Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution (DU PROGRÈS DE LA) et de la guerre contre l’Église, par Lamennais

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1124).

Révolution (DU PROGRÈS DE LA) et de la guerre contre l’Église, par Lamennais (Paris, 1829, in-8o). Lorsque Lamennais a écrit cet ouvrage, il voyait la Restauration pencher vers sa ruine, les idées libérales gagner chaque jour du terrain. Désespérant de la légitimité, exaspéré des résistances de son propre parti, il résolut d’intimider en même temps le pouvoir et le clergé gallican. Il n’osait point encore afficher le programme de l’avenir : Dieu et la liberté, mais il s’apprêtait à le faire. Le point de départ de cette conversion aux idées démocratiques est le livre sur la Révolution. « Que la France et l’Europe, dit-il au début, s’acheminent vers des révolutions nouvelles, c’est maintenant ce que chacun voit. Les plus intrépides espérances, nourries longtemps par l’intérêt ou par l’imbécillité, cèdent à l’évidence des faits, sur lesquels il n’est plus possible à qui que ce soit de se faire illusion. Rien ne saurait demeurer tel qu’il est ; tout chancelle, tout penche : conturbatae sunt gentes et inclinata sunt regna. La persécution religieuse à laquelle le pouvoir s’est laissé entraîner, et qui dépassera de beaucoup le point où il se flatte de l’arrêter peut-être, donne à ses ennemis la mesure de sa faiblesse et annonce sa ruine ; car toute faction qui a pu dominer le pouvoir le renversera tôt ou tard, et commander, c’est déjà régner : le reste n’est qu’une simple forme. »

Cet arrêt prononcé, Lamennais se demande ce qu’il y a à faire dans l’effroyable confusion de doctrines à laquelle la société est en proie. Selon lui, il y a à protester, à dire la vérité sans s’inquiéter des conséquences que cette conduite peut avoir. Il revendique pour le catholicisme la liberté « promise par la charte à toutes les religions, la liberté dont jouissent les protestants, les juifs, dont jouiraient les sectateurs de Mahomet et de Bouddha, s’il en existait en France. Ce n’est pas, pense-t-il, trop demander, et vingt-cinq millions de catholiques ont bien le droit aussi de se compter pour quelque chose, le droit de ne pas trouver bon qu’on fasse d’eux un peuple de serfs, des espèces d’ilotes ou de parias. » Il se plaint qu’on soit habitué à ne voir en eux qu’une masse inerte, née pour subir tous les jougs ! Il s’en fera le porte-voix, le tribun. Il demande donc la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté de l’éducation. Le programme devait sonner mal à quelques oreilles catholiques et en particulier à celles du saint-siége. Mais Lamennais se flattait de faire taire, quand l’occasion se présenterait, leurs réclamations importunes. Il traite successivement de l’époque actuelle, du libéralisme et du gallicanisme qu’il confond dans une réprobation commune, puis des progrès de la révolution politique et religieuse. Il termine par un examen des devoirs du clergé dans des circonstances aussi solennelles.

Son principal argument contre la civilisation moderne, c’est, dit-il, qu’il n’y a plus de liens sociaux. Il n’y a plus que des lois extérieures, c’est-à-dire plus de société réelle, attendu que la pensée de chacun est hostile à la pensée du voisin et sa volonté rebelle au joug des lois. Le libéralisme trahit cette situation ; le gallicanisme est son complice ecclésiastique. C’est lui qui a établi le despotisme en France en aidant le roi à mépriser la tradition et à ne prendre que son bon plaisir pour maxime. On conçoit les colères qu’un tel langage dut soulever parmi les membres du clergé gallican. Il est constant, néanmoins, qu’ils méritaient les invectives de Lamennais et que leur servilité sous la Restauration est comparable à ce qu’elle avait été sous Louis XIV. Lamennais est effrayé du discrédit dans lequel est tombé le clergé devant la France libérale ou simplement devant les esprits indépendants. Il conseille aux prêtres de s’amender et de rentrer dans leur rôle évangélique et indépendant du pouvoir. « L’avenir, dit-il, est trop sérieux ; il aura prochainement des conséquences qui touchent de trop près aux plus grands intérêts de l’Église pour qu’un prêtre ne se demande pas avec une vive sollicitude quels sont ses devoirs au milieu de tout ce qui se fait et de tout ce qui se prépare. » Cet ouvrage produisit en France, dans le monde politique et gouvernemental comme dans le monde clérical, une émotion profonde, que les événements de 1830 justifièrent parfaitement.