Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Religion s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 904-911).

RELIGION s. f. (re-li-ji-on — du latin re- ii’fft’o, qui signifie proprement lien, lien de l’aine ; de re, préfixe, et de ligare, lier. D’autres étymoiogistes prétendent qu’il vient de re, préfixe, et de légère, choisir ; mais le premier sens est beaucoup plus vraisemblable, car il équivaut k celui du grec pistis, foi et lien, comme à celui du sanscrit çral, foi, respect, resté dans le latin cre-do, pour cret-do, proprement avoir la foi, croire ; de la racine dhâ, tenir, avoir). Culte qu’on rend à la divinité sous quelque forme que ce soit : La RE-LIGION catholique. La religion de Mahomet. Les obligations de l’homme envers Dieu, voilà la religion. (Vauv.) La religion est une affaire entre chaque homme et la divinité. (Beyle.) La religion est ce qui nous lie ou nous relie à Dieu. (Bautain.) La religion est le résultat des besoins de l’âme et des efforts de l’intelligence. (B. Constant.) La religion est l’hôpital des âmes que le monde a blessées. (Petii-iieun.) La religion est une chaîne dont le premier anneau s’attache d ta terre et le dernier au ciel. (De Cusline.) La religion est te commerce de la terre avec le ciel. (Ruyer-Collard.) La religion est le commerce positif et efficace de l’homme avec Dieu. (Lacord.) La lumière et l’amour1 ta sincérité et ta charité ! toute la religion est là. (Victor Cherbuliez.) La religion, pour nous, c’est l’archéologie de la raison. (Proudh.) La religion est le res-

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pect de l’humanité idéalisée et adorée par ellemême sous le nom de Dieu. (Proudh.) La religion est une allégoriéde ta justice. (Proudh.) L’israéiile pensait que la religion du vrai Dieu n’était faite que pour lui seul. (Renan.) La religion, c’est la part de l’idéal dans la vie humaine. (Renan.) La rkligion est l’appui de tout ce qui souffre contre tout ce qui domine tur la terre. (P. Leroux.)

— Doctrine-religieuse : Les rois ne peuvent pas commander d’embrasser une religion. (Cassiodore.) Si /’oh n’eût écouté que ce que Dieu a dit à l’homme, it n’y aurait eu qu’une religion sur la terre. (J.-J. Rouss.) L’homme primitif, ignorant et timide, a créé Dieu et du même coup les religions. (***.) Les religions portent bien avec elles des formes qui en dénotent la puissance et le caractère, mais ces formes ne sauraient lespréserver de l’abâtardissement et de la corruption. (Maury.) L’intelligence de l’homme n’est ennemie de la religion que lorsque la religion est persécutrice. (B. Constant.) La fnmc-maçonnerieest In religion universelle. (Ch. Fauvety.) Les religions positives répriment tes mouvements aventureux de l’imagination individuelle, en introduisant l’ordre et la fixité dans te monde flottant des rêves. (Challeinel-Lacour.) Toute religion nouvelle ne peut prendre racine que chez un peuple ignorant. (L. Pinel.) Celui qui quitte sa religion doit ta quitter de bonne heure ; après ce moment, on ne peut plus la déraciner sans ébranler tout le sol. (H. Taine.) Quand ta religion se fait instrument politique, elle s’expose à voir méconnaître son caractère sacré. (Béranger.) Toute religion établie sur des dogmes invariables est une religion d’étouiïement et de compression. (L’abbé Châtcl.) La liberté est une tout aussi bonne religion que les autres. (H. Heine.) La religion est de nature immobile, rêveuse, intolérante, antipathique à la recherche et à l’étude. (Proudh.) Dans les temps modernes, le créateur d’une religion serait tenu pour un imposteur. (Thiers.) Une religion positive est tw ensemble de dogmes et de préceptes révélés. (J. Simon.) Les religions sont la mesure du progrès des choses. (E. Littré.) J’en sais qui ont fait des religions pour avoir le plaisir d’être apôtres. (St-Marc. Gir.) Les religions de l’antiquité n’é- ■ taxent que l’État, ta famille, l’art, la morale, élevés à une haute et poétique expression, (Renan.) La religion d’un peuple, étant l’expression ta plus complète de son individualité, est, en un sens, plus instructive que son histoire. (Renan.) Pour faire l’histoire d’une religion, il faut ne plus y croire, mais il faut y avoir cru. (Renan.) La religion catholique est en travers de tous les progrès que tentent de réaliser les sociétés humaines. (L. Jourdan.) La religion ne peut plus être sauvée que par la liberté absolue. (E. de Gir.)

— Par ext. Foi, croyance, piété, dévotion : Le cardinal de Richelieu avait assez de religion pour le monde. (De Retz.) La raison supporte tes disgrâces, le courage les combat, ta patience et la religion les. surmontent. (Mme de Sév.) Une famille vertueuse est un vaisseau tenu dans la tempête par deux ancres : la religion et les mœurs. (Montesq.) Nous avons tout juste assez de religion pour nous haïr, mais pas assez pour nous aimer les uns les autres. (Swift.) La religion est la défense de l’âme, comme tes armes sont la défense du corps. (Chateaub.) La religion est la plus humaine des institutions. (A. Constant.) La religion et la philosophie sont deux manteaux dont l’hypocrisie a soin de se couvrir. (Saniai-Dubay.) Cette adoration sombre et mystique de la nature, chez Diderot et d’Holbach, ressemble presque à une religion. (Ste-Beuve.)

— État des personnes engagées par des vœux à suivre une certaine règle autorisée par l’Église : Ce bénédictin a trente ans de religion. Choisir une religion. Habit de religion. (Acad.) Elle s’appelait en religion sœur Euphémie. (Racine.) H Mettre une fille en religion, La faire religieuse. Il Entrer en religion, Se faire religieux ou religieuse ; De ce mariage naquirent plusieurs filles, dont les unes se marièrent, les autres entrèrent en religion. (Mérim.) Avant comme après mon entrée en seligion, dit le docteur, ma haine sera ta même contre tes hypocrites. (Baiz. J Mais cette jeune fille ! Il est difficile et peutêtre peu convenable à moi de la détourner «"entrer en religion, surtout si c’est une vacation décidée. (Scribe.)

— Absol. en ce sens, Se dit de l’ordre de Malte : Ce chevalier avait servi tant d’années la religion. Les galères de la religion. (Acad.)

— Par anal. Se dit de ce qui est considéré comme un devoir sacré : Oh doit appi-endre de bonne heure aux enfants la religion du secret. (Mme Moumarson.) La monarchie i>'est plus une religion. (Chaieaub.) L’amour est une religion en Allemagne, mais une religion poétique. (M’as de Staël.) Si la politique n’est pas une religion, elle n’est rien. (Clmteaub.) La légitimité est une religion dont ta foi est morte. (Chateaub.) La liberté est une religion nouvelle, la religion de notro temps. (H. Heine.) La philosuphie est la religion de la raison. (Proudh) Lamuur, c’est ta foi, c’est la religion du bonheur ten-esire. (A. de Musset.) La société oscille sur le principe féodal, qui n’est autre que l’idée guerrière, la religion de la force. (Proudh.) L’amour du cheval est une des religions de l’Angleterre. (E. Texier.)

Il Se faire une religion, un point de religion

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o’une chose, S’en faire une obligation importante, un devoir sacré ; // se fait une religion de tenir sa parole. Il se fait un point de rbligion de ne révéler jamais un secret qui lui a été confié. (Acad.) Il sb fit une religion d’écouler les raisons des partis et de tire leurs mémoires. (Fléch.) Il Mettre sa religion d, Regarder comme un des premiers, des plus saints devoirs : Il met sa gloire et sa religion A rendre heureux ceux qui l’environnent. (B. de St-P.) u Violer la religion du serment, Manquer à son serment, se parjurer. || Surprendre la religion de quelqu’un, Surprendre sa confiance, abuser de sa bonne foi, le tromper par un faux exposé.

Religion naturelle, Ensemble de principes de morale communs aux nations civilisées et indépendants de toute révélation : J’entends par religion naturelle les principes de morale communs au genre humain. (Mass.) // n’y a point de religion naturelle, car, dès que vous abolissez le surnaturel, la religion aussi disparait. (Guizot.) Au point de vue des religions de la nature, la race anglo-saxonne est la plus impie des races. (A. Esquiros.) L’anthropomorphisme est supérieur aux religions de la Nature de toute la supériorité de l’homme sur la nature. (Cousin.)

Il La religion prétendue réformée, La religion réformée ou siraplem. La religion, La croyance des protestants : Plus les angoisses avaient été vives, plus grande fut la joie et l’audace parmi ceux de la religion. (Vilet.)

— Hist. Guerres de religion, Guerres occasionnées pur la différence des religions, et

particulièrement Guerres entre les catholiques et les protestants : La liberté complète des convictions religieuses a été la fin des guerres de religion. (J. Pillon.) Les guerres de religion sont, de toutes, tes plus sanguinaires. (Proudh.)

— Hist. ecclés. Couvent, congrégation : Religion d’hommes. Religion de femmes.

— Politiq. Religion d’État, Celle qu’un État déclare être celle qu’il professe, tandis qu’il ne fait que tolérer les autres : Une religion d’État est un crime de lèse-conscience. (Vacherot.)

— Loc. fam. La religion de saint Joseph, Se dit du mariage.

— Encycl. Les dictionnaires et les catéchismes définissent en général la religion le lien qui unit l’homme k Dieu. Cette définition est-elle exacte ? embrasse-t-elle toutes les religions ou du moins toutes les doctrines qui prétendent à ce nom ? C’est ce que nous aurons plus loin l’occasion d’examiner.

Quand on étudie l’histoire depuis les temps les plus reculés, on est frappé du rôle important que la religion a toujours joué parmi les hommes. Dès lors, on est amené à se poser cette première question : le sentiment religieux est-il inné chez l’homme ? Sur un sujet si important, donnons d’abord la parole à un homme religieux, nous verrons ensuite ce que les libres penseurs savent répondre.

L’homme a des besoins naturels qu’il apporte eu naissant et qui proviennent de sa constitution ; boire, manger, dormir, connaître, aimer sont des nécessités de notre

nature auxquelles nous ne pouvons nous soustraire. La religion répond k l’un de ces besoins innés de notre être. Dans tous les pays, à toutes les époques de la civilisation, nous rencontrons un culte. Divers selon les temps, les peuples, les lieux, lès races, il n’en atteste pas moins d’une manière irréfragable l’existence permanente et l’universalité du sentiment religieux. Devant cette manifestation unanime, qui voudrait contester que l’homme primitif soit naturellement religieux ?

Il s’est rencontré pourtant des écoles décidées à soutenir l’opinion contraire. Les matérialistes de nos jours se font nécessairement

les défenseurs de cette thèse, mais leurs objections et leurs critiques ne résistent pas plus a l’examen que celles de leurs prédécesseurs du siècle dernier. On se souvient

qu’à cette époque Volney, dans ses Ruines, mais surtout Dupuis, dans son Traité sur l’origine des cultes, prétendirent démontrer la non-réalité du sentiment religieux. S’inspirant du baron d’Holbach, de Lamettrie, de Diderot, ils essayèrent d’expliquer l’existence des religions par la sagesse des législateurs ou l’artifice des prêtres. On comprend très-bien le sentiment de réaction contre le catholicisme qui engageait dans cette voie les

philosophes du siècle dernier ; on comprend que, voyant la religion à travers le culte des Dubois, des Louis XIV et des Louis XV, ils aient voulu la proscrire ; mais ce qu’on ne conçoit guère, c est qu’ils se soient contentés d’aussi fuibles raisons. Comment est-il possible d’admettre, en effet, que les législateurs ou les prêtres eussent inventé la religion pour assujettir les peuples s’ils n’avaient trouvé eu eux-mêmes le sentiment religieux ? mais surtout comment ces inventions auraientelles jamais eu aucune influence sur l’esprit des masses, si ces prétendues inventions n’avaient trouvé un point d’appui dans les cœurs ? Soutenir que les religions ont existé sans un sentiment religieux, autant vaudrait dire que les législations commerciales ont créé le commerce ou les professeurs de chant le sens musical.

Quant aux matérialistes contemporains, ils affirment que la religion est une faiblesse, une illusion dont l’humanité se débarrasse à

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mesure qu’elle progresse dans la connaissance de l’univers. Les découvertes incessantes de la chimie, de la physiologie, de la géologie, de la physique, de toutes tes sciences expérimentales en un mot, sont autant de coups portés à la religion. On ajoute enfin que cette universalité dé la religion dont on parle n’existe pas ; que certains voyageurs ont découvert des peuplades sauvages extrêmement grossières qui ne professaient aucun culte. À ces observations, il y a une double réponse à faire. Tout d’abord, il est possible que la science soit hostile à certaines traditions religieuses, à certains dogmes admis ; il est possible, par exemple, Que la géologie prouve l’inexactitude de la chronologie mosaïque ou l’impossibilité d’un déluge universel ; il est possible que la critique historique ruine les faits miraculeux racontés diins les livres sacrés des différentes religions, tandis que l’observation ne peut en constater un. seul ; mais qu’importent ces’attaques dirigées contre des traditions erronées ? Elles ne peuvent atteindre le sentiment religieux qui & son origine, non pas dans tel ou tel livre, mais dans les besoins éternels de l’âme humaine. En second lieu, on doit remarquer

que la plupart des assertions des voyageurs qu’on invoque reposent sur des observations incomplètes. Seraient-elles d’ailleurs parfaitement exactes, que nous n’en serions nullement embarrassés. Que prouveraient-elles, en effet, contre la nature religieuse de l’homme ou contre l’universalité dé la religion ? Il y a des sauvages qui ne savent pas compter au-dessus de 20 : en conclura-t-on que les calculs supérieurs ne sont pas naturels k l’humanité ? Il y a dans le monde des aveuglesnés et des idiots : en conclura-t-on que l’homme est dépourvu de la faculté de voir et de toute intelligence ? Les conséquences que nos contradicteurs prétendent tirer de faits isolés sont pourtant aussi logiques. Comme l’a dit M. Renan dans ses Études d’histoire religieuse, « l’humanité est religieuse…., et si l’homme, par un effort spontané, aspire à saisir la cause infinie et s’obstine à dépasser la nature, n’est-ce pas un grand signe que, par son origine et sa destinée, il sort de l’étroite limite des choses finies ? À la vue de ces efforts sans cesse renouvelés pour escalader le ciel, ou se prend

d’estime pour la nature humaine, on se persuade que cette nature est noble et qu’il y a lieu d’en être fier ; alors aussi on se rassure contre les menaces de l’avenir. Il se peut que tout ce que nous aimons, tout ce qui fait & nos yeux l’ornement de la vie, la culture libérale de l’esprit, la science, l’art soient destinés k ne durer qu’un âge, mais la religion ne mourra pas. Elle sera l’éternelle protestation de l’esprit contre le matérialisme systématique ou brutal qui voudrait enfermer

l’homme dans la région inférieure de la vie vulgaire. »

Mais si la religion n’a pas d’intermittences, elle ne demeure pas toujours identique a elle-même. Elle se transforme avec les âges, avec les progrès de l’esprit humain. Elle prend diverses formes suivant les races et suivant les lieux. Ainsi, dans l’antiquité, on calcule qu’il y a eu autant de religions que de langues, peut-être plus de deux mille. Comment en eût-il été autrement ? Tous les peuples ont toujours cru qu’au-dessus et au-dessous des apparences premières des choses il y avait un être ou des êtres’supérieurs à l’homme, dont celui-ci dépendait et qu’il se sentait porté à adorer. Lorsque l’homme, se développant davantage et agrandissant ses facultés, sentait que les objets de son culte étaient au-dessous de lui, il ne pouvait continuer à les adorer ; mais le besoin religieux existant toujours en lui, il s’élevait ainsi peu à peu à la conception d’un être ou d’êtres supérieurs k ceux qu’il adorait auparavant. C’est de cette manière que nous voyons l’humanité s’élever successivement du polythéisme au monothéisme. Tout d’abord, l’homme croit reconnaître âne puissance divine dans io premier objet qui parle vivement a son imagination et qui lui parait redoutable ou utile ; nous avons alors le fétichisme, la forme la plus grossière du polythéisme. Puis l’homme adore les fleuves, les montagnes, les étoiles, les arbres comme autant de divinités ; plus tard, il en vient à les considérer seulement comme la résidence de ces divinités ; mais en définitive, sous toutes les croyances et tous les mythes, on retrouve constamment l’adoration de la nature, de ses forces et de ses phénomènes les plus remarquables envisagés comme des êtres personnels et intelligents. Enfin, quand on eut reconnu qu’il y avait de l’ordre dans la nature et que les divers phénomènes étaient subordonnés les uns aux

autres, ceux-ci étant la cause ou la conséquence de ceux-là, on organisa les différentes divinités en un système de dieux et de déesses dont les relations supposées dérivaient du phénomène que chacun d’eux personnifiait. Ce polythéisme devait nécessairement aboutir à la doctrine monothéiste. L’élimination des dieux secondaires ne devait finalement laisser debout qu’un seul Dieu.

Toutes ces formes religieuses ont eu leur culte, dont la plus saillauie cérémonie était le sacrifice. Sacrifice de propitiation, pour se rendre la divinité favorable ; sacrifice d’action de grâces, pour lut montrer sa gratitude ; sacrifice d’expiation, pour apaiser sou courroux ; c’est toujours par le sacrifice que se traduit l’adoration. Ceci nous condoit à rechercher quelle est la véritable nature du sentiment religieux. Un des plus célèbres théologiens allemands en a donné une définition qui ne nous semble guère pouvoir être contestée : il l’a défini « un sentiment de dépendance. > Cette conception de Schleiermacher nous semble contenue dans l’idée de sacrifice. L’homme, en présence de la grandeur et de l’immensité de l’univers, de son impuissance à changer aucune de ses lois et à lever le voile mystérieux qui couvre le double problème de son origine et de sa fin, l’homme sent sa faiblesse et se reconnaît soumis à quelque chose de supérieur. Cet être, il tente de le fléchir et par là reconnaît sa dépendance vis-à-vis de lui. On pourrait dire ; il est vrai, que le sacrifice a disparu du christianisme protestant, mais il existe toujours dans le catholicisme, quoiqu’il ait singulièrement changé de nature ; et d’ailleurs il faut remarquer que, si le sacrifice extérieur a disparu chez les protestants, il a été remplacé par le sacrifice intérieur. L’homme n’apporte plus des offrandes à l’autel, mais il s offre lui-même en sacrifice, il étouffe en lui tous les désirs, qui sont contraires k la volonté de Dieu. C’est, comme on voit, toujours le même sentiment de dépendance.

Considérées au point de vue de leur origine, les religions sa divisent en deux catégories : les religions révélées et la religion naturelle. Les premières prétendent avoir été transmises à leurs sectateur3 d’une manière surnaturelle. La dernière proclame que l’objet et la source de la religion, c’est le divin, et que le divin peut être connu et saisi, en dehors de toute révélation surnaturelle, par les seules lumières de la raison. M, Bersot, dans son Essai sur la Providence, M. Jules Simon, dans son ouvrage de la Religion naturelle, M. Emile Saisset, dans son Essai de philosophie religieuse, M. de Rémusat, M. Paul Janet, avec quelques divergences de détail, se rattachent ’tous aux idées essentielles qui sont à la base de la religion naturelle. M. E. Caro, dans ses Études moitiés sur le temps présent, nous semble les avoir parfaitement résumées dans les lignes suivantes : à Croire à un Dieu libre et personnel, créateur et providence, distinct du monde et do l’humanité j croire k l’existence de l’âme intelligente et libre, enfermée, pendant quelques jours d’épreuve, dans cet organisme qu’elle peut, à son gré, purifier en s (ouvrant une issue du côté du ciel ou déshonorer par Son commerce avec la matière ; affirmer d’une foi absolue la supériorité du principe raisonnable sur la sensation ; mettre sous la garde de l’inflexible justice la liberté morale, source et principe de toutes les autres ; donner à la morale son vrai nom, l’épreuve ; lui fixer son vrai but, l’affranchissement graduel de l’âme se dégageant des liens du corps et préparant l’heure de la mort par l’austérité de la vie ; reconnaître enfin la loi du progrès, mais sans jamais séparer le progrès de iTiumanité dans les voies du bien-être matériel de l’idée morale qui seule les consacre et les justifie, « tels sont les principes de la religion naturelle.

