Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution française (RÉFLEXIONS SUR LA), par le right honourable Edmond Burke

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1119).

Révolution française (RÉFLEXIONS SUR LA) et sur les procédés de certaines sociétés de Londres relatifs à cet événement, en forme d’une lettre qui aurait dû être envoyée d’abord à un jeune homme à Paris, par le right honourable Edmond Burke (1790). Peu d’ouvrages ont fait autant de bruit que cette espèce de pamphlet, que réfutèrent toutes les plumes libérales de l’époque. Afin de ne pas tomber dans le même défaut que Burke et de ne pas nous montrer injuste envers lui, nous nous placerons, en quelque sorte, à son point de vue pour résumer son livre, au lieu de n’y voir qu’une attaque forcenée contre notre Révolution.

Quand on voit le feu dévorer la maison de son voisin, on prend toutes les mesures les plus efficaces pour arrêter les progrès de l’incendie, par crainte pour sa propre sûreté. C’est par ce motif que Burke a combattu la révolution française. Il n’a pu voir sans peine qu’on cherchât à porter atteinte à la constitution anglaise dans des clubs établis à Londres (Constitutional Society et Révolution Society), en lui préférant les nouvelles formes adoptées par la France. Il s’élève donc avec d’autant plus de force contre les innovations apportées dans notre gouvernement, qu’il paraît les redouter davantage pour son pays, et veut éclairer ses compatriotes sur les différences, comme principes et comme conséquence, entre la révolution anglaise et la Révolution française.

Son début n’est pas heureux ; il emploie plus de cent pages à justifier par des arguments subtils la conduite du Parlement d’Angleterre, qui appela la maison de Hanovre sur le trône que la loi de l’hérédité déférait aux Stuarts. Il ne réussit qu’à conclure contre son opinion, c’est-à-dire contre la légitimité. Puis, lui qui vient de donner un exemple si frappant de manque de logique, il entreprend de relever ce qu’il appelle les inconséquences de l’Assemblée nationale. Il se montre choqué de la voir prétendre au respect de la France et à l’admiration de l’Europe, lorsque la majorité du tiers état est composée de ses plus obscurs représentants, qui, ayant, suivant lui, tout à gagner à un bouleversement, ne sauraient rien édifier de stable. Le clergé, dit-il, n’offre pas une plus grande aptitude « pour travailler à cette besogne ardue de refondre un État. Ce nouveau poids prépondérant, ajouté à la force active du corps de la chicane, complète, avec quelques gentilshommes comblés des bienfaits et des largesses de l’autorité qu’ils avilissent, un ensemble d’ignorance, de témérité, de présomption et d’avidité du pillage auquel rien n’est capable de résister. »

On conçoit aisément qu’avec des idées aussi étranges Burke a dû peindre sous de singulières couleurs « cette Assemblée qui détrône les rois et bouleverse les empires, et n’a pas même la physionomie ni l’aspect imposant d’un corps législatif. » Une des inconséquences que Burke reproche avec le plus de force à l’Assemblée nationale, c’est d’avoir confisqué tous les biens du clergé au profit des créanciers de l’État, tandis que ceux qui ont le plus contribué au déficit jouissent paisiblement des leurs. « Pourquoi, demande-t-il, n’a-t-on pas confisqué les biens de cette longue succession de ministres, de financiers et de banquiers qui se sont enrichis, tandis que la nation se ruinait par leurs manœuvres et par leurs conseils ? » Ce qui n’est pas moins illogique, d’après lui (et ici nous sommes de son avis), c’est que, « les hommes, a dit la Déclaration des droits de l’homme, étant strictement égaux et étant appelés à des droits égaux dans leur propre gouvernement, » il faille payer un marc d’argent en contribution directe pour être élu député à l’Assemblée nationale.

Burke ne se borne pas, dans son pamphlet, à essayer de représenter l’Assemblée nationale comme étant en contradiction avec elle-même ; il entre dans l’étude de la politique philosophique et examine cette question de savoir si les gouvernés ont le droit de déposer celui qui les gouverne. Cette seconde partie de la lettre de Burke ne vaut pas mieux que la première, et ce philosophe, en écrivant que la religion est plus nécessaire à la démocratie qu’à la monarchie, en affirmant la nécessité de créer et de conserver des classes dans le peuple, prouve jusqu’à l’évidence qu’il n’a rien compris au grand mouvement révolutionnaire qu’il a la prétention de juger. Burke, dans sa lettre, passe en revue toutes les institutions créées par la Révolution et va même jusqu’à essayer de prévoir ce que pourront donner les législatures qui doivent succéder à la première grande Assemblée.

Telle est l’étendue des objets qu’embrasse cet ouvrage, où l’on trouve çà et là des pensées profondes, toutes les fois que l’esprit de système n’obscurcit pas la justesse des vues de l’auteur.

Il est fâcheux qu’à côté de ces pensées justes, l’auteur se laisse emporter à des éclats intempestifs de colère et n’ait fait, en fin de compte, qu’une charge à fond de train contre notre grande Révolution. Burke y emploie moins la raison que des sophismes exposés avec passion ; il ne contrôle pas avec assez de scrupule l’exactitude des faits qu’il rapporte et des conséquences qu’il en tire. Écrivant avec ses haines et ses préjugés, il s’abandonne à une fureur parfois ridicule. La preuve la plus évidente, d’ailleurs, de son injustice, c’est qu’il ne voit dans la crise terrible que traversait la France que les erreurs qu’ont pu commettre les hommes nouveaux portés au pouvoir, faisant semblant de ne pas apercevoir le bien qu’ils ont fait, et refusant de reconnaître la légitimité de ce grand mouvement qui a régénéré l’Europe entière. Si, pour le fond, sa passion l’égare, elle le sert pour la forme : son style est vif, énergique, coloré, chaleureux, mouvementé et s’élève parfois jusqu’à l’éloquence. C’est l’expression suprême de l’indignation de l’aristocratique Angleterre contre la France démocratique.