Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/OSSIAN, héros et barde écossais du IIIe siècle, dont l’existence est assez incertaine

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 4p. 1538-1539).

OSSIAN, héros et barde écossais du IIIe siècle, dont l’existence est assez incertaine ; elle s’est conservée par des traditions et des chants erses dont il est difficile, après tant de siècles, de bien constater l’authenticité. Le père d’Ossian, Fingal, roi de Morven, repoussa à la tête de ses Calédoniens l’invasion tentée par l’empereur Sévère, et remporta sur son fils Caracalla une victoire signalée. Dans une expédition qu’il entreprit ensuite en Irlande, Ossian avait épousé Evir-Allin, dont il eut un fils, Oscar, qui périt par trahison, laissant son épouse Malvina et son père livrés à d’éternels regrets. Le vieux barde, devenu aveugle, berçait ses douleurs en chantant la gloire de sa famille, les exploits des guerriers, les grandeurs de la patrie. Ces chants primitifs, ces légendes, populaires en Écosse, étaient inconnus en Angleterre, lorsqu’un littérateur médiocre, Macpherson, en publia un recueil (Édimbourg, 1760) qui eut un succès immense. Ce n’était pourtant qu’une imitation paraphrasée et pleine d’enflure, qui était loin d’avoir l’âpre énergie et la couleur des chants originaux. Une publication de même nature fut faite par Smith en 1780 ; l’Écosse devint une sorte de Pérou littéraire où l’on allait recueillir les ballades et les légendes nationales, toutes attribuées à Ossian, et qui eurent dans toute l’Europe un succès si prodigieux. Le texte primitif des poésies d’Ossian, en langue erse ou gaélique, avec une traduction latine littérale, a été publié à Londres en 1807, et l’on put comparer alors la simplicité épique et la vigueur sauvage de ces poésies avec la paraphrase emphatique de Macpherson, qui avait pourtant trompé toute l’Europe littéraire et créé un genre nouveau, la poésie ossianique.

Les questions qui se rattachent à l’authenticité des poésies d’Ossian ont été traitées par nous dans la biographie de Macpherson ; nous ne nous occuperons ici que des poëmes eux-mêmes, tels que leur éditeur les a fait connaître ; car, ainsi que le remarque M. Villemain, malgré la publication des chants erses originaux, toutes les fois qu’on parle d’Ossian, c’est l’Ossian de Macpherson qu’on a en vue.