Parlons maintenant de ce qu’on appelle la religion positiviste. On sait qu’Auguste Comte, après avoir éliminé toutes les retigions existantes comme antiscientifiques, prétendit en établir une fondée uniquement sur les principes de la science expérimentale. Cette religion était une religion sans Dieu ; elle ne reconnaissait pas non plus la croyance a l’immortalité de 1 âme. Sans ces deux doctrines capitales, est : il possible d’avoir encore une religion ? C’est ce que prétend Stuart Mill dans son étude sur Auguste Comte et le positivisme. Que faut-il, en effet, pour constituer une religion ? 11 faut d’abord un dogme ou une conviction, puis un sentiment qui se rattache à ce dogme et soit assez puissant pour lui donner dans le fait l’autorité à laquelle il prétend en théorie. Il est très-avarjtageux que ce sentiment se cristallise autour d’un objet concret, réellement existant et toujours présent idéalement, comme celui qu’offrent aux fidèles le christianisme et le théisme ; mais cela n’est pas indispensable, et d’ailleurs cette condition peut être remplie par un autre objet. A. Comte croit à la nature infinie du devoir, et l’on a dit que celui qui croyait k l’infini du devoir avait une religion. Partant de ce fait d’observation que l’intérêt général de l’humanité peut devenir une source d’émotion et une règle de conduite, il propose d’instituer le culte de l’humanité, du grand Être, ’ comme il l’appelait, considéré dans le présent, dans son passé le plus reculé, dans son avenir le plus lointain. On vivra dorénavant pour autrui : l’altruisme, un mot bai bare pour dire la charité, remplacera l’égoïsme. « Les gens sincères de toutes les religions, dit M. Stuart Mill, voudront peut-être bien reconnaître que, si une personne possède un

objet idéal et que son attachement pour celui-ci, ainsi que lo sentiment de ses devoirs envers lui, soient capables de discipliner et de gouverner tous ses autres sentiments et tous ses autres penchants, aussi bien que de lui prescrire une règle de conduite, cette personne a une religion. »

■ En accordant qu’il puisse y avoir une reli' gion dansées conditions, on conviendra pourtant que ce n’est guère la peine de rétablir le fétichisme du grand Être sous prétexte de science et de progrès. Du reste, la religion

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ne petit s’arrêter que dans l’absolu, L’humanité ne peut pas se contenter longtemps dô ce cuite nouveau qu’on lui offre ; les questions de cause première et de cause finale se poseront toujours k l’esprit. Ces grands problèmes qui l’ont toujours préoccupé le préoccuperont encore. L’homme ne cessera pas de se demander : Qui suis-je ? d’où suis-je venu ? où vais-je ? De deux choses l’une : ou bien il faut nier le sentiment religieux en dépit de l’histoire et de la réalité, ou bien il faut reconnaître que le sentiment religieux est au-dessus de toutes les contingences, et lui donner pour but, non pas un objet concret connu et déterminé, mais l’infini dans sa forme souveraine, l’infini de l’intelligence et de l’amour, l’infini que réclament l’âme et la conscience, l’infini qui se nomme Dieul ’

Cette tentative, d’ailleurs, quelles que soient ses erreurs, ses imperfections et ’ses lacunes, montre la puissance et la persistance du sentiment religieux dans l’âme humaine. Un philosophe prétend supprimer

toutes les religions existantes et il finit par en faire une nouvelle : voilà de quoi démontrer aux plus obstinés la nécessité et l’humanité de la religion. L’homme primitif a besoin d’adorer. La foi à l’infini est la loi de son être ; il cherche l’infini partout et, plutôt que de s’en passer, il le suppose où il n est pas. La pensée, la science, l’amour, la patrie, l’humanité, gratuitement revêtus de cet attribut, deviennent les objets de sa religion.’Mais il faut qu’il finisse par trouver le véritable objet de l’adoration, le Dieu en esprit et en vérité.

Ecoutons maintenant ce que disent les libres penseurs sur la question du sentiment religieux. Si, après avoir acquis par l’histoire la preuve que, d’ans le passé, toutes les sociétés humaines ont fait dans leurs institutions une large part à la religion, on se bornait a conclure qu’il doit y avoir dans l’homme quelque chose d’inné qui l’induit presque nécessairement à se créer une religion dès qu’il renonce à l’isolement de la vie sauvage, cette conclusion serait parfaitement légitime : l’homme a partout- institué des religions ; donc il avait en lui ce qui le portait à créer des religions. Cela est tellement évident qu’il est inutile de le dire, ou plutôt que ceux qui le disent ressemblent au bachelier de Molière, à qui on avait demandé d’expliquer pourquoi l’opium fait dormir, et qui répondait : parce qu’il y a en lui une vertu dorinitive. Oui, il y avait dans l’homme, au moment où il cherchait à fonder des sociétés, un sentiment vague qui le poussait presque invinciblement k imaginer quelque chose qui avait une ressemblance grossière avec nos religions. Mais il s’agit de savoir ce qu’était ce sentiment, ce qu’étaient ces êtres qu’il imaginait tout exprès pour les adorer. Ce sentiment, c’était celui de sa faiblesse, c’était la peur qu’imprimait dans son âme la vue des grands phénomènes de la nature, de la foudre, de la tempête, du feu, des inondations ; ces êtres, c’étaient des génies malfaisants, car il ne les connaissait que comme auteurs de ses maux, qu’il supposait doués d’une puissance terrible et aux ordres de qui il se persuadait que la nature entière était soumise ; il les adorait d’abord par le même sentiment instinctif qui porte l’enfant que son père corrige à se mettre à genoux et à demander grâce ; plus tard, il les adorait encore, même en l’absence des fléaux dont il avait tant souffert, par l’espoir qu’il avait, en se rendant ces génies favorables, de prévenir le retour de ces fléaux. N’est-ce pas abuser des mots que d’appeler sentiment religieux ce mélange de frayeurs singulièrement exagérées par l’ignorance et d’imaginations grossières dont aucune ne s’est trouvée vraie quand est venue l’heure de la raison et de la science ? D’ailleurs, ceux qui soutiennent l’existence innée du sentiment religieux prononcent ces deux mots avec une onction telle qu’on ne peut pas douter du sens qu’ils y attachent : pour eux, évidemment, cela signifie un sentiment implanté dans le cœur de l’homme par Dieu lui-même, et par conséquent un sentiment qui a droit à tous nos respects. Mais quoil C’est Dieu qui nous aurait gratifiés de ce sentiment, et dès qu’il agit en nous il nous égare 1 Au lieu de nous porter vers un Dieu qui serait créateur du monde et seul véritable, il nous fait prostituer nos adorations sur des dieux imaginaires, k qui notre première pensée est d’offrir des sacrifices, c’est-à-dire de bonne viande pour assouvir leur gourmandise ! En vérité, c’est se faire une singulière idée des dons que ce Dieu veut bien prodiguer à sa créature favorite. Les prêtres et les législateurs sont venus ensuite ; ils n’ont pas inventé la religion, mais ils ont très-bien compris le parti qu’ils en pouvaient tirer pour leur avantage particulier ; et, comme c’étaient toujours les plus habiles qui se faisaient prêtres et législateurs, ils n’ont pas manqué d’employer toute l’influence que leur donnait leur supériorité réelle pour s en assurer une factice, mais beaucoup plus puissante, en confirmant, développant et systématisant les grossières ébauches de croyances religieuses qu’ils trouvèrent déjà formées dans 1 esprit du peuplé*. On peut d’ailleurs admettre qu’ils partageaient jusqu’à un certain point les frayeurs populaires et la foi en des êtres d’une nature supérieure dont on pouvait fléchir la colère par des prières et par des sacrifices. Quand ils proposaient au peuple des systèmes et des noms

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de dieux, créés par eux, ils étaient peut-être dupes eux-mêmes de leur imagination surexcitée par le rôle d’inspiré qu’ils prétendaient jouer et qu’ils jouaient réeHemeiit.

Si, au lieu de poser en fait l’existence innée du sentiment religieux, ^on se bornait à dire que l’homme apporte en naissant l’amour du merveilleux, il serait plus difficile de contester la réalité de cette tendance, dont nous voyons en effet chaque jour dgs preuves manifestes. Est-ce encore l’ignorance ou la peur qui porte ainsi les hommes à courir, pour ainsi dire, au-devant du merveilleux ? On pourrait le croire, en voyant que ce sont presque toujours les femmes et les hommes des classes les moins éclairées, surtout quand ils sont jeunes, qui se laissent prendre à l’appât du merveilleux. Mais il faut reconnaître que trop souvent des hommes à qui les bienfaits d’une instruction très-développée ’n’ont pas été refusés semblent éprouver un plaisir étrange h se trouver en présence de faits merveilleux, et que leur plaisir est d’autant plus grand que ces faits sentent davantage le mystère. Lorsque M^6 Lenormand fut parvenue, soit par un effet du hasard, soit par d’habiles menées, à convaincre de son pouvoir prophétique quelques femmes du monde, sa réputation ne tarda pas à se répandre dans toutes les classes de la société, et, si l’histoire n’est pas menteuse, des hommes occupant un rang social très-élevé se sont présentés dans l’antre ou plutôt dans le salon de la sibylle. Et plus récemment, nous avons vu les tables tournantes et les esprits frappeurs obtenir une véritable vogue, non-seulement parmi les gens du peuple, mais

encore parmi les classes aisées et jusque chez quelques savants. Nous pourrions encore rappeler et les fourberies de Cagliostro, et le baqu’et de Mesmer, et tant d’autres faits qui semblent prouver que, dans tous les temps, les hommes ont aimé a se laisser tromper par tous ceux qui se prétendaient doués du quelque puissance surnaturelle. Peut-on expliquer naturellement cet amour du surnaturel ? Au premier abord, cela pai-ait impossible, puisqu’il y a contradiction apparente dans les termes. Cependant, avec un peu de réflexion, on arrive bientôt k reconnaître que la contradiction n’existe pas en réalité. Tout se réduit à bien expliquer la valeur du mot surnaturel. D’abord, il faut remarquer que ce mot ne veut pas dire antinaturel, et qu’ainsi la’ tendance naturelle au surnaturel n’est pas une tendance dirigée contre elle-même, ce qui serait en effet contradictoire ; ce qui est surnaturel est seulement au-dessus de la nature. Mais de quelle nature s’agit-il ? Il est possible qu’on entende seulement parler de la nature actuelle de l’homme à un moment donné de son histoire. Or, l’expérience du passé prouve que la nature de l’homme est variable et qu’elle est perfectible. Dire qu’il aime le surnaturel peut donc signifier tout simplement qu’il aime ce- qui élève sa propre nature en étendant ses connaissances ou son pouvoir, en d’autres termes qu’il aime le progrès. On lui dit qu’une femme fait métier de prédire l’avenir, que plusieurs de ses prédictions se sont réalisées : cette assertion flatte ses secrets désirs, parce qu’il sent que ce serait pour lui un progrès véritable s’il pouvait arriver à connaître les choses futures ; il sent que, s’il avait cette puissance, sa propre nature serait par là même surélevée. Mais on ne manquerapas de faire remarquer qu’alors son premier mouvementesttoujoursde supposer l’existence d’êtres inconnus avec lesquels la femme qui lit dans l’avenir est mise, on ne sait comment, en rapport. Nous répondrons qu’il en est ainsi chez les ignorants et chez une très-petite minorité de gens instruits ; mais que les vrais savants, au contraire, sentent aussitôt naître en eux la défiance, et que leur première pensée est de soupçonner qu’on les trompe, bien que quelques-uns d’entre eux puissent en même temps conserver une secrète espérance, bien faible toutefois, que la diseuse de bonne aventure possède peut-être un secret naturel qu’il leur serait avantageux de connaître. Ainsi, les vrais savants iiiment le surnaturel, parce qu’ils savent que tout ce qui est encore inconnu est par cela mèiue au-uessus de la nature actuelle de l’homme et parce qu’ils savent que cette nature s’élève au-dessu3 d’elle-même dès qu’une vérité nouvelle est découverte ; le surnaturel, pour eux, n’est autre chose que l’accroissement de la science, et cet accroissement est l’objet constant de leurs préoccupations, de leurs travaux. Quant aux ignorants et au petit nombre de gens instruits qui, dès que quelque chose les étonne, s’imaginent qu’il faut attribuer cela k des êtres mystérieux, supérieurs à l’homme, ce sont des poltrons chez qui la crainte d’un objet inconnu qui peut leur être fatal surexcite l’imagination et enfante des fantômes. Cet effet se produit chez eux très-naturellement, on le voit, à moins qu’il ne faille appeler surnaturels tous les produits si variés de l’imagination humaine. Enfin, si l’explication que nous venons de donner paraissait insuffisante à quelques personnes, nous dirions de l’amour du merveilleux ce que nous avons déjà dit du sentiment religieux : ceux qui argumentent contre nous de l’amour du merveilleux invoquent ce sentiment comme une

preuve en faveur de la nécessité d’une religion, et ils nous font entendre qu’il a été mis dans l’homme par Dieu pour le conduire, non

00,5

pas sans doute à une fausse religion, mais à ta vraie. Or, partout où l’amour du merveilleux s’est manifesté, il a conduit à des croyances superstitieuses et fausses ; nous ne pouvons admettre qu’un don fait à. l’hpmrne par Dieu, dans un but spécial, commence toujours par produire un effet tout contraire.

De ce qu Auguste Comte, après avoir construit son grand système de philosophie positivé, voulut aussi fonder une religion, on ne peut tirer aucun argument en faveur de la puissance irrésistible du sentiment religieux. 11 n’entendait pas le mot religion comme la plupart de ceux quj l’emploient ; il voulait une religion, non pour relier la terre au ciel, les hommes h un Dieu, mais pour relier les hommes entre eux, pour leur inculquer les grands principes de solidarité qui sont la basé essentielle de la morale. Il ny a là rien qui ressemble aux religions révélées ni k la religion qu’on appelle naturelle. On pourrait, à plus juste titre, soutenir qu’Auguste Comte se serait laissé entrulner sans le savoir par la force, secrète de certains souvenirs, de certaines habitudes d’enfance, quand il a voulu appliquer au culte de l’humanité, décorée du nom de grand Être, plusieurs formes évidemment empruntées au catholicisme. Mais ce qui détruit toute la forée de ce dernier argument, si on l’invoquait, c’est que tous les esprits sérieux ont refusé de suivre sur ce terrain le philosophe positiviste, et que sa tentative religieuse n’a guère réussi qu ù soulever un rire universel.

Il resterait maintenant à examiner deux questions très-importantes, celles de savoir si les religions ont été utiles ù l’humanité pendant toute la série des siècles où on les a vues régner sur la terra, au moins chez les nations les plus civilisées, et si aujourd’hui, dans l’état avancé de civilisation où nous sommes parvenus, la religion est encore nécessaire. Les religions, évidemment, n’ont pu s’établir que parce qu’on les croyait utiles ; mais il est infiniment probable que le genre d’utilité qu’on leur attribuait dans le principe différait essentiellement de l’utilité dont on se prévaut, aujourd’hui pour demander le maintien des idées religieuses. On les jugeait utiles surtout pour détourner les maux physiques dont on se croyait menacé et pour oo—tenirïles biens, physiques aussi, qu on voulait obtenir. Au commencement d’une guerre, on sentait le besoui d’avoir un dieu par l’intervention duquel on pût se croire assuré de la victoire ; si l’on se mariait, on voulait qu’il y eût un dieu spécial, pour que, à lu suite de quelques offrandes déposées sur son autel, on crût pouvoir compter sur sa protection pour rendre l’union féconde et heureuse ; si le pays était décimé par une maladie épidèinique ou contagieuse, il fallait un dieu qu’on pût invoquer pour qu’il mit un terme à cette maladie. (Je qu’on demandait à la religion, c’était tout simplement, en toute circonstance, le secours d’une puissance divine qui pût suppléera la faiblesse humaine et qui fût en quelque sorte à la disposition du premier venu au moyen de certains rites très-faciles à accomplir. Il arrivait peut-être quelquefois qu’un individu, victime d’un acte de violence, menaçait son oppresseur de la colère d’un dieu ;, mais ce n’était point parce quél’opprimé comptait sur la justice divine, c’était uniquement parce qu’il se flattait d’obtenir de ce dieu comme une faveur personnelle la vengeance qu’il n’osait ou ne pouvait tirer lui-même. Plus tard, quand les philosor phes eurent élucidé la notion de justice, il était naturel qu’ils attribuassent aux dieux la volonté et le pouvoir de punir l’injustice, et il’vint un moment où cette nouvelle notion, de la divinité put pénétrer jusque dans les esprits de la multitude ; mais, pour celle-ci, l’antique notion prévalut toujours, et le culte qu’elle rendait aux dieux avait presque uniquement pour but quelque avantage personnel. Cependant, dès que les dieux se présentèrent k l’esprit comme exigeant la justice de leurs adorateurs, il faut reconnaître que la religion exerça réellement une influence salutaire sur les moeurs, mais une influence beaucoup moins grande qu’on ne se l’imagine.

