Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/TRISTAN L’HERMITE (François), poète dramatique français

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 2p. 519-520).

TRISTAN L’HERMITE (François), poète dramatique français, né au château de Souliers ou Soliers, dans la Marche, en 1601 ; mort à Paris en 1655. Il prétendait descendre de Pierre l’Hermite, qui, comme on sait, prêcha la première croisade, et de Tristan l’Hermite, grand prévôt du roi Louis XI. François Tristan fut, dans son enfance, conduit à la cour et placé auprès du marquis de Verneuil, bâtard de Henri IV. À treize ans, s’étant pris de querelle avec un garde du corps, il eut le malheur de le tuer en duel et s’enfuit à l’étranger, car les édits du temps étaient d’une extrême sévérité à l’égard des duellistes. Le jeune homme passa en Angleterre, où il ne trouva que la pauvreté. Las d’une vie précaire, il résolut de se rendre en Espagne, où se trouvait un de ses parents ; mais, en traversant le Poitou, l’argent vint à lui manquer complètement et il dut accepter les bienfaits de Scévole de Sainte-Marthe, qui le garda plus d’un an chez lui. Grâce à ce dernier, Tristan devint secrétaire du marquis de Villars-Montpezat, qu’il suivit à Bordeaux, où la cour était de passage (1620). Ce fut là que, par le crédit de M. d’Humières, gentilhomme de la chambre du roi, Tristan rentra en grâce et put revenir à Paris. Il y fut attaché, en qualité de gentilhomme, à Gaston, duc d’Orléans, et il employa ses loisirs à rimer des madrigaux et à travailler pour le théâtre. Grâce à l’excellent acteur Mondory, sa tragédie de Marianne (ou Mariamne) eut un succès éclatant (1637). Pourtant cette pièce, dont Corneille estimait le cinquième acte, indique l’enfance de l’art et ne pourrait supporter aujourd’hui la représentation ; mais elle réussit, et d’autres ouvrages de Tristan, qui la suivirent, eurent presque autant de vogue. Dès lors, la réputation de l’auteur fut solidement établie, et, en 1649, il hérita, à l’Académie française, du fauteuil qu’occupait La Ménardière. Tristan était un joueur forcené. Il lui arriva de perdre mille pistoles dans une soirée ; de là de grands embarras, des gênes momentanées et, parfois, un débraillé qui ont fait croire à tort qu’il n’avait ni sou ni maille. Jamais le duc d’Orléans, son maître, ni le cardinal de Richelieu, qui pourtant protégea tant de médiocrités, ne lui firent aucun bien. Ce dernier nourrissait probablement de secrets sentiments de jalousie, et ce qui le prouverait, c’est que Tristan n’arriva à l’Académie qu’après la mort de l’Éminence.

Cependant, le poète n’avait pas manqué de célébrer le grand ministre dans quelques stances, dont une au moins est assez belle :

Votre esprit agissant et fort
          Ne doit point aux erreurs du sort
          Son autorité non commune ;
Et l’habit éclatant dont vous êtes vêtu
N’est pas un de ces biens que jette la fortune,
Mais c’est un de ces biens que donne la vertu.

Vertu n’est peut-être pas le mot propre, appliqué au fameux cardinal, mais « que jette la fortune » est une expression juste et bien frappée.

Tristan se prit d’une vive amitié pour le poëte Quinault, dont les débuts furent difficiles ; il le logea dans sa maison, le fit manger à sa table et l’aida à lancer ses premiers essais.

Quinault s’essaya par une pièce intitulée les Rivales ; mais comment la faire accepter des comédiens ? L’officieux Tristan imagina de la présenter comme sienne ; mais, par malheur, la mèche fut éventée et les comédiens, qui avaient promis cent écus, ne voulurent plus donner que la moitié de cette somme. Après discussion, on tomba d’accord et on convint que l’auteur serait payé au prorata de la recette. Jamais pareil arrangement n’avait été pris jusqu’alors, et ceci est bon à noter.

Tristan l’Hermite, qui mourut poitrinaire à l’hôtel de Guise et fut enterré à Saint-Jean en-Grève, avait légué une somme importante à son ami Quinault, et celui-ci, grâce à ce bienfait, put acheter une place de valet de chambre du roi.

Les petites pièces de vers de Tristan l’Ermite, qu’on trouve dans les recueils de Barbin, de Bruzan de La Martinière et ailleurs, sont loin d’être irréprochables. Tout lecteur de goût les trouve négligées, incorrectes et souvent prétentieuses et emphatiques. Toutefois, quelques-unes ne sont pas sans mérite. Pour en donner une idée, nous en citerons deux, une épigramme et un sonnet. Voici l’épigramme :

Duport à l’aimer me convie
       Et proteste assez hautement
       Que, pour prendre soin de ma vie,
       Il m’a mis dans son testament.
       Mais je me trouve, sur mon livre,
       Plus vieux de quinze ans que Duport.
       Oh ! que j’aurai de bien pour vivre,
       Quinze ou vingt ans après ma mort !

Finissons par ce sonnet burlesque, très-réussi sur l’Enlèvement d’Europe :

Europe, s’appuyant d’une main sur la croupe,
Et se tenant, de l’autre, aux cornes du taureau
Regardoit le rivage et réclamoit sa troupe
Qui s’affligeoit de voir cet accident nouveau.

Tandis, l’amoureux dieu, qui brusloit dedans l’eau.
Fend son jaspe liquide et de ses pieds le coupe
Aussi légèrement que peut faire un vaisseau
Qui le vent favorable a droitement en poupe.

Mais Neptune, envieux de ce ravissement,
Disoit par mocquerie à ce lascif amant

Dont l’impudique ardeur n’a jamais eu de bornes :
« Inconstant qu’un sujet ne sçauroit arrester,
Puisque malgré Junon tu veux avoir des cornes,
Que ne se résout-elle à t’en faire porter ? »

L’imagination n’est-elle pas des plus drolatiques ? Scarron n’eût pu, en ce genre, faire mieux. Ici Tristan l’a égalé en bouffonnerie.

Voici l’indication des ouvrages dramatiques et autres de François Tristan l’Hermite : Marianne, tragédie (1637, in-4o) ; Penthée (1639, in-4o) ; la Mort de Sénèque (1645, in-4o) ; la Mort de Crispe (1645, in-4o) ; Osman (1656, in-12) ; la Folie du sage, tragi-comédie (1645, in-4o) ; Amaryllis, pastorale (1653, in-4o) ; le Parasite, comédie (1654, in-4o) ; Marianne eut trois éditions et fut retouchée par J.-B. Rousseau en 1731. Tristan a donné des recueils de vers, qui sont : les Amours (publié d’abord sous ce titre : Plaintes d’Acante, etc., 1634, in-4o) ; la Lyre l’Orphée et Mélanges poétiques (1641, in-4o) ; Vers héroïques (1648, in-4o) ; Lettres mêlées (1642, in-8o) ; Plaidoyers historiques ou Discours de controverse (1640 ou 1650), dont on croit que Tristan ne fut que l’éditeur ; le Page disgracié (1643, in-8o, 1665 ou 1667, 2 vol, in-12), récit des aventures et voyages de jeunesse de l’auteur, qui n’a pas eu à faire de grands frais d’imagination, et s’est borné à recueillir ses souvenirs ou à rassembler ses notes ; les Heures de la sainte Vierge (1653, in-12), en vers et en prose. Il a fait des vers passables à la louange de Balzac et on lui attribue divers autres travaux.