Ces poésies, qui eurent un tel retentissement au siècle dernier en Angleterre et dans toute l’Europe, qui formèrent une nouvelle école de poètes, dont Lamartine est chez nous le plus illustre, se composent d’une série de petites épopées où se reflètent, à travers les additions et les interpolations de Macpherson, la rudesse des mœurs et l’enthousiasme guerrier des premiers siècles de notre ère. Elles sont de plus empreintes de cette tristesse vague, de cette mélancolie monotone, qui leur donnent une physionomie particulière. Les principaux de ces poëmes sont : Fingal, Temora, Selma, la Chute de Tura, la Guerre de Caros, et Lathmor. Fingal et Temora sont deux épopées véritables, la première en six chants, la seconde en huit ; les autres sont des épisodes plus ou moins considérables, se rapportant au même cycle, et ils sont accompagnés d’une trentaine d’autres fragments moins importants. Les mêmes pensées, les mêmes images, les mêmes comparaisons reviennent continuellement, avec une monotonie qui nous parait maintenant fatigante, dans ces récits nébuleux. Cependant les sentiments héroïques, le courage, le dévouement, et les sentiments naturels, la piété filiale, l’amour paternel, sont exprimés souvent avec autant d’énergie que de simplicité. Le père d’Ossian, Fingal, est le héros de presque tous ces chants. Malgré l’emphase avec laquelle parle de lui le vieux barde son fils, ce guerrier, débris des anciens âges, intéresse par son intrépidité, sa générosité, sa sagesse. On sent dans ce caractère héroïque un reste des inspirations des rudes poètes gaéliques que Macpherson a malheureusement gâtées par des centons d’Homère, de Virgile et même de la Bible. Villemain a très-bien expliqué comment cette poésie artificielle, sous son apparente simplicité, a pu séduire le plus grand nombre des esprits au XVIIIe siècle. « Ossian, dit-il, n’est qu’un effort de rajeunissement littéraire par l’imitation des formes antiques, qu’un des premiers essais de ce pastiche de la pensée et du style communs aux littératures vieillies, et, chose remarquable ! c’est surtout dans les sentiments qui touchaient au XVIIIe siècle, dans cette mélancolie rêveuse, dans cette religiosité vague, dans cette tristesse substituée au culte, que le poëte, que Macpherson a été original, singulier, hardi. C’est l’homme du XVIIIe siècle qui est intéressant et original sous le masque, sous le manteau du barde aveugle. Son Oscar, sa Malvina, son Fingal, tous ces personnages qu’il a corrigés, embellis, mis en mouvement dans son poëme, ont un reflet de cet esprit sentimental du XVIIIe siècle. La simplicité prétendue de Macpherson n’existe que dans un point, la monotonie. Il est naturel, en effet, que dans l’imitation d’une vie rude, inculte, qui n’est animée que par les accidents de la guerre, qui ne connaît d’autre catastrophe que la mort après le combat, il y ait peu de variété ! Il est naturel aussi que, dans une société semblable, le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les bois, les bruissements de la mer, les algues jetées sur le rivage, reviennent sans cesse sous le pinceau du poëte. Tel est aussi en grande partie le coloris de la poésie d’Ossian. Quand ce coloris fut importé dans la France élégante, philosophique, raisonneuse, c’était une grande nouveauté, c’était un échantillon de la nature que l’on rendait à des gens qui ne la regardaient plus depuis longtemps. Cependant il a fallu quelque chose de plus, créé par l’artifice du rédacteur moderne ; c’était ce sentiment triste et sévère, c’était cette vue mélancolique de la vie ; cette émotion vague remplaçant un culte positif, qui convenait merveilleusement à la fin du XVIIIe siècle et aux temps désastreux qui suivirent. Cette poésie d’Ossian est comme un chant monotone bien fait pour bercer des âmes fatiguées de réflexion et de tristesse. »

Voltaire, cependant, ne s’y laissa pas prendre. Il feignait de croire comme tout le monde à l’authenticité et à la réalité d’Ossian, mais il le goûtait peu, ce qui n’a pas lieu de surprendre, et il s’en est spirituellement moqué dans son article Anciens et Modernes du Dictionnaire philosophique :

« Un Florentin, dit-il, homme de lettres, d’un esprit juste et d’un goût cultivé, se trouva un jour dans la bibliothèque de milord Chesterfield avec un professeur d’Oxford et un Écossais qui vantait le poème de Fingal, composé, disait-il, dans la langue du pays de Galles, laquelle est encore en partie celle des Bas-Bretons. « Que l’antiquité est belle ! s’écriait-il ; le poëme de Fingal a passé de bouche en bouche jusqu’à nous depuis près de deux mille ans, sans avoir jamais été altéré ; tant les beautés véritables ont de force sur l’esprit des hommes ! » Alors il lut à l’assemblée ce commencement de Fingal.

« Cuchulin était assis près de la muraille de Tura, sous l’arbre de la feuille agitée ; sa pique reposait contre un rocher couvert de mousse, son bouclier était à ses pieds sur l’herbe ; il occupait sa mémoire du souvenir du grand Carbar, héros tué par lui à la guerre. Moran, fils de Fitilh, Moran, sentinelle de l’Océan, se présenta devant lui.

« Lève-toi, lui dit-il, lève-toi, Cuchulin ; je vois les vaisseaux de Guaran ; les ennemis sont nombreux, plus d’un héros s’avance sur les vagues noires de la mer. »

« Cuchulin aux yeux bleus lui répliqua : « Moran, fils de Fitilh, lu trembles toujours ; tes craintes multiplient le nombre des ennemis. Peut-être est-ce le roi des montagnes désertes qui vient à mon secours dans les plaines d’Ullin. — Non, dit Moran, c’est Guaran lui-même ; il est aussi haut qu’un rocher de glace ; j’ai vu sa lance, elle est comme un haut sapin ébranché par les vents ; son bouclier est comme la lune qui se lève ; il était assis au rivage sur un rocher, il ressemblait à un nuage qui couvre une montagne, » etc.