Parmi toutes les religions, il en est deux qui semblent présenter, dès leur origine, un caractère essentiellement inoral : la religion hébraïque et la religion chrétienne. Si l’on S’en rapporte aux livres de Moïse, Dieu se serait lui-même révélé comme l’auteur d’une loi morale parfaite. Nous ne pouvons ici discuter la valeur du témoignage de Moïse ; mais nous n’en devons pas moins reconnaître ce qu’il y a de frappant dans ce fait incontestable, qu’un très-petit peuple ait pu se constituer une religion d’un caractère évidemment moral, quand tout le reste de la terre ne possédait que des religions dont le but unique était d’obtenir facilement la faveur ou la protection d’êtres doués d’une puissance supérieure. Le caractère moral de la religion chrétienne est encore bien plus manifeste ; mais l’époque où elle fut établie était tout autre que celle à laquelle les Hébreux faisaient remonter l’institution de leur loi religieuse ; les philosophes grecs avaient approfondi les principes de la morale et de la justice ; ils avaient essayé de donner une valeur inorale à la religion populaire en présentant les dieux comme exigeant avant tout la justice et punissant par les peines, du Tartare les crimes commis sur la terre. Le fan 114

906 RELI RELI RELI RELI

dateur de la religion chrétienne n’avait donc plus qu’à développer et perfectionner cette doctrine, en mettant un Dieu unique, souverainement juste et bon, à la place de tous ces dieux et de toutes ces déesses dont les actes, racontés par la légende mythologique, étaient souvent en opposition flagrame avec les prescriptions de la morale. La religion chrétienne, qui prêche un Dieu juste et bon, qui menace l’injustice de peines éternelles et qui pose la charité comme la base de toutes les vertus, a dû certainement, dans les siècles de foi, contribuer plus ou moins à détourner du crime et du vice ceux chez qui les passions brutales n’étaient pas trop violemment excitées. Cependant l’histoire du moyen âge prouve que, même au milieu d’une foi vive, ces passions purent devenir et devinrent en effet assez puissantes pour engendrer tous les désordres. C’est que, si le christianisme ordonne à tous les hommes d’être vertueux, il offre malheureusement aux criminels et aux vicieux des moyens trop faciles d’obtenir le pardon de leurs crimes. On pillait, on tuait, on violait pendant toute la durée du moyen âge ; on se livrait de tous côtés au plus affreux brigandage, quoiqu’on fût parfaitement convaincu que tous ces crimes méritaient l’enfer ; mais pourquoi s’exposait-on ainsi de gaieté de cœur à des peines éternelles ? C’est qu’on savait que les plus grands crimes sont effacés par une bonne absolution, qu’on se promettait bien de demander à un prêtre ou a un moine, qu’on était sûr d’ailleurs d’obtenir au moyen de quelque argent donné pour de prétendues œuvres pieuses. On dira que la foi du moyen âge n’était pas une foi éclairée, que ces absolutions obtenues à prix d’argent, sans repentir et sans résolution sincère de ne plus pécher, sont contraires au véritable esprit du christianisme. D’accord ; mais le fait prouve au moins que la religion ne se suffit pas à elle-même pour se garantir contre sa propre corruption, et il n’en faut pas davantage pour montrer que son utilité sociale est bien moindre qu’on ne le prétend d’ordinaire. Dans l’état actuel des esprits, quand la foi est éteinte chez un grand nombre, quand elle est terne et molle chez tous les autres, l’utilité morale de la religion devient à peu près nulle. Ceux qui disent que, sans religion, lo peuple se porterait à tous l«s excès veulent évidemment.parler des artisans, des journaliers, de tous ceux qui, dans les villes surtout, — gagnent leur vie en travaillant, car c’est dans les villes presque uniquement que ces excès sont & craindre. Or, le peuple dans les villes, sauf un certain nombre de femmes, ne va plus guère à l’église que pour le baptême et la première communion des enfants, pour le mariage, pour les convois ; il ne va plus à confesse, il ne communie pas à Pâques, il travaille le dimanche, fait gras tout le carême et ne jeûne jamais, a moins qu’il n’y soit forcé par sa misère. Tout cela, d’après l’enseignement de l’Église, le rend digne de la damnation éternelle, et cette damnation ne l’effraye pas le moins du monde. Comment donc peut-on croire que la peur de l’enfer l’empêchera de voler et lui fera respecter les lois de son pays ? Non, ce n’est pas la religion qui maintient le peuple aujourd’hui dans le devoir ; c’est l’opinion publique, la force des habitudes contractées dans le sein des familles sous l’influence de cette opinion, qui elle-même se moralise sans cesse par le progrès de la civilisation et des lumières. Appelez religion l’ensemble de toutes ces idées propres à relier tous les hommes en une société d autant plus prospère qu’elle est plus éclairée, et alors vous aurez le droit de dire que la religion est réellement nécessaire.

On trouvera au mot culte beaucoup da choses intéressantes que nous ne répéterons pas ici.

Nous terminons cet article par le tableau suivant, dressé parMeyer (Hand Lexicon des allgemeinen Wise), et qui fuit connaître le nombre des sectateurs que compte chacune des religions établies dans les diverses parties de notre globe :

Brahmanistes et bouddhistes. 740,029,000

Mahométans 172,965,000

Israélites...’ 4,700,000

Autres religions païennes... 116,540,000

Total des non-chrétïens. 1,034,234,000

Catholiques romains......

Protestants

Gréco-russes, grecs, arméniens,

nestoriens, abyssiniens

et autres sectes orientales

194,500,000

114,584,000

85,870,000

Total des chrétiens.... 394,954,000

Religion anglicane. V. ANGLICANISME.

— Hist. Guerres de religion, V. guerre.

— Iconogr. Sur plusieurs médailles de l’antiquité, la Religion est personnifiée par une femme ou un petit génie ailé, qui est devant un autel sur lequel il y a des charbons embrasés. Son attribut le plus ordinaire est l’éléphant, animal qui passait pour adorer le soleil.

Les allégories que l’art moderne a consacrées à la religion sont innombrables. Parmi les statues, nous citerons celles que Rusconi, Étienne Monot et Angelo de Kossi ont exé RELI

cutées à Saint-Pierre de Rome, le premier pour le tombeau de Grégoire XIII, le second pour le tombeau d’Innpcent XI, le troisième pour le tombeau d’Alexandre VIII. Un groupe en marbre, de Pellegro Olivieri, représentant la Religion ayant près d’elle un enfant, est placé dans l’église Santa-Maria-della-Consolazione, à Gênes. Pour fêter le retour de Pie VII à Rome en 1814, Canova avait projeté une statue colossale de la Religion, qu’il destina d’abord à la basilique de Saint-Pierre et ensuite à l’église du Panthéon et dont le modèle fut seul exécuté. Il a représenté la Religion debout, élevant la main droite vers le ciel et tenant de l’autre la croix, coiffée d’une espèce de mitre et ayant un vêtement à l’antique, dont les plis abondants descendent jusqu’aux pieds ; le piédestal, de forme circulaire, est orné d’un grand médaillon où sont figurés en buste saint Pierre et saint Paul. Un sculpteur français, Jacques Bousseau, a sculpté en marbre une figure de la Religion debout sur les nuées, tenant de la main gauche le livre des Évangiles sur lequel elle a les yeux fixés et soutenant, de la droite, une croix : elle est vêtue d’une tunique, ceinte sur la poitrine, et d’un ample manteau qui ne laisse voir que le bout de ses pieds nus ; son voile est relevé sur le front et flotte sur les épaules. D’autres statues de la Religion ont été sculptées par Gérard, pour le fronton de l’église de la Madeleine, à Paris, et par Fromanger pour la chapelle du château de Dampierre (Salon de 1868). Une figure en bas-relief a été exécutée pour le tombeau de Mazarip par Coysevox. Un autre bas-relief, du même artiste, représentant la Religion foudroyant l’Hérésie, décorait le

f>iédestal de la statue de Louis XIV qui s’éevait autrefois dans la cour intérieure de l’Hôtel de ville de Paris. Dans la tribune de la chapelle du château de Versailles, la Religion a été figurée sous les traits d’une femme assise, tenant de la main gauche une croix et ayant sa droite appuyée sur la Bible. Mentionnons encore un bas-relief de David d’Angers, décorant le piédestal du monument élevé »u général vendéen Bonchamps en 1823. Un groupe allégorique, exposé au Salon de 1838 par M. Auiédée Ménard, représente le Triomphe de la Religion sur le Crime.

Au musée du Louvre est un grand tableau de Rubens, intitulé le Triomphe de la Religion : deux anges ailés traînent un char d’or où sont placées, de chaque côté d’une sphère, la Religion agenouillée et tenant la croix et ta Foi montrant un calice. Deux petits anges volent en avant, portant la couronne d’épines et les clous ; deux autres suivent le char et le poussent. Derrière ceux-ci marchent un vieillard qui s’appuie sur un bâton, un homme tenant un livre et un globe céleste, figurant la Science, et une femme à six mamelles, image symbolique de la Nature. Puis viennent l’Asie et l’Afrique, représentées l’une par un homme au teint cuivré et l’autre par un- nègre. Au-dessus de cette composition voltigent plusieurs anges : l’un tient un flambeau ; deux autres portent un cartouche sur lequel on lit : Fides calAolica ; deux autres encore soutiennent une tapisserie sur laquelle l’allégorie que nous venons de décrire est tracée, et qui est déployée au devant d’un riche portique sur le soubassement duquel sont un réchaud en or, un creuset où un cœur s’épure au milieu des flammes et enfin un monstre ailé à tête et poitrine de femme, à griffes de lion et à queue de poisson, qui symbolise l’Hérésie. Cette allégorie compliquée faisait partie d’une suite de neuf compositions que Rubens peignit, dit-on, par ordre de Philippe IV, pour être reproduites en tapisserie.

Eustache Lesueur a peint la Religion triomphant de la Mort.- revêtue d’une longue robe bleu de ciel et ayant la tête couverte d’un voile vert, la Religion, agenouillée sur une pierre tumulaire, touche les corps de deux enfants morts, étendus devant elle, de l’extrémité inférieure d’une longue croix appuyée sur son épaule et qu’elle tient dans sa main droite ; son autré main montre le ciel. Ce tableau, d’un sentiment délicat et touchant, a fait partie de la galerie du cardinal Fesch.

F. Kyte a gravé, d’après Annibal Carrache, lu. Religion accompagnée de la Sagesse et de l’Humilité. D’autres images allégoriques de la Religion ont été gravées par B. Passarotti, Domenico Vito, Chedel, P. Isselburg (1616), Joseph Greuter (d.’après Giacinto Brandi), etc. Une composition de Signol, qui a été lithographiée par J. Llanta (Salon de 1839), représente la Religion secourant les affligés. M. Janmot a peint, dans l’église Saint-François, à Lyon, l’Union de la Religion et de la Science. La coupole de l’une des loges de la pinacothèque de Munich, peinte par Cornélius et ses élèves, représente l’Alliance de la Religion et des Arts : la Religion, placée au centre de cette composition, est entourée par les figures allégoriques de la Musique, de la Peinture, de l’Architecture et de la Sculpture ; le roi David rappelle la poésie sacrée ; Salomon, l’architecture religieuse ; saint Luc, la peinture ; sainte Cécile, la musique d’église. Le même sujet a été traité d’une façon remarquable par un autre artiste allemand, Overbeck, dans un tableau qui appartient- au musée de Francfort. Tous les artistes contemporains sont groupés en demi-cercle, devisant entre eux des choses relatives à l’art, et offrant des attitudes di RELI

verses. La partie supérieure du tablean représente une vision : l’esprit qui animait tous ces artistes. La sainte Vierge, avec l’Enfant Jésus, entourée des saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, apparaît là, dans l’intention de l’artiste, comme la source de toute poésie. On ne peut nier que la pensée ne soit vaste et élevée. La composition rappelle, par l’agencement des lignes, la position des groupes, les écoles primitives de l’Italie ; les types trahissent les mêmes réminiscences : ils sont suaves et purs, les expressions tendent à l’idéal. Malheureusement, le modelé, l’exécution font

entièrement défaut.

— Bibliogr. Origine de tous les cultes ou Religion universelle, par Dupuis (Paris, 1795, 3 vol. in-4o et atlas, nouvelle édition, Paris, 1822, 7 vol. in-s0 et atlas) ; Abrégé de l’origine des cultes, par Dupuis (Paris, 179S, in-8o) ; Analyse raisonnée de /’Origine de tous les cultes par Dupuis, par Destutt de Tracy (Paris,

1804, in-S°) ; l’Antiquité dévoilée au moyen de la Genèse, source et origine de tous les cultes religieux, par Ch.-Rob. Gosselin ; 4e édition augmentée de la chronologie de la Genèse et de la Théogonie d’Hésiode (Paris, 1827, in-S°, avec figures), réfutation de l’Origine des cultes de Dupuis ; Dictionnaire historique des cultes religieux établis dans le monde, par de La Croix (Paris, 1775, 3 vol. pet. in-8» ; édition augmentée, Versailles, 1820, 4 vol. pet. in-S<>) ; Supplément, par Chaud (1822, in-8» de 90 pp.) ; les Religions du monde, par Alex. Ross, traduit de l’anglajs par Th. La Grue (Amsterdam, 1666, gr. in-4<>, ou 1669, in-12, fig.) ; Histoire critique des dogmes et des cultes bons et mauvais gui ont été dans l’Église, depuis Adam jusque J.-C, où l’on traite de toutes les idolâtries de l’ancien paganisme, expliquées par rapport a celles des Juifs, par Jurieu, avec un supplément (Amsterdam, 1704) ; Supplément ou Dissertation de Cuper sur quelques passages du livre de Jurieu(T05, in-4») ; Parallèle des religions, par Fr.-Flor. Brunet, lazariste (Paris, 1792, 3 tom. en 5 vol. in-4») ; Code sacré ou Exposé comparatif de toutes les religions de la terre..., extrait des livres originaux qui servent de bases aux différentes croyances, par Anot de Maizières (Paris et Versailles, 1836, in-fol. ; publié en 10 livraisons, dont la dernière est bis) ; Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde (Amsterdam, 1723-1743, 8 tom. en 9 vol. in-fol.) ; Superstitions anciennes et modernes, etc. (Amsterdam, 1733-1736, S vol. in-fol.) ; S’icred kistory of world philosophically considered, by Sharon Turner ; seventh édition (London, 1852, 3 vol. in-8o) ; Études religieuses, par Ern. Renan ; 6<> édition revue et augmentée (Paris, 1863, in-S° de XxVttt et 438 pp.) ; Conformités des cérémonies modernes avec tes anciennes, par P. Musard {Genève, 1667, in-8») ; Conformité des coutumes des Indiens orientaux avec celles des Juifs, etc., par de La C. [Créquinière] (Bruxelles, 1704, in-12) ; Conformité des cérémonies des Chinois avec l’idolâtrie grecque et romaine, par le Père Alexandre (Cologne, 1700, in-12) ; Des cultes qui ont précédé et amené l’idolâtrie ou l’adoration des figures humaines, des cultes des fétiches, des astres, des héros ou des morts, par J.-A. Dulaure (Paris,

1805, in-S°) ; Van Dale, Dissertaiiones de origine et progressu idolatriie et superstitionum : de vera et falsa prophetia. etc. (Amstelod., 1696, in-4o) ; Origine, progrès et décadence de l’idolâtrie , par de Mehigan (Paris, 1757, in-12) ; les Ruines, par Volney (Paris, 1797).

Religion (TABLEAU DES DIFFERENDS DE La),

pamphlet théologique de Marnix de Sainte-Aldegonde (Leyde, 1599, 2 vol. in-4<>). Marnix, l’ardent collaborateur de Guillaume d’Orange dans la fondation de la république des Provinces-Unies, écrivit ce gigantesque pamphlet sur la fin de sa vie, comme résumé de toute son existence de lutte, par la parole et par l’épée, contre la domination espagnole et contre le catholicisme. Dans ce livre, il ne se résume pas seulement lui-même, il résume aussi tout son temps ; il a construit son œuvre, véritable Babel théoiogique et littéraire, avec des débris de ses œuvres antérieures, des arguments empruntés tantôt a des théologiens, tantôt à des libres penseurs, des prédications de Calvin et d’Érasme, des pages de Montaigne, et il a revêtu le tout du style de Rabelais. On y trouve rassemblé tout ce qui avait été dit jusqu’alors et même tout ce qui a pu se dire depuis contre l’Église catholique et la papauté.

Le cadre du livre n’est qu’ingénieux ; Marnix suppose un théologien, envoyé de Rome dans les Flandres pour pulvériser les adversaires de la foi. Ce théologien n’est, naturellement, qu’un hâbleur très-savant, mais

encore plus fourbe, faisant devant la foule, dans un langage d’arracheur de dents, l’exposition de la doctrine orthodoxe et tournant malgré lui son apologie de manière à en faire rire tout le monde. ■ Que l’on se figure, dit E. Quinet, une sorte de Grandgousier ou de frère Jean des Entommeures résumant, au point de vue de l’Église romaine, le grand combat de doctrines livré par tout le xvia siècle autour de la vieille Église : « Courage, enfants, s’écrie-t-il, venons aux ■ mains et contemplons la souplesse des bras de nos athlètes catholiques. » Là-dessus, avec une science énorme, mais qui semble I ivre de la colère de tout le siècle, il rassem RELI *

ble, il étale sur chaque point les objections de ses adversaires ; il s apprête a les foudroyer ; mais, à mesure qu’il manie les armes de la raison, il en est lui-même effrayé, transpercé : «Oh ! oh ! qu’est-ce donc ? se dit-il ; > cet homme a-t-il entrepris de nous ruiner ?» Puis, il se prépare de nouveau à triompher de l’adversaire, et l’immense et fantastique controverse continue, sorte d’odyssée grotesque, à travers les sophismes, les argumentations, les plis et replis de la théologie du moyen âge aux prises avec la Renaissance. »

Ce cadre a permis à Marnix de passer en revue non-seulement toutes les questions religieuses, mais aussi tous les faits politiques de son temps, la politique et la religion ne faisant qu’un dans cette époque tourmentée. De ce petit coin de terre ou flotte le libre drapeau des Provinces-Unies, Marnix promène au loin ses regards sur le reste du continent. En même temps qu’il bat des mains aux désastres de l’Armada, it suit avec un sentiment de tristesse et de rage les progrès de cette politique romaine qui menace d envelopper le monde encore une fois. Il s’indigne de cette fraude valicane, ■ qui semble donner plus de terreur panique au magnanime cœur de la France, que jamais elle ait fait au moindre et plus vil recoin de l’Italie. ■ Le sort de la France, sa patrie d’adoption, l’inquiète presque autant que celui de la Hollande ; il se lamente sur le sort réservé à la pauvre vieille pragmatique et à la défunte Église gallicane. « Croyez-moi, mon ami, ces mules papales sont mauvaises bêtes ; elles ont du foin aux cornes et ruent comme chevaux échappés. Je suis d’avis que nous allions baiser le babouin et nous prosterner à la dive pantoufle : peut-être attraperons-nous quelque lopin d’une bénédiction et nous Serons ainsi les meilleurs enfants ; car, certes, notre pragmatique sanction, la bonne vieille demoiselle, avec son large tissu de satin vert et ses grasses patenôtres de jais, ne nous peut garantir dorénavant. Elle n’a pas une dent à ta bouche et la chaleur naturelle commence a lui manquer ; même sa bonne commère, la liberté de l’Église gallicane, est déjà passée à l’autre monde : on lui chante déjà force De profundis et messes de Requiem. • 11 prédit à l’Espagne, cette cruelle ennemie de la liberté batave, qu’elle aura aussi son tour dans l’asservissement universel. En revanche, il célèbre ’la délivrance de l’Angleterre qu’une bonne tempête, qu’il appelle un souffle du Seigneur, a préservée : • L’Angleterre a été vendue au dernier enchérisseur, lequel, pour faire boire de l’eau salée à tous ces braves don Diègue et Rodrigue d’Espagne, qui avaient entrepris de se rendre chevaliers de la Table ronde en la Grande-Bretagne, dressa cette formidable armée, sur laquelle le Seigneur souffla du ciel. »

Au point de vue de la forme, le Tableau des différends de la religion est un des monuments de notre vieille langue ; malheureusement, ce livre gaulois, trop gaulois même, ne peut être cité que par fragments et en choisissant les moins significatifs. La pruderie moderne s’effaroucherait de la verdeur de langage qui y règne d’un bout à l’autre. 11 est peu connu, quelques exemplaires seulement ayant échappé aux bûchers catholique !» allumés partout avec profusion pour le détruire.

