans arriver à la même grandeur d’impression. On y rencontre les mêmes comparaisons, les mêmes images : l’astre qui verse des torrents de lumière sur d’obscurs blasphémateurs. Toute cette pompe poétique, si sonore et si grandiose qu’elle soit, n’est en somme qu’un pastiche. Quoi qu’il en soit, cette pièce accrut sensiblement la réputation de Lebrun. À cette époque, le poëte remplissait auprès du prince de Conti le poste de secrétaire des commandements, ce qui le mettait à l’abri du besoin et lui permettait de se livrer à ses travaux poétiques. Une circonstance heureuse vint, en 1760, le mettre tout à fait en relief. Dans une pièce de vers, il fit appel à la générosité de Voltaire en faveur de la jeune et malheureuse héritière du nom de Corneille, réduite à vivre des aumônes de la Comédie-Française. Voltaire s’empressa de lui répondre, prit sous sa protection la petite nièce de l’auteur du Cid, se chargea de son éducation et la maria. Cet acte de générosité, auquel le nom de Lebrun était associé, fit grand bruit. Fréron s’empressa, avec son aménité habituelle, de railler à la fois Voltaire et le jeune poète. Celui-ci, furieux, écrivit alors, selon les uns, ou fit composer par son frère, selon d’autres, contre l’atrabilaire critique, deux violents pamphlets, intitulés : l’Âne littéraire et la Wasprie, et ce fut à partir de ce moment qu’il commença à écrire de petites pièces satiriques, pleines de verve et d’esprit mordant.

À cette époque, Lebrun venait de se marier avec une jeune fille spirituelle, quelque peu poète, Marie-Anne de Surcourt (1759). Il avait conçu pour elle une passion ardente et l’avait célébrée dans ses vers sous le nom de Fanny. Mais cette union, qui devait durer quatorze ans, fut loin d’être heureuse. La jeune femme était pleine de caprices ; Lebrun était violent jusqu’à la brutalité, et on a été jusqu’à dire qu’il avait vendu Fanny au prince de Conti. Quoi qu’il en soit, leur vie en commun devint tellement intolérable que Mme Lebrun quitta son mari et se réfugia, en 1774, chez sa belle-mère, d’où elle forma une demande en séparation.

Alors parurent des mémoires livrés à la publicité, et dans lesquels les deux époux se calomniaient, se diffamaient de la façon la plus honteuse. Le procès fut porté devant les tribunaux, et l’avocat Hardouin de La Reynie y défendit Lebrun. Une circonstance déplorable nuisit à sa cause : sa mère et sa sœur déposèrent contre lui et l’accusèrent de s’être montré jaloux et emporté. La séparation fut prononcée, en 1781, par arrêt du parlement de Paris, et les reprises de Mme Lebrun absorbèrent presque en entier la fortune de son mari.

Depuis quelques années, à cette époque, le prince de Conti était mort (1776), et Lebrun avait perdu sa place de secrétaire des commandements. La pension que le prince faisait au poëte fut réduite par ses héritiers à 1,800 livres d’abord, à 1,000 livres ensuite, qu’on paya toujours assez mal. Lebrun rassembla alors les débris de sa fortune et les plaça chez le prince de Guéméné, qui fit banqueroute en 1782. Lebrun appela M. de Guéméné escroc sérénissime. L’épithète était sanglante, mais elle ne fit pas restituer la somme.

Dans cette triste situation, il se fit recommander par M. de Vaudreuil auprès de M. de Calonne, du comte d’Artois et même de la reine, qui eurent pitié du poète et lui tendirent une main secourable. Lebrun reçut alors de la cour une pension de 2,000 livres, et, pour prouver sa reconnaissance, il s’écriait, dans son Exegi monumentum (1787), en parlant de la Seine :

Oui, tant que son onde charmée
     Baignera l’empire des lis,

     Elle entendra ma lyre encore
     D’un roi généreux qui l’honore
     Chanter les augustes bienfaits.

Deux ans plus tard commençait la Révolution. Lebrun se jeta avec ardeur dans le mouvement, et après la chute de Louis XVI il composa quatre Odes républicaines au peuple français, formant un petit volume de 78 pages, sorti en l’an III des presses de l’Imprimerie nationale, et qui est devenu extrêmement rare. Dans ces odes, aux mâles accents, Lebrun a célébré la liberté, la magnifique rénovation sociale qui s’accomplissait devant ses yeux, et il serait étrange de le lui imputer à crime ; mais il eut le tort impardonnable de se montrer ingrat et d’accabler dans leur chute ceux dont il avait jadis reçu les bienfaits. C’est ainsi qu’après le 21 janvier il lançait à Marie-Antoinette cette furibonde invective :

Reine que nous donna la colère céleste,
Que la foudre n’a-t-elle embrasé ton berceau !
Combien ce coup heureux eut épargné de crimes !
Ivre de notre sang, désastreuse beauté,
Femme horrible...

