Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Vendée (GUERRES DE LA)

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 3p. 840-841).

Vendée (guerres de la). Dans la seconde moitié de 1792, au début des grandes guerres de la liberté, après Valmy, après la proclamation de la République, au moment où les peuples se donnaient à la France, où la Savoie réclamait avec enthousiasme son annexion, où Nice et les villes du Rhin ouvraient leurs portes, où nos soldats apparaissaient aux opprimés comme des libérateurs, un seul pays fit exception ; un peuple aveugle et égaré se leva contre la France, sa patrie, contre la Révolution, sa bienfaitrice et sa mère ; cette race étrange, dont le nom allait devenir si fameux, avait manifesté déjà sa fureur insensée par des soulèvements partiels ; elle éclata d’une manière formidable et avec plus d’ensemble au moment où les émigrés ouvraient à l’ennemi nos frontières de l’Est, le 24 et le 25 août 1792, précisément le jour où la Révolution, dans sa partialité généreuse envers le paysan, abolissait définitivement les droits féodaux et censuels sans indemnité.

Cette révolte fut plus encore une guerre de prêtres qu’une guerre de nobles. La constitution civile du clergé, le serment civique imposé aux prêtres, les mesures de répression nécessaire prises contre eux par suite de leur attitude factieuse provoquèrent les premières résistances. Mais la vraie cause, c’est que le clergé n’avait pu se résigner à la perte de ses injustes privilèges et à la sécularisation de ses biens. On lui avait donné cependant un budget énorme (77,000,000, qui feraient le double aujourd’hui). Le clergé inférieur lui-même, que la Révolution avait affranchi de la servitude épiscopale et auquel elle donnait un traitement fixe et assuré, suivit ses chefs et devint l’instrument le plus actif de la contre-révolution, le plus efficace pour surexciter les passions basses, rallumer le fanatisme et armer contre la cause populaire le peuple même, les classes rurales, c’est-à-dire la démocratie contre la démocratie.

Pendant que les princes et les chefs des émigrés agissaient auprès des souverains étrangers pour les déterminer à une invasion et que la reine et sa faction intriguaient dans le même sens, le clergé travaillait sur place, essayait de tirer la contre-révolution des entrailles mêmes du pays, exploitait l’ignorance, répandait partout le mensonge et la calomnie et préparait la guerre civile par des prédications et des pamphlets. Sa tactique enfin était de soulever contre la Révolution ceux-là mêmes qui étaient affranchis par elle ; calcul profond, et plus perfide encore que ceux de l’aristocratie, qui d’abord ne songeait guère qu’à l’étranger. Il est vrai qu’on devait naturellement et presque aussitôt songer à fondre les deux systèmes, à les associer par une action commune, enfin à attaquer la France nouvelle par la guerre étrangère et par la guerre civile.

Il y eut des troubles nombreux dans diverses parties de la France ; mais nous n’avons à nous occuper ici que des contrées de l’Ouest. Nous présenterons un résumé succinct de cette longue et terrible insurrection, en tenant compte naturellement des détails que nous avons donnés dans une foule d’articles spéciaux, biographies, batailles, combats, etc., et auxquels le lecteur peut se reporter pour les développements.

Les résistances, avons-nous dit, commencèrent de bonne heure. Il fallut néanmoins du temps et de la persévérance pour réveiller le fanatisme, mettre la France en feu, diviser les familles, allumer la grande guerre, les épouvantables tragédies de la Vendée et du Midi. Mais on sait, par l’expérience de l’histoire, avec quelle science consommée, avec quelle ténacité implacable les hommes voués par état à la paix savent préparer, attiser la guerre, dont personnellement ils ont en général peu à souffrir. Cette campagne antinationale fut conduite avec une entente admirable. Les femmes y jouèrent un rôle singulièrement actif. Outre la propagande continuelle du foyer, les lamentations sur le sort des bons prêtres, les anathèmes contre ceux qui prêtaient le serment constitutionnel, elles agirent de leur personne dans beaucoup de localités et chassèrent avec violence de leurs églises les curés constitutionnels. Quelques-uns même furent tués. La garde nationale des villes réprima quantité de ces troubles, qui éclatèrent soit en Bretagne, soit en Poitou et en Vendée ; mais ils renaissaient fréquemment sur tous les points.

Dès la fin de 1791, un aventurier royaliste, agent des princes émigrés, le marquis de La Rouarie, avait organisé une vaste conspiration pour soulever la Bretagne et la Vendée. Son plan était fortement conçu ; il avait enrôlé quantité de nobles, étendu des ramifications partout ; le 2 mars 1792, il obtint des princes une commission qui lui donnait plein pouvoir et le nommait chef des royalistes de l’Ouest. Il contribua à divers soulèvements, mais mourut en janvier 1793, avant d’avoir pu assurer le succès de son œuvre détestable.