L’éminent historien que nous citions plus haut, E. Quinet, mort le 27 mars 1875, en a résumé de la manière suivante les intentions et la portée : « Arrivé à la fin de sa vie, qui était aussi celle du xvie siècle, Marnix entreprend de rassembler dans une seule œuvre passionnée, savante, railleuse, toutes les armes que cette grande époque a fourbies contre l’esprit du moyen âge. Pour cela, il puise dans toutes les colères, dans tous les ressentiments, dans toutes les indignations de la Réforme et de la Renaissance. Il veut, dans cette multitude de pamphlets sanglants que la foi, la raison retrouvée, les persécutions, l’échafaud ont accumulés, composer un immense pamphlet sacré qui ne laissera en oubli aucune des plaies morales du xvie siècle ; œuvre de bon sens et de justice, qui sera lue par le bourgeois et par le peuple dans les courts intervalles de repos, au milieu des guerres religieuses. Il rivalisera d’ironie avec Érasme, de fiel avec Ulric de Hutten, de sainte colère avec Luther, de jovialité et" d’ivresse avec Rabelais. Rien ne sera trop —bas, trop hideux à son gré pour le supplice qu’il veut infliger, et comme il veut que ce livre ne soit pas enfermé en Hollande, mais que les coups en soient sentis à travers 1 Europe, il l’écrit dans sa langue maternelle, en français, tantôt s’élevant avec le sujet jusqu’au langage des prophètes, tantôt descendant avec sa passion jusqu’aux peintures les plus burlesques, mêlant quelquefois le français au wallon pour populariser, répandre, rallumer les colères de l’esprit. D autres auront attaqué la foi du moyen âge avec plus de méthode, nul avec autant de hardiesse, une visée plus franche, une indignation plus sincère et plus soutenue. Marnix embrasse tout, il ravage tout en même temps, dogmes, institutions, traditions, sacerdoce, livres, culte, légendes, coutumes. C’est véritablement une guerre à outrance, sans merci ni vergogne ; le sac de l’Église gothique, par la main du chef des gueux, au milieu du ricanement de tout un peuple, d Religion (la), po&me didactique de Louis Racine, en six chants. L’auteur s’est proposé d’y démontrer l’existence de Dieu, la nécessité de la révélation, ses caractères dans la religion chrétienne, et de réfuter les objections des incrédules. On trouve généralement dans ce poème une versification élégante et correcte, un certain nombre de morceaux vraiment remarquables, surtout dans les deux premiers chants, où l’auteur traite de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ; mais le souffle du génie manque à l’ensemble ; le plan aurait pu être fécondé par une imagination plus forte et la poésie être ■ plus entraînante, plus lyrique, plus inspirée : c’est un flambeau qui luit sans échauffer et darde rarement une vive lumière. Malgré ces justes reproches, le poème de la Religion occupera toujours un rang distingué parmi les bonnes compositions de la littérature française. « Le plan du poème de la Ueligon, dit de Fontanes (notes de la traduction de l’Essai sur l’homme), est sage, mais triste ; la diction en est souvent élégante et, dans sa faiblesse même, elle conserve de la douceur et de la pureté. Si Racine fils mérite beaucoup d’éloges comme versificateur, il manque aussi des qualités qui font le grand poète, la verve et l’imagination ; il n’a point aperçu toutes les ressources de son sujet, qui, malgré sa sévérité, pouvait lui fournir de riches tableaux. On ne trouve pas moins dans son ouvrage des détails précieux pour le style. Les beautés même sont nombreuses dans les deux premiers chants, où l’on croit entendre plus d’une fois les sons affaiblis de cette harmonie céleste qui nous charme dans les vers A’Eslher et d’Athalie.  » L’auteur possédait sa matière ; et son objet, contenu dans un seul vers ;

La raison dans mes vers conduit l’homme à la foi,

est parfaitement embrassé. Les preuves sont bien choisies, fortifiées par leur enchaînement et déduites dans un ordre lumineux. Rien ne manque à la partie didactique du poème ; elle a le degré d’intérêt que peut lui donner la variété des mouvements et l’art des transitions, et de temps en temps elle est relevée par des tableaux poétiques. On se rappelle le morceau qui commence par ces vers :

Oui, c’est un Dieu caché que le Dieu qu’il faut croire ; Mais, tout caché qu’il est, pour révéler sa gloire, Quels témoins éclatants devant moi rassemblés ! Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez.

Citons encore, comme morceaux principaux : les Preuves morales de l’existence de Dieu, Y/Tomme, l’Ame et le corps, les Insectes, les Philosophes de l’antiquité, etc.

Le poBme de la Religion a paru en 1742. Non-seulement il a eu un très-grund nombre d’éditions, mais il a été traduit en vers anglais, en vers allemands, deux fois en vers italiens et plusieurs fois en vers latins, notamment par Étienne Bréard et par l’abbé Revers.

Religion (TRAITS HISTORIQUE ET DOGMATI quk dk la vraib), par l’abbé Bergier (1780 et 1820, 12 vol.). On sait que l’abbé Bergier fut l’adversaire le plus acharné des philosophes du xvilje siècle. Ce traité est son principal ouvrage. J Introduction développe cette thèse fondamentale ; Il n’y eut jamais de vraie religion que celle qu’il a plu à Dieu de révéler ; et il l’a donnée telle qu’il la fallait, relativement aux divers états de l’humanité. Dans le premier âge du monde, où se place la société patriarcale, une religion très-sim » pie, suflisante, existait. Mais le fétichisme, puis le polythéisme dénaturèrent ce culte domestique et retardèrent les progrès de la civilisation. Quand des corps de nations et des sociétés civiles se furent constitués, Dieu révéla par Moïse une religion nationale. Dieu exerça l’auguste fonction de législateur ; il incorpora les lois civiles et politiques avec les lois morales et religieuses. Tous les peuples voulurent avoir des dieux nationaux ; cette idolâtrie perpétua les guerres entre eux. Les Hébreux tombèrent dans les mêmes erreurs et dans les mêmes maux toutes les fois qu’ils s’écartèrent de la tradition’mosaïque. Quand la puissance de Rome eut rangé sous ses lois toutes les nations du monde connu, devenues comme les membres d’une patrie commune, Dieu annonça aux hommes une religion universelle ; Jésus-Christ envoya ses apôtres prêcher l’Évangile à tous les groupes’de la famille humaine. Il apprit aux nommes que Dieu est non-seulement le créateur de la nature, le père des peuples, le fondateur de la morale et des lois, mais l’auteur du salut et de la sanctification de l’homme, et qu’on n’y parvient que par les mérites d’un médiateur. Le droit naturel, le droit civil, le droit des gens, toujours méconnus par les philosophes, dit l’abbé Bergier, ne sont point le fruit des réflexions ou des conventions humaines, mais le produit des leçons de la sagesse divine. La révélation priinitivo a fondé la société naturelle, la seconde a fait la société civile, la troisième a établi la société religieuse ou la communion des saints, conduite par la tradition universelle (catholicité). Chacune de ces religions ou révélations est venue à son heure. Une quatrième révélation générale est impossible : elle ne serait plus analogue à aucun état de la nature humaine. Les trois parties de l’ouvrage traitent des trois époques de la révélation. Ici, nous

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résumerons les idées et les arguments présentés par l’auteur. La religion n’est pas une œuvre humaine, mais un don de Dieu, puisque les peuples primitifs ont adoré un seul Dieu avant de tomber dans le polythéisme et dans l’idolâtrie. C’est le fondement naturel et nécessaire de la famille et de la société. Après avoir examiné les dogmes, la morale, le culte extérieur et les conséquences de la révélation originelle, l’auteur s’applique à réfuter diverses hypothèses scientifiques de Buffon. Il s’occupe ensuite, soit en apologiste de la religion, soit en polémiste, de l’origine du mal, de la spiritualité, de la liberté et de l’immortalité de l’âme, des mystères, du dogme du péché originel, qu’il ne juge contraire ni à la raison ni à Injustice, de la^norale religieuse comparée avec les systèmes do morale des matérialistes, des pyrrhoniens et autres. Il expose les devoirs divers prescrits à l’homme par la loi naturelle, qu’il distingue de la religion naturelle des déistes, selon lui inadmissible. Cette première partie est terminée par une récapitulation, où l’auteur établit les principes de la certitude, avant de passer outre. La seconde partie a pour objet la révélation donnée aux Hébreux, la religion juive. Il y justifie les miracles et les prophéties, la mission de Moïse et l’authenticité du texte sacré ; puis la religion juive en elle-même, ses dogmes, son culte, ses lois et enfin les meurtres et les massacres ordonnés par les chefs du peuple élu. Revenant sur la question des prophéties, il en montre l’accomplissement. Il soutient contra les juifs que leur erreur est volontaire et qu’ils auraient dû reconnaître le Messie à des signes manifestes. La troisième partie est destinée à prouver la vérité de la révélation évangélique. L’auteur tente de démontrer l’authenticité des Évangiles et des autres livres du Nouveau Testament, ainsi que l’exactitude des faits de l’histoire évangélique : les miracles, les discours, les prédictions, la mort, la résurrection, l’ascension de Jésus-Christ, la descente du Suint-Esprit, la prédication des apôtres, l’établissement du christianisme, le caractère et les mœurs des premiers fidèles, les causes et les effets des persécutions, les dogmes, la morale, le culte extérieur de l’Eglise chrétienne, la constitution du christianisme, la discipline et les lois ecclésiastiques, les bienfaits sociaux du christianisme ; enfin tout ce qui a été de la part des philosophes l’objet d’un doute ou d’une accusation est défend^ et justifié. Le tout se termine par une récapitulation des preuves générales et particulières de la religion chrétienne.

Nous n’avons pas besoin de dire que les arguments de l’abbé Bergier sont loin de nous paraître convaincants ; mais il faut reconnaître qu’ils sont présentés avec une certaine habileté.

Religion dans les limiirs de la raison (la),

traité philosophique de liant (Kœuigsberg, 1783, in-S" ; traduit en français, par J. Trullard, Paris, 1841, in-8<>). Cet ouvrage, l’un des principaux de Kant, se compose de quatre parties et d’un appendice. La traduction française est précédée d’une lettre d’Edgar Quinet. La première partie est intitulée: De la coexistence du mauvais et du bon principe dans l’homme ; la deuxième, De la lutte du bon et du mauvais principe pour la domination dans l’homme ; la troisième, Victoire du bon principe sur le mauvuis ; avènement du règne de Dieu sur la terre; la quatrième, One recherche du, vrai et du faux culte sous la domination du bon principe. L’appendice n’est que la préface de l’édition originale. Edgar Quinet résume ainsi le livre dans la lettre insérée en tête de la traduction:« Dans un examen sans doute trop rapide de la théologie allemande, cet ouvrage m’avait paru marquer le point précis où les doctrines du Xviii » siècle avaisnt commencé à se transformer sous l’influence morale du protestantisme du Nord. Un examen plus attentif m’a confirmé dans cette idée. Le drame de la croyance et de la science, lequel a débuté d’une manière si saisissante dans notre Pascal, se dénoue ici paisiblement dans un égal mélange de scepticisme et d’idéalité. On y voit poindre surtout ce système d’interprétation figurée qui, s’étendant de plus en plus, semble aujourd’hui insinuer un esprit nouveau dans la lettre de la révélation. Tandis que la France, sortie de l’enceinte de la tradition, niait ostensiblement le christianisme par l’organe de ses encyclopédistes, l’Allemagne arrivait au même but, changeant, modifiant, transformant le dogme de manière à y substituer un théorème moral. Dans notre pays, la philosophie procédait avec un esprit de révolution, elle luttait à découvert. De l’autre côté du Rhin, elle pénétrait, s’insinuait jusque dans le sanctuaire; enfin elle s’assit sans tumulte à la place du prêtre. Le Dieu même s’était évanoui, que rien encore ne paraissait changé. >

Après être descendu & l’aide d’une conception particulière dans le gouffre du scepticisme et. avoir détruit tout.ee qui auparavant semblait incontestable, Kant crut découvrir qu’il existe un sentiment moral qui est le génia même des races occidentales, une loi du devoir destinée à contre-balancer le scepticisme intellectuel qui était l’œuvre de la spéculation philosophique. Cette pensée lui suffit à reconstruire l’édifice qu’il avait détruit dans la Critique de ta raison pure.

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C’est à l’aide du sens moral que Kant se propose d’établir la notion de Dieu et de constituer une religion en dégageant le culte éternel de ses formes transitoires, des formules temporaires et successives sous lesquelles il a existé dans le passé. Y a-t-il un bon ou un mauvais principe, ou le mal est-il inhérent à la nature humaine ? Oui, dit Kant, car le monde est la proie du mal : < Cette planète est aussi ancienne que l’histoire, que la poésie, antérieure encore a l’histoire, même que la plus ancienne entre toutes les poésies, la poésie religieuse. L’histoire et la poésie pourtant font commencer le monde par le règne du bien, par l’âge d’or, la vie dans le paradis, ou une vie plus heureuse encore, à cause du commerce avec les êtres célestes. Mais ce bonheur, les mêmes traditions poétiques et historiques le font bientôt évanouir comme un songe et montrent la chute de l’homme dans le mal de plus en plus rapide et profonde. •

L’auteur parle de Siva. le dieu de la destruction, considéré dans 1 Inde comme le dieu d’aujourd’hui, tandis que Vichnou, le dieu de la conservation ou du bien, s’est démis de ses fonctions depuis des siècles. Il y a à rencontre de cette doctrine une opinion moderne, celle du progrès, que Kant nomme une opinion pédagogique. Il entend sans doute par là qu’elle a principalement cours dans les écoles. « Elle consiste à dire que le monde marche dans une direction précisément inverse de la précédente, qu’il va du mal au mieux continuellement, quoique le progrès soit à peine sensible, que du moins la disposition à l’amendement moral se trouve dans la nature humaine. » En fait, Condorcet n’a pas inventé la théorie du progrès : elle n’est qu’un côté de l’optimisme de Leibniz. En morale, Kant l’attribue à la plupart des moralistes, depuis Sénèque jusqu’à Rousseau, Ce n’est, dit-il, qu’une hypothèse et cette hypothèse, est démentie par l’histoire. Il distingue, du reste, entre la civilisation qui n’existe que relativement à la barbarie et la question du bien et du mal, qui est toute différente. Ne pourrait-il pas se faire que l’homme ne fût ni bon ni méchant ? ■ Un homme est appelé méchant, non point par ta raison que ses actions sont méchantes ou contraires à la loi, mais parce qu’elles ont un caractère tel qu’elles donnent droit de supposer dans l’agent des maximes mauvaises. On peut bien constater par l’expérience que les actions sont contraires à la loi morale ; on peut même reconnaître, du moins d’après les actions mêmes, qu’elles ont été accomplies contrairement à cette loi, avec la conscience de la transgression que l’on commettait. Mais les maximes, on ne peut point les observer expérimentalement, même dans sa propre conscience ; par conséquent, on na peut point les fonder sur l’expérience. »

Le principe de nos actes est dans la nature et ici, par nature, Kant entend le principe subjectif de l’usage de la liberté en général, principe qui est antérieur à tout fait tombant sous les sens. Ce principe a telle origine qu’on voudra ; mais il doit toujours être accompagné de liberté, sans quoi nous serions irresponsables, Or, il y a deux arbitres : l’un animal et physiologique ; il est irresponsable ; l’autre est libre et agit par des causes dépendantes de la raison. De sorte que le principe du mal ne peut être dans la volonté déterminée par l’inclination, ni dans une impulsion instinctive, mais dans une règle que la volonté s’est faite elle-même pour l’usage de sa liberté. C’est donc une maxime. Mais quel est donc le principe subjectif de cette maxime ? Ce n’est pas un instinct, sans quoi l’homme se déterminerait par des causes physiques. Alors, qu’est-ce ? Il est primitif, mais Kant avoue n en pouvoir déterminer l’essence.

Les dispositions originelles de l’homme par rapport à sa fin sont au nombre de trois : 10 la disposition a l’animalité en tant qu’être vivant ; 2° la disposition à l’humanité en tant qu’être vivant et raisonnable ; 3° la disposition à la personnalité en tant qu’être raisonnable et responsable. La question du bien et du mal se rapporte donc à sa personnalité, et l’usage qu’il fait de sa personnalité crée le bien et le mal. Le bien consiste, pour lui, à ne pas faire à autrui ce qu’il ne voudrait pas qui lui fût fait ; respecter la personnalité dans autrui au même degré que dans soimême, voilà le principe du bien ; celui du mal en découle.

L’idée que l’homme est mauvais de sa nature est fort accréditée ; c’est dans ce sens qu’Horace disait : Vitiis nemo sine nascitur. Mais cette proposition : « L’homme est méchant, < ne peut signifier que : « L’homme a conscience de la loi morale et a pourtant admis la dérogation accidentelle à cette loi parmi ses maximes. »

On ne peut admettre le péché originel comme cause du mal, bien que le péché soit quelquefois héréditaire comme une maladie physique. > Toute action vicieuse, dit Kant, du moment qu’on en recherche l’origine rationnelle, doit être considérée comme accomplie par un hommo sortant immédiatement de l’état d’innocence. En effet, quelle qu’ait été sa conduite antérieure et quels que puissent être les agents physiques, en lui ou hors de lui, qui l’aient influencé, son action n’en est pas moins libre ; elle n’a été déterminée par aucune de ces causes ; elle peut et doit,

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consêquemment, être déclarée, malgré tout, un exercice primitif du libre arbitre. »

En cette matière, on ne peut rien prouver par la raison ni par l’expérience. C’est un objet de foi qui ne s’enseigne pas et qui vient de la conscience. Pourtant il y a, à cet égard, une sorte d’expérience su » generis qui résulte de l’étude attentive de la tradition. À l’état de nature, il est difficile d’étudier la tradition. Mais l’homme est sorti de bonne heure de l’état de nature au pointde vue des croyances comme à celui des intérêts. Comme il a créé, pour sauvegarder les seconds, un état politique, il a créé, pour sauvegarder ses croyances, des républiques morales. La législation des républiques morales est représentée, dans 1 histoire, par les religions. L’idée d’un peuple de Dieu gouverné par des institutions humaines n’est autre que l’idée d’une Église. La constitution d’une Église résulte toujours d’une croyance historique appelée révélation. L’idée de Dieu représentée par des idées partielles (polythéisme) ou par une idée générale (monothéisme) existe dans tous les cultes. « La religion subjectivement considérée, dit Kant, est la connaissance de tous nos devoirs en tant qu’ordres divins. » Une religion formulée est dite révélée ; une religion non formulée par des lois est dite religion naturelle.

Le christianisme n’est devenu une religion véritable qu’à l’aide d’une organisation politique, à Si aux lois naturelles, connaissables par la simple raison, ne sont point ajoutées certaines dispositions positives et 6n même temps appuyées sur une autorité législatrice, il manquera toujours ce qui constitue pour les hommes un devoir spécial, à savoir le moyen d’atteindre leur fin suprême, c’est-à-dire leur union stable en une Église visible, universelle. »

Il est vrai que la superstition s’introduit facilement dans les cultes positifs. L’idée mère de la superstition est l’anthropomorphisme, c’est-a-dire la disposition à donner aux sentiments moraux et aux idées rationnelles une figure concrète et humaine.

Du reste, si les religions positives sont nécessaires à l’humanité considérée collectivement, les.esprits d’élite peuvent acquérir une probité naturelle, supérieure à celle des fidèles d’un culte proprement dit. < On n’a pas encore vu que ces favoris, ces élus par choix extraordinaire, ceux qui s’appellent eux-mêmes fidèles, aient mieux agi ea rien que les hommes probes naturellement, sur lesquels on peut faire fond dans les relations de la vie, dans les affaires, dans les positions critiques ; au contraire, pris en masse, les premiers peuvent à peine soutenir la comparaison avec les autres. >

Religion vengée (la), poème en dix chants, par le cardinal de Bernis, ouvrage posthume (Panne, 1795). Bernis, auteur de petits vers où la négligence le dispute à l’affectation, ne s’est pas proposé d’écrire une épopée religieuse ni de composer en vers une œuvre analogue au Génie auchristianisme. Dépourvu de l’imagination colorée de Chateaubriand et moins bon versificateur que Racine lits, il n’a embrassé qu’un horizon restreint. Réfuter les athées et les déistes, tel a été son but. Ce n’est là qu’une partie du sujet, et encore un poâte éloquent, inspiré, pourrait dédaigner cette argumentation philosophique ; il n’a pas besoin de convaincre par le raisonnement s’il sait émouvoir et enthousiasmer. Montrer la religion triomphante de l’orgueil ne peut être que 1 objetd’un livre de controverse. L’œuvre de Bernis n’est rien moins qu’un poème. Il réfute judicieusement les systèmes de Lucrèce, de Pyrrhon et de Spinoza. Il déploie quelque vigueur de pensée, mais nulle invention. Il rencontre quelques bons vers philosophiques, faits un a. un ou deux à deux. Et c’est tout. Pauvre de poésie, monotone, il n’a ni élégance ni coloris ; cependant son style n’est pas sans noblesse.