Sous le Directoire, Lebrun continua à composer des odes ; mais il se fit surtout remarquer par la guerre d’épigrammes qu’il fit à plusieurs écrivains de son temps. Après le 18 brumaire, on le vit d’abord se tenir sur la réserve vis-à-vis du premier consul ; il hésita longtemps à se mettre en frais d’enthousiasme. Il n’adressa à Bonaparte que de petites pièces composées bien avant le Consulat et rajustées à la mode du jour. Lors de la paix de Lunéville, il se décida à lui adresser une ode en six couplets seulement. Deux ans après, il présentait au consul une ode contre l’Angleterre, datant de 1760, à laquelle il avait ajouté une strophe menaçant Albion d’un nouvel Alexandre. La qualification de nouvel Alexandre fut payée 3,000 fr. Enfin, en 1806, le Pindare français obtint une pension de 6,000 fr., et, en sus, diverses gratifications qui lui permirent de passer la dernière année de sa vie à l’abri du besoin.

Quel que soit le mérite de Lebrun comme poëte lyrique (mérite qui s’est singulièrement amoindri depuis l’avènement de Lamartine et de Victor Hugo), c’est surtout à ses épigrammes qu’il doit sa réputation. Laharpe, Baour-Lormian, le grammairien Domergue, Ginguené furent les principales victimes de son esprit caustique, âcre et plein de fiel ; mais, il faut bien le dire, il ne sortit pas toujours vainqueur de cette lutte à coups de dents, et reçut aussi de terribles morsures. Du reste, toutes ces attaques rimées, tous ces quatrains malicieux semblent actuellement bien petits et bien futiles. Les esprits sérieux trouvent plutôt les titres véritables de Lebrun dans quelques-unes de ses odes, toujours pesantes et guindées, mais sillonnées parfois de magnifiques éclairs. Plusieurs passages de la pièce sur le naufrage du Vengeur, certaines strophes des Époques de la nature, sont réellement admirables. Ces fragments sont comparables aux plus belles pages de Malherbe, de J.-B. Rousseau, et même des lyriques anciens.

Chateaubriand, dans les notes manuscrites qu’il a laissées sur un exemplaire de son Essai sur les révolutions, trace ce curieux portrait de Lebrun : « Lebrun a toutes les qualités du lyrique ; ses yeux sont âpres, ses tempes chauves, sa taille élevée, et quand il récite son Exegi monumentum, on dirait qu’il se croit aux jeux Olympiques. Lebrun ne s’endort jamais qu’il n’ait composé quelques vers, et c’est toujours dans son lit, entre trois et quatre heures du matin, que l’esprit divin le visite. Quand j’allais le voir le matin, je le trouvais entre trois ou quatre pots sales, avec une vieille servante qui faisait son ménage. « Mon ami, me disait-il, ah ! j’ai fait cette nuit quelque chose ! Oh ! si vous l’entendiez ! » et il se mettait à tonner sa strophe, tandis que son perruquier, qui enrageait, lui disait : « Monsieur tournez donc la tête, » et avec ses deux mains il inclinait la tête de Lebrun, qui oubliait bientôt le perruquier et recommençait à gesticuler et à déclamer. »

Lebrun ne put réaliser le projet, formé par lui, de publier une édition complète et épurée de ses œuvres, qu’il avait livrées feuillet par feuillet et au jour le jour. Le spirituel et savant Ginguené exécuta les intentions de Lebrun et donna, en 1811, 4 volumes in-8o, où toutes les productions de l’écrivain sont classées avec un soin et un goût dignes d’éloge. Elles sont ainsi divisées : six livres d’odes ; quatre livres d’élégies, laborieuse et lourde imitation de Tibulle et de Properce ; deux livres d’épîtres ; des traductions, notamment celle du début de l’Iliade ; six livres d’épigrammes et de poésies diverses ; correspondance et mélanges en prose, Ginguené a supprimé certaines pièces, « en raison des circonstances et de quelques considérations ; » parmi celles qu’il a ainsi supprimées il faut mentionner les Odes révolutionnaires.

Les Œuvres choisies de Lebrun ont été publiées à Paris (1821-1828, 2 vol. in-18). Ce poëte avait, en outre, fourni des notes pour l’édition des Œuvres poétiques de Boileau (1808, in-8o), et des Œuvres choisies de J.-B. Rousseau (1808, in-8o).