Le 24 août 1792, comme nous l’avons dit plus haut, le mouvement éclata, non plus dans la Bretagne, mais en Vendée. 40 paroisses à la fois, 8,000 hommes des campagnes, autour de Châtillon, s’armèrent le même jour, sous la direction de Delouche, maire de Bressuire, et d’un gentilhomme, Baudry d’Asson. Ils dévastèrent et pillèrent Châtillon, attaquèrent Bressuire, qui se défendit vaillamment et fut sauvée par les gardes nationales accourues de Nantes, de Parthenay, de Niort, etc. Les révoltés furent dispersés ; mais l’esprit de résistance n’en continua pas moins à couver avec une intensité qui faisait prévoir de nouvelles et prochaines explosions. Les villes, petites et peu peuplées, ne pouvaient arrêter longtemps le débordement des campagnes.

La configuration du pays était essentiellement favorable à une guerre de résistance. Le Marais, partie du bas Poitou qui touche à la mer, coupé de canaux ou marais salants, était à peu près impraticable ; le Bocage, avec son inextricable enchevêtrement de ravins, de clos environnés de fossés et de haies énormes, de landes, de torrents, de palissades d’arbres, avec ses profondes ornières en guise de chemins, présentait autant de difficultés pour l’attaque que de ressources pour la défense.

Après le jugement de Louis XVI, les prêtres et les nobles redoublèrent d’activité pour exciter le fanatisme et réveiller l’esprit de révolte ; mais ce fut surtout le décret de la Convention pour la levée extraordinaire de 300,000 hommes qui détermina une nouvelle et terrible explosion. Le premier soulèvement de la Vendée avait eu lieu au moment de l’entrée des Prussiens en France. La Vendée de 1793 commença le 10 mars, quelques jours après que les Autrichiens eurent forcé nos lignes. La France en péril appelait tous ses enfants à sa défense ; la Vendée répondit en s’armant contre la France.

Le Vendéen, soit du Bocage, soit du Marais, quoique très-énergique et très-brave, avait toujours répugné au service militaire ; il semblait enraciné dans ses enclos et ses marais ; il avait au plus haut point l’esprit local et personnel. Le clergé et les royalistes exploitèrent cette disposition, et n’eussent peut-être pas réussi sans elle. « Si la Vendée est une révolution, dit Michelet, c’est celle de l’insociabilité, celle de l’esprit d’isolement. Les Vendées haïssent le centre, mais se haïssent elles-mêmes. Quelque fanatiques qu’elles soient, ce n’est pas le fanatisme qui a décidé le combat : c’est une pensée d’intérêt, c’est le refus du sacrifice. Le trône et l’autel, d’accord ; le bon Dieu et nos bons prêtres, oui, mais pour se dispenser de marcher à la frontière. »

Tel fut, en effet, le caractère de cette révolte ; le fanatisme, la sauvage ignorance, des excitations coupables firent beaucoup, mais moins encore que le brutal égoïsme et l’absence d’esprit national. C’est ce qui donne à cette insurrection une couleur si particulièrement odieuse.

Le 10 mars, jour de la levée, la révolte éclata sur plusieurs points à la fois, et le tocsin sonna le même jour dans plus de 600 villages.

Le centre des prêtres dans ces contrées était Angers ; de là ils travaillaient au nord le Maine, et au midi la Vendée.

Dans l’Anjou, 3,000 insurgés enlèvent et pillent Saint-Florent. Un homme de Pin-en-Mauge, Cathelineau, sacristain, colporteur, emporte à la tête d’autres bandes le château de Jallais, Chemillé, Cholet. Le garde-chasse Stofflet s’était joint à lui avec une autre troupe.

Pour éviter les redites, nous renvoyons une fois pour toutes le lecteur à tous les noms importants que nous citons dans ce récit.

Pâques approchait, et les insurgés de l’Anjou retournèrent pour un moment chez eux.

Déjà le Marais, la basse Vendée et le Bocage étaient en feu. Le 10, les paysans avaient envahi Machecoul, proclamé commandant Charette et célébré leur triomphe par l’égorgement des patriotes ; ils instituèrent là un tribunal de sang qui continua de massacrer pendant plus de six semaines, sous la direction d’un monstre nommé Souchu, créature de la famille Charette, qui faisait périr les prisonniers dans les plus horribles tourments. On alla jusqu’à enterrer des hommes tout vivants. Les mêmes excès eurent lieu à Cholet, à Montaigu, partout. À La Roche-Bernard, entre Nantes et Vannes, l’officier municipal Sauveur fut martyrisé, sans que ses bourreaux pussent lui arracher d’autres cris que ceux de « Vive la nation ! Vive la République ! » La Convention avait donné à sa ville le nom de La Roche-Sauveur, dont Napoléon Ier l’a dépouillée.

À Pontivy, au 12 ou 13 mars, les paysans, conduits par un curé réfractaire, martyrisèrent sur la place 17 gardes nationaux.