Religion (DE LA) considérée dans sa source, ■ es formes e » « e » développement, par Benjamin Constant (1824-1830, 5 vol.). Cet ouvrage parait avoir été l’enfant de prédilection de l’auteur. Il y a réuni le fruit des ’méditations de toute sa via sur les grands objets de la morale, du bonheur social et de la destinée ultérieure de l’homme. Toute l’argumentation de l’auteur ne roule que sur

"utilité du sentiment religieux dégagé des formes au moyen desquelles le sacerdoce des divers pays et des différents âges a voulu l’exploiter, et qui, dans sa pureté primitive, a été la source de tout ordre, de toute grandeur et de tout dévouement.

La politique de Benjamin Constant peut se résumer en deux mots:restreindre l’autorité. La même tendance se remarque dans ses opinions religieuses. Rousseau fut son point de départ; Jacobi, Kant et l’école écossaise aidèrent la croissance de sa pensée. Polythéiste dans sa jeunesse, il se corrigea promptement de cette idée fausse. Avec Rousseau, il avait considéré la religion comme un sentiment qui s’élève dans le cœur de l’homme et cherche à nouer avec Dieu un rapport individuel. Mais de ce point commun il s’élève plus haut par l’étude de l’histoire. Il suit les transformations successives du sentiment religieux chez tous les peuples, et, au lieu de voir, comme le xviH8 siècle, dans les diverses institutions sacerdotales autant de fourberies systématiques, Il y trouve autant des- sais plus ou moins imparfaits pour satisfaire, par des doctrines, par des symboles, par un culte, à l’impérissable instinct qui nous entraîne vers l’explication du grand peut-être. A ia tolérance-vulgaire, qui n’était que de l’indifférence, il oppose une tolérance philosophique qui honore dans tout système une portion de la vérité. La seule chose qu’il refuse aux formes religieuses, c’est l’immortalité ; mais le sentiment qui les inspire est, suivant lui, impérissable : • Toute forme positive, dit-il, quelque satisfaisante qu’elle soit pour le présent, contient un germe d’opposition aux progrès de l’avenir. Elle contracte, par l’effet même de sa durée, un caractère dogmatique et stationnaire qui refuse de suivre l’intelligence dans ses découvertes et l’âme dans ses émotions, que chaque jour rend plus épurées et plus délicates... Le sentiment religieux se sépare alors de cette forme pour ainsi dire pétrifiée. Il en réclame une autre qui ne le blesse pas, et il s’agite jusqu’à ce qu’il l’ait trouvée. «

En distinguant ainsi le sentiment religieux de la forme religieuse, en plaçant la question sur un terrain aussi élevé, Benjamin Constant a fait une œuvre qui ne manque pas d’ampleur çt qui accuse des vues assez larges. Dans son livre, l’auteur établit que la plupart des notions qui constituent te culte des sauvages se retrouvent enregistrées et consolidées dans les religions sacerdotales de l’Égypte, de l’Inde ou de la Gaule. Il approfondit le polythéisme grec et prouve que toutes les opinions empruntées’des religions sacerdotales et présentées aux Grecs par des voyageurs, des philosophes et des prêtres, ont été repoussées par le génie de cette nation, dont les mystères ne furent que le départ de ces doctrines, de ces traditions et de ces cérémonies étrangères, précisément parce qu’il y avait répugnance entre elles et la religion publique.

En historien fidèle, l’auteur ne dénature aucun fait ; il ne sacrifie jamais la vérité à des considérations secondaires ; il combat le matérialisme et surtout la théorie de l’intérêt bien entendu d’Helvétius. Il désapftrouve aussi bien les guerres de religion que a. l’erreur, et prétend que ceux qui cherchent en religion des démonstrations mathématiques n’aboutissent qu’à des négations désespérantes. Il s’acharne surtout après la doctrine d’Helvétius comme étant, suivant lui, très-dangereuse. • Si l’intérêt a maintenu l’ordre, dit-il, il a étouffé les sentiments ; s’il u garanti la propriété, il a fait tomber des tètes. U empêchait le pillage et facilitait le meurtre légal. En développant les facultés intellectuelles, il les dégradait au profit do l’égoïsme. Le pouvoir violent a engendré la servilité, et les vertus ne venant plus du fond de l’âme, maiB du calcul, la morale a été remplacée par ce que j’appellerais ï’aritkmétique morale.’ Pour remédier à ces symptômes funestes, l’auteur ne voit qu’un moyen : la liberté de conscience, la liberté religieuse et la liberté individuelle, en un mot les libertés nécessaires. De cette façon, la religion perfectionnera, épurera sa forme, et les sectes rivales l’aideront même dans ce travail d’élimination. Si cette théorie du perfectionnement des religions parait séduisante, nous la croyons peu sérieuse, les religions ne pouvant s’épurer jusqu’à, se dépouiller de tout dogme et les dogmes devant être presque

nécessairement en contradiction avec la

science. Les religions ne sont donc pas condamnées à se transformer, mais plutôt à disparaître.

L’ouvrage de Benjamin Constant renferme des vues originales, larges même, appuyées sur des recherches immenses, une t’ouie d’aperçus ingénieux, beaucoup d’érudition et do sagacité, mais bien peu d’éloquence. La vigueur et la correction laissent à désirer, mais on admire la finesse, l’esprit et Une clarté presque voltairienne.

Religion (Là) cousldérée dans se* rapport» avec l’ordre politique et civil, par l’abbé de Lamennais (1825-1826). Cet ouvrage a été évidemment composé à l’époque où le futur démocrate était dans toute la ferveur de l’orthodoxie catholique, apostolique et romaine, tant au point de vue politique qu’en matière religieuse, et n’avait pas encore perdu ses illusions sur la possibilité d’obtenir le chapeau de cardinal. Dans une série de chapitres, Lamennais jette l’anathème au progrès, au droit public moderne, à toutes les conquêtes réalisées par notre grande Révolution, le tout au nom même de ce qui lui semble être le christianisme. « Lorsqu’aux premiers siècles de la foi, dit-il, les confesseurs, livrés dans le cirque à la dent des bêtes féroces, combattaient pour Jésus-Christ en présence des Césars et des sénateurs, des pontifes et du peuple, qui ne se riait de ces insensés et de leur Dieu ? Nous annonçons aujourd’hui le même Dieu aux nations qui l’oublient, à leurs chefs qui le proscrivent, et quelque chose pourrait nous empêcher d’élever la voix 1 et l’on demanderait : que veut donc ce prêtre ? — Ce qu’il veut ? Ce que voulait Jésus de Nazareth, ce que voulaient les martyrs à L’idéal politique de Lamennais est

celui’que rêvaient Grégoire VII et Joseph de Maistre ; c’est la monarchie chrétienne, la royauté de droit divin avec une religion d’Etat comme sous Louis XIV, avec un clergé participant au gouvernement, royauté dont le

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titulaire serait responsable vis-à-vis du pape représentant de Dieu, de qui relèvent tous les empires. Dans le système de Lamennais, comme dans le système de J. de Maistre, le pape est la clef de voûle dans l’ordre politique et religieux, le centre de l’unité et de la vérité ; il est infaillible et, comme représentant immédiat de Dieu, il résume sur terre la souveraineté temporelle et la puissance spirituelle. C’est dire que Lamennais anuthématise indistinctement, comme contraires à l’idée chrétienne et s’éloignant de son idéal, le principe delà souveraineté nationale, la démocratie, la république, le régime parlementaire, la liberté des cultes, soit sous la forme de ia séparation de l’Église et de l’État, soit sous celle de la protection légale de l’État, les doctrines gallicanes, le mariage civil, etc. Au reste, voici en substance l’ordre dans lequel Lamennais développe ses théories. Il n’existe et ne peut exister, dit l’auteur, union véritable qu’entre les esprits ; donc la société et toutes les lois essentielles de la société sont de l’ordre spirituel ou religieux et la perfection de la société dépend de la perfection de l’ordre spirituel ou religieux. Il suit de là qu’avant Jésus-Christ la société politique, imparfaite et à peine naissante, ne pouvait se développer ou se perfectionner, parce que la société religieuse ou la religion vraie et universelle n’était ni développée ni même constituée publiquement. Nul juge, nul conciliateur entre le pouvoir et les sujets : se touchant par tous les points avec des intérêts divers, il y avait entre eux une guerre continuelle. La société flottait sans cesse entre la tyrannie d’un seul et la tyrannie de tous. Le christianisme créa la société religieuse et La constitua extérieurement, de telle sorte que toutes les familles n’en formaient plus qu’une seule, gouvernée dans l’ordre du salut par l’autorité d’un ministère spirituel gouverné lui-même par un chef unique. Dès lors, l’interprétation et la défense de la loi religieuse, qui est aussi la loi politique fondamentale, appartiennent au ministère spirituel et à son chef, à qui Dieu même en a confié le dépôt. Le pouvoir fut protégé contre les sujets et les sujets contre le pouvoir par le souverain de la société religieuse, défenseur suprême de la justice. Les sujets purent désormais obéir avec sécurité, les rois régner sans crainte ; il y avait désormais un juge entre eux, et le droit avait détrôné la force. Mais peu à peu les rois refusèrent de reconnaître ce juge ; ils voulurent que la loi divine demeurât toujours la règle des actions privées en cessant d’être la règle des actions publiques. Attaqué en ce point, le pouvoir spirituel le fut sur d’autres ; la Réforme du xvie siècle vint déchirer l’Église ; les maximes politiques proclamées eu 1789 suivirent, et dès lors tout fut compromis dans l’ordre politique, tous les anciens principes méconnus. Aujourd’hui (l’auteur écrivait sous la Restauration), le mal s’est encore aggravé : l’anarchie existe dans l’État, dans les esprits remués en tous sens par des opinions turbulentes, dans le principe des lois, qui ne se rattachent à aucune croyance, dans l’administration dirigée presque uniquement par des volontés arbitraires, dans les mœurs générales qui n’ont de règle que l’intérêt, • Le monde intellectuel et moral est livré à une race de sophistes, ajoute l’auteur, plus dépravés que ceux de la Grèce, prêts à se vendre à ceux qui les payent, faisant aujourd’hui de la religion, demain de l’athéisme, se jouant des autres et d’eux-mêmes avec une impudence qu’ils avouent et dont ils sont fiers, ennemis du vrai et du bien, tour à tour bas, hautains, flatteurs, dédaigneux, affectant la science et ne sachant rien, prodigues de sarcasmes et de mensonges, hardis contre le bon sens, etc., etc.» Le peuple se corrompt ; nul lien véritable entre les États, et dans chaque État la révolution présente ou prochaine. Partout éclate la désaffection du peuple pour ses chefs. Une génération s’élève, imbue des doctrines d’anarchie et pleine d’ambitions malsaines. Tel est le spectacle qu’offre l’Europe. Et qu’oppose-t-on à ce mouvement terrible ? Des soldats 1 Comment conjurer d’incalculables dangers ? Par l’alliance des gouvernements avec l’Église, sans quoi il ne restera pas en Europe un seul trône debout. Ce sera le triomphe de la démocratie ; or, la démocratie, c’est l’antichristianisme ; oui 1 l’antichristianisme I » Si, comme l’affirme Lamennais dans le livre que nous analysons, et comme l’histoire des temps modernes le démontre d’ailleurs, le christianisme est l’ennemi de la démocratie, c’est-à-dire s’il est avant tout monarchique, tant pis pour le christianisme ! il périra avec les monarchies, car l’avenir est à la science et à la démocratie, ces deux grandes forces de l’humanité émancipée.

Notre dessein n’est pas de réfuter les théories que nous venons de résumer. Nous renvoyons le lecteur aux ouvrages dans lesquels Lamennais s’est lui-même réfuté et s’est proclamé démocrate, alors qu’il était revenu de ses illusions et de ses ambitions relatives à la pourpre romaine.

Religion (la), par Feuerbaeh (Leipzig, 1845, in-8<>). C’est un des plus importants et des plus remarquables ouvrages de l’auteur, adversaire implacable du christianisme et de toute espèce de religion.

Après, avoir jeté un coup d’œil sur les re RELI

ligions païennes qui avaient pour caractère le développement des intérêts civils seuls et qui niaient même le sens religieux, Feuerbaeh parle du christianisme, dont la base est le dualisme, la lutte de l’esprit et de la chair, et qui, à l’aide de cette abstraction, a essayé de renverser la société civile. L’opposition intime qui caractérisa le monde chrétien dans les époques catholiques fut surtout l’opposition de la nature et de la grâce, des choses sensibles et des choses suprasensibles, de l’humanité et de la sainteté, ou, pour s’exprimer comme l’Église, l’opposition de l’esprit et de la chair. ■ Renoncer à la vie civile et politique, rejeter comme une vanité pure toutes les occupations, toutes les choses dites mondaines, afin de pouvoir sans distraction, avec un cœur brisé et des yeux pleins de larmes, languir dans l’attente du ciel ; tuer tous les penchants, toutes les inclinations naturelles ; se châtrer, se martyriser, voilà en quoi consistait la religion, la vertu et surtout la plus haute vertu, la vertu du saint... >

Feuerbaeh pose le dilemme : • Être homme ou chrétien. » Le mot chrétien peut se remplacer par toute autre dénomination de secte ou de croyance religieuse. Complet dans sa pensée et catégorique dans sa parole, l’écrivain allemand ne marchande pas des affirmations qui paraîtront brutales et sacrilèges aux esprits timorés. Il déclare que le monde n’a rien de mieux à faire que de renoncer au christianisme et à toute idée religieuse, et il s’appuie sur des arguments philosophiques et scientifiques, négligeant totalement le sentiment individuel ou les croyances actuelles. On ne peut, dit-il, trouver Dieu que dans l’imagination, dans la foi. Or, • croire, c’est se figurer que ce qui n’est pas est. » Dieu n’est pas, mais l’idée de Dieu s explique par l’homme. « Dieu suppose l’homme ; son idée ne dépend pas de la nature, mais de l’homme religieux ;» c’est-à-dire que ni •l’observation des faits ni l’analyse métaphysique ne révèlent, n’imposent la notion d une Providence, d’un Être absolu et personnel, mais que cette notion, image du type humain, dérive, chez certains hommes, de l’instinct particulier qui fait un besoin de la croyance au merveilleux, au surnaturel. « Dieu n’existe que dans et pour la religion, et il ne peut être l’objet que de la religion et de la foi ; non-seulement il n’existe pas dans la réalité, mais il est contradictoire avec elle. ■ Dieu étant supprimé, la vie future n’est plus admissible ; l’idée de l’immortalité n’est qu’une illusion, une croyance superstitieuse ; ia réalité démontre la mortalité de l’homme, car l’âme, l’esprit sont simplement une manière d’être du corps, l’exercice de la vie elle-même, l’organisme mettant en jeu ses forces physiologiques. Au surplus, la mort n’existe pas ; ce n’est rien de positif, d’absolu ; elle n’existe que pour les vivants ; c’est un produit de l’imagination, un être fantastique qui n’est plus dès qu’il est. Cependant l’immortalité existe, mais spirituellement ; la personne morte revit dans le cœur, dans le souvenir de ceux qui l’aimèrent : l’être réel devient ainsi un être imaginaire, un mythe. L’âme immortelle n’est originairement que l’image des morts ; l’immortalité dérive d un désir do l’imagination, de l’égoïsme humain ; le christianisme flatte ce faible, sans pouvoir tenir ses promesses. D’ailleurs, la vie future s’accomplit ici-bas : tout se transforme, revit et se renouvelle. La nature de l’homme l’attache à la terre ; elle le destine seulement à être homme, et l’homme remplit cette destinée « en atteignant l’existence.» Du moment qu’il est, tout est dit ; son horizon se borne au cercle de la vie de l’individu ; croire à une destinée extraterrestre est une pure illusion. Il faut renoncer à cette chimère de l’immortalité, désir illimité, désir irréalisable. Le but, le dernier mot de la vie, c’est le repos suprême. Molliter ossa cubent.

On reproche généralement à Feuerbaeh de n’accueillir que des théories négatives. ■ Si je prouve à un homme, répond-il, qu’il n’est pas en réalité ce qu’il croit être en imagination, je suis certainement négatif envers lui, je lui fais mal, je lui ôte son illusion ; mais je ne suis négatif qu’envers son être imaginaire, non envers son être réel. Je reconnais avec joie toutes les qualités que d’ailleurs il peut avoir, je ne fais que lui enlever son imagination, afin qu’il acquière la vruie connaissance de lui-même et qu’il dirige ses pensées et sa volonté vers des objets qui repondent à sa véritable nature et qui n’en- dépassent pas les forces. »

M. J. Roy a traduit en français la Religion de Feuerbaeh (1SQ4).

Religion et l* liberté (la), par l’abbé Bautain. C’est le recueil des conférences faites par l’auteur à Notre-Dame au commencement de 1848, à la veille de la révolution de Février qui les a interrompues. Ces conférences sont au nombre de sept ; les six premières ont été prononcées ; la septième ne l’a pas été à cause des événements de Février. En ces discours, l’abbé Bautain tente de montrer que, non-seulement la religion catholique nest pas hostile à la liberté des peuples, mais qu’au contraire l’institution de l’Église a été 1 institution^nême de la liberté moderne ; que son dogme en est le véritable principe ; que sa morale en est la plus sûre garantie ; qu’elle en a toujours favorisé le

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développement par sa constitution et sa discipline ; enfin qu’elle a enseigné avec une parfaite sagesse les voies et moyens légitimes de la défense de la liberté et tracé les vraies règles de conduite dans les conflits de la conscience individuelle avec le pouvoir.

Première conférence. Bautain y examine cette opinion, qu’il appelle un préjugé, que l’Église catholique est hostile a la liberté. Ce préjugé, selon lui, vient de trois causes principales : 1» du caractère de l’Église méconnu ; 2o de l’imprudence de quelques-uns de ses ministres ou de ses amis ; 3° des clameurs intéressées de ses ennemis. On méconnaît le caractère de l’Église quand on l’accuse d’être opposée à toute nouveauté, par conséquent a tout progrès, et d’affecter ia monarchie universelle, de vouloir gouverner le monde par la théocratie. Il est très-vrai que l’Église parle avec une autorité pleine et sans restriction dans le domaine de la foi, du-surnaturel ; mais, dans les choses purement naturelles, il en est autrement ; là, elle n’a point de dogme à définir, elle n impose rien à la foi. Or, quoi de plus naturel que les gouvernements de la terre et leurs institutions ! Quoi de plus naturel que l’avénement ou la destruction des dynasties, la changement ou l’extinction des droits acquis, le renouvellement des établissements humains, le bouleversement de tous ces édifices faits de main d’homme ? Dieu a abandonné le monde et l’ordre naturel du monde aux disputes des hommes. La politique est de l’ordre naturel du monde. Il est très-vrai que l’Église aspire à la monarchie universelle ; mais cette monarchie est celle des âmes et des esprits ; c’est le règne de Dieu sur les cœurs, c’est la réunion de tous les hommes dans une même foi, dans une même espérance, dans un même amour.

