Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARMOTTE

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1229-1230).

MARMOTTE s. f. (mar-mo-te. — Génin compare l’ancien français marmite, sombre, sournois, mélancolique, hypocondriaque, en latin mate mids, et prétend que les mines farouches des marmottes, leur sommeil de six mois leur ont valu ce nom d’animal mélancolique par excellence. En réalité, marmotte vient de marmontain, un des anciens noms français de la marmotte, le même que l’ancien haut allemand muremanto, muremunti, du latin mus montanus ou mut montis, rat de montagne). Mamm. Genre de rongeurs hibernants : La marmotte prise jeune s’apprivoise presque autant que nos animaux domestiques. (Buff.)

La marmotte a mal au pied,
Faut lui mettre un emplâtre ;
Quel emplâtre lui mettrez ?
Un emplâtre de plâtre.
(Chanson savoyarde.)

|| Nom vulgaire de la marmose. || Marmotte du Canada, Nom donné par Buffon à l’arctomys monax. || Marmotte de Sibérie.

— Fam. Petite fille ou jeune fille : La tête de ce pauvre homme est renversée, son économie cède à la passion qu’il a pour cette marmotte. (Mme Du Défiant.)

La voici ! silence ! marmottes.
Ou l’on vous troussera les cottes.
Richer.

— Modes. Sorte de coiffure de femme, consistant en un fichu noué sous le menton, et dont la pointe retombe derrière la tète. || Mouchoir dont les femmes du peuple, à Paris, s’enveloppent la tête.

— Mar. Petit baril dans lequel on conserve une mèche allumée, à l’aide de laquelle on peut constamment se procurer du feu. || Coffre où les calfats renferment leurs outils.

— Administr. Coffret d’un facteur de la poste.

— Comm. Boîte à échantillons, que portent les commis placiers à Paris.

— Techn. Espèce de blutoir ou de tamis qui sert, dans les ateliers de batteur d’or, à répandre le plâtre pulvérisé sur les feuilles de vélin, de parchemin ou de baudruche.

— Bot. Fruit du marmottier. || Huile de marmotte, Huile comestible extraite du même fruit.

— Encycl. Les marmottes ont les membres courts et, par suite, les mouvements lourds et embarrassés ; de plus, la disposition de leurs clavicules les porte à tenir leurs membres antérieurs un peu en dedans ; mais avec leurs ongles robustes, ils n’en sont que mieux organisés pour creuser la terre. Leur corps, gros et trapu, rappelle par ses formes les lourdes allures de l’ours, et c’est a ces dispositions diverses qu’il doit le nom d’arctomys qui, en grec, signifie rat ours ; la ressemblance est rendue plus complète encore par de courtes oreilles, presque entièrement cachées dans les poils. La marmotte commune ou marmotte des Alpes, longue d’un peu plus de 1 pied, la queue non comprise, est d’un gris jaunâtre ; le cou est cendré, la tête noirâtre, le museau grisâtre et les pieds blancs. Les marmottes habitent les sommets de presque toutes les montagnes élevées de l’Europe. En France, on en trouve sur les Pyrénées et particulièrement sur les Alpes. Là, elles vivent en petites sociétés de une à trois familles, et partout se font remarquer par une sorte de sommeil léthargique qui les tient engourdies tout l’hiver. C’est à tort, lisons-nous dans Boitard, que l’on s’est imaginé que, pendant leur longue hibernation, les marmottes se nourrissent de leur graisse. La léthargie de ces animaux, pas plus que celle de tous les animaux hibernants, n’est pas du tout un sommeil, mais bien une suspension plus ou moins complète de toute circulation, pendant laquelle toute nutrition est, non-seulement inutile, mais même impossible. Il est du reste constaté que toutes les marmottes ne sont pas grasses au moment de l’hibernation ; or, les maigres ne meurent pas plus que les autres, et l’on est obligé de conclure que la graisse ne sert, à celles qui en sont pouvues, que lorsque le printemps est revenu et qu’elles ne trouvent, dans les premiers jours, qu’une nourriture peu abondante.

