Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PIE IX (Jean-Marie, comte de Mastaï-Ferretti), pape

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 959-964).

PIE IX (Jean-Marie, comte de Mastaï-Ferretti), pape, né à Sinigaglia, province d’Urbin-et-Pesaro, le 13 mai 1792. Il est fils d’un ancien gonfalonier de Sinigaglia, le comte Jérôme Mastaî-Ferretti, qui appartenait à une ancienne famille et qui eut plusieurs enfants, dont l’aîné, Gaetano Mastaï, est mort en 1872. Élevé au collège de Volterre, Jean Mastaï en sortit à l’âge de dix-huit ans et hésita quelque temps sur le choix d’une carrière. Ce fut à cette époque, dit-on, qu’il fut affilié à la franc-maçonnerie. Lorsque Pie VII, son parent, rendu à la liberté par Napoléon, revint à Rome (mai 1814), le jeune Mastaï se fit admettre parmi ses gardes nobles. Mais une maladie nerveuse dont il était atteint l’amena à renoncer presque aussitôt au métier des armes et le décida à entrer dans les ordres. Il étudia donc la théologie à Rome et fut chargé en même temps par Pie VII de diriger un hospice de jeunes orphelins, appelé Tata Giovanni. En 1817, à vingt-cinq ans, il reçut les ordres mineurs, fut ordonné sous-diacre en 1818, et devint prêtre le 10 avril 1819. En 1823, le délégué apostolique Muzzi emmena avec lui au Chili l’abbé Mastaï, qui passa deux ans dans l’Amérique du Sud et reçut, en 1825, à son retour à Rome, un canonicat et la prélature. Il était à la tête de l’hospice apostolique de Saint-Michel lorsque, le 21 mai 1827, le pape Léon XII le nomma archevêque de Spolète, d’où il fut transféré, par Grégoire XVI, à l’évêché d’Imola le 17 décembre 1832. Créé in petto cardinal le 14 décembre 1839, il fut publié par le même pontife le 14 décembre 1840. Six ans plus tard, Grégoire XVI mourait et le collège des cardinaux se réunissait pour lui nommer un successeur. Les deux candidats qui paraissaient avoir le plus de chances étaient le cardinal Gizzi, très-sympathique aux libéraux, et le cardinal Lambruschini, porté par le parti rétrograde. Personne ne songeait au cardinal Mastaï, qui, n’ayant exercé aucune fonction publique, n’était pas connu. Ce fut son ami et ancien condisciple, le P. Ventura, général des théatins, qui appela vivement sur lui l’attention des cardinaux. Le conclave s’ouvrit le 14 juin 1846. L’entente sur un nom connu n’ayant pu se faire, les membres du sacré collège reportèrent d’un commun accord leurs voix sur le cardinal Mastaï, en qui chaque parti espérait trouver un instrument docile, et qui, à sa grande surprise, fut acclamé pape le 16 juin.

En se faisant couronner (21 juin 1846), le nouveau pontife prit le nom de Pie IX, en mémoire de son parent et prédécesseur sur le siège d’Imola, Pie VII. Nullement préparé au rôle considérable qu’il était appelé à jouer, placé entre deux partis irréconciliables, l’un qui demandait avec ardeur la réforme à peu près complète des abus sans nombre du gouvernement pontifical, l’autre qui s’opposait aux réformes les plus élémentaires et les plus légitimes, comme étant des concessions périlleuses faites à l’esprit révolutionnaire, Pie IX se montra d’abord assez indécis sur la route qu’il allait suivre. « Il ne se hâta point, dit M. Perrens, de nommer le secrétaire d’État, c’est-à-dire le directeur véritable de sa politique ; il se contenta d’instituer une commission consultative provisoire au sein de laquelle, à côté des cardinaux Amat et Gizzi, aimés du public, on trouvait le cardinal Lambruschini, dont le parti rétrograda avait failli faire un pape, et Mgr Marini, gouverneur de Rome, non moins impopulaire que lui. Cet éclectisme gouvernemental montrait déjà le caractère indécis du pontife ; c’est pourquoi, au lieu de lui dire comme à Grégoire XVI : « Saint-père, n’ayez pas peur ! » on lui criait de tous côtés : « Saint-père, amnistie ! » Mais Pie IX ne se décida pas sans coup férir à ouvrir les prisons. On répandit que ses bonnes intentions étaient entravées par les conseils d’une prudence vulgaire, qui était en un pareil moment la plus grave des imprudences. Le cardinal Lambruschini et ses amis insistèrent pour que les captifs ne fussent point mis tous à la fois en liberté. Enfin, après presque un mois d’attente, l’amnistie fut proclamée (16 juillet), et les Romains, froids jusqu’alors, applaudirent le pape avec enthousiasme. Ils ne pouvaient lui dire plus clairement ce qu’ils attendaient de lui. » L’amnistie, du reste, n’était point pleine et entière. Elle imposait à ceux qui avaient été emprisonnés et persécutés par Grégoire XVI pour cause politique l’obligation de faire amende honorable et de désavouer leur passé. Dès lors, elle devenait illusoire pour tous ceux qui avaient une âme fière et reculaient devant une bassesse. On finit par le comprendre, et, sans abroger cette disposition du décret, le gouvernement, sous la pression de l’opinion, dut bientôt laisser rentrer les exilés sans exiger d’eux d’engagement.

En ce moment, l’homme qui avait le plus d’influence sur l’esprit de l’indécis Pie IX était le Père Ventura, à qui il devait en grande partie son élévation. Ce général des théatins, vivement frappé de la scission de plus en plus profonde qui se produisait entre le catholicisme et l’esprit moderne, pensa qu’on pourrait rappeler les peuples à la foi en montrant que la religion n’était pas incompatible avec la liberté, et il parvint à persuader au pontife qu’il avait tout à gagner en faisant quelques insignifiantes réformes. À son instigation, Pie IX nomma secrétaire d’État, le 8 août, le cardinal Gizzi, qui passait pour libéral, acquitta les dettes des prisonniers détenus au Capitole, changea presque tous les légats, qui étaient généralement détestés, réduisit les dépenses de sa maison pour remédier au déficit du trésor, supprima les pensions qui n’étaient pas suffisamment justifiées, imposa pour trois ans chaque couvent de 3 scudi et chaque curé de 1 scudo, nomma une commission chargée d’étudier les modifications à introduire dans le code romain et supprima les commissions militaires dans la Romagne. En même temps, il permit les associations industrielles, les salles d’asile, les cabinets de lecture, les congrès scientifiques, autorisa la création d’une école centrale pour les ouvriers et l’établissement de chemins de fer, toutes nouveautés rangées au nombre des plus révolutionnaires par son prédécesseur. Cela fait, le pape crut avoir suffisamment démontré que le pouvoir temporel n’était pas l’ennemi du progrès et pensa que le peuple devait se tenir pour satisfait. Ce qui le confirma d’abord dans cette illusion, ce fut l’accueil enthousiaste que les Romains firent à ces diverses mesures. Les démocrates eux-mêmes portèrent Pie IX aux nues. Ce fut un concert d’hymnes hyperboliques et l’on alla jusqu’à voir dans le pontife le rénovateur de l’Italie par la liberté. Rien n’était plus absolument faux. Pie IX n’eut jamais la pensée de donner la liberté, dans le vrai sens du mot, et à vrai dire, étant donné son titre de chef d’une théocratie qui se proclame infaillible, il ne le pouvait pas. D’accord avec son secrétaire d’État soi-disant libéral, il ne considérait comme admissibles que quelques réformes administratives. Pressé de faire des concessions plus larges, d’arriver aux réformes politiques, il disait ; « Je ne veux pas me damner pour plaire à messieurs les libéraux. »

Il finit néanmoins par faire une loi sur la presse, par nommer un ministère et par laisser mettre à l’étude un projet relatif à la nomination d’une assemblée de notables ou consulte, mais sa loi sur la presse (12 mars 1847) maintenait la censure préalable et ne permettait aux citoyens de publier leurs opinions sur les sujets d’administration et d’histoire contemporaine qu’à la condition de le faire en termes qui ne tendissent, ni directement ni indirectement, à critiquer le pape et ses actes ; mais son premier ministère, qu’il constitua le 14 juin 1847, se composait uniquement de cardinaux et de prélats la plupart hostiles à toute réforme, pour bien montrer que les laïques devaient être exclus du gouvernement et qu’il n’avait point rompu avec les idées rétrogrades ; mais la consulte d’État qu’il consentait à laisser nommer ne devait avoir aucune action réelle, aucun contrôle efficace sur les affaires. À cette époque, M. Rossi, ambassadeur de France à Rome, écrivait à M. Guizot : « On n’a encore rien fait jusqu’à présent que des promesses, des propositions ; rien créé que des commissions qui ne travaillent pas. Il n’est donc pàs étonnant que le pays commence à entrer en défiance et à s’inquiéter. Il n’accuse pas le pape de duplicité, mais il l’accuse de faiblesse. »

Le peuple romain, principalement la classe éclairée, constamment tenue à l’écart des affaires et qui supportait avec impatience le despotisme théocratique, ne pouvait se contenter longtemps de réformes insignifiantes qui n’étaient faites, du reste, que sur le papier et qui restaient à l’état de projet. La popularité du pape commença à décliner. Néanmoins, les Romains affectaient, dans leurs manifestations, de séparer Pie IX de ses conseillers, de rejeter sur ces derniers le mauvais vouloir qu’on opposait à la réalisation des mesures les plus inoffensives, et d’acclamer le pontife. À la suite de manifestations bruyantes qui eurent lieu à l’occasion de l’anniversaire de l’exaltation du pape, le cardinal Gizzi proscrivit les réunions publiques et continua de s’opposer, de concert avec rie IX, à l’organisation de la garde civique, qu’on réclamait vivement. Mais, par un revirement subit, le pape publia son manifeste ou Motu proprio du 12 juillet, dans lequel il accordait l’établissement des gardes civiques, et le cardinal Gizzi donna sa démission, en déclarant qu’il était impossible à un ministre de gouverner avec un homme aussi faible et aussi mobile que Pie IX. Il fut remplacé, comme secrétaire d’État, par le cardinal Ferretti, parent du pape.

En ce moment, le parti des cardinaux hostiles à tout progrès et dont tous les efforts avaient eu pour effet de paralyser l’exécution de quelques réformes mises à l’étude, ce parti avait ourdi une conspiration dans le but d’enlever Pie IX, de l’isoler de ses conseillers libéraux et de frapper, par des mesures de terreur familières au gouvernement pontifical, les Romains qui s’étaient signalés en revendiquant les libertés publiques. Selon toute vraisemblance, le complot était connu à Vienne, car, le jour même où il devait éclater à Rome, les Autrichiens envahissaient Ferrare (17 juillet 1847). Grâce au cardinal Ferretti, le complot avorta et la nouvelle en parvint au public en même temps que celle de l’occupation de Ferrare. Ces faits produisirent la plus vive agitation. Les Romains coururent aux. armés, s’organisèrent en compagnies, en bataillons, et se donnèrent des chefs provisoires. Dès lors, la garde nationale existait, et le pape, qui voyait cette garde se lever et se constituer pour le défendre, ne pouvait refuser sa sanction au fait accompli. En même temps, Ferretti adressait au gouvernement autrichien une énergique protestation contre l’occupation de Ferrare par le général Àuersperg, et cette protestation eut pour effet l’évacuation immédiate de cette ville. Ces faits eurent pour résultat d’exciter au plus haut point le sentiment national contre l’étranger qui occupait le nord de l’Italie. L’émotion qui s’ensuivit etl’attitude de Pie IX ne réagirent pas seulement alors sur toute la péninsule, mais encore, et avec une puissance ’ toute particulière, sur l’enchaînement et la marche des événements qui allaient s’accomplir en Europe.

Devenu malgré lui et sans s’en douter le souverain le plus libéral de l’Europe, Pie IX, tiraillé en tous sens, poussé dans les voies les plus opposées, d’une part par la grande majorité des cardinaux et par le corps diplomatique étranger, qui l’accusaient de céder à un courant également menaçant pour la théocratie et pour les trônes étrangers ; de l’autre par les libéraux et les patriotes, qui avaient l’étonnante naïveté de Croire que le chef d’une religion pouvait contribuer à régénérer un peuple par la liberté, Pie IX allait au hasard, reculant ou avançant tour à tour, ne sachant jamais prendre dans un sens ou dans l’autre une résolution virile. Toutefois, le cardinal Ferretti, homme sans" talent mais d’une nature droite, parvint a persuader au pape qu’ayant promis des réformes il devait tenir sa promesse, (Je fut à lui qu’on’ dut l’établissement de la municipalité romaine, la

diminution de l’impôt du sel, l’établissement d’une union douanière entre les États romains, la Toscane et la Sardaigne, ce qui était un pas important vers l’unité de l’Italie, enfin la nomination d’une consulte d’État, composée des notables élus par les provinces. Cette assemblée, qui se réunit pour la première fois le u novembre, sous la présidence du cardinal Antonelli, n’avait d’autre droit que celui d’initiative. Poussée par l’opinion, elle demanda la liberté de la presse, lu fédération de l’Italie, l’émancipation des juifs, l’abolition de la loterie, l’établissement d’écoles d’économie politique, la colonisation du territoire romain, le renvoi des jésuites. Pie IX n’obtempéra point à tous ces désirs, mais il composa un nouveau ministère dans lequel il admit quelques laïques. Cependant les anciens conseillers de Grégoire XVI conservèrent leur influence et le peuple romain s’éloigna chaque jour du pontife. D’autre part, le parti libéral modéré, voyant ses efforts superflus et son impuissatice à obtenir rien de sérieux, abandonna la direction du mouvement au parti révolutionnaire qui, encouragé par ce qui se passait dans le reste de l’Italie 1 et en France (février 1848), réclama impérieusement une constitution.