Deuxième conférence. Elle traite do la liberté politique considérée d’une manière abstraite. L’orateur se propose de déterminer l’idée vraie de la liberté politique. La liberté politique, dit-il, n’est qu’une application, une transformation de la liberté morale, principe de toutes les libertés humaines. La liberté morale a ses conditions. L’homme la possède en puissance dès qu’il entre dans la vie ; car elle est un élément essentiel de sa nature, et sans elle il ne serait point un homme. Mais elle ne passe point tout d’un coup en acte ; il faut que les conditions de son exercice lui soient fournies, et l’une da ces conditions, la première, est la capacité de la raison. La liberté politique n’est pas autre chose que la liberté morale des peuples, la liberté de l’homme-peupie. Si la liberté politique est la liberté morale d’un peuple, la nature de la liberté morale et ses conditions essentielles doivent s’y retrouver. Donc, pour exercer la liberté politique, il faut une certaine capacité de raison, il faut l’intelligence de la chose publique et de tout ce qui s’y rapporte ; par conséquent, une certaine instruction, une certaine éducation, quelque expérience de la vie sociale, une connaissance au inoins pratique des intérêts généraux et des besoins du pays. Tous les peuples, en tant que peuples, sont appelés à ia liberté politique, qui est le privilège de l’âge adulte des nations, comme tous les enfants sont appelés à la liberté morale en grandissant, en devenant hommes, filais tous les peuples ne peuvent pas parvenir à la liberté politique, de même que tous les hommes qui naissent n’arrivent pas à l’âge adulte, à l’âge de la liberté morale. Combien d’hommes ne sont pas nés viables et meurent avant le temps ! Combien vont jusqu’à la porte de la jeunesse et n’y entrent pas ! Ainsi des peuples. Il y en a qui, par leur constitution, ne peuvent pas vivre ; la manière dont ils ont été formés exclut les conditions de l’existenca jusqu’à l’âge adulte. Il y en a qui, comme certains individus, sont faibles de corps, d’esprit et de volonté toute leur vie. Il y a des hommes toujours jeunes par le caractère ; il y a aussi des peuples toujours jeunes par leur tempérament ; ilyen a même qui sont toujours enfants.

Troisième conférence. L’objet de cette troisième conférence est de prouver d’abord que l’institution de l’Église catholique est 1 institution même de la vraie liberté dans le monde ; en second lieu, que l’esprit de l’Église est identique à l’esprit de la liberté. Bautain s’efforce d’établir le premier point en montrant que la puissance Spirituelle qui) jusqu’à l’Évangile, avait été absorbée par le pouvoir temporel, a été fondée et réalisée par l’Église d’une manière indépendante, L’Église a dit à la terre : • J’ai reçu une puissance qui ne vient point de ce monde ; elle s’étend sur toutes les âmes créées par Dieu et rachetées par Jésus-Christ. L’âme, qui est faite par Dieu à son image, ne relève que de Dieu, ne doit obéir qu’à Dieu ; et ainsi, partout où l’homme se trouve, quelle que soit sa position sur la terre, il a une indépendance inaliénable, l’indépendance de son âme de tout autre que de Dieu. De là, l’affranchissement de l’âme humaine dans la famille et dans l’État. Dans le mariage, la femme chrétienne peut tout donner, excepté son âme. L’âme de l’enfant n’appartient pas aux parents ; elle est, entra leurs mains, un dépôt et non une propriété. L’homme peut être asservi dans bon corps, jamais dans son âme ; et enfin, le citoyen ne doit l’obéissance à Céaar qu’à la

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condition de rendre d’abord h Dieu ce qui est à Dieu.

Passant au second point, l’auteur tente de prouver que l’esprit de l’Église et l’esprit de liberté ont la même tendance : apprendre à l’homme à se gouverner lui-même, par sa conscience, par sa raison, dans la vie publique et dans la vie privée, pour les choses de la terre et pour les choses de l’éternité ; qu’ils emploient le même instrument, laparole, le même procédé, la conviction, la persuasion ; qu’ils ont la même fin, gagner les âmes, comme les âmes se gagnent, par la lumière et par l’amour.

Quatrième conférence. Bautain y appelle l’attention et les méditations sur les dogmes chrétiens qui sont favorables à la liberté, notamment sur le dogme de la création et sur celui de l’unité d origine et de sang du genre humain. Le dogme de la religion détruit le fatalisme panlhéiste et matérialiste. A rencontre du paganisme mythologique ou philosophique, qui faisait de la fatalité le principe, la raison et la fin de toutes choses et qui ainsi ne pouvait produire que l’esclavage, l’Église catholique, par son dogme, pose au centre de l’univers la liberté, la liberté suprême du Dieu créateur. Le dogme chrétien de l’origine de l’homme n’est pas moins libéral. Si nous posons en principe, dit Bautain, que les hommes sont venus primitivement de plusieurs souches et sur plusieurs points de ia terre ; que les diverses races sont autochthones et sans relation par leur origine, sans liens réciproques de famille, sans dérivation d’une même unité, alors qui nous empêche de conclure qu’une race est inférieure à l’autre par sa nature, et qu’ainsi, par le vœu même de ia nature et par ie droit nature), l’une est appelée à régner et l’autre k servir ’ ! C’est précisément ce qu’ont dit les plus grands philosophes de l’antiquité. Qui a détruit cette erreur monstrueuse, dégradante pour l’humanitéî La

doctrine chrétienne, qui enseigne que tous les hommes ont la même origine, qu’ils descendent des mêmes parents et que l’âme de chaque homme est créée par Dieu.

Cinquième conférence. Bautain y montre

Sue la morale de l’Évangile, que la pratique e ces préceptes évangeiiques : Aimez Dieu par-dessus toutes choses ; Aimes votre prochain comme vous-même ; Faites aux autres ce que vous voudriez qui vous fût fait ; Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût.fait, est essentiellement favorable à la liberté politique, parce qu’elle lui fournit ses conditions principales. La première de ces conditions est le respect de la loi, du droit et de l’autorité qui tes applique. Eh bien I le respect de la loi, qui l’aura plus profondément empreint au cœur que le chrétien ? Le respect de l’ordre, de 1 autorité, qui le ressentira plus vivement, qui y sera plus porté et plus habitué que le catholique, façonné de bonne heure par l’Église à l’obéissance raisonnable, et élevé, des son âge le plus tendre, dans cette grande école du respect ? La seconde condition de la iiberté.poîitique est le dévouement à la chose publique. Sans ce dévouement, qui sacrifie l’intérêt privé à l’intérêt de tous, la liberté d’un peuple n’est pas possible. Or, la morale chrétienne accomplit admirablement cette condition. Doctrine de justice et d’abnégation propre, elle s’accorde parfuitemeat avec le patriotisme qui impose nécessairement des sacrifices aux citoyens.

Sixième conférence. L’objet de cette sixième conférence est d’établir que l’Église catholique, par sa constitution et sa discipline, a contribué efticacement au développement de la vraie liberté dans le monde. Par l’organisation de son gouvernement et par la manière dont elle l’exerce, l’Église a fourni aux États modernes le modèle et la règle de la véritable organisation de la liberté. Dès son origine et.dans tous les siècles, elle en a donné aux hommes les conditions essentielles et les garanties libérales, savoir : la souveraineté de la loi, l’égalité de tous devant la loi, l’admissibilité de chacun aux emplois et aux dignités, l’appel des plus dignes aux fonctions du pouvoir par l’élection, la protection de l’État distribuée également sur tous, et même sur les pauvres et les faibles de préférence, Puis, dans ses conciles, où elle a fait prévaloir la libre discussion, elle a enseigné aux peuples ia théorie et la pratique du système représentatif, condition sine qua non de la liberté chez les grandes nations. Enfin, par le célibat religieux, elle a détruit l’esprit de caste et fait triompher le droit commun sur la droit héréditaire.

Septième conférence. Bautain y formule ainsi qu’il suit les principes du catholicisme sur la résistance au pouvoir : l’Église n’autorisa jamais la résistance année à la puissance établie, bien qu’elle puisse parfois l’excuser. Elta ne veut pas qu’il y ait deux glaives opposés dans la même société, parce qu’elle a eu horreur la guerre intestine, aussi contraire à l’intérêt de l’État qu’à la charité chrétienne, et, par conséquent, elle réprouve la révolte, la sédition, l’insurrection et tous les désordres qui en sont la suite. Mais entre l’obéissance passive qu’elle ne prescrit point et la résistance violente qu’elle condamne, elle indique et conseille une voie moyenne, qui procure plus sûrement les effets heureux

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et légitimes de la résistance à l’injustice, sans en avoir les inconvénients. En suivant cette voie avec, prudence, le chrétien pourra défendre efficacement la liberté de son pays sans risquer de blesser sa conscience et d’offenser Dieu. Pour cela, i ! a deux choses à faire en face d’un gouvernement oppresseur : il peut lui résister, mais passivement : il doit lui obéir, mais en faisant tout ce qu’il peut faire légalement pour affaiblir ou annuler l’influence funeste du despotisme.

Cependant il peut y avoir des cas extrêmes où, même pour la conscience catholique, la résistance par la force est un moyen légitime de défense. Bautain n’hésite pas à déclarer : 1° qu’à ses yeux la résistance par la force au pouvoir qui emploie illégalement et initiativement la force est permise ; 20 que le citoyen qui prend l’initiative de la résistance a un pouvoir qui viole évidemment le pacte social est excusable et dans le cas des circonstances atténuantes ; 3° que là où il n’y a pas de pacte social ni aucune convention explicite entre les gouvernants et les gouvernés, si la puissance tourne au despotisme, au mépris de sa mission divine et de la fin dernière de la société, dont elle doit être le moyen principal, et que, par ses actes tyranniques, elle amène une explosion spontanée qui la renverse, la conduite de tous ceux qui y ont contribué de bonne foi et pour défendre ia justice, le droit et la dignité humaine est plutôt conforme que contraire à la volonté de Dieu.

On voit, par la brève analyse que nous venons d’en donner, dans quel esprit et en vue de quelle situation ont été prononcées, puis publiées les conférences de l’abbé Bautain Sur la religion et la liberté. C’est de l’apologétique faite au point de vue relativement libéral qui régnait dans l’Église au commencement du pontificat de Pie IX. Il y a de l’habileté et du talent dans ces conférences. Il serait facile, mais bien inutile, de les réfuter aujourd’hui ; car, aujourd’hui, l’Église ne se soucie nullement du rôle libéral que l’apologétique voudrait attribuer à ses dogmes, à sa morale, à sa discipline.

Religion naturelle (la), par M. Jules Simon, étude de philosophie religieuse, publiée en 1856. La religion chrétienne enseigne à l’homme son origine, sa règle et sa fin, c’est-à-dire tout ce qui lui est nécessaire pour la direction et la consolation de la vie. Mais il y a des esprits en grand nombre qui ne sauraient admettre le principe de la révélation, ou qui, ne pouvant croire à toutes les choses enseignées par l’Église et comprenant qu’on ne lui fait pas sa part, qu’il faut ou l’accepter ou la rejeter tout entière, se sentent obligés de renoncer à la religion officielle et se livrent sans réserve à la philosophie. Ces esprits religieux, mais qui ne reconnaissent d’autre autorité que la raison, ne trouverontils pas en elle ce qu’ils lui demandent ? L’humanité est-elle placée sans autre ressource entre la révélation et le scepticisme ? N’y a-t-il rien, en dehors de la foi révélée, qui puisse rattacher la terre au ciel V

L’indépendance religieuse du philosophe l’a fait tout naturellement passer pour un athée auprès des polémistes de mauvaise foi. M. Simon est, au contraire, un déiste déterminé. ■ La nature, la société, notre conscience, dit-il, nous parlent de Dieu à chaque instant. Quel est ce Dieu dont la pensée nous revient sans cesse ? Est-ce un Dieu indifférent, solitaire, étranger au monde qu’il a produit ? A-t-ii besoin de nos respects et de nos prières ? Nous a-t-il donné une loi et soumis k une épreuve ? Nous réserve-t-il une autre vie après celle que nous traversons ? A mesure que nous avançons dans la vie, nos parents, nos’ amis tombent k côté de nous. Un rend leurs corps à la terre : mais leurs âmes, où vont-elles ? Sommes-nous à jamais « séparés de nos morts ? N’y a-t-il rien au delà du tombeau ? •

Le livre se compose de quatre parties ; l’auteur examine successivement : 1° la nature de Dieu ; 2° la Providence ; 3» l’immortalité ; 4° le culte. Le sens commun est seul appelé k prononcer sur ces dogmes, et les solutions diffèrent nécessairement de celles des religions révélées.

Les arguments de M. J. Simon à propos de Dieu, de son incompréhetisibilité, de la manière (k>nt le panthéisme le conçoit ; ses idées sur la Providence, L’immortalité de l’âme, les cultes ne diffèrent pas beaucoup de ce qui s’enseigne à ce sujet dans les ouvrages des grands esprits en qui l’opinion commune a confiance. Sa théorie de ia prière offre des considérations du plus haut intérêt. La prière, suivant lui, c’est l’accomplissement du devoir. Pendant cette vie, nous remplissons sous les yeux de Dieu la tâche qu’il nous a donnée, et, au terme de notre existence, il nous récompensera ou nous punira. Aussi, l’homme ne doit-il demander rien au monde que l’occasion de lutter et de mériter. Son repos, sa patrie, son Dieu sont ailleurs. Comment pourra-t-il mériter ? En obéissant à la loi et en faisant le bien. Sa loi est de conserver et de développer ses facultés, d’aimer et de servir ses compagnons d’épreuve, d’aimer et d’adorer l’auteur de son être. Comment adorera-t-il Dieu ? En accomplissant son devoir. Faire le bien, c’est adorer ; aimer, travailler, se dévouer, c’est adorer,

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c’est prier. Être un citoyen utile en ce monde, c’est servir Dieu. Telle est la religion naturelle, tel est le culte naturel. Toute cette doctrine est simple et sans mystères : un Dieu tout-puissant et immuable, qui a créé le monde et qui le gouverne par des lois générales ; une vie à venir qui remplira toutes les promesses de celle-ci et en réparera toutes les injustices, voilà le dogme. Un cœur rempli de l’amour de Dieu et de l’amour de l’humanité, une volonté ferme d’accomplir le devoir et de servir les vues de la Providence en faisant le bien, voilà la prière, voilà le précepte ; telle est la religion rêvée par M. Jules Simon.

Il n’y a rien dans ces pages qui sente, nous ne dirons pas l’irréligion, mais même le scepticisme. On pourrait définir la Religion naturelle « un livre de piété à l’usage des libres penseurs. » Des pensées élevées exprimées en beau style, tel est le fond de ce livre où l’amour réel du peuple, le culte de la bienfaisance occupe une très-grande place à côté des discussions et des démonstrations philosophiques. Sans partager les vues de l’auteur, on peut dire que cet ouvrage est digne de l’homme éminent qui, avant de devenir un des représentants de la démocratie, était une des lumières de l’Université.

’ Kellglons de la Grcco antique (HISTOIRE ! des), depuis leur origine jusqu’à leur complète constitution, par L.-P.-AJfred Maury (Paris, Ladrange, 1857-1S59, 3 vol. in-8»J. Cet ouvrage important était en ISCS le travail d’ensemble le plus nouveau et le plus complet que la France possédât sur les mythes et les religions de la Grèce. Dépassé en grande partie en Allemagne et sur quelques points par des études plus récentes, il res- • tera comme le représentant d’une époque dans la science, et M. Maury conservera, l’honneur d’avoir le premier, de ce côté du Rhin, rompu définitivement avec les anciens systèmes, en matière d’études mythologiques, pour rattacher hardiment ces études aux résultats fournis, par la linguistique, c’est-à-dire pour les faire rentrer dans le grand courant de la tradition indo-européenne.

« La pensée de cet ouvrage, écrivait M.’ Maury en 1857, m’a été inspirée par le beau livre de M. Creuzer sur les religions de l’antiquité, dont M. Guigniaut s’est montré un si habile interprète. Le savant allemand avait cherché à saisir la liaison des mythes et des symboles, mais il a négligé le côté historique et pragmatique ; il a considéré les religions de l’antiquité comme un grand tout dont il a donné un exposé synthétique. Mon travail, au contraire, est une œuvre d’analyse : je suis le progrès des idées, par cela seul que je m’attache à marquer Ie3 . époques ; car rien n’est immobile dans ce qui touche à l’homme, quoique le tond sur lequel ce mouvement s’accomplit demeure immuable. Les religions ont été, chez les anciens, des formos plus ou moins passagères d’un sentiment éternel. La religion s’est tour à tour agrandie, altérée, transformée, elle n’est jamais morte, et quand on pouvait la croire éteinte, comme le phénix, elle renaissait sur son bûcher. Ce spectacle a été le prélude du christianisme, dont le polythéisme antique ne fut qu’une longue préparation. Voilà ce qui donne à cette histoire un intérêt égal à celui que présentent les événements les plus graves et les plus dramatiques. En effet, sous cette série de mythes et de créations théogoniques, on sent que s’agitent les plus grands problèmes que puisse poursuivre notre inquiète curiosité. L’homme cherche Dieu ; il s’égare souvent, mais quelquefois il en entrevoit le caractère ou en pressent l’immensité. >

Dans ces lignes, qui contiennent la "pensée fondamentale de l’ouvrage, M. Maury, l’ancien.collaborateur de M. Guigniaut pour la

publication française de la Symbolique de Creuzer, M. Maury, qui dédie respectueusement à M. Guigniaut son nouveau travail, s’écarte cependant, sans retour, de la doctrine de ses maîtres. Il ne se contente pas, en effet, de reprendre, comme il le dit, sous la forme analytique l’œuvre édifiée synthétiquement par Creuzer ; et il y a loin du système qui rattachait à l’Égypte les origines du polythéisme au point de vue où se place M. Maury dans son livre et aux idées qu’il y développe en s’appuyant sur les découvertes nouvelles de la science.

Dans l’exécution, M. Maury a rencontré les difficultés qui devaient naître de la hauteur même du point de vue auquel il s’était placé. Il était conduit à tenter, une classification méthodique d’une multitude de faits dont la critique n’avait pas encore déterminé et ne déterminera peut-être jamais le vrai caractère. Il ne pouvait éviter la confusion résultant du rapprochement de tant de formes diverses et de traits opposés que sa sincérité scientifique lui commandait d’enregistrer àtitre égal. D’une autre part, les matériaux préparés déjà qu’il n avait eu qu’à réunir étaient encore bien insuffisants ; car ni les problèmes les plus graves de la linguistique, dont la connaissance parait indispensable pour l’explication des mythes et de leurs relations, ne sont résolus, ni l’histoire synthétique des divers rameaux ethniques de la race indo-européenne, ni celle de leurs rapports primitifs avec le monde sémitique

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ne sont encore faites. M. Maury sa créait lui-même par sou plan d’autres difficultés qu’il n’a pas entièrement surmontées. « Je suis, dit-il, le progrès des idées, par cela seul que je m’attache à marquer les époques. • Cette méthode, excellente en thèse générale, devient nécessairement vicieuse quand il s’agit de tracer l’histoire d’une institution théologique dont le caractère essentiel est l’immobilité : Aussi M. Maury, en traitant séparément de la mythologie des temps antéhomériques, de celle que nous connaissons par Homère, de celle des poèmes hésiodiques et enfin de celle des temps posthomériques jusqu’au siècle d’Alexandre, s’est-il condamné à beaucoup de répétitions, à une indécision perpétuelle et, qui plus est, à de graves erreurs. Il donne sans cesse pu parait donner comme nouveau ce qui est ancien, comme différent ce qui est semblable. Cette observation s’applique surtout au premier volume. Les deux autres contiennent une série de traités, en quelque sorte distincts, sur les formes du culte, sur les temples et la liturgie, sur les funérailles, les fêtes, les pompes, les jeux, les mystères, le sacerdoce, les oracles ; sur la morale religieuse, la religion de l’Asie Mineure, l’influence des religions syrophéniciennes et égyptiennes ; sur l’orphisme et la philosophie. Mais, bien que quelques-uns de ces sujets soient traités supérieurement, l’auteur n’a pu l’aire que ce ne soient là autant de membres d’un corps dont il n’est pas parvenu à établir la circulation intérieure et à constituer l’unité.

