Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/VILLEMESSANT (Jean-Hippolyte-Auguste DELAUNAY DE), journaliste français

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 3p. 1056-1057).

VILLEMESSANT (Jean-Hippolyte-Auguste Delaunay de), journaliste français, né à Rouen le 22 avril 1812. Comme il nous l’a appris lui-même dans un retentissant procès en revendication du nom de sa mère, il naquit des secrètes amours de Mlle Augustine de Villemessant et du colonel Cartier. Il porta pendant assez longtemps le nom de son père, reçut une instruction des plus négligées et se maria en 1830. Quelque temps après, sous le nom de Cartier-Briard, il fit le commerce de rubans à Blois ; mais la fortune fut loin de lui sourire, et il se vit contraint de faire faillite le 25 juin 1835. Après avoir habité Tours et Nantes, il se rendit, en 1839, à Paris. Actif, audacieux, entreprenant, il eut l’idée de chercher des ressources dans le VILL

journalisme. Il fonda, en 1840, la Sylphide, journal de modes ; puis il afferma le feuilleton de modes de la Presse, qu’il rédigea sous le nom de Louise de Snini-Loiip, que portait sa grand’mère. Jean-Buptiste Cartier de Villemessant, ainsi qu’il se faisait appeler alors, ne réussit point dans ses entreprises. Le 27 mai 1844, le tribunal de commerce de la Seine le déclara de nouveau en état de faillite. Toutefois, il ne se découragea point et continua à courir après la fortune. À cette époque, il se lia avec divers membres du parti légitimiste, dont, à diverses reprises depuis lors, il s’est proclamé un des plus fervents champions. Après la révolution de 1848, M. de Villemessant se fit journaliste satirique. Il fonda successivement le Lampiou, qui disparut k la suite d’une condamnation ; la Bouche de fer et la Chronique de Paru (1er janvier 1850). Dans ces feuilles, il fit une guerre acharnée h la République et aux républicains, se servant de toutes les armes, surtout de la calomnie. Armand Marrast, notamment, fut la victime de ses inventions les plus saugrenues et les plus odieusement cruelles. La Chronique, feuille légitimiste, fut supprimée quelques mois après le coup d’État, en juin 1852. L’Empire, avec son écrasant despotisme, avait imposé silence aux journaux politiques qu’il avait épargnés et qui moutruient quelque velléité d’indépendance. L’esprit public, faute d’élément

viril, était tombé dans une énervante apathie, qui devuit amener cet abaissement des caractères et des esprits dont le second Empire a donné le honteux spectacle. Ce fut alors que M. de Villemessant eut l’idée de créer un journal à la hauteur de l’esprit public. Au mois d’avril 1854, il ressuscita lo Fiyaro. Sous sa direction, ce journal dit littéraire devint, dit un écrivain, i le grand nouvelliste officiel des scandales parisiens, écoutant aux portes, surprenant les secrets, chuchotant les indiscrétions, racontant le demi-monde aux gens du monde, donnant à la plus petite intrigue de coulisse l’importance d’un événement politique et épuisant ainsi, en misérables niaiseries, tout effort sérieux de pensée. » Le gouvernement fut