Le cardinal Fenetti, craignant de se. voir entraîné plus ioin qu’il ne voulait dans la’ voie des transformations, avait donné sa démission le 7 février et avait été remplacé par le cardinal Bonfonti, qui ne fit que s’opposer aux vœux de la consulte. Le mécontentement s’en accrut ; on ne voulut plus de ministres ecclésiastiques, sachant qu’il n’y avait rien à attendre d’eux ; dans une grande manifestation on cria : « Mort aux jésuites LPlus de prêtres au gouvernement I • et on demanda avec une insistance de plus en plus grande une constitution donnant de réelles garanties. À la suite d’une démarche de la municipalité ayant à sa télé le prince Corsini, le pape Huit par céder ; il annonça comme toujours des réformes et promit enfin une constitution analogue à celle des autres États italiens. Pendunt qu’une commission était chargée de l’élaborer, Pie IX réorganisa, le 9 mars, son ministère, à la tête duquel il plaça le cardinal Antonelli, qui se faisait alors remarquer par un semblant de libéralisme ardent. Sur i»euf ministres, troia seulement étaient eeclé PIE

siastiques. Tous les autres, parmi lesquels se trouvaient l’avocat Sturbinetti et le docteur Galletti, étaient laïques, « Les nouveaux ministres, avant d’accepter, dit M. Perrens, avaient demandé qu’on leur donnât connaissance du projet de constitution ; il leur fut répondu que, dans un État ecclésiastique, la constitution devait être exclusivement l’œuvre des hommes d’Église et qu’ils la connaîtraient lorsqu’elle serait promulguée. C’était entendre singulièrement la responsabilité ministérielle ; pour prendre le pouvoir dans de

pareilles conditions^ il ne fallait pas moins qu’un excès d’ambition ou de dévouement. Enfin, le 14 mars, parut ce statut tant désiré par les citoyens et que Pie IX donnait a contre-cœur, n’en ayant jamais compris la nécessité. Il avait une si médiocre intelligence des choses constitutionnelles, qu’il croyait de bonne foi que les autres États européens avaient pris modèle de leurs institutions sur celles de Rome. Leur Chambre des députés, disait-il, c’est notre collège des avocats consistoriaux ; leur Chambre des pairs n’est qu’une imitation du collège des cardinaux. Le sacré collège formait, dans la constitution nouvelle, comme un sénat suprême ; au-dessous étaient le haut conseil, composé de membres à vie, nommés par le pape, véritable sénat, et le conseil des députés, nommés par le peuple, un par trente mille âmes. Le conseil d’État était chargé de préparer les lois, lesquelles n’étaient exécutoires qu’après avoir été soumises aux deux conseils délibérants et au pape en consistoire secret. Le pape se réservait un pouvoir absolu sur les matières ecclésiastiques et interdisait aux deux conseils de présenter des propositions relatives à des matières mixtes ou contraires aux canons et à la disciplinéde l’Église. Cette interdiction rendait impossible le rôle des

Chambres tant qu’on n’aurait pas rigoureusement déterminé quelles seraient les matières mixtes ; d’ailleurs, dans un gouvernement spirituel et temporel tout ensemble, à quoi n’était-il pas aisé d’attribuer ce caractère ? C’était l’article 14 de la nouvelle charte, et l’on y trouvait d’autant plus de facilité pour la violer que le conseil suprême, celui des cardinaux, délibérait en secret. Si l’on ajoute que la censure était maintenue contre la presse et qu’il fallait être catholique pour être admissible aux plus modestes emplois comme aux plus élevés, on aura une idée de ce statut qui permettait de gouverner comme par le passé, à moins que le mouvement libéral ne vînt le développer et le vivitier. Tel qu’il était, H semblait à Pie IX une concession extrême, « Je crois que le peuple est content, disait-il aux membres de la municipalité ; dans tous les cas, j’ai fait tout ce que je pouvais ; je ne saurais accorder davantage. • Le peuple romain, toujours prompt à l’enthousiasme, applaudit a l’octroi de cette constitution, ce qui prouve qu’il n’était pas exigeant. En ce moment, une question de politique plus générale occupait tous les esprits. Une partie de l’Italie septentrionale venait de se soulever contre le joug autrichien pour expulser l’étranger de la péninsule. À l’appel de Milan et de "Venise, les Romains répondirent en demandant au pape de prendre part au mouvement d’indépendance et de rappeler de Vienne la nonciature. Pie IX refusa, ne voulant pas prendre les armes contre l’Autriche. Toutefois, l’élan national devint tellement irrésistible, qu’à la suite d’une émeute pendant laquelle on brisa lesécussons de l’ambassade d’Autriche (21 mars) il se décida à envoyer sur le Pô, le 23 mars, un corps d’armée comprenant 17,000 hommes, mis sous les ordres du général Durando. En ayant l’air de céder ii l’opinion, il espérait se débarrasser des patriotes libéraux qui réclamaient des réformes avec le plus d’instance, .et, d’autre part, il était convaincu que cette démonstration armée serait sans objet, car il avait eu soin de recommander à Durando, dont il connaissait le peu de décision, de ne prendre part k la guerre que si les Autrichiens envahissaient les États pontificaux. Mais lorsque l’armée arriva sur les rives du Pô, elle se montra impatiente de le franchir, et Durando, ne sachant plus que faire, demanda au gouvernement de le tirer d’embarras. Le ministère supplia alors instamment Pie IX de donner aux troupes l’ordre de prendre part à la guerre. Le pape ne répondit pas et continua à tergiverser ; enfin, le 29 avril, il prononça dans un consistoire une allocution dans laquelle il déclara qu’il répudiait toute solidarité avec les Italiens, qui avaient combattu les Autrichiens dans le nord de la péninsule, que, < vicaire du Christ, il ne ferait jamais la guerre à. ses enfants, » et qu’il n’avait envoyé des soldats aux frontières que pour défendre au besoin l’intégrité des États de l’Église. Si, Eelon l’expression du cardinal Lambrusehini, c’était « parler en pape, » ce n’était point, dans les circonstances présentes, parler eu prince italien. Les Romains, qui avaient cru au patriotisme du pape, purent voir alors combien grande avait été leur illusion. En même temps qu’on lisait à Rome l’allocution du pape, on apprenait que les Autrichiens avaient pendu un soldat romain et attaché sur la potence cette inscription : « C’est ainsi qu’on traite les soldats de Pie IX. > À cette double nouvelle, les Romains, excités par les chefs populaires, Sterbini, Aneelo Brunetti, dit Cieeruacchio, et autres, cintrèrent ûaua u*>ocai.trô»i« agîuuioxi.i„ckpa.p4

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ne put la calmer qu’en acceptant un nouveau’ programme et en formant un nouveau ministère (4 mai 1848). Dans ce cabinet, dont faisaient partie le cardinal Altieri, comme président, et le cardinal Ciacchi, légat de Ravenne, comme ministre des affaires étrangères, entra l’exilé Mamiani, dont les œuvres étaient à l’index et qui prit le portefeuille de l’intérieur, Mamiani, très-moderé, mais alors très-populaire, parvint à calmer les esprits. En même temps, le pape écrivit à l’empereur d’Autriche pour lui conseiller d’abandonner ses possessions en Italie. Sur le refus de ce dernier, la guerre fut définitivement engagée et le général Durando fut muni cette fois du pouvoir de combattre. Cependant le pape, n’ayant pris Mamiani que parce qu’il y avait été forcé, lui faisait une sourde opposition dans toutes les occasions et l’empêchait notamment d’établir cette fédération de l’Italie qui avait été le rêve de sa vie. Le 18 mai, les électeurs furent appelés à élire le Parlement, dont l’ouverture fut fixée au 5 juin. Mamiani écrivit, dans un sens libéral et modéré, le discours du trône, qu’il présenta à l’approbation de Pie IX ; mais celui-ci n’en fut nullement satisfait. Il le refit et le lui renvoya tellement modifié que le ministre offrit sa démission. Jugeant périlleux de l’accepter, le pape consentit à ce que Mamiani refit son discours et le lût sous cette nouvelle forme à l’Assemblée, comme étant l’expression de la pensée du ministère, approuvée par le pontife. La Chambre répondit par une adresse et demanda diverses améliorations peu faites pour plaire au pape. Aussi celui-ci, dans sa réponse à la députation qui lui présenta l’adresse, fit-il une vive sortie contre le programme du ministère. À la suite de ce blâme et d’un mouvement populaire, Mamiani donna sa démission (2 août). Il tombait du pouvoir haï de la cour, suspect au parti populaire et n’ayant pu faire que quelques réformes administratives. Édouard Fabri fut chargé de former un nouveau cabinet. En ce moment, les Autrichiens envahirent les légations, prirent Vicence et essayèrent sans succès de se rendre maîtres de Bologne. Le pape se borna à ordonner à son ministre des affaires étrangères, Soglia, de protester. Le nouveau ministère demanda qu’on répondît» cette agression par un mouvement offensif ; mais, impuissant à faire la guerre malgré le pape, il donna sa démission.

Ce fut alors (15 septembre 1848) que Pie IX mit à la tête des affaires Pelegrino Rossi, ancien ambassadeur de France à Rome et ami personnel de M. Guizot. Rossi entreprit d’établir, en s’appuyant sur la bourgeoisie, le régime parlementaire. Dans ce but, il se tint également éloigné du parti révolutionnaire et du parti de la réaction, se fit également détester des deux partis et n’eut pas le temps de réaliser son programme ; il fut assassiné le 15 novembre à Ta porte de l’Assemblée. Personne ne poursuivit l’assassin, qui resta inconnu. Quant au pape, il se borna à nommerun nouveau ministère, composé d’hommes essentiellement impopulaires. Il n’en fallut pas davantage pour faire éclater l’orage. Le lendemain, la foule, à laquelle se joignirent les troupes, se porta au. Quirinal, et une députation, à la tête de laquelle se trouvaient Sterbini et Galletti, alla demander au pape de changer son ministère. Pie IX, entouré’du corps diplomatique étranger, se montra intraitable. Cette attitude mit le comble à l’irritation populaire. Une lutte sanglante s’engagea entre le peuple et les Suisses. Les balles pénétrèrent jusque dans l’intérieur du palais et un canon fut braqué sur la porte extérieure. Le pape, tout en protestant, finit alors par céder et consentit a prendre pour ministres Sterbini, Galletti, Mamiani et l’abbé Rosmini. Quelques jours plus tard, le 25 novembre, déguisé en abbé, il montait en voiture avec Mme Spaur, femme du chargé d’affaires d’Autriche, gagnait sans encombre la frontière et se rendait à Gaete, où il se mettait sous la protection du roi de Naples.

De là, Pis IX adressa aux Romains une protestation contre ce qui venait de se passer et nomma pour gouverner à sa place une commission de sept membres appartenant au parti rétrograde ; mais aucun d’eux n’accepta. Le ministère envoya alors au pape une députation ; mais celui-ci refusa de la recevoir et rendit la rupture irrémédiable. Dans ces conjonctures, la Chambre des députés nomma

une junte de gouvernement, contre l’établissement de laquelle le pape protesta, puis se sépara spontanément.’La junte d’État convoqua alors le peuple dans ses comices pour élire, le 21 janvier 1849, une Assemblée constituante par le suffrage universel et direct. Ce fut le 6 février 1849 que se réunit la nouvelle assemblée qui, tout eu garantissant au pape son pouvoir spirituel, le déelara déchu de ses droits comme souverain temporel par 143 votes contre 11 (9 février). La république romaine fut proclamée et un ministère républicain fut installé sous la direction d’une commission exécutive composée de trois membres, Armellini, Montecchi et Saliceti. À ces mesures radicales le pape répondit par une protestation ; et l’on vit alors ce même homme, qui, parlant des Autrichiens, disait : « Jamais le vicaire du Christ ne fera la guerre à ses enfants, > faire adresser, le 18 février, par le cardinal Antonelli une note aux puissances pour réclamer l’intervention année de la

Fr&noo, do l’Autriche, d° l’Eapag Ue et d6S

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Deux-Siciles. Pour conserver son titre de roi, pour régner sur un peuple malgré ce peuple, pour lui imposer un gouvernement despotique, le seul qu’il put lui donner, le représentant de celui qui disait : « Mon royaume n’est pas de ce inonde, >, n’hésitait pas, comme étant la chose ia plus naturelle, à faire verser des flots de sang !

