Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution au XIXe siècle (IDÉE GÉNÉRALE DE LA), choix d’études sur la pratique révolutionnaire et industrielle, par P.-J. Proudhon

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1124).

Révolution au XIXe siècle (IDÉE GÉNÉRALE DE LA), choix d’études sur la pratique révolutionnaire et industrielle, par P.-J. Proudhon (1851, in-12). « Trois choses sont à observer dans toute histoire révolutionnaire : 1o  le régime antérieur que la révolution a pour but d’abolir et qui, par sa volonté de se conserver, devient contre-révolution ; 2o  les partis qui, prenant la révolution à des points de vue opposés, suivant des préjugés et des intérêts divers, s’efforcent, chacun de son côté, de l’attirer à eux et de l’exploiter à leur profit ; 3o  la révolution en elle-même ou la solution. » Ainsi débute l’auteur, et il étudie ces trois choses dans leurs évolutions pendant la révolution de 1848, dans l’intention d’expliquer la marche et de faire conjecturer l’avenir de la révolution au XIXe siècle. Son livre comprend sept études ainsi divisées : 1o  les réactions déterminent les révolutions ; 2o  y a-t-il raison suffisante de révolution au XIXe siècle ? 3o  du principe d’association ; 4o  du principe d’autorité ; 5o  liquidation sociale ; 6o  organisation des forces économiques ; 7o  dissolution du gouvernement dans l’organisme économique. Proudhon s’est attaché à faire en quelque sorte le tableau intellectuel de la révolution. Il veut exposer au public l’esprit et l’ensemble d’une révolution avant sa conclusion en s’attachant à la preuve du fait, et, parmi les faits, en choisissant les plus connus et les plus simples, afin de démontrer et d’accélérer la possibilité et la réalisation de la révolution sociale. C’est, d’après lui, un devoir, car empêcher une révolution, c’est menacer la Providence, porter un défi à l’inflexible destin et tomber dans l’absurde. Il essaye de montrer, par ce qui se passe sous nos yeux, que, comme l’instinct de réaction est inhérent à toute institution sociale, le besoin de révolution est également irrésistible ; que tout parti politique, quel qu’il soit, peut devenir tour à tour, suivant les circonstances, expression révolutionnaire et expression réactionnaire ; que ces deux termes : réaction et révolution, corrélatifs l’un de l’autre et s’engendrant réciproquement, sont, aux conflits près, essentiels à l’humanité ; en sorte que, pour éviter les écueils qui menacent de droite et de gauche la société, le moyen c’est que la réaction transige perpétuellement avec la révolution. « Accumuler les griefs, dit Proudhon, et, si j’ose employer cette comparaison, emmagasiner par la compression la force révolutionnaire, c’est se condamner à franchir d’un seul coup et d’un saut tout l’espace que la prudence commandait de parcourir en détail, et mettre à la place du progrès continu le progrès par bonds et saccades. Pour conjurer les périls d’une révolution, il n’est qu’un moyen, c’est d’y faire droit ; malheureusement deux causes s’opposent à l’accomplissement régulier des révolutions : les intérêts établis et l’orgueil du gouvernement ; c’est ce qui rend un conflit inévitable. » Oui ! la révolution déborde ; tout le monde le sent. Depuis l’origine des sociétés, l’esprit humain a été enfermé, enserré dans un système théologico-politique s’appuyant sur l’Église et sur le prince. Le système a varié de forme sans changer au fond. Mais la raison humaine, dit Proudhon, a fini par battre complètement en brèche le surnaturel. Aussi l’idée capitale, décisive de la révolution au XIXe siècle est : Plus d’autorité ! ni dans l’Église, ni dans l’État, ni dans la terre, ni dans l’argent. Or, plus d’autorité, cela veut dire ce qu’on n’a jamais vu, ce qu’on n’a jamais compris, accord de l’intérêt de chacun avec l’intérêt de tous ; identité de la souveraineté collective et de la souveraineté individuelle. Plus d’autorité, c’est-à-dire servitudes abolies, dépenses du culte, de la justice et de l’État supprimées, le contrat libre à la place de la loi absolutiste ; la transaction volontaire au lieu de l’arbitrage de l’État ; la justice équitable et réciproque au lieu de la justice souveraine et distributive ; la morale rationnelle au lieu de la morale révélée ; l’équilibre des forces substitué à l’équilibre des pouvoirs ; l’unité économique à la place de la centralisation politique.

Enfin, le programme de la révolution au XIXe siècle peut se formuler ainsi : la recherche des causes premières et des causes finales est éliminée de la science économique comme des sciences naturelles. La révolution succède à la révélation. La raison, assistée de l’expérience, expose à l’homme les lois de la nature et de la société ; puis elle lui dit : « Tes lois sont celles de la nécessité même. Nul homme ne les a faites, nul homme ne te les impose. Si tu les observes, tu seras bon et juste ; si tu les violes, tu seras injuste et méchant. Déjà, parmi tes semblables, plusieurs ont reconnu que la justice était meilleure pour chacun et pour tous que l’iniquité et sont convenus entre eux de se garder mutuellement la foi et le droit. Veux-tu adhérer à leur pacte ? Promets de respecter l’honneur, la liberté et le bien de tes frères ; promets de ne jamais mentir et de ne jamais tromper ton semblable, de ne jamais le léser en quoi que ce soit. Si tu refuses, rien ne te protégera ; si tu acceptes, tous tes frères te promettent fidélité, amitié, secours, service, échange et respect. » La loi est claire ainsi que sa sanction. Trois articles qui n’en font qu’un, voilà tout le contrat social. Au lieu de prêter serment à Dieu et à son prince, le citoyen jure sur sa conscience, devant ses frères et devant l’humanité. Entre ces deux serments, il y a la même différence qu’entre la servitude et la liberté, la foi et la science, les tribunaux et la justice, l’usure et le travail, le gouvernement et l’économie, le néant et l’être, Dieu et l’homme.

Voilà, d’après Proudhon, l’idée générale de la révolution au XIXe siècle : « La révolution n’a pour ennemis que les agioteurs et les gouvernements qui vivent de préjugés, spéculent sur la politique, jouent à La baisse des vieilles institutions tout en entretenant la réaction, afin de ménager l’agiotage, et, à chaque faux pas de l’un ou l’autre parti, escomptent un nouveau bénéfice. La loi de la révolution n’est autre que la loi de la raison et du progrès. » L’ouvrage dans lequel Proudhon explique toutes ces théories n’est pas un livre de polémique ; c’est, avant tout, un livre de propagande et de principes. Quant à la partie dans laquelle l’auteur juge les événements qui se passaient à l’époque où il écrivait, elle est toujours juste dans le fond, mais parfois la forme est un peu brutale. Ce livre pourrait en quelque sorte être intitulé : le Credo politique de P.-J. Proudhon,