Religion an x«» siècle (LA), par M. J.-E. Alaux (1858, in-S°). L’auteur entreprend une tâehe qui a été plusieurs fois tentée et toujours sans succès, à savoir : la conciliation du catholicisme et du rationalisme. Pour élever le débat, il se propose, une pure dissertation philosophique sur les principes premiers et abstraits auxquels se rattache le problème, se défiant, dit-il, « des obscurités qui se rencontrent dans l’histoire. » Après avoir mis en présence le catholicisme et le rationalisme, l’auteur se demande comment il est possible d’opérer leur conciliation. L’épigraphe qu’il a empruntée à Malebranché : « L’intelligence succédera à la foi, » indique quelle est sa solution : 0 Jusqu’ici, dit-il, on a cru ; aujourd’hui, on veut comprendre. Le siècle est rationaliste, et il a raison de l’être. La cause de la raison est désormais gagnée ; il faut gagner celle de la religion. Les croyants sont rarement rationalistes, les philosophes rarement catholiques. Il s’agit de les rapprocher en prouvant que le catholicisme contient les vérités cherchées par la philosophie. Il faut laisser celle-ci se faire. Quand elle sera-faite, on acceptera comme démontrées les vérités qu’on acceptait comme articles de foi. » En attendant qu’il soit parvenu à cette conclusion nécessaire, ■ le philosophe doit garder la religion de son pays et de son temps... Ce n’est pas être hypocrite que de pratiquer publiquement un culte auquel on adhère comme à un symbole de la vérité. »

Passant en revue les diverses tentatives qui ont été faites pour résoudre le problème des rapports de la raison et de-la foi, il reproche aux théologiens d’absorber la philosophie dana la religion et aux philosophes d’absorber la religion dans la philosophie. Il condamne aussi ceux qui voudraient séparer le domaine de la foi du domaine de la raison. * L’empire de la vérité, dit-il, ne se brise pas, et à ce système où ne gagne que deux choses : la première, que la vérité religieuse n’exerce aucun empire sur la science ; la seconde, que le progrès de la science, à mesure qu’il agrandit le domaine de la raison, diminua d’autant le domaine de la foi. Le protestantisme a eu plus d’intelligence du problème, mais il est aujourd’hui- attardé et il a’le défaut d’être moins libre que le catholicisme, puisqu’au lieu d’une révélation progressive il a une révélation immuable dans la Bible et qu’en même temps il est rationaliste. ■ Que faut-il donc faire ? « Concilier, répond l’auteur, le rationalisme avec le catholicisme ; conserver la religion telle que la formule l’Église qui en tient le dépôt, la règle, la loi, mais remplacer la théologie par la philosophie, c’est-à-dire l’explication douteuse des vérités données par la reconstruction scientifique de ces mêmes vérités, pour ajouter à la certitude qui repose sur la parole divine transmise par les hommes la certitude plus intime qua l’homme trouve en sa propre intelligence ; voilà comment il m’a semblé que pouvait être résolu le problème religieux de mon temps.» Il n’y a rien de pratique dans ces rêveries. La solution de M. Alaux est incompatible avec le catholicisme réel et avec une philosophie digne de ce nom. Les philosophes ne consentiront jamais à discuter comme les docteurs du moyen âge et le Syllabus nous a appris l’estime qu’on faisait à Rome de la raison. Ce n’est qu’avec un catholicisme et un rationalisme de son invention que M. Alaux a formulé ce qu’il appelle « la religion du XIXe siècle. Toute tentative de ce genre est d’avance frappée d’insuccès.

Religons (les) et les philosophies dans l’Asie centrale, par le comte de Gobineau, ministre de France à Athènes (Paris, 1865, in-8°). « Tout ce que nous pensons et toutes les manières dont nous pensons ont leur origine en Asie. Il est donc intéressant de sa-

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voir ce que l’Asie pense encore et comment elle le fait. » Ainsi commence le livre de M. de Gobineau, oui consacre son premier chapitre à dépeindre le caractère moral et religieux des Asiatiques, • La première de toutes les affaires, a leur sens, c est de connaître le plus possible et avec le plus de détails possibles les choses supernaturelles... Ils ont besoin du monde qu’on ne voit pas ; ils le sentent peser sur eux ; ils se débattent contre l’impression perpétuelle du mystère ; ils cherchent quelque chose au-dessus de la vie courante et dans une agitation, dans une attente, dans un désir, dans une fièvre qui ne se calment pas ; on les voit en alerte, leurs yeux cherchant à s’ouvrir sans mesure, regardant en l’air et partout, inquiets de la vie à venir bien plus que de tout ce qui est au monde* » Ce n’est pas seulement chez les classes cultivées que ces dispositions se rencontrent ; on les trouve partout. Chacun aime à parler religion. Ce goût est même si vif, qu’on le satisfait avec le premier venu. Un musulman n’est pas embarrassé pour discuter ces questions avec un chrétien, et de ces discussions, de ces causeries, de ces échanges d’idées résulte une certaine tolérance qui ne manque pas de piquant. Ainsi, les musulmans albanais brûlent des cierges à saint Nicolas et des chrétiens consultent avec res■ pect les derviches.

Malgré cet amalgame de croyances et de coutumes, chacun possède en propre une religion positive. On est musulman, juif, chrétien, et tel on est né, tel on meurt. Mais on ne se croit pas obligé pour cela d’accepter tous les usages de son culte et M. de Gobineau estime que l’Asie centrale ne contient pas un seul religionnaire qui ne reconnaisse que les seuls préceptes de sa foi et qui les admette tous.

Après avoir ainsi caractérisé la moralité et la religion des Asiatiques, l’auteur passe successivement en revue l’islamisme persan, celui des Arabes, les croyances des différentes sectes, entre autres le soufysme, le judaïsme, etc. ; quant au christianisme, il n’a pas un chapitre spécial ; on ne peut, en effet, le citer que pour mémoire dans une revue des religions vivantes de l’Asie centrale. En vain, l’auteur désirerait-il avoir quelque chose de favorable à en dire : « Malheureusement, ajoute-t-il, je ne l’ai pas trouvé. Tous les vices des musulmans se rencontrent chez les gens quj professent le christianisme, catholiques ou schismatiques. D’une ignorance effrayante, ils ne sauraient exercer aucune action sur leurs compatriotes, sinon sur la partie la plus basse et par les superstitions. Quand, par un grand hasard, il m’est arrivé de rencontrer un piètre chrétien indigène qui s’occupât, outre le soin exagéré de ses intérêts temporels, de quelques questions plus élevées, j’ai constaté qu’il était soufy, » c’est-à-dire panthéiste. Et plus loin, Al. de Gobineau dit encore : « Ce qui est demeuré chrétien, c’est ce qui ne valait pas la peine d’être converti. »

Quant aux juifs, M. de Gobineau n’a pas vis-à-vis d’eux le même dédain. Ils s’occupent beaucoup, il est vrai, de leurs intérêts matériels ; mais on leur reconnaît une profonde énergie morale, un orgueil religieux qui les relève, une vive préoccupaiiou des choses intellectuelles, de leurs dogmes, de leurs livres saints, de leurs sciences. Us ont des docteurs, souvent fort instruits, qui se distinguent par la hardiesse de leurs spéculations philosophiques. Quelques-uns tombent dans le soufysme, d’autres penchent vers la philosophie pure.

Mais la doctrine religieuse à laquelle M. de Gobineau a consacré le plus de développements et qui nous présente ie plus grand intérêt, c’est le babysme, qui existe en Perse depuis une trentaine d’années à peine et qui a, dans ce court intervalle, conquis plus de 5 millions d’adhérents. (V. notre article babysmk, dans lequel nous avons cité k plusieurs reprises l’ouvrage de l’auteur.) M. de Gobineau donne ensuite quelques renseignements sur l’état de la littérature et du théâtre en Perse. Le théâtre lui-même, en ce pays, est une manifestation de l’idée religieuse, et, à ce titre, il ne pouvait être négligé dans cet ouvrage. Comme échantillon, M. de Gobineau donne la traduction des Noces de Kossem, une des pièces restées classiques en Perse. L’appendice du volume contient la traduction du Livre des préceptes (Kétab-è-Bukltam), qui fait autorité parmi les partisans du babysme. Le lecteur peut donc décider lui-même de la valeur de la nouvelle doctrine. En ces matières difficiles, M. de Gobineau a mis, on peut le dire, un grand agrément. Ce volume, consacré à des éuides religieuses et philosophiques, k l’exposition de pensées subtiles qui rappellent plus d’une fois la cabale, se lit non-seulement sans fatigue, mais avec plaisir. A travers toutes les discussions d’idées, on sent un narrateur dégagé des abstractions et un observateur attentif. Il y a beaucoup d’esprit et de finesse dans le récit, beaucoup d’impartialité dans les jugements. M. de Gobineau a, de plus, l’avantage immense d’avoir vu, de parler non pas sur des livres ou sur des renseignements même inédits, mais sur des impressions personnelles.

Religion de Jésus et la tendance moderne

(la), par J’.-C. Zaalberg ; trad. française par M. Réville (Paris, 18S6, in-12). Ce volume

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est un recueil de sermons et de conférences, et l’auteur, pasteur de l’Église réformée à La Haye, s’est vu en butte à toutes sortes de persécutions et d’invectives de la part des protestants orthodoxes, k cause des prétendues audaces de doctrine dont il s’y fait le champion. Les morceaux insérés dans ce volume sont au nombre de huit et portent les titres suivants : Conjuration ou réforme ; Où trouver le repos ? l’Origine de la religion ; l’Ascension ; l’Évangile de Jésus ; Du Saint-Esprit ; Une histoire de dix-huit siècles ; la Vie de Jésus et les vies de Jésus. L’auteur s’y révèle comme un véritable orateur, et la Westminster Beview a pu affirmer à bon droit que, « par la vigueur et la lucidité avec lesquelles toutes les questions sont attaquées, ces discours l’emportent même sur ceux de MM. Colani et Schwartz, sans compter qu’ils abondent en passages d’une éloquence et d’une énergie supérieures. » M. Zaalberg reconnaît que la religion chrétienne est la plus parfaite des religions, mais il n’admet pas de différence entre l’inspiration des prophètes et des écrivains sacrés et celle de tous les docteurs et hommes de bien venus après. Pour lui, la grande question qui domine toutes les autres est celle de l’origine de la religion. « La religion et la connaissance de Dieu descendent du ciel, dit l’ancienne théologie ; non, dit la moderne, la religion et la connaissance de Dieu montent de la terre, et le grand problème du débat de nos jours trouve son point de départ et son foyer dans l’énoncé suivant : Estce par des voies naturelles que dans le cours des siècles notre religion est venue au point où nous la voyons aujourd’hui ? ou bien doitelle son germe et son premier épanouissement k des phénomènes surnaturels, à une intervention, à une œuvre miraculeuse de Dieu ? «C’est ici la question de la révélation ’ qui, aux yeux de bien des gens, aujourd’hui encore sépare la religion de la philosophie,

M. Zaalberg n’hésite pas k se prononcer en faveur de l’origine naturelle de la religion. À ses yeux, il n’y a pas de révélation surnaturelle. Une fois celle-ci écartée, on doit s’attendre à la négation absolue du miracle, et c’est ce que fait aussi M. Zaalberg. Comment admettre des faits qui sont en contradiction flagrante avec les lois immuables et éternelles de la nature et qui ne peuvent s’appuj’er sur aucun témoignage solide ? Aussi repousse-t-il tous les faits qu’on est convenu d’appeler les fondements du christianisme : la conception miraculeuse, la résurrection, l’ascension de Jésus-Christ et le don des langues ? aux apôtres le jour de la Pentecôte. C’est la première fois qu’on s’exprimait avec cette netteté dans un temple chrétien. Ainsi, le jour de l’Ascension, au début de son discours, Zaalberg fit cette déclaration : « Je ne crois pas que Jésus soit monté visiblement de la montagne des Oliviers au ciel, pas plus que je ne puis admettre la résurrection de son corps. » Le jour de la Pentecôte, il commença par rejeter le récit des Actes concernant les langues de feu et le don de parler en langues étrangères.

Les deux sermons qu’il prononça k cette occasion font partie de ce volume ; le premier est intitulé : Du Saint-Esprit et ie second : l’Ascension. Dans ce dernier, il prétend réfuter 1 objection qu’on lui a faite tout naturellement : « Pourquoi célébrer des fêtes

basées sur ca que vous convenez être des contes ou des superstitions ? » Sa réponse est assez embarrassée et cela se conçoit ; M. Zaalberg se retranche derrière la coutume, la tradition de dix-huit siècles et les vieux souvenirs poétiques. En résumé, ces discours, conférences ou sermons, ont de l’intérêt pour ceux qui voudraient prendre rapidement connaissance des problèmes religieux qui s’agitent de nos jours dans les Églises protestantes.

Religion (la), par M. Vacherot (186S), ouvrage philosophique, dans lequel l’auteur a entrepris d’étudier le sentiment religieux dans son essence, en dehors des religions sous lesquelles il s’est manifesté, et essayé d’en formuler les lois générales. « Ce livre n’est ni une œuvre d’érudition ni une œuvre de critique, dit-il dans son avant-propos.... Nous nous proposons simplement d’expliquer, non l’origine des religions, telles que les sciences nous les montrent, mais l’origine même de la religion, en la cherchant dans la nature humaine, par une analyse toute psychologique. Tandis que la science positive

des religions se poursuit depuis le début de ce siècle par une série d’études historiques ; tandis que la philosophie des religions s’essaye par une suite de spéculations abstraites un peu prématurées, il nous a semblé qu’un nouveau point de vue avait été omis ou trop négligé jusqu’ici : c’est la psychologie de l’idée et du sentiment religieux, sans laquelle ni l’historien ni le philosophe ne peuvent bien comprendre des phénomènes qui ont leur racine dans les profondeurs de l’âme humaine. »

La thèse soutenue dans cet important ouvrage peut être résumée ainsi :

1° La religion n’est pas d’origine divine, comme ie veulent les croyants ; elle ne constitue pas une science sacrée descendue du ciel, supérieure à la raison et dont la raison humaine doit être l’humble servante. Il ne faut pas non plu3 la considérer comme une superstition malfaisante, éclose du cerveau

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de quelques visionnaires et entretenue par l’ignorance des peuples. ■ Pour la critique de notre siècle, le problème religieux n’est pas aussi simple qu’il l’était pour la foi des croyants et pour la raison des encyclopédistes. Si elle ne s’arrête pas au mystère d’une révélation divine, elle ne croit pas non plus que tout soit dit quand on a rangé l’institution religieuse parmi les superstitions de l’ignorance ou les rêves de l’imagination. La vertu morale, la grandeur sociale, la longue durée des religions, dont on a dit avec tant de vérité qu’elles sont les nourrices et les institutrices du genre humain, ne permettent pas une pareille fin de non-recevoir à un siècle aussi positif, aussi observateur, aussi disposé k’ s’incliner devant la puissance des faits. •

2° Des trois méthodes applicables à cette étude, la méthode étymologique, la méthode historique ’et la méthode psychologique, la première est sans valeur ; la seconde a le grand mérite de mettre l’esprit en face des choses elles-mêmes, mais elle ne peut que raconter les faits, elle échoue si elle veut les expliquer ; la méthode psychologique seule donnera le dernier mot de la question.

30 Etudiant la marche de l’esprit humain chez l’individu, la psychologie nous* apprend que chaque âge présente des caractères intellectuels particuliers. Dans l’enfance et la jeunesse régnent l’imagination et l’autorité. L’enfant ne réfléchit pas, dans le sens sérieux et profond du mot, c est-a-dire qu’il ne connaît point cet effort de recueillement et de concentration intellectuelle qu’on nomme la méditation. Pour lui, concevoir et voir, croire et savoir, c’est tout un. Il accorde indistinctement le même degré de confiance à tout ce qui s’offre à son esprit aussi avide qu’irréfléchi. Et même, à vrai dire, sa foi est plutôt en raison de l’effet produit sur son imagination que de l’évidence qui éclaire son intelligence. L’éducation préside à la période de jeunesse, comme à la période d’enfance. Le jeune homme, si intelligent qu’il soit, conserve de l’enfance l’instinct de crédulité et d’imitation, tout en l’appliquant k un ordre de faits et d’idées supérieur. Il ne pense pas encore par lui-même et se complaît bien plus k apprendre qu’à réfléchir. À la jeunesse succède l’âge viril de l’intelligence, l’âge de l’entendement pur, de la méthode et’de la science, avec ces traits caractéristiques : la subordination de l’imagination et du sentiment à la raison, le sens critique des idées, le sens positif des choses, l’entière liberté de l’esprit. Ces caractères psychologiques des différents âges se retrouvent dans la vie des peuples et de l’humanité. La religion, chez les individus et chez les peuples, représente la phase d’enfance et de jeunesse intellectuelle, phase dans laquelle les peuples et les individus ne pourraient se fixer que par une sorte d’arrêt de développement. « Ce n’est ni par un sentiment de l’âme, ni par un objet de la pensée que se définit la religion ; c’est par un certain état, sinon un certain âge de l’esprit humain. Et, en effet, l’analogie n’est-elle pas frapfiante entre l’état religieux et cet état intelectuel de l’enfance et de la jeunesse r La religion répond donc à un état transitoire, non à un sentiment permanent de la nature humaine.

4° La religion, n’ayant pas d’objet ni de fonction qui lui soit propre et qui n’appartienne soit à l’art, soit à ta poésie, soit à la morale, soit à la philosophie, soit à la science elle-même, peut se retirer de l’âme pour faire place k la philosophie sans y laisser de vide et sans que ce changement fasse rien perdre à l’humanité. « Le phénomène religieux est tout entier dans une synthèse qui correspond exactement à un certain état psychologique décrit plus haut. La philosophie succédant k la religion, c’est l’analyse qui remplace cette synthèse et qui en conserve tous les objets et toutes les fonctions. Quand donc l’homme perd la foi religieuse en passant de l’enfance et de ia jeunesse k la virilité, il n’est privé pour cela d’aucune de ces satisfactions, puisqu’il les retrouve, sous une forme plus nette, dans les grandes et fortes œuvres de sa maturité. Si l’imagination n’a plus le symbole religieux, elle a le symbole de l’art, plus intelligible et plus transparent. Si le cœur ne peut plus se prendre aux sublimes figures de la légende divine, il lui reste les touchantes ou héroïques figures de la tradition historique. Si l’intelligence n’a plus le prestige redoutable des mystères pour y assurer sa foi, elle a la pure lumière de l’évidence, qui lui fait voir la vérité face à face et dans toute la simplicité de son essence. »

Ces conclusions sont décisives. Le Jemps des religions est passé, ou tout au moins près de se clore ; l’âge de la philosophie et de la science est arrivé. Les peuples se passeront de religion exactement comme sont parvenus k s’en passer les individus dont elle s’e3t définitivement retirée.