Sans avoir une intelligence remarquable, les marmottes prouvent toutefois, dans l’état sauvage, qu’elles ne manquent pas d’industrie. Choisissant généralement les pentes montagneuses tournées au levant ou au midi, elles y établissent leur domicile, qui se compose d’un terrier, auquel elles donnent invariablement la forme d’un Y renversé. La branche d’en haut forme le couloir pur où elles entrent et sortent ; la branche d’en bas, fortement inclinée sur la pente roide où elles s’établissent, leur sert à pousser facilement au dehors toutes les déjections ; puis l’une et l’autre, en se rejoignant, viennent aboutir à une loge voûtée, assez profonde et spacieuse pour servir d’habitation à deux ou trois familles qui y vivent en commun. Ce terrier, dont le plancher est horizontal, est chaudement tapissé de mousse et de fines herbes sèches, dont les marmottes l’ont ample provision pendant l’été. Il est ridicule de croire aux contes que l’on a faits relativement à la récolte de ces herbes. Des chasseurs, des naturalistes, ayant remarqué que beaucoup de marmottes ont le dos plus ou moins pelé, se sont crus en droit de raconter que, la récolte se faisant à frais communs, les unes coupent l’herbe, tandis que les autres la rainassent, et que, tour à tour, l’une d’elles, se couchant sur le dos, sert de voiture ou plutôt de traîneau aux autres, qui chargent le foin entre ses pattes et puis la tirent par la queue, prenant toutes les précautions pour que la voiture ne se renverse pas. Au lieu d’inventer ce conte ridicule, il est beaucoup plus simple et plus naturel de ne voir dans le dos pelé des marmottes que l’effet du frottement souvent répété du râble de l’animal contre la voûte supérieure d’un passage fort étroit. Ces animaux, très-casaniers en toute saison, passent dans leur terrier la plus grande partie de leur existence. Ils s’y renferment pendant la nuit, pendant les pluies, les brouillards, les orages, pendant les temps trop froids, et n’en sortent qu’aux plus beaux jours, pour aller chercher des provisions d’herbe et se jouer aux rayons du soleil. Pendant ces jeux, l’une des marmottes fait bonne garde et, au moindre danger, jette un cri aigu qui fait tout rentrer au terrier avec la rapidité de l’éclair. Dès la fin de l’automne, les marmottes se retirent dans leur retraite chaudement tapissée et s’occupent d’en fermer les deux ouvertures. Pour cela, elles emploient de la terre gâchée qu’elles maçonnent si habilement qu’il est plus facile d’ouvrir le sol partout ailleurs que dans l’endroit qu’elles ont muré. Ce travail fait, elles se blottissent dans la mousse et le foin et s’engourdissent d’autant plus profondément que le froid sévit au dehors avec plus d’intensité. Elles demeurent dans cet état cataleptique et qui ressemble à la mort depuis décembre jusqu’en avril, quelquefois même, si l’hiver est précoce et rigoureux, depuis octobre jusqu’en mai, époque à laquelle on les trouve, quand on fouille leurs terriers, resserrées en boules, contractées sur elles-mêmes et parfois tellement insensibles, qu’on les tue sans qu’elles paraissent rien sentir. Les chasseurs mangent les plus grosses et donnent les plus jeunes à ces enfants qui viennent les montrer dans les grandes villes. Pour les faire sortir de leur engourdissement, il suffit de les placer devant un feu doux et d’attendre qu’elles soient complètement réchauffées. Un excès de froid les fait également sortir de leur léthargie. Ce qu’il y a de fort remarquable dans la vie des marmottes apprivoisées, c’est qu’elles ne s’engourdissent plus pendant l’hiver et qu’elles paraissent tout aussi éveillées qu’en aucune autre saison, quand elles habitent les appartements. On peut ajouter à ce sujet quelques observations relatives à ce curieux état des animaux hibernants. Quel que soit le froid qu’ils aient à supporter, après être sortis de leur état cataleptique, ils peuvent mourir gelés, mais ils ne s’engourdissent plus ; et ce qu’il y a de vraiment étrange, c’est que, sous les tropiques, ce n’est plus le froid, mais, au contraire, l’excès de la chaleur qui occasionne un engourdissement analogue. Les crocodiles, les caïmans et autres reptiles, qui dans les pays tempérés ne s’engourdissent qu’en hiver, sous les tropiques tombent en léthargie en été, après s’être enfoncés dans la vase des marécages desséchés, et ne se réveillent que lorsque la saison des pluies vient rafraîchir la terre et l’atmosphère.

En captivité, la marmotte est d’un caractère fort doux, s’apprivoise sans difficulté, s’attache même à son maître et devient courageuse, quand elle se sent protégée par lui, au point de disputer hardiment aux chats et aux chiens eux-mêmes la place qu’elle s’est choisie au foyer. Quant à l’habileté prétendue avec laquelle elle est censée faire, avec de petits bâtons, tels ou tels exercices, il ne faut pas la prendre trop au sérieux et l’on doit reconnaître que c’est son maître qui en fait à, peu près tous les frais, et que l’éducation n’est, dans tout cela, que pour fort peu de chose. Les marmottes sont à peu près omnivores) elles mangent de la viande, du pain, des fruits, des racines, des herbes, des choux, des carottes, voire même des hannetons et des sauterelles ; mais ce qu’elles paraissent préférer à tout, c’est le lait et le beurre, s’il faut en juger par le petit grognement de satisfaction qu’elles font entendre pendant qu’elles se régalent de ces friandises. Ce petit grognement devient plus fort quand on les caresse et qu’elles jouent, et rappelle alors la voix d’un jeune chien. Quand, au contraire, elles sont effrayées, elles poussent une sorte de sifflement d’une telle acuité que l’oreille peut à peine le supporter. Ces animaux sont d’une propreté remarquable ; ils se mettent toujours à l’écart, comme les chats, pour faire leurs ordures ; mais cette propreté ne les empêche pas d’exhaler une odeur de rut très-prononcée et qui devient intolérable pour certaines personnes. Cette odeur rend naturellement leur chair assez peu agréable, et ce n’est qu’en l’épiçant et en l’aromatisant avec soin qu’on arrive à en faire disparaître le fumet. La portée des marmottes est annuelle et sa compose de quatre ou cinq petits dont la croissance est rapide ; ces animaux ne vivent guère plus d’une dizaine d’années. Le borak ou marmotte de Pologne a beaucoup d’analogie avec l’espèce type, mais il habite les régions septentrionales de l’Europe et de l’Asie, et ne descend guère au-dessous de la Pologne. Le monax, vulgairement appelé siffleur par les voyageurs, est un peu plus long que la marmotte commune ; il habite les rochers de l’Amérique septentrionale. La marmotte de Québec habite le Canada. Toutes ces espèces ont les mêmes habitudes et ne se distinguent que par la nuance de leur pelage. La marmotte jevrachska habite la Sibérie.