Nous n’avons pas k entrer ici dans les détails de l’expédition qui s’ensuivit. Rappelons seulement.qu a la suite d’un pacte fait entre Louis Bonaparte et M. de Montalembert, le chef des catholiques en France, le président de la république française prenait la résolution d’aller étouffer, au profit de l’absolutisme papal, la république romaine et envoyait en Italie un corps d armée sous tes ordres du général Oudiuot. Vainement l’ambassadeur de France, M. d’Harcourt, tenta une réconciliation entre le pape et le parti constitutionnel romain ; M. Mamiani et ses amis déclarèrent le rapprochement tardif et impossible. Mazzini (v. ce nom) devint le chef effectif de la république romaine et Garibaldi, à la tête des troupes, s’apprêta à la résistance. Après l’échec subi, le 30 avril, par le général Oudinot, qui croyait pouvoir prendre Rome sans coup férir, pendant qu’on lui envoyait k la hâta des renforts, M. de Lesseps, intervenant diplomatiquement, signait une trêve avec le

triumvirat et entamait des négociations qua le gouvernement français devait répudier. Dès que l’armée française fut assez forte pour reprendre l’offensive, Oudinot assiégea et bombarda Rome. Après une longue résistance, cette ville dut capituler, au moment où l’Assemblée venait de promulguer la nouvelle constitution. Le 5 juillet 1849, l’armée française entrait à Rome et l’on vit commencer cette occupation de vingt et un ans qui devait coûter si cher a la France, lui aliéner l’Italie et ne pas même satisfaire le parti de réaction à outrance qu’elle protégeait.

Redevenu maître de Rome grâce aux baïonnettes françaises, le pape ne voulut point y rentrer immédiatement. Il envoya trois commissaires, les cardinaux délia Genga, Vanicelli et Altieri, connus par leurs sentiments réactionnaires, et, le 17 juillet, le général Oudinot leur remit tous ses pouvoirs. Ces trois cardinaux s’acquittèrent de leur mission avec une implacable rigueur, emplirent les prisons, donnèrent le pouvoir de tout faire à la police pontificale, firent revivre les institutions les plus surannées et fondèrent leur gouvernement sur la proscription et la tyrannie. En même temps, les triumvirs rouges, comme on les appelait, témoignaient leur reconnaissance envers le gouvernement français par une défiance extrême et par un système d’espionnage contre les officiers de notre armée. Ce fut alors que Louis Bonaparte, blessé du peu de gré qu’on lui savait de son expédition, écrivit àlSon aide de camp, Edgard Ney, ea ce moment à Rome, la fameuse lettre du 18 août 1849. Dans cette lettre, il déclarait que la république française n’avait pas envoyé une armée à lîome pour y étouffer la liberté italienne, et résumait le rétablissement du pouvoir temporel du pape par ces mots : t Amnistie générale, sécularisation de l’administration, code Napoléon et gouvernement

libéral. • Ce langage fut vivement critiqué

Ear les catholiques. Pie IX y répondit en puliant, le 12 septembre, de Portici, où il se trouvait auprès du roi de Naples, le sanguinaire Ferdinand II, un molu prùprio, dans lequel il promettait des réformes administratives et municipales, qu’il se chargeait de déterminer ultérieurement, un conseil d’État et une consulte des finances. En même temps, il accordait une amnistie générale, dont il exceptait les membres du gouvernement provisoire, du triumvirat et du gouvernement de la république, les chefs militaires, tous les anciens amnistiés qui avaient participé à la révolution, tous ceux qui s’étaient rendus coupables de délits prévus par les lois pénales faites par le gouvernement pontifical, etc., exceptions qui faisaientde l’amnistie une pure dérision.

Le 12 avril 1850, le pape se décida enfin à quitter le royaume de Naples et à, revenir a Rome. Il prit pour secrétaire d’État le cardinal Antonelli, personnage plein d’astuee, qut, à partir de ce moment, ne devait cesser d’être l’interprète de sa politique, l’exécuteur de ses hautes œuvres, et qui montra autant d’ardear réactionnaire qu’il avait montré, en 1848 et 1849, de zèle démocratique. D’implacables rigueurs continuèrent à être exercées, non-seulement dans les légations occupées par les Autrichiens, mais à Rome même, sous les yeux de l’armée française. C’est ainsi que dans cette ville on condamna à plusieurs années de galères des citoyens qui avaient voulu fêter l’anniversaire de la république ou se coaliser contre l’usage du tabac. Ces simples faits disent suffisamment ce qu’on doit penser des prétendus bienfaits du gouvernement paternel papal. Ce ne fut qu en 185» que Pie IX se décida enfin à tenir les promesses qu’il avait faites par son motu proprio et à tracer les règle* da son gouvernement idéal. Il organisa alors la consulte et les muuieipes. Cette consulte, simple syndicat économique, n’ayant nulle attribution politique, nulle action sur les affaires publiques, se composait d’un délégué de chaque province. Ce délégué était nommé par le pape sur les listes dressées par les conseils provinciaux, nommés eux-mêmes par Pie IX sur les listes laites PIE

par les conseils municipaux ; et le gouvernement avait, en outre, le droit de dissoudre quand bon lui semblait cette consulte, sans être nullement obligé de la réorganiser dans un délai Axé. Quant aux munieipes, ils étaient administrés par des hommes désignés par le pouvoir et par des conseils municipaux élus par un petit nombre d’électeurs choisis avec soin. Le seul progrès consistait a admettre des laïques dans l’administration ; mais ces laïques, ne pouvant avoir aucune action, aucune influence sérieuse, étaient les instruments très-humbles du clergé tout-puissant. Toile était cette belle organisation que Pie IX proposait k l’Europe comme un modèle. Grâce à elle, grâce à l’absence de tout contrôle, k la compression incessante, k l’administration du cardinal Antonelli, les finances furent ruinées, les privilèges restaurés ; les résultats de ce nouveau régime furent : le commerce nul ; le développement des études, les chemins de fer, les télégraphes, l’armée nationale vainement réclames ; la contrebande florissante, le brigandage sans répression, l’état de siège permanent, les vengeances atroces, les factions frémissantes, le mécontentement universel.

Débarrassé, grâce k l’occupation française, des réclamations importunes des libéraux, qui l’avaient empêché jusqu’en 1850 d’établir le plus beau des gouvernements cléricaux possibles, Pie IX put enfin se souvenir qu’il était le chef de l’Église catholique et, à ce titre, il montra un esprit d’initiative, un goût d’innovation tels, qu’il devait arriver a transformer de fond en comble la constitution de l’Église. Presque aussitôt après son avènement au pontilicat, il avait lancé une encyclique contre le rationalisme (1846). Le U juin de l’année suivante, il adressa à tous les chefs d’ordres religieux une lettre pour les exciter à se réformer dans le sens d une plus stricte observation de leurs règles. Le 2 février 1849, il publia, pendant son séjour k "laëte, une encyclique sur la question de l’immaculée conception de la Vierge, dans le but d’attirer sur ce sujet l’attention des catholiques et de préparer l’accomplissement d’un fait inouï depuis un grand nombre de siècles dans l’Eglise, la proclamation d’un dogme nouveau. Le 24 septembre 1850, il rétablit la hiérarchie épiscopale en Angleterre et, le 4 mars 1853, en Hollande, Le 8 décembre 1854, en présence d’un grand nombre d’évêques réunis par lui à Rome, Fie IX érigea en dogme, de son autorité privée et contrairement k tous les précédents de l’Église qui exigeaient les délibérations préalables d’un concile, l’immaculée conception de la Vierge, question qui avait toujours été fort controversée parmi les théologiens catholiques. Il « déclara, prononça et définit que la doctrine qui aftirme que la bienheureuse Vierge Marie a été préservée et affranchie de toute tache du péché originel dès le premier instant de sa conception, en vue des mérites de Jésub-Christ, sauveur des hommes, est une doctrine révélée de Dieu, que, pour ce motif, tous les fidèles doivent croire avec fermeté et constance.» L’année suivante, le 18 août, le pape signa avec l’empereur d’Autriche, François-Joseph, un concordat qui donnait au clergé la haute main sur l’instruction, la presse, la publication des livres, etc. Au mois de mars 1856, il consentit à devenir le parrain du fils de Napoléon 111, qui continuait, aux frais de la France, h protéger son pouvoir temporel. En ce moment, un congrès chargé de régler les affaires d Orient était réuui à Paris. Le plénipotentiaire sarde ] M. de Cavour, profita de l’occasion pour signaler aux puissances ta situation des États romains et réclamer en leur faveur les réformes demandées par Louis Bonaparte dans sa lettre à M. Edgar Ney. Mais les autres plénipotentiaires, tout-en reconnaissant que la situation des États de l’Église était anomale, ne crurent pas pouvoir s’occuper d’une question que la position exceptionnelle du pape rendait insoluble.

Pie IX avait inflexiblement maintenu son système de gouvernement par la compression et l’appui des baïonnettes étrangères, lorsque, en 1859, lo Piémont, soutenu par la France, déclara la guerre à l’Autriche. Une grande agitation se produisit alors dans toute 1 Italie, qui entrevoyait l’heure de la délivrance. À peine la guerre fut-elle déclarée que les duchés de Panne, de Tos^îine et de Modèue se soulevèrent, forçant a fuir leurs princes, inféodés au système autrichien. A peine les Autrichiens qui forçaient la Romagne a subir le joug du pape eurent-ils évacué Bologne (12 juin 1S59), que la Romagne, secouant ce joug détesté, se rangea sous l’administration provisoire du Piémont. Vainement, par la convention de Villafranca (il juillet), Napoléon III, dans le but de conserver au pape l’intégrité de ses États, stipula la formation d’une confédération italienne, dont le présidence honoraire serait dévolue à Pie IX. les Légations, imitant l’exemple de la Toscane, de Panne et de Modène, déclarèrent, par un double vote à peu près unanime, qu’elles voulaient faire partie de la monar. chie sarde, et le roi Victor-Emmanuel, malgré les représentations de la diplomatie, malgré les foudres impuissantes lancées par l’évêque de Rome, accepta leur annexion.

L’enthousiasme avec lequel les Légations se séparaient des États de l’Église donnait la mesure de ce que valait le gouvernement clérical. Tout autre homme que Pie IX y eut vu

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un avertissement salutaire et eût cherché par une administration plus sage et plus libérale à rattacher à lui la partie de ses États qui, grâce à la présence des corps d’occupation français, n’avait pu manifester ses sentiments. Le pape n’en fit rien. À ce qu’il considérait comme une révolte impie, il ne vit qu’un remède, l’appel à la force pour rétablir sous le joug les malheureuses Légations. Fort heureusement, nulle puissance n’était désireuse de reprendre en sous-œuvre la folle expédition faite en 1849 par Louis Bonaparte, de déclarer la guerre à l’Italie, de mettre à feu et à sang la péninsule pour complaire à Pie IX. Napoléon III lui-même, sachant avec quelle raillerie hautaine et parfaitement justifiée, du reste, on lui avait répondu chaque fois qu’il s’avisait de demander pour les Étata de l’Église des garanties et des libertés qu’il violait hautement en France, Napoléon III, quelque peu ménager qu’il fût du sang et de lor du peuple, reculait devant une pareille entreprise. Le 31 décembre 1859, en réponse à une lettre du pape datée du 2 décembre, il lui écrivit que, tout en reconnaissant les droits du pape sur les Légations, il l’engageait à s’incliner devant le fait accompli, a taire le sacrifice des provinces séparées. Le i«f janvier 1860, le général Goyon alla porter ses félicitations à Pie IX. Celui-ci, faisant allusion ■ à une brochure fameuse, le Pape et le congrès, qui exprimait les mêmes idées que Napoléon III et avait été écrite sous son inspiration, n’hésita point à l’appeler « uq monument insigne d’hypocrisie et un tissu ignoble de contradictions. » Le 19 janvier, il adressait aux évêques de la chrétienté une encyclique dans laquelle, renversant les rôles, il se prétendait persécuté et émettait cette théorie étonnante qu’il ne pouvait renoncer k la possession des provinces séparées de la domination pontificale ■ sans faire tort k tous les catholiques. > En même temps, il engageait les évêques • à enflammer chaque jour davantage les fidèles confiés à leurs soins, afin qu’ils ne cessent jamais d’employer tous leurs efforts, leur zèle à la défense de l’Eglise, ainsi qu’au maintien du pouvoir civil du saint-siége. » Répondant k cet appel, les évêques publièrent de tous côtés des mandements, dans lesquels ils réclamaient à cor et à cri la partie perdue de ce i patrimoine de saint Pierre, » dont saint Pierre, s’il avait pu revivre, eût été stupéfait d’apprendre l’existence. Vainement, dans une circulaire adressée aux évêques, M. Rouland, ministre de l’instruction publique, exprimait le désir que « le pape voulût bien, en sa qualité de souverain d’un État italien, envisager les événements comme la Providence les laisse elle-même se dérouler dans la longue histoire de l’humanité ; ■ l’épiscouat accueillit avec dédain la circulaire, et le clergé inférieur redoubla d’ardeur et d’audace. < Non content, dit M. Delord, d’injurier en chaire les ennemis du pouvoir temporel et de les vouer aux peines éternelles, il fit remonter ses anathèmes jusqu’au chef de l’État. »

