Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/THOU (Jacques-Auguste DE), célèbre historien et magistrat français

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 1p. 160-161).

THOU (Jacques-Auguste de), célèbre historien et magistrat français, né à Paris le 8 octobre 1553, mort dans la même ville en 1617. Il était fils de Christophe de Thou, premier président du parlement de Paris, eut pour précepteurs les meilleurs maîtres de son temps et poursuivit ses études dans les diverses universités du royaume ; il alla jusqu’à Valence, en Dauphiné, pour y suivre les leçons de Cujas, qui y professait le droit en 1571. Revenu à Paris, il y assista au mariage de Henri de Navarre avec Marguerite de Valois et à la Saint-Barthélemy, odieux massacre qui laissa dans son esprit des traces ineffaçables et le disposa à la tolérance religieuse, qui fut une des maximes de toute sa vie. Sa famille le destinait à l’état ecclésiastique et le plaça, en 1572, auprès de son oncle, Nicolas de Thou, alors chanoine de Notre-Dame, et qui fut peu après appelé à l’évêché de Chartres. Il accompagna ensuite Paul de Foix en Italie et visita Florence, Padoue, Bologne, Naples, moins en touriste qu’en étudiant, car, s’attachant principalement aux villes qui possédaient des universités célèbres, il s’y mettait en rapport avec les maîtres dont les travaux inauguraient la renaissance des lettres et des sciences. À son retour en France, il fut pourvu par son père d’une charge de conseiller clerc au parlement de Paris (1576), puis envoyé pour négocier une entente avec les chefs du parti protestant, réunis à Bordeaux (1581). C’est là qu’il connut Montaigne, alors maire de la ville. Cette mission remplie, ne se sentant pas de vocation ecclésiastique, il résigna ses bénéfices et fut nommé maître des requêtes au parlement (1586). L’année suivante, il obtint la survivance d’un de ses oncles, président à mortier, et se maria. Les guerres de religion désolaient alors la France. Henri III venait d’être forcé de quitter Paris, à la journée des Barricades. Le roi chargea de Thou de lui préparer un asile en Normandie, projet auquel il ne fut pas donné suite, mais qui n’en valut pas moins à de Thou le brevet de conseiller d’État (1588). Il accompagna en cette qualité Henri III aux états généraux de Blois, mais n’assista pas à l’assassinat du duc de Guise ; six jours auparavant, le roi l’avait envoyé à Paris, chargé d’une mission secrète qu’il eut beaucoup de peine à remplir, la nouvelle de la mort de Guise, arrivée presque en même temps que lui, ayant violemment soulevé la capitale. Il fut ensuite chargé, avec Schomberg et Duplessis-Mornay, de négocier l’accord du roi de France avec le roi de Navarre, puis il alla solliciter, en Allemagne et en Italie, des secours d’hommes et d’argent pour Henri III. Ce fut à Venise qu’il apprit la mort de ce prince, et il accourut aussitôt auprès de Henri IV, qui lui témoigna la même confiance que son prédécesseur. Toujours au premier rang, avec Sully, parmi les conseillers du monarque, il négocia, en 1594, le raccommodement du jeune duc de Guise avec la cour, figura aux conférences de Loudun et eut enfin l’honneur de rédiger les articles du célèbre édit de Nantes, qui opéra la pacification du royaume (1598). En 1600, il assista, en qualité de commissaire, à la conférence de Fontainebleau et y défendit avec force les libertés de l’Église gallicane, déjà attaquée, pour complaire au pape, par une partie du clergé. En 1616, il négocia encore le traité de Loudun, conclu entre le prince de Condé et la régente, Marie de Médicis. Ce fut son dernier acte politique.

Depuis 1595, il était président à mortier et il espérait être appelé, à la mort d’Achille de Harlay, au poste de premier président. Après la mort de Henri IV, Marie de Médicis le combla d’égards et, voulant éloigner Sully, partagea le maniement des finances entre trois contrôleurs, de Thou, Châteauneuf et Jeannin. Il accepta ces fonctions, quoiqu’elles fussent peu compatibles avec ses goûts et ses connaissances, mais il ressentit un vif dépit de ce que, le poste de premier président étant devenu vacant en 1611, la régente y nomma Nicolas de Verdun ; il se plongea dès lors plus que jamais dans ses études favorites, que l’activité de sa vie comme magistrat et comme diplomate ne lui avait jamais fait abandonner. C’est en 1591 qu’il avait commencé d’écrire, sous le titre d’Histoire de mon temps, une des plus vastes compositions historiques qu’on eût jusqu’alors entreprises. Il en publia les dix-huit premiers livres en 1604, et les idées de tolérance qu’il y exprimait soulevèrent contre lui de telles clameurs de la part du clergé, qu’il fut sur le point de renoncer à l’achèvement de son ouvrage. Henri IV ne put pas même le défendre des censures de la cour de Rome. L’Histoire de mon temps fut mise à l’index en 1609, et, ce qu’il y a de curieux, c’est que dans le même catalogue, publié en cette année, des livres abominables dont la lecture est éminemment corruptrice figure l’arrêt du parlement qui condamnait le régicide Jean Chàtel. Sous la régence, il se remit à son grand ouvrage, qu’il voulait pousser jusqu’à la mort de Henri IV ; mais il s’interrompit une seconde fois pour écrire ses Mémoires ; l’Histoire de mon temps fut achevée par un de ses amis, Nicolas Rigault. De Thou a laissé, en outre, un recueil de poésies latines, œuvre de sa jeunesse : Metaphrasis poetica librorum sacrorum aliquot (Tours, 1588, in-12) et Poemata sacra (Paris, 1599, in-12) ; c’est le même recueil sous deux titres ; il contient quelques paraphrases des Psaumes ; des odes, dont deux, l’Ode à la Postérité et l’Ode à la Vérité, sont fort remarquables, et un petit poème intitulé : Hieracosophion sive De re accipitraria.

L’Histoire de mon temps, écrite en latin, porte le titre de J.-A. Thuani historiarum sui temporis pars prima (Paris, 1604, in-fol.) ; la seconde partie (1560-1572) parut en 1606, la troisième (1572-1574) en 1607, la quatrième (1574-1584) en 1608 ; les derniers livres (1584-1607) furent achevés après sa mort, d’après ses Mémoires, par Rigault et Dupuy (1620, 5 vol. in-fol.). Les Mémoires, également en latin et rédigés en partie par de Thou, en partie par Riault sur ses notes et manuscrits, sont insérés à la fin de ces cinq volumes et parurent séparément un siècle après (1711, in-4o). Les Œuvres complètes de de Thou ont paru grâce aux soins de deux Anglais, Samuel Buckley et Thomas Carte, qui en ont donné une excellente édition (Londres, 1733, 7 vol. in-fol.). C’est sur cette édition que fut faite la traduction de Desfontaines et Lebeau (1734, 16 vol. in-4o). Les Mémoires ont été séparément traduits en français dans la Collection des mémoires pour servir à l’histoire de France, de Petitot et Michaud.