Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MORRIS (Gouverneur), homme d’État américain

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 2p. 579-580).

MORRIS (Gouverneur), homme d’État américain, né à Morrisania, près de New-York, en 1752, mort en 1816. Jeune encore, il fut placé dans la famille d’un professeur de langue française à New-Rochelle, où il apprit très-rapidement cette langue. Avocat à vingt ans, Morris devint, trois ans plus tard, membre du premier congrès provincial. Jusqu’en 1777, il prit une part très-active aux travaux de cette assemblée, se fit remarquer par le nombre et le variété de ses connaissances et fut nommé membre du congrès qui dirigea la révolution américaine. Chargé d’étudier, de concert avec le général Washington, l’état et les ressources de l’armée républicaine, il devint l’ami du grand patriote et resta depuis lors en correspondance régulière avec lui. Au congrès, il employa son éloquence et le crédit dont il disposait à pousser activement l’organisation militaire. N’ayant pas été réélu député à l’expiration de la législature, Morris resta néanmoins à Philadelphie, où il exerça sa profession d’avocat (1780). Durant l’été de cette année, il dut, à la suite d’une chute de voiture, subir l’amputation d’une jambe. Il supporta cette opération avec beaucoup de courage et son caractère n’en resta pas moins vif et enjoué. Nommé, en 1781, sous-secrétaire du trésor, Morris remplit avec le plus grand zèle ces fonctions, dont il se démit trois ans plus tard, pour exploiter la terre de Morrisania qu’il venait d’acquérir de son frère. En 1787, il fut député à l’assemblée chargée de rédiger la nouvelle constitution, et, bien qu’il n’ait rien laissé dans ses mémoires relativement à cette période de sa vie publique, on sait, par une lettre du président Madison, que Morris travailla activement à cette constitution et que le projet rédigé fut remis entre ses mains pour recevoir sa forme définitive. Après un court séjour dans l’État de Virginie, où il était allé surveiller une exploitation de tabacs qu’il possédait avec son ami Robert Morris, il partit à la fin de l’année 1788 pour la France, appelé par des intérêts commerciaux. Il arriva à Paris au mois de février 1789, au moment où les états généraux étaient sur le point de s’ouvrir. G. Morris devait naturellement s’intéresser à la grande lutte qui allait commencer entre la liberté et le despotisme. La Fayette, avec qui il s’était lié en Amérique, le mit en relation avec les personnages qui jouaient alors les rôles les plus importants et les principaux orateurs de l’Assemblée constituante. Sa fortune, et aussi ses goûts aristocratiques, ouvrirent également à G. Morris les portes des salons de la vieille noblesse. Bien que partisan des idées nouvelles, il désirait que les réformes fussent adoptées lentement et progressivement et ne tenait pas assez compte de la situation tout à fait extraordinaire dans laquelle se trouvait alors la France. En janvier 1791, G. Morris fut nommé par Washington agent particulier des États-Unis auprès de l’Angleterre. Il était chargé de terminer quelques affaires relatives au dernier traité de paix conclu entre les deux puissances. Le mauvais vouloir du ministère anglais l’ayant fait échouer dans cette négociation, il quitta Londres, fit un voyage en Allemagne et, de retour à Paris après six mois d’absence, il fut nommé ministre des États-Unis en France (1792). Washington lui recommanda la plus extrême prudence, et il s’acquitta de ses fonctions avec beaucoup de tact. Il prenait, d’ailleurs, confidentiellement les avis du célèbre patriote et les correspondances échangées entre ces deux personnages témoignent de la plus grande intimité. Elles établissent aussi que G. Morris était injustement accusé de sympathies pour le régime qui succombait en France. Après le 10 août, G. Morris fut le seul membre du corps diplomatique qui ne quitta point ses fonctions. Il se contenta de louer, à une dizaine de lieues de Paris, une maison de campagne, où il habita durant le reste de sa mission. Il se rendait de temps en temps à Paris chez le secrétaire de la légation. En 1792, dans un de ses voyages de Saint-Priest à Paris, il vit sa voiture, à peine entrée dans la ville, arrêtée par un groupe qui le prenait pour un aristocrate. G. Morris, mettant alors sa jambe de bois hors de la voilure, s’écria : « Un aristocrate ? Oui, vraiment, et qui a perdu sa jambe dans la guerre de l’indépendance américaine ! » À ces mots, le peuple applaudit et fit une ovation au ministre américain. En 1794, le gouvernement de Washington ayant demandé le rappel du ministre français alors aux États-Unis, la France exigea que G. Morris fût également rappelé. Celui-ci quitta donc son poste vers le milieu de l’année 1794 et reprit ses voyages en Europe. Il séjourna plusieurs années en Suède et s’embarqua en 1798 pour les États-Unis. À peine était-il de retour dans sa patrie qu’il fut appelé au sénat, où il siégea parmi les fédéralistes. Il se fit remarquer durant cette période par l’opposition qu’il fit à l’abolition des taxes directes et par la façon dont il appuya le projet relatif à l’acquisition de la Louisiane. À l’expiration de son mandat (mars 1803), il ne fut point réélu et rentra définitivement dans la vie privée. Bien qu’il eût renoncé à la vie politique active, il continua de se tenir au courant des affaires et reparut même plusieurs fois en public, notamment lorsqu’il prononça les éloges funèbres de Washington, d’Hamilton et celui du gouverneur. George Clinton. En outre, il prononça, en juin 1814, un grand discours sur la Délivrance de l’Europe du joug militaire et fut quelque temps après nommé président de la Société historique de New-York. Ses dernières années furent consacrées à l’étude d’un projet de canal qui devait relier l’Hudson au lac Erié et qui ne fut exécuté que vingt ans après sa mort.

La correspondance de G. Morris et les notes quotidiennes qu’il rédigea durant son séjour en France fournissent sur les événements qui se passèrent sous ses yeux, comme aussi sur son caractère, ses opinions et ses actes, des renseignements précieux. Sous le titre de The life of Gouverneur Morris with selections from his correspondence, M. Sparks a publié de nombreux extraits des lettres et du journal de G. Morris (Boston, 1832, 3 vol.). Une traduction de cet ouvrage a été publiée par Augustin Gandais sous ce tiire : Mémorial de G. Morris, homme d’État américain (Paris, 1842, 3 vol. in-8o). V. mémorial.