Cependant les Italiens, sans se préoccuper de ces vaines clameurs, commençaient leur grande œuvre d’unification. En présence de cet état de choses, Pie IX fit appel de toutes parts aux volontaires catholiques et résolut d’organiser pour son propre compte une armée avec laquelle il espérait pouvoir se passer bientôt du corps d’occupation français. Au mois d’avril 1860, Lamoricière consentit, avec l’autorisation du gouvernement français, k aller, prendre le commandement de cette armée et lui adressa une proclamation dans laquelle il lui annonçait qu’elle allait combattre la révolution, « ce nouvel islamisme. » Pendant qu’au milieu de difficultés et de déceptions de tout genre Lamoricière essayait d’organiser ses troupes, composées d’étrangers, Garibaldi débarquait en Sicile (mai 1860) et accomplissait cette prodigieuse campagne qui, en quelques mois, le rendit maître du royaume des Deux-Siciles. Il venaitde s’emparer de Naples (7 septembre), lorsque le gouvernement italien, voyant Lumoricière prêt à entrer en campagne pour s’emparer des Légations, somma le gouvernement pontifical de dissoudre son agglomération de « croisés » étrangers, armés à Rome, en dehors du peuple et contre le peuple ; et, sur son refus, il ordonna» un corps de troupes, commandé par Cialdini et Fanti, de pénétrer sur le territoire pontifical. Quelques jours plus tard, Lamoricière, k la tête de 8,000 hommes, rencontrait à Castelfidardo le général Cialdini et lui livrait bataille ; mais aux premiers coups de canon, " l’armée des croisés, k l’exception des volontaires français, s’enfuit dans toutes les directions, et Lamoricière dut chercher un refuge à Ancône, où il fut contraint de capituler. Sauf la ville de Rome et le territoire qui s’étend entre cette ville et Civita-Vecchia, tout ce qui n’était pas occupé par l’armée française fut envahi par les Piémontais et, encore une fois, malgré les protestations du pape, les populations volèrent leur annexion au royaume de Victor-Emmanuel. Le 17 décembre, Pie IX prononçait une allocution dans laquelle se trouvait ce passage ; à La perfidie, la trahison régnent maintenant partout, et notre âme est fortement attristée de voir que l’Église est persécutée, même en France, ou le unef du gouvernement s’était montré si bienveillant pour nous et avait feint d’être notre protecteur. Maintenant, il nous est difficile de savoir si nous

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sommes protégé par dés amis ou si nous sommes mis en prison par des ennemis : Petrus est in vinculis (Pierre est dans les fers). » À vrai dire, Pie IX n’était pas plus dans les fers que le clergé n’était persécuté en France, où seul il avait impunément le droit de tout dire. Mais cette double assertion ne servit pas moins de thème aux nouveaux mandements des évêques, dont le langage fut des plus virulents, et cet état de choses ne contribua pas peu k amener des rapports très-difficiles entre Pie IX et le cabinet des Tuileries. Ce fut à cette époque qu’à la suite d’une très-yiye altercation entre le prélat de Mérode, ministre de la guerre du pape, et M. de Goyon, commandant le corps d’occupation français, ce dernier déclara qu’il « le souffletait moralement a et qu’il ne voulait plus traiter directement qu’avec le cardinal Antonelli. Pendant ce temps, le parlement italien proclamait Victor-Emmanuel roi d’Italie (Ï6 février 1861) et déclarait Rome capitale définitive du nouveau royaume, dont la capitale réelle était encore Turin. En présence de ce vote, le pape ne trouva rien de mieux à faire que de prononcer son allocution du 1S mars 1861, dans laquelle il déclarait qu’il « ne pourrait sans blesser gravement sa conscience faire alliance avec la civilisation moderne. » Lorsqu’un chef de religion a la prétention de se doubler d’un chef d’État et lorsque, en tant que chef d’Etat, il repousse comme exécrables la liberté de conscience, la liberté de pansée et le droit pour un peuple de se gouverner lui-même, il donne la mesure de sa capacité gouverné mentale et prononce sa propre condamnation. Pie IX, en essayant de flétrir dans son allocution « cette civilisation moderne qui s’attache k favoriser tout culte non catholique, qui u’èearte même pas les infidèles des emplois publics et qui ouvre les écoles catholiques à leurs enfants, » ne soupçonnait pas qu’en reconnaissant à tous les mêmes droits la civilisation est l’expression même de la justice, et qu’en affirmant le contraire le pontife romain montrait lui-même d’une façon irréfragable que son pouvoir temporel était définitivement condamné.

Eu 1862, Pie IX appela à Rome un grand concours d’évêques pour assister à la canonisation de Michel de Sanctis et de vingt-trois martyrs morts au Japon en 1597. Le gouvernement français crut devoirJi cette occasion, rappeler aux évêques de France qu’ils ne pouvaient s’éloigner du territoire sans la permission du chef de l’État, et quelques-uns d’entre eux se rendirent à Rome avec cette autorisation. Pie IX n’avait fait jusque-là que des béatifications. La canonisation des martyrs japonais, qui eut lieu le 8 juin, était la première qu’il prononçait. Les évêques présents profitèrent de leur réunion pour 1 encourager dans sa résistance au démembrement du pouvoir temporel et signèrent une déclaration dans laquelle ils affirmèrent la nécessité de ce pouvoir.

Le gouvernement français avait compris, mais un peu tard, la faute qu’il avait commise par son intervention de 1849. Rendu responsable par le pape, qu’il protégeait à Rome, et par le clergé, qu’il comblait d’honneurs, du démembrement des États de l’Eglise, il songea à mettre un terme à l’occupation de Rome par ses troupes, laquelle n’avait servi qu’a irriter les Italiens contre la France. Dans ce but, il signa avec le roi Victor-Emnuel la convention du 15 septembre 1864. Par cette convention, le terme de l’occupation française était fixé au 15 septembre 1866, et le pape devait alors être abandonné k ses propres ressources et l’Italie k son initiative. Ce fut, en quelque sorte, pour répondre à cette convention que Pie IX lança, le S décembre 1864, la plus célèbre de ses encycliques, accompagnée d’un Syllabus non moins laineux, qui en condensait les doctrines sous forma de propositions. Ces deux documents, longuement élaborés, contenaient la condamnation expresse de toutes les idées que re-Frésentent les sociétés modernes. C’est dans encyclique surtout qu’on trouve indiqués avec une extrême précision les termes du débat engagé entre les idées libérales et les prétentions ultramontaines. On y voit traités « d’impiété, d’absurdité et de délire » les principes fondamentaux de notre droit public, tels que la liberté de conscience et des cultes et l’incompétence des gouvernements en matière de toi religieuse. L’encyclique déclare que la puissance royale est avant tout conférée aux princes pour la protection de l’Église, et elle condamne l’opinion selon laquelle l’Eglise n’aurait pas le droit de punir par des peines temporelles les violateurs dé ses lois. Ce document eut l’extrême avantage de détruire tout équivoque et, en supprimant le catholicisme libéral, de ne plus laisser en présence que les partisans de l’état franchement laïque et ceux de l’état franchemeut théocratique. Le gouvernement français, par décret du 5 janvier 1865, interdit la publication officielle du Syllabus.

Cependant le terme assigné k l’évacuation des troupes françaises de Rome approchait. Pour protéger son pouvoir temporel après le départ de nos soldats, le pape ne pouvait songer au peuple romain. Il s adressa donc encore une fois au gouvernement français, qui, au commencement de 1866, consentit à lui faciliter le recrutement d’un, corps étranger, dit légion d’Amibes, et autorisa des officiers de notre armée à en faire partie. Cette légion,

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grossie des eouaves pontificaux, se trouvait à Rome lorsqu’en partit l’armée française. Pour entretenir ses troupes, Pie IX, dont le budget se liquidait par des dépenses doubles des recettes et qui ne pouvait contracter que difficilement des emprunts à un taux usuraire, fit un appel aux fidèles et chargea tous les évêques du monde de recueillir le denier de saint Pierre. Depuis lors, cette contribution volontaire des catholiques ne cessa d’être une source abondante de revenus pour le souverain pontife. Cette même année 1866, Pie IX adopta le système monétaire français et consacra k perpétuité par un bref le collège d’écrivains jésuites qui fondèrent le journal ta Civiltà cutloliea et se proposèrent de défendre les doctrines de l’Église par la voie de la presse.

En 1867, Garibaldi, désireux de consommer le dernier acte de l’unité italienne, s’échoppa de Caprera, où il était gardé k vue, et envahit les États pontificaux. À cette nouvelle, le gouvernement français envoya au secours du pape un corps d’armée sous les ordres du général de Failly. De son côté, Victor-Eminanuel offrit à Pie IX d’aller le protéger contre la tentative des garibaldiens ; mais celui-ci refusa, malgré les instances de la municipalité romaine, qui lui demandait de se placer sous la protection des troupes italiennes (18 octobre). Cependant Garibaldi avançait, battait les pontificaux à Monte-Rotoudo (26 octobre) et allait occuper le3 hauteurs de Mentana, à quelques kilomètres de Rome. Ce fut alors que le général de Failly, arrivé en toute hâte, se joignit k l’armée pontificale. Grâce aux chassepots français, qui, selon son expression, « firent merveille, • il battit les garibaldiens et les força à se disperser. Encore une fois le pouvoir temporel était sauvé du naufrage et l’occupation française recommençait.

Peu de temps auparavant, Pie IX avait publié une encyclique (18 octobre 1867), dirigée contre le gouvernement italien, et, le £0 septembre, il avaîtcondainné, comme étant nulles et de nul effet, les lois votées par le Parlement italien concernant la sécularisation des biens ecclésiastiques. En février 1868, il écrivit une lettre k l’évêque d’Orléans, Du par loup, pour le féliciter d’avoir vivement attaqué, au sujet de l’instruction secondaire des filles, le ministre de l’instruction publique Duruy ; puis il ordonna le dessèchement du marais d’Ostie (mai-octobre 1868), un des actes les plus méritoires de son règne. Cette vaèma année, Pie IX eut de vifs démêlés avec le gouvernement autrichien qui, forcé par les événements de se retremper et de se régénérer dans le courant des idées libérales, lui demanda la révision du concordat. Toujours rebelle k toute concession, le pape refusa, en se livrant aux plus amères récriminations. Les Chambres autrichiennes passèrent outre et votèrent successivement, en harmonie avec les idées modernes, des lois sur la liberté de conscience et de la presse, sur les mariages mixtes, la tenue de 1 état civil, L’enseignement primaire. Le pape ne se borna pas k déclarer ces lois ■ hautement réprouvables, abominables, contraires à la doc > ri ne, aux droits et à la constitution de l’Église, att pouvoir du saint-siége, au concordat et au droit naturel ; t il engagea les évêques à résister au gouvernement qui les avait promulguées (juin 1868). Cette même année, au mois de janvier, Pie IX envoyait k la reine d’Espagne Isabelle la fameuse rose d’or bénite à fa messe des rois, comme témoignage de satisfaction pour son attachement au saintsiége et, sans doute aussi, pour ses vertus privées. Après l’expulsion d’Espagne de cette princesse (septembre 1868), il reconnut le gouvernement provisoire, tout en refusant d’admettre en sa présence son ambassadeur, puis il défendit aux évêques espagnols d’aller siéger aux cortès constituantes et de prêter serment à la constitution de leur pays. Enfin, le 29 juin 1868, il publia la bulle jH terni patris, par laquelle il convoquait un concile oecuménique k Rome pour lo 8 décembre de l’année suivante.

