Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Praguerie s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 29-30).

PRAGUERIE s. f. (pra-ghe-rl). Hist. Révolte qui eut lieu sous Charles VII, en 1446, et qui fut ainsi nommée par comparaison avec la guerre civile de Prague.

— Encycl. Au commencement de l’année 1440, Charles VII essaya d’organiser une armée régulière, à la place des bandes de routiers mercenaires qui désolaient le pays et devenaient brigands lorsque la paix les avait licenciés. Cette sage mesure eut pour adversaires les seigneurs et les nobles, qui se trouvaient fort bien du désordre général et qui profitèrent du mécontentement excité dans les compagnies pour fomenter une sédition. Les ducs de Bourbon, d’Alençon, le comte de Vendôme, Dunois se jetèrent dans le mouvement, quittèrent brusquement la cour, qui était à Angers, et se retirèrent à Blois. La Trémoille était l’âme du complot : il jalousait le connétable et voulait reprendre le gouvernement du roi et du royaume. Le connétable même, étant tombé entre leurs mains, faillit être gardé comme prisonnier et ne fut relâché que sur les conseils de l’écorcheur Antoine de Chabannes, qui montra plus de patriotisme que les princes et représenta que cette capture aurait pour conséquence inévitable de livrer Paris aux Anglais. Les factieux n’eurent pas de peine à attirer le dauphin Louis à leur parti. Quoiqu’il ne fût âgé que de dix-huit ans, il avait déjà l’ambition de prendre la direction du pouvoir. Il déclara à son gouverneur, le comte de La Marche, qu’il ne voulait plus être sujet comme par le passé et « qu’il se sentait en état de faire très-bien le profit du royaume. » Il se rendit auprès des princes, qui agitaient le Poitou et essayaient de soulever les campagnes et les villes. Les populations se soulevèrent, en effet, çà et là, mais pour leur propre compte, et firent la guerre à toute espèce de troupes, royales ou rebelles. On appela ces révoltés francs-taupins ; ce fut une sorte de jacquerie. Battus dans le Poitou, les princes se retirèrent dans la Marche et dans l’Auvergne, poursuivis par l’armée royale. Quelques villes, Clermont et Montferrand, se déclarèrent pour eux ; mais la plupart fermèrent leurs portes. Les plus considérables bandes de routiers, celles de Villandro, se rangèrent du côté du roi, qui leur offrait une plus forte solde. Les princes furent forcés de négocier, et ils entrèrent en arrangement avec le roi par l’entremise du comte d’Eu, récemment revenu de captivité.

Mais le dauphin, ayant appris que le pardon des gentilshommes de sa maison n’avait pas été stipulé par les princes, refusa de retourner près de son père, et la guerre recommença. Le Bourbonnais et le Forez furent envahis par les troupes royales, que la population préférait généralement aux rebelles ; il fallut se soumettre. Le comte d’Eu pria le roi de se rendre à Cusset et s’engagea sur sa vie à y amener le dauphin. Le roi consentit, vint à Cusset et reçut d’abord la soumission du duc d’Alençon ; puis le dauphin et le duc de Bourbon arrivèrent, laissant aux portes de la ville La Trémoille, Chaumont et Prie, que le roi ne voulait pas recevoir.

Le dauphin et le duc de Bourbon s’agenouillèrent par trois fois devant le roi « et, à la tierce fois, le prièrent en grand’humilité qu’il lui plût à eux pardonner son indignation. » Après quelques paroles de reproche, le roi pardonna. Alors, le dauphin requit aussi le pardon de La Trémoille, de Chaumont et de Prie. « Qu’ils retournent chacun en leurs maisons et domiciles, répondit le roi ; je ne veux pas les voir ! — Monseigneur, dit le dauphin, il faut donc que je m’en retourne, car ainsi leur ai-je promis. — Louis, dit le roi, les portes sont ouvertes, et, si elles ne vous sont assez grandes, je vous ferai abattre seize à vingt toises du mur pour passer. Vous êtes mon fils et ne vous pouvez obliger à personne sans mon congé et consentement ; mais, s’il vous plaît vous en aller, allez-vous-en, car, au plaisir de Dieu, nous trouverons aucuns de notre sang qui nous aideront mieux à maintenir et entretenir notre honneur et seigneurie qu’encore n’avez fait jusqu’ici. » (Chroniques de Monstrelet.) Le dauphin resta. La paix fut publiée le 24 juillet 1440 ; les places occupées par les rebelles furent rendues, et l’on mit le dauphin en possession du gouvernement du Dauphiné, pour donner un aliment à sa soif précoce du pouvoir.