charmé de trouver dans ce journal un dérivatif, empêchant la France de s’ennuyer, servant d’instrument de règne, et où l’on trouvait de quotidiennes insultes aux idées et aux hommes restés debout devant le eésarisine. M. de Villemessant, trouvant dans le pouvoir un secret appui, alla de l’avant avec sa fougue habituelle. Cumme il possédait, selon 1 expression de M. Taxile Delord, toutes les qualités nécessaires pour ce nouveau genre de journalisme, • l’audace, l’expérience, le frotiémeut de la vie de Paris et pas de scrupule, » il obtint un succès complet. Nul mieux que lui ne sut, dans un journal à la fois léjjer et gouailleur, futile et violent, flatter les vices du public, l’amuser par de simples commérages au début, puis mêler peu à peu à la p.queue des premiers temps quelques gouttes de vinaigre et de. fiel, et corser chaque jour davantage sa boisson, à mesure que le palais de ses clients s’emoussait. Ne reculant devant aucun scandale, le Figaro fut fréquemment poursuivi eu diffamation et « menace de périr étouffé entre deux procès -, mais «souple, insinuant, dit M. T. Delord, sachant s’humilier à propos, frappant à toutes les portes, profitant de toutes les occasions, il parvenait à se sauver ; le Figaro, sur le point d’être supprimé, parvint à se glisser aux Tuileries et à déposer dans le berceau du prince impérial une demande en grâce qui lui fut accordée. » À la suite du duel d’un de ses principaux rédacteurs, M. Henri de Pêne, avec un officier (isô8), M. de Villemessaut quitta momentanément le Fiyaro, dont il laissa la direction à son gendre, M. Jouvin, et à M. Villemot ; mais, peu de temps après, il rovenait au journal dont il était l’âme et où il savait s’entourer d’un personnel, fréquemment renouvelé, do jeunes écrivains, qui trouvaient en lui un professeur émérite de persitlage et de blague. À ce métier, M. de Villemessant gagna beaucoup d’argent, car le tirage du Figaro, d’abord hebdomadaire, puis bihebdomadaire, augmentait sans cesse ; mais eu même temps il s’attirait plus d’une méchante alï’aire. Il fut l’objet de nombreuses provocations, eut des duels avec MM. Vieyra, de Martonis, Gustave Naquet et fut l’objet d’une violente agression de la part du député Henri Didier qui, a la suite d’un article du Figaro, frappa M. de Villemessant chez lui, k coups de canne plombée (mars 1863). Au mois de janvier de cette înéuie année, il revendiqua le nom de sa mère dans une action judiciaire qui fit grand bruit. Tout en continuant à diriger le Fiyaro, il fonda diverses autres publications qu’il lança avec son habileté ordinaire : le Figura-programme ; la Gazette de Paris ; lu Gazette rose ; le Grand Journal, qui devint peu après lePurisAiagasine ; l’Autographe, recueil de fac-similé ; la Gazette des abonnés, donnée gratuitement aux abonnés du Figaro ; l’Evénement, journal littéraire quotidien a 10 centimes (novembre 1865). Ce journal ayant été supprimé en 1866 pour avoir discuté le droit des pauvres, M. de Villemessant le remplaça par leFigaro, devenu quotidien. À cette époque, l’esprit public tournait décidément à une opposition accentuée contre l’Empire. Toujours prompt à. flairer le vent, M. de Villemessant laissa ses