Cette bulle de convocation produisit la plus vive sensation dans le monde catholique, car elle avait pour objet la promulgation d’un dogme nouveau. C’était la seconde fois que Pie IX venait apporter au Credo de l’Église des modifications profondes, et cette fois le dogme qu’il allait taire décréter, l’infaillibilité personnelle du pape, ne tendait k rien moins qu’a changer de fond en comble la constitution même de l’Église (v. infaillibilité). Pendant les derniers mois de l’année 1868 et les onze premiers de l’année 1869, Pie IX s’occupa à peu près exclusivement de faire préparer les travaux du prochain concile. Fendant ce temps, il se produisait parmi les évêques et dans le clergé catholique un vaste mouvement d’opinion. De toutes parts s’élevaient des controverses animées. Pendant que la majorité des évêques et du clergé soutenait avec une ardeur passionnée les prétentions pontificales, appuyées par les jésuites, par tous las ultramoiitains et propagées par des journaux, dont les principaux étaient tu Civiltà caltolica, k Rome, et l’Unineri, a Paris, une minorité, imposante surtout parla talent, s’élevait avec chaleur contre le dogme, l’opportunité de sa promulgation et contre les conséquences qu’on devait en tirer. Parmi les opposants, on remarquait les cardinaux Rauscher, Schwarsenberg, Mathieu, Guidi, les

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archevêques ou évêques Strossmayer, Darboy, Dupanloup, Landriot, de Mérode, grand aumônier du pape, etc. En France, comme en Allemagne, la controverse était des plus ardentes. Un évêque in partibus, M. Muret, le Père Gratry, le Père Hyacinthe et surtout M. Dupanloup se signalèrent particulièrement par la vigueur avec laquelle ils attaquèrent les infaillibilistes. Ce dernier, pendant une vive polémique avec le journaliste Veuillot, le représentant le plus autorisé du catholicisme en France et le plus fidèle interprète des idées du pape, n’hésitait point à lui écrire ces lignes mémorables : « S il était avéré que vos doctrines sont bien nos doctrines, celles de l’Église, l’es haines que vous soulevez seraient aussi universelles qu’elles Sont formidables : l’Église serait mise au ban des nations civilisées. > M. de Montalembert n’était pas moins sévère pour les doctrines du pape, pour « ta théocratie ou la dictature de l’Église, telle qu’on voulait l’imposer, • et, dans une lettre du 22 février 1870, il s’élevait avec indignation contre « le triomphe de ces théologiens laïques de l’absolutisme qui ont commencé par l’aire litière de toutes nos libertés, de tous nos principes, de toutes nos idées d’autrefois devant Napoléon III, pour venir ensuite immoler la justice et la vérité, la raison et l’histoire en holocauste à l’idole qu’ils se sont érigée ait Vatican. • Pendant que les prêtres catholiques allemands, réunis à Fulda, faisaient leurs réserves contre le futur dogme, pendant que le chanoine Dœllinger jetait’ les bases du schisme des vieux catholiques, que Pie IX écrivait une lettre h l’archevêque de Westminster pour engager les protestants anglais à se soumettre sans discussion a. son autorité et invitait, avec aussi peu de succès, les schismatiques grecs à en faire autant, les puissances catholiques délibéraient sur la question de savoir si eiles se feraient représenter officiellement au concile et finissaient par se prononcer pour une complète abstention.

Le 8 décembre 1869, Pie IX ouvrit le concile par un discours dans lequel il se plaignit, selon son habitude, « d’une guerre scélérate faite à l’Église, d’une perversion du droit, d’artifices corrupteurs pour briser les liens d’une autorité salutaire, etc. ; » mais il ajouta que ■ l’Église est plus forte que le ciel même ■ et que « les’ paroles du Christ : • Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, • ne passeront point, ■ Quelques jours après, il publia une curieuse constitution, relative aux excommunications latm sententis, c’est-à-dire encourues par le seul fait et sans jugement ?. Parmi les excommuniés se trouvaient notamment ceux qui lisent des livres d’hérétiques ou de tout autre auteur défendu par l’index, ceux qui font juger les ecclésiastiques par des tribunaux civils, ceux qui se soustraient à 1 obéissance du pape, qui placent les clercs sous le bras séculier, qui envahissent ou détiennent les possessions de l’Église, ceux qui en appellent des décisions du pape régnant a un futur concile, etc. Ce n’est poiut ici le lieu de faire l’histoire de l’assemblée conciliaire de 1869-1870. Bornons-nous à rappeler que Pie IX imposa aux Pères réunis un règlement restrictif qui donna Heu à une vive protestation ; qu’il se lit remarquer, à diverses reprises, par son langage emporté et violent envers les prélats hostiles à ses vues ; qu’il fit précipiter la discussion relative à l’infaillibilité. Enfin, le 13 juillet 1870 eut lieu en congrégation générale le vote tant attendu ;

430 voix se prononcèrent en faveur du nouveau dogme, 88 le repoussèrent, 62 émirent un vote conditionnel. Le 18 eutlieu, en session publiue, un nouveau vote ; et celui que de Montalembert appelait « l’idole du Vatican » se vit proclamer solennellement infaillible, c’est-a-dire l’égal de Dieu, par 533 voix contre 2, le reste des opposants ayant fait acte d’adhésion ou s’étant abstenu.

Mais, au moment où Pie IX arrivait au comble de ses vœux et transformait le gouvernement de l’Église en une pure dictature, l’homme qui régnait alors sur la France déclarait la guerre à la Prusse (15 juillet). Le 22, le pape écrivit au roi Guillaume et à Napoléon III des lettres pour offrir sa médiation, qui fut repoussée. Le 27, M. de Banneville, ambassadeur de France à Rome, reçut de M. de Gramont une dépêche lui annonçant le rappel immédiat des troupes et se rendit aussitôt auprès du cardinal Antonelli. Celuici reçut froidement cette communication et promit d’en faire part au pape. Le soir même, l’ambassadeur alla chercher la réponse. « Qu’a dit le saint-père ? demanda-t-il au cardinal Antonelli. — Il a dit : Je pense que Dieu y pourvoira, et souhaitons qu’ils ne reviennent plus. — Rien de plus ? répliqua M. de Banneville. — Rien de plus, ■ répondit Antonelli. Le 31, le pape convoqua une consulte de cinq cardinaux et décida de repousser toute proposition de ntodusvivendi avec l’Italie. Les ouvertures faites par le gouvernement italien de faire revivre la convention du 4 septembre^ 1864 furent, en effet, repoussées. La 17 août, le corps de troupes françaises chargé de protéger le pape quittait le territoire romain. Deux jours plus tard, Pie IX, recevant quelques membres de l’Académie de Saint-Luc, fut amené à parler des premiers revers de la France. « Le coq (gallo, en italien coq ou gaulois) a été plumé, dit-il ; il ne peut plus chanter aussi haut qu’auparavant. » Il était difficile, comme on le voit, de

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parler d’une façon plus allègre de nos désastres.

L’évacuation de Rome par nos troupes avait produit dans toute l’Italie et dans les petits États romains une vive fermentation. De toutes parts se produisaient des manifestations aux cris de : Vive Rome capitale I Entraîné par l’opinion, le gouvernement italien vit, selon les expressions de M. Visconti-Venosta (19 août), que l’heure était venue d’obtenir « une solution heureuse de la question romaine sur la base du droit des Romains et de l’indépendance spirituelle de l’Église. • En conséquence, il résolut d’envoyer une armée à Rome ; mais comme il voulait obtenir une solution pacifique, le comte Ponza di Sun-Martino fut chargé (9 septembre) de porter à Pie IX une lettre de Victor-Emmanuel, offrant au pape le maintien d’une situation de souveraineté, en ce sens qu’il conserverait des ambassadeurs, et la stipulation que la cité Léonine ne relèverait que de lui. En même temps, le ministre des affaires étrangères Visconti-Venosta adressait une circufaire aux représentants de l’Italie à l’étranger (7 septembre). Il y établissait la nécessité d’occuper les points du territoire romain nécessaires pour maintenir l’ordre et assurer, avec l’inviolabilité du sol italien, la sécurité du saint-siége. Il déclarait que les troupes d’occupation laisseraient les populations s’administrer elles-mêmes et ne prendraient part à aucun acte pouvant préjuger les questions politiques ou ecclésiastiques quelconques ; enfin il affirmait que le gouvernement italien était prêt à s’entendre avec les puissances sur les conditions d’indépendance souveraine du pape.

Pie IX avait eu un instant l’intention de quitter Rome et de gagner Malte ; mais il revint sur sa détermination. Il consentit à recevoir M. Ponza di San-Martino et, comme on devait s’y attendre, il repoussa les ouvertures de Victor-Emmanuel (10 septembre). Eu ce moment, une grande agitation régnait dans la province de Frosinone. À Terracine et à Velletri, on signait des adresses au roi d’Italie pour l’inviter à venir à Rome ; Viterbe s’insurgeait aux cris de : Vive le roi d’Italie ; la population harcelait les zouaves pontificaux qu’elle détestait, désarmait les gendarmes du pape qu’elle mettait ensuite en liberté. Le gouvernement ordonna alors au général Cadorna de franchir la frontière avec un corps d’armée (H septembre). Accueilli avec un enthousiasme extraordinaire par la population, il marcha sur Rome, voyant se replier devant lui les troupes papales commandées par les généraux Kanzlcr et Zappi. Enfin il arriva devant Rome, où avaient lieu des manifestations en faveur de l’Italie, Cadorna envoya au général Kanzler un parlementaire pour demander qu’on le laissât entrer dans la ville. Celui-ci refusa et, à la suite d’un combat de quatre heures, soutenu par lus zouaves pontificaux commandés par M. Charette, Pie IX ordonna de cesser le feu et d’arborer le drapeau parlementaire (20 septembre). Ce jour même, les troupes italiennes entrèrent à Rome, et l’on vit se produire un des faits les plus grands et les plus féconds de l’histoire moderne, la chute du pouvoir temporel des papes.

Pendant que 1 armée du roi d’Italie prenait possession de la capitale, le cardinal Antonelli remettait au corps diplomatique, au nom du pape, une protestation contre les faits accomplis, suivie, le 29 septembre, d’une protestation de Pie IX, adressée à chaque cardinal. Quant au général Cadorna, il prit immédiatement des mesures pour que le pape

fût absolument tranquille dans la cité Léonine ; il défendit aux soldats italiens de passer par le pont Saint-Ange, délivra les prisonniers politiques, parmi lesquels se trouvaient Costellano, Petroui, détenu depuis 1849, etc., et fit envoyer à Civita-Vecchia, pour y être embarqués, les 4,500 étrangers au service de Pie IX. Le 21, il installa au Capitole une junte municipale provisoire, composé» de dix-huit membres, présidés par le duc Gaetani et chargés de l’administration de Roine. Le 2 octobre suivant, les cinq provinces romaines, Rome, Civita-Vecchia, Velletri, Frosinone et Vtterbe, étaient appelées à se prononcer librement sur le gouvernement de leur choix. Sur 167,548 électeurs inscrits, 133,681 votèrent pour l’annexion au royaume d’Italie, 1,507 votèrent contre ; 103 votes furent annulés et le reste des électeurs s’abstint. Rome donna 40,000 oui contre un nombre insignifiant de «on. Des délégués portèrent à Florence le résultat du plébiscite. Un décret du s établit que les cinq provinces romaines feraient désormais partie intégrante du royaume d’Italie ; le général La Marmora fut nommé lieutenant de Rome et le gouvernement italien prit possession du Quirinal, résidence d’été des papes. Le 20 octobre, Pie IX fit afficher sut la porte des grandes basiliques une bulle annonçant la suspension du concile < par suite de la sacrilège iuvasion de Rome, qui pourrait entraver la liberté du pape et des évëques, et par suite de la guerre qui empêcherait beaucoup d’évêques de quitter leurs troupeaux. »

