Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Marguerite au rouet, tableau d’Ary Scheffer

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1172).

Marguerite au rouet, tableau d’Ary Scheffer (Salon de 1831, collection Rothschild). I) y a dans la façon dont l’artiste a compris la sympathique amante de Faust une grâce mélancolique et rêveuse pleine de séduction. Marguerite est assise devant Son rouet, immobile ; elle pleure et songe ; sans doute elle se murmure ces tristes paroles du poëme : « Le repos s’est enfui de mon cœur oppressé, je ne le retrouverai plus jamais, plus jamais ! » Cette tristesse mystérieuse a quelque chose de communicatif qui vous émeut. L’ensemble est d’une rare harmonie, et la pose abattue, les bras qui tombent languissamment, les larmes qui coulent, la tête qui se penche, sont d’un naturel parfait.

« Marguerite est simple et touchante, dit M. Étex, et charmante de beauté et de sentiment. La peinture de cette toile est bien changée ; elle est beaucoup alourdie et a passé au noir et au vert. Malgré cela, ce charmant ouvrage, son chef-d’œuvre pour beaucoup d’artistes, peut soutenir à lui tout seul la réputation de l’auteur… Ary Scheffer, dans cette toile de Marguerite au rouet, reste un artiste à part qui sort de la foule. Ce simple tableau, placé dans n’importe quelle galerie, assignera à Scheffer une place parmi les peintres qui ont un lendemain, et qui vivent plus longtemps que les peintres à la mode dont le genre a prévalu un instant. Cette fois, Ary Scheffer était complètement lui, et donnait la mesure de son talent, qui peut s’exprimer par ces deux mots : « Ce qui part du cœur pour arriver au cœur. »

En 1848, la Marguerite au rouet faillit être incendiée ; tout le milieu de la toile, le buste, la tête et les mains, eut à souffrir des atteintes du feu ; Ary Sehelfer a repeint lui-même les parties endommagées.

La Marguerite au rouet ne fut que la première de quatre grandes compositions inspirées à Scheffer par la touchante création de Gœthe ; on peut dire qu’il revint sans cesse sur ce type, dont il s’était pénétré, et qu’il s’ingénia jusqu’à la fin de sa vie à lui donner une expression nouvelle. Il exposa successivement : la Marguerite à l’église ou Marguerite au prie-Dieu, la Marguerite au sabbat et la Marguerite à la fontaine, sans compter la Sortie se l’église et la Promenade au jardin, où figure encore l’héroïne de Faust. Toutes ces compositions sont empreintes de la même tristesse amoureuse et mélancolique ; elles comptent parmi les plus belles œuvres du maître.