« Ah voilà le véritable style d’Homère, » s’écrie le professeur ! L’Écossais enthousiaste renchérit encore sur ses phrases laudatives ; mais le Florentin reste froid et, séance tenante, il improvise sur le premier sujet venu qu’on lui donne, la descente du prince Noir en France et la bataille de Poitiers, une tirade du même style. « Je vous parlerais ainsi huit jours de suite sans me donner la moindre peine, conclut-il, parce qu’il n’en faut aucune pour être ampoulé en vers négligés, chargés d’épithètes qui sont presque toujours les mêmes, pour entasser combats sur combats et pour peindre des chimères. »

Ce qui subsista de l’école de Voltaire, après la Révolution, resta de son avis et n’admira Ossian qu’avec des réserves ; mais les poètes de l’école impériale le commentèrent et le traduisirent. La Harpe lui-même se laissa séduire ; Baour-Lormian en fit en vers pompeux une longue paraphrase ; Arnault en avait tiré une tragédie dès 1796. Napoléon, qui faisait semblant de s’y connaître, préférait Ossian aux œuvres d’Homère, et pour singer Alexandre et la cassette où le conquérant enfermait l’Iliade, il fit faire un petit coffret, où il enferma Fingal et Temora. Obéissant à un nouveau courant d’idées, Chateaubriand et Mme  de Staël firent d’Ossian l’aïeul des poètes romantiques et ne mirent, pour ainsi dire, pas de bornes à leur admiration. Goethe fait lire à Werther, au moment de son suicide, quelques pages de Selma « bien propres, disait un critique de la Restauration, à fasciner l’esprit par leur charme dangereux. » Lamartine, enfin, y puisa comme à une source intarissable de poésie : « Ossian, dit-il, ce poëte du vague, ce brouillard de l’imagination, cette plainte inarticulée des mers du Nord, Ossian est certainement une des palettes où mon imagination a broyé le plus de couleurs, et qui a laissé le plus de teintes sur les faibles ébauches que j’ai tracées depuis. »

Ossian est très-peu lu aujourd’hui ; le mouvement romantique, en s’accentuant, l’a détrôné. Ces paysages si froids et si mornes, la pluie sur la colline, le bouleau qui tremble au vent, la brume au ciel et le vague à l’âme ont fait leur temps. « Ossian, dit H. Taine, avec Oscar, Malvina et sa troupe, fit le tour de l’Europe et finit, vers 1830, par fournir des noms de baptême aux grisettes et aux coiffeurs. »

— Iconogr. Vers le commencement du XIXe siècle, l’engouement pour les poésies gaéliques gagna les artistes, aussi bien quo les littérateurs et les gens du monde. Deux des maîtres de ce temps-là, Gérard et Girodet, s’inspirèrent à cette source. Le premier peignit le Songe d’Ossian, composition d’un vague extrême, où l’on finit par discerner cependant des formes élégantes et des expressions délicates. Ce tableau, qui devint la propriété du duc de Leuchtenberg, a été gravé par Jean Godefroy ; la figure de Fingal a été lithographiée séparément par E. Parizeau. Chargé par le premier consul de composer une allégorie militaire dont Ossian serait le prétexte, Girodet n’a pas hésité à associer l’Écosse à la Grèce, la poésie de Macpherson à celle des bulletins de la grande armée. Être admis dans le palais des nuages, voilà la récompense des guerriers français et la consolation des compatriotes qui les pleurent. Les étoiles scintillent au milieu des brouillards, les harpes retentissent ; Hoche, Kléber, Marceau, Dugommier se mêlent à des ombres transparentes, et une Victoire, qu’Apelle semble avoir prêtée à la Calédonie, inscrit des noms réels sur une liste de héros imaginaires. « L’esprit se refuse à cette donnée bizarre, dit M. Lenormant, mais le regard est subjugué ; l’artiste a su rendre sensible ce que l’imagination elle-même pouvait à peine concevoir, et le défaut de naturel qui dépare tant d’ouvrages de Girodet devient ici presque une qualité du tableau. » Cette étrange composition a été lithographiée par H. Garnier (Salon de 1831).

J.-H. Belloc a exposé au Salon de 1810 un tableau représentant la Mort de Gaul, ami d’Ossian.