Le gouvernement italien, désireux de donner au pape la plus entière liberté, lui laissa la possession de la cité Léonine, décréta que sa personne était assimilée à la personne du roi eu ce qui concerne l’inviolabilité et les peines^portèes contre les auteurs ou les pro PIE

voeateurs d’attentats ; que la typographie spéciale du saint-père ainsi que la publication et l’affichage de ses actes, de ceux des bureaux et congrégations ecclésiastiques, étaient soustraits aux règlements régissant la presse, etc. Absolument libre d’habiter ou de quitter Rome, d’attaquer violemment dans ses écrits et dans ses discours le gouvernement italien, de recevoir au Vatican

ou ailleurs les nombreux visiteurs catholiques qui accouraient de toutes parts, Pie IX n|en déclara pas moins qu’il était prisonnier, que Pierre était dans les fers. Le parlement italien, réuni à Florence au mois de décembre 1870, accepta le plébiscite romain, vota le transfert de la capitale à Rome dans le délai de six mois et adopta le projet de loi relatif aux garanties pontificales. Cette dernière loi mérite d’être connue, car elle réduit à néant la prétendue persécution exercée par le gouvernement italien sur le souverain pontife et la légende du pape prisonnier. En voici les principaux articles : ■ La personne du souverain pontife est inviolable et sacrée. Les honneurs souverains sont dus au souverain pontife dans tout le royaume et il conserve les prééminences honorifiques qui lui sont reconnues par les souverains catholiques. Le souverain pontife peut conserver ses gardes du palais. L’apanage annuel de 3,225,000 fr. qui était inscrit dans le budget romain sous le titre de fonds pour traitement du souverain pontife^ sacré collège des cardinaux, etc., est maintenu. Cet apanage sera porté au grand-livre de la dette publique du royaume d’Italie comme une rente perpétuelle et inaliénable au nom du saint-siége. La rente susdite sera exemptée de toute espèce d’impôt ou charge gouvernementale, provinciale ou communale. Le souverain pontife, outre la donation établie à l’article précédent, continue à jouir librement, et exempts de tout impôt ou charge publique, des palais pontificaux du Vatican et de Sainte-Marie-Majeure et de tous les édifices, jardins et terrains annexés et dépendants, comme aussi de la villa de Castel-Oandolfo. Les palais et lieux susdits sont reconnus comme exonérés de toute juridiction de l’État. Une semblable immunité estaussireconnue atout autre lieu que le souverain pontife pourrait habiter, même temporairement, et pendant toute la durée de son séjour. Aucun officier de l’autorité publique ou agent de la force publique ne peut s’introduire, à aucun titre que ce soit, dans les palais ou les lieux jouissant de l’immunité, sinon à la requête du saint-père. Le souverain pontife est pleinement libre de remplir toutes les fonctions de son ministère spirituel et de faire afficher aux portes des basiliques de Rome, suivant l’habitude, ou de publier autrement tous les actes de son susdit ministère et ceux des sacrées congrégations du saint-siége, sans que le gouvernement s’y oppose ou permette que personne y apporte aucun obstacle ou empêchement. Le saint-siége correspond librement avec l’épiseopat et avec tout le monde catholique, sans aucune ingérence du gouvernement italien. Le souverain pontife a la faculté d’établir dans te Vatican des bureaux de poste et de télégraphe, servis par des employés de son ehoix. Les dépêches et les télégrammes pontificaux sont transmis avec les prérogatives établies pour ceux de l’État et exempts do toute taxe. L’exercice de l’autorité et juridiction spirituelle et diplomatique du souverain pontife et de toute la hiérarchie ecclésiastique est exempt do toute ingérence et syndicat du pouvoir civil ; est aboli, par conséquent, l’appel d’abus et toute autre réclamation semblable devant l’autorité civile contre les actes propres de l’autorité ecclésiastique. Les nominations aux bénéfices majeurs ou mineurs, à toutes les dignités, charges et offices de l’Église seront faites sans aucune ingérence du gouvernement du roi. Sont abolis les serments des évêques au roi. Les séminaires, les académies, les collèges et autres institutions catholiques fondées à Rome pour l’éducation et l’instruction des ecclésiastiques continueront» dépendre uniquement du saintsiège. Les cardinaux et autres ecclésiastiques ne peuvent en aucune manière être recherchés ni molestés pour la part qu’à raison de leurs fonctions ils auraient prise à Rome à un acte ecclésiastique quelconque du souverain pontife, des sacrées congrégations et des autres offices du saint-siége. » On voit, par cette loi des garanties, scrupuleusement appliquée par le gouvernement italien, que nulle part en Europe le pape n’exerce un pouvoir spirituel si étendu et si débarrassé de toute entrave.

Quelques jours après la promulgation de cette loi, le 31 décembre, Victor-Emmanuel se rendit à Rome et écrivit au pape pour lui présenter ses souhaits de nouvel an ; mais Pie IX rie lui répondit pas. Conservant, en vertu de la loi des garanties, une chancellerie et une représentation diplomatique, le souverain pontife reconnut, au Sois de février 1871, le gouvernement de la République française et, le 8 mars suivant, il répondit h la notification qui lut fut faite de l’acceptation de la dignité impériale par le roi de Prusse Guillaume par une lettre chaleureuse, dans laquelle il disait au nouvel empereur : « C’est avec une grande joie que nous accueillons la notification de cet événement, qui, nous en avons la confiance, avec l’aide de Dieu et selon vos vœux pour le bien gô PIE

néral, aura d’heureuses suites non-seulerneat pour l’Allemagne, mais pour l’Europe entière... Nous désirons que Votre Majesté soit convaincue que nous ne négligerons rien pou*1 pouvoir à l’occasion bien mériter de vous. » En mai 1S71, après cinq mois de réflexions, Pie IX crut devoir protester contre la loi des garanties et écrivit à ce sujet une encyclique. Il y déclarait « qu’il n’admettrait et n’accepterait jamais, ne le pouvant en aucune façon, ces garanties imaginées par le gouvernement subalpin., à la place et en subrogation de cette principauté civile, dont la divine Providence a voulu fortifier le saint-siége apostolique. ■ Puis, oubliant que cette même divine Providence avait laissé crouler avec une parfaite indifférence le pouvoir temporel, le représentant infaillible de Dieu, au lieu de tout attendre d’elle, faisait, chose surprenante, un appel formel a la force, à l’intervention des princes, à la guerre pour lui rendre, selon l’expression du Père Ventura, « cette motte de terre » qu’il était si avide de posséder, « Fasse Dieu, dit-il, que les princes de la terre, auxquels il doit souverainement importer qu’un tel exemple de l’usurpation qui nous opprime ne s’établissé

point, agissent d’un commun accord, afin de rendre ses droits au saint-siége et, avec eux, au chef visible de l’Église sa pleine liberté, aussi bien qu’à la société civile la paix tant souhaitée. » Comme on le voit, Pie IX ne pouvait se consoler de la perte de son pouvoir temporel. Partout il excitait les évêques à la croisade sainte. Partout les évêques déclaraient dans des mandements à leurs fidèles que le pape était « prisonnier » et, par une pieuse fraude, pour faire croire à la réalité ne l’emprisonnement, des catholiques fervents n’hésitaient point à distribuer des fragments de paille provenant du prétendu cachot du saint-père. Mais le mouvement qu’on parvenait à produire laissait la grande masse indifférente et nul souverain d’Europe ne répondit à l’appel du pape. En France, l’agitation en faveur du pontife romain se traduisit par une recrudescence du denier de saint Pierre ; par une pétition des évêques à l’Assemblée nationale pour demander, sinon formellement, du moins implicitement, que la

France, épuisée, s’élançât dans une nouvelle guerre ; par des adresses des catholiques au pape, exprimant le vequ que « la fille aînée de l’Église, relevée et régénérée, prêtât bientôt le secours d’un bras vengeur à sou père opprimé» (5 juin 1871) ; par l’organisation des pèlerinages sur tout le territoire, ayant pour double objet des manifestations à la fois papalines et légitimistes. Partout ailleurs, le mouvement n’eut ni cette ardeur ni cette persistance et l’introduction du dogme de l’infaillibilité produisit, au contraire, des effets diamétralement opposés. En Allemagne et en Suisse, on vit naître et se développer le schisme des vieux catholiques ; puis des États, comme la Prusse, la Suisse et l’Autriche, votèrent des lois destinées à contenir les prétentions devenues exorbitantes du clergé.

Mais revenons à Pie IX, Au mois de juin 1871, à l’occasion de la vingt-cinquième année de son pontificat, il fit célébrer un jubilé et des fêtes qui durèrent plusieurs jours. Il reçut dans la salle du Trône, au Vatican, de nombreuses députations de catholiques venant de divers pays, prononça un grand nombre de discours et adressa à ce sujet une encyclique à tous les évêques. Répondant à

l’adresse des catholiques français, lue le 16 juin par l’évêque de Nevers, il prononça ces paroles : « Je dois dire la vérité à la France. Il y a en France un mal plus redoutable que la révolution, plus redoutable que la Commune avec ses hommes échappés dé l’enfer qui ont promené le feu dans Paris : c’est te Hiératisme catholique. « Jamais M. Veuillot triomphant n’avait espéré être si cruellement vengé de l’apostrophe que lui adressait en 1869 l’évêque d’Orléans.

Après l’inauguration solennelle de Rome comme capitale définitive de l’Italie et l’installation dans cette ville du gouvernement et du parlement italiens.(l« juillet 1871), il fut encore question du départ du pape, dont l’irritation était à son comble ; mais Pie IX ne voulut point suivre les conseils qui lui étaient donnés en ce sens. Il continua à rester à Rome, complètement libre de ses paroles et de ses actions, lançant à toute occasion l’unnthème contre le gouvernement italien, qui le laissa faire sans s’en occuper aucunement. En 1872, il refusa de toucher la dotation de 3,200,000 francs comptant, à partir du 1er janvier 1871, que lui avait votée le parlement. Le 16 juin, à l’occasion du projet de loi relatif aux congrégations religieuses à Home, il adressa au cardinal Antonelli une lettre pour protester et s’y éleva énergique ment contre toute idée de conciliation « entre le pontificat et le gouvernement usurpateur, » Cette même année, l’attention de Pie IX fut vivement attirée vers les faits de l’ordre religieux qui se produisaient eu Suisse et en Allemagne. La nomination de M. Mermillod comme évêque de Genève provoquait une protestation de la part du gouvernement de ce canton et devait aboutir, en 1S73, à la réforme, dans cette partie de la Suisse, dé la constitution de l’Église catholique relativement à la nomination des curés, ainsi qu’au développement de la secte des vieux catholiques. Vera le même temps, le gouvernement PIE

allemand faisait voter par les Chambres une série de lois destinées a soumettre la nomination et l’éducation des clercs à l’agrément et à l’inspection du pouvoir civil, et à frapper de l’amende et de la prison les prêtres et les évêques qui refuseraient d’obéir aux lois de l’État. Le 7 août IS73, Pie IX écrivit à l’empereur Guillaume pour lui demander de mettre un terme à ces mesures de rigueur et pour lui déclarer que « tous ceux qui ont reçu le baptême appartiennent au pape, a quelque point de vue que l’on se place ou de quelque façon que ce soit. » Dans une lettre datée du 3 septembre suivant, l’empereur d’Allemagne repondit à Pie IX : « Une partie de mes sujets catholiques a organisé depuis deux ans un parti politique qui cherche à troubler par des menées hostiles à l’État la paix religieuse qui règne en Prusse. Malheureusement, plusieurs prélats catholiques ont non-seulement approuvé ce mouvement, mais encore ils y ont pris part jusqu’à s’opposer ouvertement aux lois existantes... Mon devoir est de protéger la paix et de sauvegarder le respect dû aux lois dans mes États... D’après une assertion de la lettre de Votre Sainteté, quiconque a reçu le baptême appartient au pape ; or, la foi évangélique que je professe avec ^la majorité de mes sujets ne nous permet pas d’admettre dans nos rapports avec Dieu d’autre intermédiaire que Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Le 21 novembre suivant, Pie IX publia une nouvelle encyclique dans laquelle,

Îlassant en revue tous les gouvernements en utte avec l’ultramontanisme, il anathématise les mesures prises par eux contre l’Église. Après avoir déchaîné sa colère contre les usurpateurs de Rome, il glorifie la résistance des évêques de Genève et de Bàle aux autorités civiles de leur pays, assimile les ultramontains d’Allemagne aux martyrs des

premiers âges du christianisme et lance les foudres de l’Église sur les vieux catholiques, sur l’évêque Reinkens, leur chef, et surtout sur ceux qui l’ont élu et le soutiennent. Les

Îirojets de loi présentés aux Chambres "par e gouvernement autrichien, au commencement de 1874, dans le but d’opposer des barrières aux empiétements de l’Église dans ses rapports avec l’État, amenèrent la publication d’une autre encyclique du pape (2 février 1874) et de nouvelles protestations de sa part contre cette nouvelle ■ persécution. » Le mois suivant, il condamna la ligue de l’enseignement établie en France. Enfin, en juillet 1874, répondant a une adresse du pontificat romain, il déclarait son intention formelle de ne pas quitter Rome : « Il y a près de quatre ans, dit-il, que je ine trouve volontairement renfermé dans le Vatican... J’y suis resté jusqu’à ce jour, j’y reste et j’y resterai jusqu’au moment où Dieu lui-même fera connaître sa volonté et l’ordre de la Providence. "

D’après la Feuille catholique de Fribourgen-Brisgau, la maison de Pie IX comprenait,

en janvier 1874 : 20 majordomes et chambellans, 190 prélats de la maison pontificale^ 170 chambellans intimes, 6 chambellans intimes portant épée, 30 officiers de ia garde noble, 60 gardes nobles, 130 chambellans intimes portant manteau, 200 chambellans honoraires en habit violet, H officiers de la garde suisse, 7 aumôniers intimes, 50 aumôniers intimes honoraires, 17 aumôni«rs intimes extra wbem, 20 secrétaires intimes, 10 intendants, 10 huissiers, en tout 1,160 personnes.

