Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LEFORT (François), général et amiral russe

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 318-319).

LEFORT (François), général et amiral russe, né à Genève en 1656, mort à Moscou en 1699. Cet aventurier de génie, dont les historiens n’ont pas toujours su apprécier le rôle important, appartenait à une famille originaire d’Écosse. Il prit d’abord du service en France, passa ensuite en Courlande, puis enfin en Russie, où il fit une campagne contre les Tartares et les Turcs. Ses talents le mirent rapidement en évidence, et il devint le favori de Pierre le Grand, à l’élévation duquel il avait puissamment contribué. Fort de la confiance inaltérable de l’empereur, il conçut alors ces grands projets de réforme et d’organisation qui ont fait de la Russie une nation si puissante. Tout était à créer dans cet empire plus que barbare et au milieu de ces hordes sauvages : armée, marina, administration, finances, commerce, arts, industrie, tout, hommes et choses. Lefort fut à la hauteur de cette noble mission civilisatrice. Il eut à lutter contre d’obstinés préjugés, mais il triompha de tout. Il appela en Russie des hommes de talent de tous les pays de l’Europe, et il commença avec eux la grande œuvre de création dont Pierre le Grand a seul la gloire. Au reste, le czar eut au moins le mérite de se laisser diriger par Lefort, et, chose rare, il ne fut jamais ingrat envers lui. Lefort fut toujours son conseil, l’accompagna dans tous ses voyages, dans toutes ses expéditions, et modéra souvent ses emportements sauvages. Lors du voyage que fit le czar dans les principales contrées de l’Europe, pendant une fête donnée à Kœnigsberg, Pierre voulut contraindre un des officiers de l’électeur de Brandebourg à boire un énorme flacon de vin. Celui-ci s’y étant refusé, l’empereur le fit jeter à la porte et se précipita l’épée nue sur Lefort, qui avait gardé le silence. Celui-ci découvrit sa poitrine, engageant son maître à lui donner une mort qui mettrait fin aux chagrins qu’il éprouvait à son service. Le czar jeta son épée et tomba dans les bras de Lefort. Après avoir été général, grand amiral, vice-roi de Novogorod, après avoir administré toutes les richesses de la Russie, et reçu de la plupart des souverains de l’Europe les plus riches présents (qu’il faisait immédiatement porter au trésor public), Lefort mourut pauvre, ne laissant pas de quoi subvenir aux frais de ses funérailles. Le czar s’écria, en apprenant cette nouvelle : « Hélas ! je perds le meilleur de mes amis, et cela dans un temps où j’avais plus que jamais besoin de lui ! À qui me confier désormais ? » Il assista en personne, et vêtu de deuil, au convoi de celui qui l’avait si bien servi.