Écrit d’un style sobre, à la manière des grands maîtres du xvne siècle, Descartes et Malebranche, le livre de M. Vacherot jette sur toutes les questions qu’il touche une lumineuse clarté.

Religion et socialisme, par P. Paulin (Paris, 186S). Dans cet ouvrage sont traitées les questions les plus intéressantes que puisse soulever le proolème des destinées humaines. L’auteur ne voit dans le matérialisme qu’une l

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réaction contre les enseignements des religions anthropomorphiqu.es ; il nie la personnalité divine ; il renouvelle la thèse cartésienne de l’automatisme des animaux, et la thèse de Pierre Leroux sur la préexistence des âmes et leur perpétuelle renaissance dans l’humanité. Il soutient que notre destinée ne peut consister que dans une succession infinie de vies terrestres, et refuse à la science le droit de donner pour limite à nos espérances les quelques années que doit durer notre vie présente. « Notre conscience, dit-il, nous reproche de mal faire ; mais ne nous reproche-t-elle pas aussi bien souvent d’avoir trop bien fait ? Et lorsque la misère, les souffrances, les calomnies, la haine publique sont tout le prix que le juste recueille de ses vertus, croit-on que la paix de sa conscience suffise toute seule à lui faire un sort bien désirable ? La plus douce consolation du juste dans cette vie, c’est, dit-on, le sentiment de son innocence. Oui, si l’innocent attend sa récompense au delà de la tombe ; autrement, le sentiment de l’injustice dont il est victime peut-il avoir d’autre effet que de le faire mourir de fureur et de rage ? Quand on considère enfin que la même délicatesse de conscience qui fait qu’on est heureux de ses bonnes actions fait aussi qu’on souffre d’une manière particulière de tous les erimes, de toutes les lâchetés, de toutes les turpitudes dont on est témoin, n’est-on pas obligé de reconnaître que la conscience est pour le juste bien moins une source de jouissances qu’une source de douleurs ?... Personne n’oserait dire que rien ne manque actuellement au bonheur de l’homme actuellement méritant ; la question est ainsi résolue : si tout finit avec cette vie, l’ordre moral n’existe pas ; car, comme la justice imparfaite, c’est l’injustice, de même l’ordre moral imparfait, c’est le désordre. »

Nous ferons remarquer que cette démonstration de la vie future basée sur le défaut de proportion qui se manifeste dans la vie présente entre la vertu et le bonheur est en contradiction avec le dogme de la préexistence, tel que l’admettent les religions de l’Inde. Il est clair que si notre condition actuelle résulte des œuvres de nos vies précédentes, le désordre que nous accusons

n’est plus qu’une apparence, et la preuve morale que nous en tirons de la survivance perd toute sa force et toute sa valeur.

Religion, Propriété, Fouille, par Alfred Niiquet (1S69). Cet ouvrage, comme l’indique

  • son titre, contient trois études : la première

sur les principes fondamentaux des religions ; la seconde sur la propriété, le loyer des capitaux, l’héritage ; la troisième sur le mariage et la famille. Nous ne parlerons ici ni de la seconde, où nous remarquons une assez forte critique des doctrines proudhoniennes, ni de la troisième où l’auteur, pour prévenir les accumulations de capitaux résultant de l’héritage et pour remédier à l’excès de population, conclut, comme M. Emile de Girardin, qu’il a le tort de ne pas citer, à la suppression de la paternité légale et au régime maternitaire.

Dans sa première étude, M. Naquet exa . mine, successivement les questions de la certitude, de l’existence de Dieu, du libre arbitre, de l’âme, de la responsabilité morale, du droit et du devoir. En logique, il repousse les jugements nécessaires, unrversels, et ne voit dans les axiomes que « des faits d’expérience très-simples que chacun de nous, depuis le plus grand savant jusqu’au plus grand ignorant, a eu l’occasion d’observer un grand nombre de fois, si bien que, sans nous eu rendre compte, nous finissons par considérer ces faits comme évidents, comme s’imposant directement à notre esprit. » Ainsi, selon notre auteur, c’est l’expérience seule qui nous apprend que le tout est plus grand que la partie, que le contenant est plus grand que le contenu, que la ligne, droite est le plus court chemin d’un point à un autre, etc. «Quelque nombreuses, quelque variées, dit-il, que soient les lignes que vous traciez entre deux points, mesurez-les, et la ligne droite sera toujo’urs la plus courte. •

Après un examen, selon nous, très-superficiel des lois de la connaissance, M. Naquet aborde la critique de l’hypothèse théologique, de l’hypothèse du libre arbitre, de l’hypothèse de l’âme. Il passe d’abord en revue les preuves classiques de l’existence de Dieu et s’efforce d’en établir la faiblesse et la nullité. L’argument de causalité ne prouve rien ; car l’éternité s’imposant à nous comme attribut d’une existence quelconque, il n’y a pas de raison d’accorder cet attribut à Dieu plutôt qu’à la matière ; car, depuis que nous observons, nous constatons que la matière et la force ne se créent ni ne se détruisent ; car l’idée de cause naissant pour nous de ia vue des phénomènes qui se succèdent, toute causa est effet k son tour, et il ne saurait y avoir de cause première, de cause sans cause. L’argumeutde la finalité ne prouve rien ; car les causes finales se ramènent aux conditions d’existence. L’argument tiré des idées nécessaires et absolues ne prouve rien ; d’abord, il n’existe point d’idées de cette espèce ; ensuite, toute vérité est indépendante de l’intelligence qui la possède, que cette intelligence soit humaine ou divine. L’argument tiré de la conception de l’infini ne prouve rien ; car si quelque chose correspond k cette idée d’infini que nous appliquons au nombre, au temps et à l’espace, ce quelque chose est la matière. L’argument tiré du consentement universel et unanime des peuples ne prouve rien ; car l’humanité se transforme et se développe constamment, et, par suite de cette évolution, telle idée qui lui est aujourd’hui familière ne pouvait être comprise d’elle il y a deux mille ans, de même qu’une idée qu un homme trouve facile à comprendre est inaccessible au faible cerveau d’un enfant.

L’hypothèse théiste écartée, nous passons à l’hypothèse du libre arbitre. Celle-ci, selon M. Naquet, n’ « pas plus de fondement que celle-là. La volonté est la résultante de toutes les forces qui agissent sur nous. Elle est fatale, comme toute résultante. Le libre arbitre serait la négation des lois universelles, de l’harmonie universelle. Le libre arbitre est en contradiction avec la loi du progrès. Le libre arbitre suppose absolue et réelle la contingence, qui n est jamais que relative à notre ignorance. Le fatalisme de la science ne doit pas d’ailleurs être confondu avec le fatalisme ancien ; il s’agit de la subordination de la volonté aux motifs, non d’une puissance extérieure, d’un fatum qui nous meut et nous dirige. Le fatalisme moderne ne conduit pas, comme le fatalisme ancien, à l’inaction ; car on ne conçoit ni l’action de l’humanité en dehors de celle des individus, ni l’action de l’individu en dehors du concours des motifs qui la déterminent. M. Naquet cite ces paroles de M. Littré qui établissent admirablement, à ses yeux, fa différence entre le fatalisme ancien et le fatalisme bu déterminisme moderne : • Le fatalisme est déterminant par te dehors, soit que dans l’opinion déiste on le rattache à la toute-puissance divine, soit que dans l’opinion athée on le fasse dépendre de l’arrangement moléculaire… La subordination aux motifs est contraignante dans le dedans ; le type en est dans l’educacation individuelle et sociale, qui diminue le ■poids des motifs inférieurs et augmente ceui des motifs supérieurs. » H serait facile de montrer que cette différence est absolument vaine et illusoire ; que les causes extérieures du fatalisme ancien sont supposées agir sur l’homme par les mobiles intérieurs qu’elles font naître dans son esprit, et que les mobiles intérieurs du déterminisme moderne sont fonctions de l’ensemble des causes extérieures.

L’hypothèse de l’âme ne soutient pas mieux l’examen, selon notre auteur, que celles de Dieu et du libre arbitre. L’argument tiré de l’identité du moi ne prouve rien ; car cette identité, qui n’est pas absolue, s’explique suffisamment par la constance du type orgauicochimique que forme l’encéphale, et par ce fait que les propriétés d’un organe se conservent les mêmes nonobstant le changement molécufaire qui « e cesse de s’y produire. L’argument tiré de l’impossibilité de concevoir la pensée comme une propriété de la matière ne prouve rien ; d’abord parce que l’inconcevabilité, n’ayant de rapports qu avec notre esprit, est sans autorité objective ; ensuite, parce qu’il y a là un préjugé qui vient de l’idée de l’inertie de la matière et qui tombe naturellement avec cette idée. L’argument tiré du sentiment de la justice appelant une autre vie au delà de la tombe pour récompenser la vertu et punir le vice ne prouve rien ; car avec le libre arbitre s’évanouissent et la responsabilité morale, et la distinction du mérite et du démérite, et l’idée de rémunération et de peines ultravitales.

Après avoir détruit tes trois hypothèses sur lesquelles reposent la religion dite naturelle et toutes les religions positives, M. Naquet nous fait connaître les bases qu’il donne à la morale, qui doivent, selon lui, être demandées uniquement à l’expérience-et à la science. Il définit la justice, le droit, le devoir. La justice, dit-il, est l’équation, la balance des libertés. Le droit est le pouvoir d’agir reconnu par la législation. Le devoir est, pour tout être normalement constitué au point de vue moral, la nécessité, l’obligation d’être conséquent, d’être en harmonie avec soimême. La moralité vient des fonctions de sociabilité, des instincts altruistes. La morale a son principe et sa sanction dans l’utilité personnelle ; concrètement, dans l’utilité générale. La morale varie d’une époque à une autre. une action mauvaise aujourd’hui peut avoir été bonne jadis.

Discuter les thèses de M. Naquet nous conduirait trop loin. Nous remarquons que souvent il croit avoir prouvé lorsqu’il s’est borné à affirmer. C’est ainsi qu’il repousse le libre arbitre en l’accusant d’être la négation de la nécessité universelle, de l’harmonie universelle, du progrès nécessaire, et ne se donne nullement la peine d’établir cette nécessité universelle, cette harmonie universelle et ce progrès nécessaire.

L’ouvrage de M. Naquet, bien qu’il fût écrit avec une grande modération de forme et avec le calme d’un philosophe, fut poursuivi et attira sur son auteur une condamnation à quatre mois d’emprisonnement et 500 francs d’amende, pronoueée par les tribunaux de l’Empire.

Religions (la science des), par M. Emile Burnouf (18T2, in-so). L’élude comparative des religions, les vues d’ensemble et les rapprochements que suggère cette étude constituent un immense travail, fécond en résul RELI

tats de toutes sortes ; M. Emile Burnouf a pu l’entreprendre, grâce aux ressources de son érudition ; mais, par suite de sa prédilection pour la philosophie et les religions de l’Inde, par suite aussi des profondes connaissances qu’il a de la littérature sanscrite, il s’est volontairement placé à un point de vue étroit

en assignant à toutes les religions une origine commune dans la doctrine des brahmanes. Cette hypothèse, qu’il s’est efforcé de justifier, mais qui est fausse, l’a forcé de rejeter hors de son cadre, comme n’ayant aucune valeur pour sa thèse, les religions dont il lui était impossible de montrer la filiation avec celles de l’Inde, c’est-à-dire non-seulement les religions des peuples de l’Afrique et de l’Amérique, niais même celles de l’Égypte, des Hébreux et, en général, de toutes les races sémitiques ; il ne parvient même à rattacher le christianisme au brahmanisme qu’à l’aide de déductions subtiles et de suppositions hasardées. Cependant, cette longue et consciencieuse étude n’est pas restée sans fruit ; l’enseignement qui en ressort, c’est que toutes les religions, sans se valoir absolument, ont beaucoup de points de ressemblance ; qu’elles ont les mêmes causes et atteignent les mêmes résultats, et que leurs diversités infinies, très-sensibles à l’observateur superficiel, se fondent facilement si l’on ne tient compte que des principes fondamentaux. En d’autres termes, l’observateur attentif se trouve rapidement engagé à les considérer toutes, non comme autant de faits particuliers, mais comme, les manifestations diverses d’un même fait ; il n’a plus affaire à une infinité de religions, mais a une religion unique, diversement modifiée, suivant

I état de culture intellectuelle et morale des peuples. Ainsi, la science moderne aboutit exactement au résultat dont les Romains avaient l’intuition lorsqu’ils déclaraient que tous les peuples adoraient le même dieu sous des noms différents, ce qui les faisait chercher l’assimilation de leurs divinités propres avec celles des Grecs et des Egyptiens. Ainsi, l’utopie d’une religion universelle basée sur ce que toutes ces religions ont de commun, en dégageant ce fonds commun des pratiques particulières à chaque culte, ne serait pas complètement irréalisable, quoique jusqu’ici tous les efforts tentés dans ce sensaientéchoué. C’est à cette’ idée qu’obéissaient Manès et, plus tard, Akbar le Grand lorsqu’ils tentèrent de fondre en une seule toutes les religions de l’Asie. En tout cas, et quand même la religion universelle ne devruit jamais régner, ce qui est bien probable, il résultera toujours de l’identité théorique des religions, une fois que cette identité sera reconnue et admise par tous, un acheminement vers la tolérance absolue et réciproque de tous les cultes les uns envers lus autres ; ce sera déjà un grand progrès pour la plupart des peuples modernes.

Après avoir démontré les origines des religions et mis à jour leur point de départ uniformément rudimentaire, qui est la reconnaissance d’un être supérieur et la croyance qu’on peut se le rendre favorable par des prières ou des sacrifices, M. E. Burnouf a cherché à établir les lois de développement, de prospérité et de décadence de chacune d’elles.

II n’a pas déployé moins de sagacité dans cette partie de sa tâche. Il montre bien que les religions naissent et grandissent tant que l’idée qu’elles représentent répond aux besoins de leur temps ; mais que, comme toutes les institutions humaines qui acquièrent quelque fixité, elles ne progressent pas en raison du mouvement qui se fait autour et en dehors d’elles ; qu’après avoir été un élément de progrès, elles ne sont bientôt plus en harmonie avec la culture intellectuelle qu’et les avaient elles-mêmes suscitée, et qu’alors elles tombent dans le discrédit et dépérissent. « Ces lois, remarque M. Emile Burnouf, ne s’écartent en rien des lois générales du monde • elles n’en sont que l’application à un ordre spécial de phénomènes. Il n’y a ni à les louer ni à les blâmer ; elles sont ce qu’elles sont et l’humanité leur obéit d’instinct, sans le vouloir et sans pouvoir s’y soustraire. Quand un homme ou quand un peuple se sépare d’une orthodoxie, il accomplit sa loi ; s’il y restait attaché lorsque sa raison lui dit qu’il, se trompe, il mentirait à lui-même et aux autres. C’est pour cela que les persécutions sont aussi stériles que criminelles et que les martyrs ont toujours eu raison de leurs bourreaux. ■

Religion romaine (la), par M, Gaston Boissier (1S74, 2 vol. in-8o). C’est de la religion des Romains, d’Auguste aux Antonins, qu’il est question dans cette longue et consciencieuse étude. Le champ était vaste et prêtait à toutes sortes de digressions historiques, d’aperçus politiques, de tableaux de mœurs ; l’auteur s’y est trouvé à l’aise et il a su faire de l’érudition sans pédantisme.

M. Boissier s’est appliqué à montrer combien la religion différait chez les Romains de Ce qu’elle est chez les peuples modernes, et c’est surtout en cela que l’étude de ce rameau du polythéisme antique offre de l’intérêt. Cette religion, absolument réduitéau culte, dénuée de dogmes, dégagée même des éléments mythiques et du merveilleux que les Grecs avaient fait épanouir autour d’elle, exercée par de simples citoyens, comme une magistrature ordinaire, ne répond en aucune

RELI

façon aux idées que se font de la religion les sociétés actuelles et aux besoins que le sentiment religieux est réputé satisfaire., Dans ce culte tout extérieur, mêlé à la vie civile et politique de tout un peuple, il ne peut être question ni de mysticisme, ni d’élan des intelligences vers l’infini, ni de discussions subtiles sur des mystères impénétrables ; les dieux sont des abstractions ; le prêtre n’a rien à enseigner, puisqu’il n’y a pas de dogme ; les prescriptions ne sont que d’ordre public et d’ordre moral ; elles n atteignent pas la conscience et constituent seulement une sorte de loi supérieure à la loi civile. « Les dieux romains, dit M. Nefftaer, étaient, si l’on peut dire, les magistrats surnaturels de la republique. À ce titre, ils réclamaient un culte, et ce culte était assidu et minutieux. Il ne déprimait, n’élevait ni ne tourmentait lésâmes ; mais il les maintenait en enlaçant, comme dit M, Boissier, la vie entière dans une série de pratiques rigoureuses ; il était une règle, il constituait une discipline religieuse.qui s’ajoutait à la discipline des lois et des "mœurs et la complétait. Certains faits que la loi n’atteignait pas, par exemple certains abus de la puissance conjugale et paternelle, étaient dévolus à la malédiction des dieux, et, durant les premiers siècles de la république, la religieuse horreur de ce châtiment purement moral fut un frein suffisant. >

Le sort d’une religion ainsi basée suit naturellement celui du peuple pour lequel elle est faite, et son histoire se lie à celle de ce peuple sans pouvoir s’en détacher. Les vicissitudes du christianisme sont indépendantes des nations qui l’ont adopté ; on pourrait en écrire l’histoire, au point de vue du déve—’ loppement des croyances, des dogmes, des hérésies, des sectes, en ne tenant qu’un compte fort modéré du théâtre même de ces développements. Il ne peut en être ainsi pour le polythéisme romain. On le voit s’agrandir et se transformer au contact des annexions successives opérées par la conquête du monde ; son panthéon augmente d’habitants dès qu’un nouveau peuple est subjugué. Alors, la religion forte et grave des premiers siècles de la république est submergée par les cultes obscènes et sanglants venus de l’Asie et qui ont conquis droit de cité à Rome. L’ancien culte tombe dans le discrédit, au profit des superstitions nouvelles qui surexcitent une curiosité maladive, par leurs pratiques mystérieuses et leurs orgies ; en même temps, la philosophie grecque pénètre dans les écoles et conduit au scepticisme les intelligences éclairées. Ce moment critique du culte romain et la restauration, par les empereurs, des vieilles cérémonies tombées en désuétude ont fourni à M. Boissier le sujet de belles études de mœurs ; sur la foi des inscriptions tumulaires qu’il a relevées en grand nombre dans les recueils spéciaux, il prétend nous donner du monde romain à cette époque une idée supérieure à celle que l’on se fait d’ordinaire à l’aide de Pétrone, de Tacite et de Juvénal ; mais peut-être cette confiance dans la sincérité des épitaphes est-elle sujette à caution. Quoi qu’il en soit, il a fort bien traité cette partie intéressante de sa tâche et, sans qu’il appuie plus qu’il n’était dans son sujet sur les origines du christianisme, il montre bien avec quelle facilité un culte nouveau, en partie mystérieux, en partie austère, a pu prendre naissance et se développer au milieu d’une décomposition, morale, civile et religieuse, telle que le monde en a rarement offert d’exemple.

Religion chrétienne {INSTITUTION DE LA),

ouvrage de Calvin. V. institution.

Religions <Io l’antiquité (LES), par M. Guigniaut. V. Symbolique et mythologie des peuples de l’antiquité, par Creuzer.

Religion chrétienne (EXAMEN CRITIQUE CES

doctrines de la), par Patrice Larroque. V.

EXAMEN CRITIQUE.

Religion chrétienne (MÉDITATIONS SUR L’ESsence de la), ouvrage de M. Guizot. V. méditations.