De tous les papes, Pie IX est celui qui a occupé le plus longtemps le siège de Pierre. Sobre, de mœurs austères, d’une foi ardente, , il a su s’attirer, comme prêtre, l’estime de ses adversaires les plus déclarés. Son caractère, d’abord faible, irrésolu, porté vers la bienveillance et la douceur, s’est transformé avec l’âge, sous l’empire d’une idée fixe. Il est devenu irritable à l’excès, véhément, têtu, incapable de supporter aucune contradiction. Pendant le concile notamment, le patriarche Hassoun, le cardinal Guidi, le Père Theiner, son grand aumônier lui-même, M. de Mérode, eurent à subir ses accès d’emportement qui firent grand bruit à Rome.

Actif, travailleur, il a su conserver en vieillissant toute sa vigueur et une facilité d’imÏirovisalion remarquable. Le nombre des alocutions, des discours de tout genre qu’il a prononcés, surtout depuis 1870, est véritablement prodigieux. C’est dans ses discours familiers qu41 est principalement curieux à étudier. C’est là, bien mieux que dans ses discours solennels, tous faits sur le même type et reproduisant la même phraséologie stéréotypée, qu’on trouve le mieux ses vues particulières, dont quelques-unes sont véritablement stupéfiantes. Dans un discours prononcé le 22 mars 1872, il se demandait ce qu’est un gouvernement constitutionnel et libéral, et voici l’étonnante définition qu’il en donnait : • Que sont certains gouvernements ? Us sont comme une pyramide au sommet de laquelle il y aquelqu un qui dépend d’un conseil, lequel est dépendant d’une assemblée, laquelle n’est même pas maîtresse d’ellemême, car elle est dépendante à son tour de mille démons qui l’ont choisie. Tous, du reste, sont esclaves du péché. L’ange de Dieu les poursuit et, l’épée nue, les menace. » Généralement on croie que Jésus-Christ, le fils du charpentier, avait quelque affection pour le peuple, au milieu duquel il passa constamment sa vie. Tic IX n’est pas de cet avis.

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Dans son discours à la noblesse romaine, le 29 décembre 1872, après avoir fait l’éloge de l’aristocratie, il dit que « Jésus-Christ avait aimé l’aristocratie et avait voulu aussi naître noble, « que la noblesse et le clergé sont les deux appuis des trônes, • des trônes non assis sur la plèbe. » l’artisan de l’absolutisme en tout, et par conséquent ayant peu de goût pour la plèbe impatiente du joug, Pie IX ne pouvait éprouver’ qu’une vive répugnance pour ce vieil adage longtemps en honneur dans l’Église : « La voix du peuple est la voix de Dieu. » En effet, dans sa réponse à l’adresse du comité des pèlerinages, que lui présenta M. de Damas dans les premiers jours de mai 1874, il disait : « Je les bénis encore (les pèlerins), afin de les voir employés au difficile travail d’enlever, s’il est possible, ou du moins d’amoindrir une plaie horrible, qui afflige la société humaine et que l’on nomme le suffrage universel. Oui, c’est là. une plaie destructive de l’ordre social et qui mériterait à juste titre d’être apelée le mensonge universet. » Tantôt, dans ses discours, il s’élève au ton biblique. Ainsi, répondant, le 30 décembre 1872, à une violente adresse du général Kanzler, son ex-ministre des armes, il fit un éloge passionné de l’assassinat d’Holopherne par Judith, annonça aux officiers qu’il espérait bientôt les voir en uniforme, dit qu’il voudrait voir des bataillons rangés dans la plaine, etc. Tantôt, au contraire, prenant la note la plus familière, il plaisante agréablement et a le trait mordant et vif. Se souvenant que le pouvoir spirituel des papes repose sur un calembour (tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église), il né dédaigne pas de recourir au besoin à ce jeu d’esprit, comme le prouve son calembour sur le coq plumé. On lui prête un grand nombre de mots. Pour n’en citer qu’un des plus inoffensifs, le docteur Simon, médecin homœopatbe, lui ayant demandé, en 1874, sa bénédiction pour l’hôpital Hahnemann, Pie IX lui envoya sa bénédiction, ainsi qu à tous les employés de l’hôpital, ajoutant qu’il la donnait aussi largement afin de bien prouver que ce n’est pas une bénédiction donnée à doses homœopathiques. « On a lieu de s’étonner qu’un pape si plaisant à ses heures ait la réputation, en Italie, d’être un jettatore, c’est-à-dire d’avoir le mauvais œil et de jeter des 3orts.

Pendant les vingt-quatre années de son pouvoir temporel, Pie IX a fait construire ou réparer à Rome un grand nombre d’édifices. Ii a rendu au culte, reconstruit, réparé, remis à neufj orné une vingtaine d’églises ; il a achevé Saint-Paul-hors-des-Murs, créé des lavoirs et des orphelinats, fait la place Pia, à l’entrée du Borgo, la place Mastaï, au Transtévêre, établi le cimetière de San-Lorenzo, ouvert le jardin public de Montorio, etc. C’est également lui qui, en 1848, sur les vives instances de la consulte, ordonna de détruire les murs et les portes du Ghetto, où les juifs vivaient comme emprisonnés. Il est vrai que, dix ans plus, tard, le pape essayait de faire oublier cette mesure, inspirée par l’abominable civilisation moderne, en approuvant, dans l’affaire Mortara, le vol d’un enfant israélite et la violation de tous les droits du père de famille, sous prétexte que rien n’était plus méritoire et plus conforme aux canons de l’Église. V. Moktaka.

Comme pape, Pie IX a proclamé deux dogmes ; il a reconstitué la hiérarchie catholique en Angleterre, en Hollande, essayé de la reconstituer en Suisse ; il a béatifié ou canonisé un nombre considérable de personnages, y compris Benoît Labre, et mis presque à jour, sous ce rapport, les comptes arriérés de la congrégation des rites. Grâce à lui, saint Hilaire de Poitiers a été proclamé docteur de l’Église et saint Alphonse Liguori quelque chose d’analogue. Enfin, saint Joseph, époux de Marie et père putatif de Jésus, a été qualifié officiellement par le pape de protecteur de l’Église universelle.

Le pontificat de Pie IX tiendra une place considérable dans l’histoire de la papauté. « Pie IX, dit un écrivain, aura vraiment été l’homme-destin. Je ne parle pas de la perte du patrimoine de Saint-Pierre, de la fin du pouvoir temporel, de ces derniers débris de la théocratie chrétienne que nous avons vus tomber-dans le gouffre du passé ; il y a quelque chose de plus tragique encore dans le règne du pieux pontife, c’est le duel qu’il a engagé avec l’esprit humain lui-même. Pie IX, dans la simplicité de sa dévotion transalpine, a poussé jusqu’au dernier degré d’extravagance le paradoxe de la foi, jusqu’au dernier paroxysme d’exaspération la lutte entre l’autorité religieuse et la raison. • Quatre grands faits inarqueront son pontificat : le dogme de l’immaculée conception, l’encyclique de 1864, le dogme de. l’infaillibilité, la chute du pouvoir temporel. La proclamation de l’immaculée conception, en élevant Marie au rang d’une divinité, a ouvert la porte aux plus énervantes superstitions. L’encyclique de 1864, en lançant un défi aux sociétés civiles, a provoqué le divorce entre l’Église et la civilisation et frappé au cœur le catholicisme libéral, qui avait empêché jusque-là le divorce de se consommer. La proclamation de l’infaillibilité personnelle du pape a modifié le gouvernement de l’Église, dans le sens de "absolutisme le plus complet, au moment même où tous les peuples et tous les gouvernements des peuples civilisés tendent vers

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l’établissement définitif d’institutions libres. Dans l’esprit de ses promoteurs, les-jésuites, le nouveau dogme a eu surtout pour objet d’opposer à la science, à la raison, à la critique moderne un autorité se déclarant infaillible, un oracle prompt et sûr, tranchant toutes les questions, toutes les difficultés et plaçant en toute occasion les fidèles en face de ce dilemme : la soumission aveugle, absolue ou l’hérésie et l’excommunication. Grâce à ce dilemme, on espérait contraindre presque tous les hommes qui pensent et étudient à comprimer leur conviction, a abdiquer leur jugement, à se dépouiller de leur intelligence, à faire violence aux lots mêmes de la certitude et, comme le Père Gratry, à déclarer vrai, en tant que chrétiens, ce qu’ils avaient reconnu, en tant qu’hommes, être « mensonge et infamie. • Mais, au moment même où T’ultramontanisme croyait avoir trouvé l’instrument qui devait le rendre maître des sociétés s’accomplissait le quatrième grand fait du pontificat de Pie IX, la suppression du pouvoir temporel du pape, qui doit avoir pour conséquence la séparation plus ou moins éloignée de l’Église et de l’État dans toutes les nations civilisées.

— Iconogr. Pie IX n’a pas manqué de portraitistes, tant en Italie qu’en France ; pour ne parler que de ceux qui appartiennent à l’école française, nous citerons Court, l’auteur de la Mort de César, qui u exposé, au Salon de 1853, un grand portrait du souverain pontife, et, parmi les graveurs, Aug. Blanchard (d’après un dessin de Biennoury, Salon de 1847) ; E. Castan ; H. Valentin (eauforte, Salon de 1861) ; Jules Jafluet (Salon de 1870) ; Ferdinand Gaillard (Salon de 1874). Le portrait dessiné et gravé par ce dernier artiste est h la fois un des plus ressemblants et un des mieux exécutés que nous connaissions. Le portrait de Pie IX a été lithographie en 1848 par Alph. Farcy, d’après un dessin exécute au Quirinal par M. de Pignerolla. Un buste en marbre, par M. Dieudonné, a figuré au Salon de 1861, sous ce titre : Pie IX accomplissant sa mission ; M. Alexandre Colin a exposé, au Salon de 1848, un tableau faisant allusion aux promesses de liberté que donnaient les commencements du règne du pontife ; Mme Girard a gravé, d’après Léon Benouville, Pie IX au balcon du Quirinal (Salon de 1850) ; M. Lenepveu a peint : Pie IX à la chapelle Sixtine (Exposition universelle de 1855), « tableau qui se fait voir avec plaisir, même après les deux chefs-d’œuvre d’Ingres, » a dit Th. Gautier. Le même sujet a été traité par M. de Coubeftin. Au Salon de 1867 ont paru les tableaux suivants : Pie IX à Saint-Pierre de Rome, par Jules Lefebvre ; Pie IX, officiant le jour de la Saint-Pierre, sous le baldaquin de la grande basilique de Home, par Hippolyte Sebron ; Visite de Pie IX dans un couvent, par Théophile Gide.

Pio IX, par J. Balmès (Madrid, 1847, in-S<>). Dans cet ouvrage destiné à justifier et à glorifier, devant l’opinion catholique espagnole, le système de réformes libérales par lequel Pie IX avait inauguré son règne, l’auteur s’attache à montrer que le temps est venu, pour la politique du pape-roi, de se dégager de toute espèce de protectorat étranger, notamment du protectorat autrichien, de faire à l’esprit moderne les concessions légitimes et de mettre, par l’indépendance et la prudence de son attitude, les destinées de la papauté à l’abri des perturbations qui menacent l’Europe. Les réflexions qu’inspire à Balmès la situation des puissances européennes sont extrêmement remarquables ; on est frappé de la justesse de son coup d’œil. Il se demande où est la force et ne la trouve que dans des États hostiles à. l’Église j donc l’Église ne doit pas mettre sa confiance dans la force, donc toute protection d’une puissance catholique est illusoire. « La clef de la politique du Nord n’est point dans les mains de l’Autriche ; elle se trouve aux mains de la Russie. Or, cette puissance n’a certaineraentdonné aucun gage au saint-siége. Tant que le statu quo sera conservé en Europe, le protectorat de l’Autriche, protectorat humiliant, pourra du moins être réel. Au jour d’un conflit en Europe, ce protectorat n’aurait plus de valeur. La Russie, à ce moment-là, apparaîtrait ce qu’elle est en réalité, la seule puissance du continent capable d’affronter les fureurs d’une nouvelle Révolution française et de traverser les vicissitudes d’une conflagration générale. • D’autre part, il suffit de quelques journées de marche à une armée française pour s’emparer de la capitale de l’Autriche ; ta moindre étincelle révolutionnaire mettra le feu à l’Allemagne et à l’Italie ; jugez s’il est sage d’appuyer la tranquillité du saintsiége sur l’Autriche. • Si la Russie a la force matérielle, la France a la force des idées ; à la France appartient le rôle de la propagande. • Une langue parlée ou du moins entendue partout ; une expression vive et brillante ; l’art de populariser les idées les plus abstraites, en séduisant l’imagination et en flattant délicatement le cœur ; le talent de la satire ; la louange ou la moquerie prodiguée avec excès : telles sont les armes placées aux mains de la France, cotta Grèce des temps modernes. Si le sort des combats devait un jour assujettir cette Grèce à des Macédoniens nouveaux, elle ne tarderait pas à subjuguer ses vainqueurs en leur inoculant ses idées.