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rédacteurs, notamment Henri Rochefort, commencer une guerre d’épigrammes contre des hommes et des choses que, jusqu’alors, on méprisait tout bas. Entraîné dans cette voie, M. de Villemessant dut transformer, en octobre 1867, le Figaro en journal politique ; toutefois, i ! fit paraître un Petit Figaro littéraire, qui se tint à l’écart de la’politique et continua la tradition de l’ancien. Le Figaro politique de M. de Villemessant eut un succès énorme ; mais la gouvernement s’émut de son caractère de plus en plus agressif, qui attira au journal de nouveaux procès. Par ordre, M. de Villemessant dut éloigner de sa rédaction Henri Rochefort. M. Jules Richard, dont les attaches gouvernementales n’étaient point alors connues, fut chargé de la rédaction politique. Un rapport sur la presse, publié dans la collection des Papiers trouvés aux Tuileries, apprit plus tard qu’un accord avait été conclu entre le gouvernement et le Figaro, • en donnant satisfaction à quelques intérêts ou à quelques besoins personnels, i — « Cet accord, dont le ministre lui-même a suivi et dirigé toutes les phases, dit le rapport, promet de donner des résultats utiles. Il a été, comme le sait Son Excellence, une des préoccupations importantes du service, et 1 attitude des écrivains qui rédigent ce journal est telle qu’il étaità peine permis de l’espérer. » M. de Villemessant, tout en fondant, en octobre 1868, le Diable à quatre, pamphlet hebdomadaire dont il rédigea quelques numéros, laissa M. Jules Richard donner au Figaro une couleur de plus en plus agréable au gouvernement, soutenir la politique de M, Emile Ollivier et diffamer M. Thiers lorsque cet homme d’État protesta contre la guerre de Prusse. La guerre et les événements qui suivirent, en modifiant l’esprit public, en faisant renaître le goût des discussions viriles, ne permirent plus k M. de Villemessant et à son journal déjouer qu’un rôle heureusement très-secondaire. Il fit de sa feuille une feuille réactionnaire soi-disant conservatrice, dévote et légitimiste à la première page ; folâtre, badine et cancanière dans les deux autres. Il recommença sa guerre de calomnies contre les républicains, alla préseuter ses hommages au comte de Chambord et lui offrit le trône de France. Entre temps, pour attirer sur son journal l’attention publique, il publiait quelques numéros excentriques, comme cela lui était fréquemment arrivé sous l’Empire. En 1872, il annonça qu’il venait de vendre son journal aux radicaux pour un prix considérable. On le crut, et M. de Villemessant, tout fier de ce beau tour, ne remarqua même pas que le succès de la surprise venait de ce que tout Paris l’avait cru parfaitement capable de conclure ce marché. Le 2 avril 1872, il fut condamné à un mois de prison et 3,000 francs d’amende comme ayant fait outrager dans son journal le général Trochu par M. Vitu, bonapartiste. Après l’élection Bai’odut, il annonça qu’il quittait à jamais la journalisme et qu’il mettait en vente sa part de propriété du Figaro (avril 1873). Il va sans dire qu’il n’en lit rien. Après la chute de M. Tliiers, il s’enfonça de plus en plus dans la réaction et fit une campagne eu faveur de la restauration monarchique. Trouvant que les choses traînaient en longueur, il partit en octobre 1873 pour Vienne, ne doutant point qu’une démarche de lui auprèsdu comte de Chambord n’eût pour effet immédiat de précipiter l’arrivée de son prince sur le trône de ses pères. Mais il arriva au moment où le comte de Chambord venait d’écrire la lettre qui le rendait définitivement impossible. «Vous devez comprendre, écrivit-il à son cher Eyma, si je suis atterré ; mais n’oublions pas que le Figaro est non-seulement royaliste, mais conservateur.» Pour montrer combien il était conservateur, il se tourna vers la dictature. Deux articles dans lesquels son journal préconisait un coup d’État et poussait le maréchal Mac-Mahon à en faire un provoquèrent une vive indignation dans une partie de l’Assemblée nationale, et par ordre du ministère le gouverneur de Paris suspendit le Figaro pour quinze jours (Il juillet 1874). Depuis lors, M. de Villemessant a traversé, selon son »ixpression, ■ un moment douloureux pour les nouvellistes, à Accusé par M. Veuillot d’être tiède a l’endroit du comte de Chambord, il protesta de son dévouement inaltérable envers le dernier représentant du droit divin, mais s’attira, en avril 1875, delà part du journal monarchique l’Union, cette vive réplique : • Le royalisme de M. de Villemessant est une grosse caisse dont le vide a fait parfois la sonorité ; mais elle est trouée, et les vieilles baguettes du Figaro ne savent plus battre les airs de sa jeunesse. Nous n’essayerons pas de faire croire que M. de Villemessant n est pas roya

  • j liste ; nous le défions de faire croire qu’il lest

encore. ! En mai 1875, M. de Villemessant a obtenu de la cour de Paris un arrêt constatant qu’il a désintéressé ses anciens créanciers, et qui le réhabilite des faillites faites par lui en 1835 et en 1844. M. de Villemessant n’est ni un lettré ni un écrivain de race ; mais il a de la verve et un certain esprit gouailleur qui fait de lui le Gaudissart du journalisme. Indépendamment d’un grand nombre

d’articles publiés soit sous son nom, soit sous divers pseudonymes, Jean, Jeun-Jean, etc., il a publié "les Cancans, petit album de la Chronique de Paris ; M. le comte de Cham-

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bord et la France à Wiesbaden (1850, in-S*) et Mémoires d’un journaliste, dont il a commencé la publication dans l’Événement et qui ont parudepuis en volumes (1867-1874,4 vol.).