Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PHILIPPE, célèbre chef indien de l’Amérique du Nord

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 814).

PHILIPPE, célèbre chef indien de l’Amérique du Nord, qui vivait au XVIIe siècle. Son vrai nom était Matacom, mais les Anglais l’avaient fait baptiser sous celui de Philippe. Fils de Massassoit, sachem de la tribu des Wampanooga, qui résidaient sur le mont Hope, au Pokanokett, dans le Rhode-Island, il succéda, en 1662, à son frère Alexandre et, en 1670, les colons anglais de Plymouth qui le redoutaient lui imposèrent un traité et exigèrent de lui qu’il leur remît toutes les armes de sa tribu. Au bout de quelque temps, on l’accusa de ne point tenir son engagement ; pour échapper à la guerre dont on le menaçait, Philippe fut contraint de payer une forte somme (1671). Cette situation, quoique très-tendue, se maintint assez longtemps. Philippe couvait sa vengeance et en préparait silencieusement la réussite pour ne point donner l’éveil à ses voisins soupçonneux. En 1675, le gouvernement de Plymouth ayant fait exécuter trois Indiens soupçonnés de meurtre, Philippe, dont l’autorité se trouvait ainsi foulée aux pieds, puisque les blancs disposaient du sort de ses hommes, saisit ce prétexte pour mettre à feu et à sang tout ce qui se trouvait près de lui. L’alarme se répandit partout, les colonies unies furent appelées aux armes, et aussitôt commença la guerre la plus sanglante et la plus désastreuse qu’aient enregistrée les annales de ce pays. Des corps de volontaires de Plymouth et du Massachusetts se portèrent promptement au secours des points attaqués, et ils se frayèrent un passage jusqu’aux villages des Wampanoogs, pour attaquer l’ennemi sur son propre terrain. Philippe et ses guerriers s’étaient retranchés dans des marais à Pocasset (aujourd’hui Tiverton), d’où ils se répandaient sur les plantations des blancs qu’ils saccageaient. Ils y furent poursuivis et ne purent s’en échapper qu’avec quelques pertes. De là ils se portèrent sur le pays des Nypmucks, dans le Massachusetts. Cette tribu se déclara pour eux et les aida dans l’œuvre de destruction. Les Indiens dits de rivière vinrent grossir les forces de la rébellion et firent éprouver des pertes sensibles aux colonies. Pendant un an, les deux armées furent aux prises : les Pokanoketts furent exterminés et les Narraghansetts perdirent environ un millier des leurs dans le combat de Sunke-Squaw. Tous les Indiens établis sur la rivière du Connecticut et la plupart des Nypmucks qui survécurent s’enfuirent dans le Canada, où ils rendirent ensuite de grands services aux Français ; quelques centaines seulement se réfugièrent à New-York. On rapporte que, du mois de juin au mois d’octobre 1676, le seul détachement du capitaine Church tua environ 7,000 Indiens, et les prisonniers furent exportés et vendus comme esclaves. Mais les vainqueurs payèrent bien cher leur triomphe. Treize villes furent entièrement détruites et six cents habitations incendiées. Chaque famille eut quelque mort à déplorer, et les frais de la guerre furent si considérables, que les commissaires des Provinces-Unies estimèrent à plus de 2,560,000 francs les seules dépenses de la vieille colonie. Telle fut l’issue de la guerre que le roi Philippe conduisit en personne, avec une habileté et une énergie dignes des plus grands généraux. Il appliqua toutes les ressources de son intelligence à la conduite de cette grande guerre, qui était le début et qui devait être le terme de la querelle entre les peaux-rouges et les blancs. Ses premiers succès furent effrayants ; mais la chance tourna bientôt contre lui ; il avait à combattre toutes les forces de la colonie et à se défendre contre la trahison de quelques-uns des siens. Il eut alors recours à un système de fuites soudaines, de retours imprévus, de ruses incessantes. Pressé par les Anglais, il s’élance, plonge dans l’eau ou franchit un précipice, et disparaît à tous les yeux, cachant sa trace pendant des mois entiers. Quelques semaines après le commencement des hostilités, il fut cerné dans le grand marais du Pocasset et fut obligé, pour échapper à ses ennemis, de leur abandonner les femmes et les enfants, tandis qu’il descendait sur un radeau, avec l’élite de ses guerriers, la grande rivière de Taunton. L’année suivante, un transfuge conduisit les Anglais dans son camp. Philippe prit la fuite précipitamment et se réfugia dans un marécage où il trouva la mort. Enveloppé par les troupes de Church, il ne pouvait leur échapper ; mais une dernière amertume lui était réservée, celle de périr de la main d’un des siens. Un misérable, qui comptait sans doute sauver sa vie en tuant son chef, l’assassina et passa aussitôt à l’ennemi. Philippe fut décapité, on coupa son corps par morceaux, par application de la loi anglaise pour fait de trahison, et on porta sa tête triomphalement à Plymouth. Philippe n’était pas un barbare par les manières et les sentiments. On ne cite pas un seul exemple de mauvais traitements qu’il ait fait subir à un prisonnier, alors même que la barbarie de ses adversaires semblait autoriser de sanglantes représailles.