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Endormi dans les bras de sa belle captive, le • géant du Nord commencerait à parcourir la voie fatale qui attend tous les pouvoirs du inonde : après l’apogée, le déclin et finalement la mort. » La force russe et les idées françaises sont également anticatholiques ; en Russie règne le schisme, en France l’incrédulité voltairienne, sous un déguisement moderne. Il s’ensuit.que la papauté doit s’appliquer à développer ses forées propres, qu’elle ne pourrait sans détriment lier son sort au sort d’un pouvoir politique quelconque, et que sa prudence doit choisir ce que 1 esprit moderne renferme de bon, afin d’imprimer aux idées nue sage direction et de préparer dans la région des faits une transformation paisible. Le monde touche à une

de ses grandes évolutions. Il va passer à un état nouveau « que le faible esprit de l’homme pressent, mais qu’il ne saurait définir d’avance. ■ Il faut que la double souveraineté du saint-siége, temporelle et spirituelle, traverse « le bouleversement profond auquel l’Europe est destinée. » Cette double autorité, nécessaire à l’Église et à l’humanité, doit demeurer respectée au sein de ia transformation générale des idées et des moeurs. En un mot, le nouveau pontife est appelé à résoudre pour son époque le problème que ses prédécesseurs ont résolu chacun pour la leur. • Méconnaître, dit Balmès, le changement qui

s’opère en tout, c’est fermer les.yeux à la lumière. S’en tenir uniquement aux formes du passé, c’est se fier à un faible arbrisseau pour se retenir sur une pente rapide. Ayons du respect pour le passé, mais ne croyons pas que notre désir stérile puisse le rétablir. Tout en conservant avec amour ce qui en reste, n’allons point jusqu’à maudire toute chose présente et future. Eh quoi ! ce qui passe aujourd’hui n’a-t-il pas été autrefois nouveau ? Ce qui va disparattre n’a-t-il pas, à une autre époque, occupé la place d’autres choses depuis longtemps disparues ? » On ne saurait mieux dire ; mais Balmès n’a pas toujours la mémo clairvoyance, notamment. lorsque, parlant de la papauté temporelle, il dit : • Absente, elle laisserait un vide que rien ne saurait combler. Un tel événement produirait une perturbation si profonde, que la restauration du pouvoir tombé deviendrait bientôt indispensable. Le domaine de Saint-Pierre n’occupe qu’un point sur. la carte, mais ce point est d’une telle importance que nulle puissance européenne, même du premier ordre, n’intéresse le monde à un si haut degré. Faites disparaître une des grandes puissances, le monde en sera moins troublé que de la ruine do l’autorité temporelle du pontife. » Les événements do 1870 devaient donner le plus formel démenti à Balmès. Le pouvoir temporel du pape, condamné par la raison, est tombé sans que le inonde en fût nullement troublé et sans qu’aucune nation civilisée songeât à exprimer un regret

Pie IX (ordre équkstrk ds). Le pape Pie IX, en montant sur le trône pontifical, institua cet ordre le 17 juin 1847. Il lui donna le nom de Pie, en mémoire de l’ordre des Chevaliers-Pies, créé par le pape Pie IV, et le destina à récompenser le mérite et la vertu. Le pape est grand maître et l’ordre se divise en deux classes : les chevaliers de la première classe ayant droit à la noblesse héréditaire, et les chevaliers de la deuxième classe jouissant de la noblesse personuelle. La décoration se suspend à un ruban bleu de Prusse, avec quatre lisérés rouge feu ; elle consiste en une étoile à huit rayons, placée sur un soleil en or. Le médaillon du centre porte le nom du fondateur, Pius IX, et, en exergue, sur le cercle qui entoure le médaillon, les mots ; Virluti, mérita.

PIE (Louis-François-Désiré-Édouard), prélat français, né à Pontgouin (Eure-et-Loir) en 1815. Lorsqu’il eut reçu la prêtrise, il fut attaché au diocèse de Chartres, et se fit remarquer rapidement par son intelligence et par son zèle. M. Pie était grand vicaire de ce diocèse lorsque, le 23 mai 1849, M. de Falloux, ministre de l’instruction publique et des cultes, le nomma évêque de Poitiers. Quelques mois après le coup d’État du 2 décembre 1851, qui avait fait couler tant de sang et décimé par la proscription les défenseurs de la légalité, Louis Bonaparte, voyageant à travers la France, arriva dans le diocèse de Poitiers (13 octobre 1852). M. Pie alla « déposer à ses pieds les hommages respectueux et les vœux ardents du clergé de cette contrée célèbre que l’empereur appelait la terre des géants. » Il ajouta dans son discours : « Ma foi ne se lasse pas d’admirer la grandeur du rôle providentiel qui vous est échu. Elle en reporte le premier mérite et la première cause à votre vertueux père, .. Les faveurs prodigieuses dont le ciel vous comble aujourd’hui sont la moisson de grâces que votre père avait semée pour vous... Tous nous allons invoquer pour vous du fond de notre âme la Dieu toutrpuissant. » Bien que notoirement attaché au parti légitimiste, lévêque de Poitiers vécut en excellents termes avec le gouvernement impérial jusqu’à l’époque de lu guerre d’Italie. Le démembrement des États du pape qui s’ensuivit et l’attitude passive que prit alors le chef dé l’État provoquèrent de vives récriminations dans l’épiscopat français. L’évêque de Poitiers se signala parmi les prélats qui dèfea*. dirent avec le plus d’ardeur les intérêts tetn964

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porels du saint-siége et.essayèrent d’exciter en ce sens l’opinion publique. Après la défaite de Lamoricière et de l’armée du pape à-Castelfidardo (1860), quelques évêques célébrèrent en grande pompe des services funèbres pour le repos de l’âme • des croisés. • L’évêque de Poitiers, dit M. Taxile Delord, ajoutâtt aux prières de l’Église des morceaux oratoires dont les lecteurs des journaux religieux faisaient leurs délices. M. Pie, quel- ?ues jours après avoir prononcé l’oraison unèbre du général de Pimodan, rendit le même honneur à un simple zouave, nommé JeanGicquel, qui, «avant de voler au secours du saint-siége, » était venu lui demander sa bénédiction. « Je n’oublierai jamais, dit l’orateur sacré, l’impression de bonheur qui brillait sur son visage quand il se releva. * Cette oraison funèbre émut profondément l’auditoire, à Les fidèles étaient encore sous le coup de cette émotion lorsqu’on apprit que Gicquelj loin d’être couché à Tibur, « dans son suaire de martyr, » comparaissait en police correctionnelle et était condamné à la prison pour escroquerie. Peu après, M. de la Guéromiière fit paraître sa brochure, la France, Rome et l Italie (1861). L’évêque de Poitiers publia, pour la réfuter, un mandement dont le passage le plus curieux est celui où il comparait le chef de l’État à Pilate, «qui pouvait tout empêcher et qui laissa tout faire. » Il s’écriait :*« Lave tes mains, 6 Pilate I la postérité repousse ta juridiction ; un homme figure, cloué au pilori du symbole catholique, marqué du stigmate déicide : c’est Ponce-Pilate, et cela est justice ; Hérode, Caïphe, Judas ont eu leur part dans le crime ; mais, enfin, rien n’eût abouti sans Pilate ; Pilate pouvait sauver le Christ, et sans Pilate on ne pouvait pas mettre le Christ à mort. » M. de Persigny, ministre de l’intérieur, voyant dans ce mandement le délit « d’offense à la personne de l’empereur, une contravention aux lois de l’empire, etc., » déféra son auteur comme d’abus au conseil d’État, M. Pie prît alors, à l’égard du pouvoir, une attitude ûère et dédaigneuse, et les . autorités ainsi que les corps constitués de Poitiers s’abstinrent de lui faire des visites à l’occasion du jour de l’an. Le cardinal Donnet ayant essayé d’amener un rapprochement, le chef de l’État crut adoucir lévêque de Poitiers en lui fournissant l’occasion de soîeaniser, par un synode, l’anniversaire de la mort de saint Hilaire, patron de son Église ; mais M. Pie ne se montra nullement sensible h cette concession. Toutefois, il finit bientôt par atténuer la roideur de son attitude. Au mois de janvier 1868, il tint à Poitiers un concile provincial j en mai de l’année suivante, au sujet des élections pour le Corps législatif, il s’abstint, contrairement à son habitude, de se prononcer entre les candidats rivaux, qui étaient M. Thlers dtM. Bourbeau. Lors des vives controverses qui eurent lieu dans le clergé à l’occasion de la convocation du concile du Vatican pour proclamer l’infaillibilité du pape, M. Pie se fit.remarquer par la chaleur avec laquelle il préconisa les idées de Pie IX et attaqua celles de M. Dupanloup. Le 8 décembre 1869j il assista à l’ouverture du concile et ne tarda pas à s’y faire remarquer. Dans un discours qu’il prononça au mois de janvier 1870, à déclara que les conciles peuvent être utiles, mais qu on pouvait s’en passer, que le pape suffirait bien tout seul ; que saint Hilaire de Poitiers fut évêque, pendant plusieurs années, sans avoir même entendu parler du concile de Nicée ; que Pierre porte l’Église, etc. Le 14 mai suivant, au nom de la commission defi.de, il présenta à la congrégation générale un rapport sur l’ensemble du schéma de la primauté et de l’infaillibilité du pape. À cette occasion, il prononça un discours qui produisit une vive sensation, car il apportait, en faveur de l’infaillibilité, une preuve aussi nouvelle que

foudroyante. « Le pape, dit-il, doit être infaillible, parce que Pierre a été crucifié la tête en bas. De même que la tête de Pierre portait tout le poids du corps, de même le pape, tête de l’Église, porte le corps de l’Eglise tout entière. » Il était évident que la raison humaine, pulvérisée par une aussi puissante logique, n’avait plus qu’à s’incliner. De retour dans son diocèse, après la déclaration de guerre de Napoléon III à la Prusse, M. Pie ne fit plus parler de lui ; il se borna à prendre une part active, mais sans éclat, au mouvement des pèlerinages, fut du nombre des évêques qui pétitionnèrent près de l’Assemblée en faveur du pape et continua à se montrer un zélé légitimiste. Dans son mandèrent de carême, en 1873, il se plaignit amèrement de da destruction de la liberté de l’Église, de l’alliance entre les pouvoirs public» et la démagogie irréligieuse, pour asservir les consciences chrétiennes, • dans de but évident de remplacer la civilisation chrétienne par le despotisme de la révolution, i À l’occasion du vingt-quatrième anniversaire de son sacre, à la fin de novembre de la même année, il prononça, devant les élèves de son grand séminaire, une homélie dans laquelle il affirma que, depuis 1789, la France est atteinte du mal caduc, morbus comitiatis, «qui peut également signifier le mal de l’épilepsie et le mal parlementaire, le mal des assemblées et des comices, » Au mois de février 1874, M. Ernest Merson, rédacteur de l’Union bretonne, affirma que, le Î3 décembre 1863, l’évêque de Poitiers

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îui avait dit dans son palais épiscopal : « Ce n’est pas pour un petit dessein que Dieu a fait naître l’enfant impérial et lui a donné le saint-père pour parrain. Ce gouvernement tombera parce qu’il a commis des fautes et que toutes les fautes s’expient ; mais, après d’effroyables malheurs, la France cherchera un refuge et elle le trouvera dans le filleul de Pie IX. • Passant pour un des coryphées du parti légitimiste, M. Pie fut vivement contrarié de la publication de ces paroles et déclara, dans une lettre, qu’il ne les avait pas prononcées : mais M. Merson affirma énergiquement la parfaite véracité de 3on assertion.

L’évêque de Poitiers a publié un grand nombre de mandements, d instructions, de discours, d’oraisons funèbres, etc. Nous nous bornerons à citer : Instruction synodale sur les erreurs de la philosophie moderne {1855, in-Ro) ; Éloge funèbre de Jf»e la marquise de La Rochejaquelein (1857, in-8") ; Éloge funèbre de M. Claude-Hippolyte Çlausel de Montais {1857, iu-8o) ; Discours prononcé à l’église cathédrale, le il octobre 1860, à l’occasion du service solennel pour les soldats de l’armée pontificale qui ont succombé pendant la guerre {1860, in-so) ; Réponse à S. Exe. M. Billoult (1862, in-8o) ; Lettres à S. Exe. le comte de ■Persigny (1863, in-8") ; Allocution prononcée d l’occasion de la controverse soulevée au sujet des reliquaires de Charroux (1863, in-s°) ; Instruction synodale sur les principales er-. reurs du temps présent (iset, in-12), etc. On a publié des recueils de ses Discours et instructions pastorales (1858-1860,3 vol. in-8° ; 1868 et suiv., 7 vol. m-S°) ; de ses Principaux discours et mpidements, dans la collection de l’abbé Migne, etc.