Toutes les troupes étant aux frontières, le pays n’était guère défendu que par quelques compagnies de gardes nationaux, et les Vendéens pouvaient faire des conquêtes faciles. Les premières forces organisées n’arrivèrent qu’à la fin de mai. Les villes firent de vaillants efforts pour se défendre elles-mêmes, et surtout Nantes, devenue comme une île au milieu de plusieurs départements soulevés.

Les principaux chefs de l’insurrection, alors presque inconnus et tous indépendants les uns des autres, étaient Cathelineau, Stofflet, Sapinaud, un certain Gaston Bourdie, perruquier ; Charette, de Royrand, d’Elbée, Bonchamp, Lescure, Bernard de Marigny et quelques autres officiers nobles, nommés un peu malgré eux commandants par les paysans. Un des plus brillants fut La Rochejaquelein. Un comité supérieur fut formé pour diriger l’insurrection, mais il n’eut qu’une influence restreinte sur les chefs de bandes. Il comprenait quelques militaires et plusieurs prêtres, parmi lesquels un intrigant fort habile et sans scrupule, le fameux abbé Bernier.

Dans les premiers temps, quoi qu’en aient dit les romans royalistes, les mémoires mensongers, les rebelles furent traités miséricordieusement, en hommes égarés par l’ignorance et le fanatisme. On en trouve la preuve dans les documents, et particulièrement dans les rapports des commissaires Gensonné et Gallois, Xavier-Audouin et Loiseau-Grandmaison. Ce ne fut qu’après les massacres de Machecoul et autres lieux que le gouvernement songea à opérer militairement, et encore ne s’avisa-t-il d’avoir un plan d’ensemble et de faire une campagne en règle que lorsqu’il vit le soulèvement prendre véritablement corps, organiser une armée catholique et royale, rechercher les secours de l’Angleterre et tenter de s’emparer de Nantes et de s’étendre sur tous les départements de l’Ouest.

À la fin de juin, les trois Vendées (Anjou, Bocage, Marais) s’unirent un moment, malgré leurs rivalités, pour former une grande armée barbare destinée à conquérir les villes, généralement patriotes et républicaines.

À ce moment, les forces destinées à combattre la rébellion étaient partagées en armée des côtes de La Rochelle, commandée par Biron, et en armée des côtes de Brest, commandée par Canclaux. Ce partage ne pouvait être favorable aux opérations. En outre, les représentants en mission s’accordaient peu entre eux, d’autant plus que les uns siégeaient à Nantes, d’autres à Saumur, à Niort, aux Sables, etc.

Le nouveau ministre de la guerre, Bouchotte, avait envoyé sur les lieux un de ses propres adjoints, Ronsin, qui, de concert avec Berthier, le futur chef d’état-major de Napoléon, proposa le plan de campagne suivant : une seule armée, un seul commandant en chef ; pousser les rebelles devant soi du nord au sud, en les isolant de la Loire et en les acculant à la mer. Mais Biron, brave et infatué de dédain aristocratique, et plus ami des nobles que des révolutionnaires, montra peu d’empressement et, à la nouvelle des suites de l’insurrection parisienne du 31 mai, persista plus que jamais dans son inaction.

Cependant les Vendéens poursuivaient leurs succès. Les républicains furent battus par d’Elbée à Beaupréau et à Vihiers, aux Aubiers par La Rochejaquelein, et les rebelles, poussant jusqu’à Doué, menaçaient Saumur. On leur avait fabriqué un faux évêque, un soldat républicain fait prisonnier, aventurier poussé par Lescure (le saint du Poitou), qui se fit passer pour vicaire apostolique et évêque d’Agra. La fourberie était grossière, mais elle réussit auprès de ces pauvres fanatiques et était bien de nature à soulever leur exaltation. Des lors l’influence du clergé débordait celle des nobles. Cathelineau, l’homme des prêtres, d’ailleurs intrépide et capable, fut nommé général en chef de la grande armée catholique et royale. Cette armée, on le sait, était composée de paysans en sabots, souvent mal armés, très-pieux, mais féroces et pillards ; de lestes contrebandiers des marais salants, qui ont bien mérité le nom de brigands donné officiellement aux Vendéens ; enfin d’un flot de gentilshommes, d’aventuriers et de prêtres. À l’avant-garde marchait le plus souvent un jeune homme de vingt et un ans, La Rochejaquelein, figure un peu surfaite par les royalistes, mais qui par sa bravoure exerçait un grand prestige. Successivement d’autres chefs se joignirent à l’armée, Beaumont, d’Autichamp, le prince de Talmont, etc.

Après la prise de Fontenay par Cathelineau, les Vendéens avaient manqué Niort, qui eut le temps de se mettre en état de défense ; mais ils se jetèrent sur Saumur, qu’ils emportèrent malgré la défense énergique de Coustard, de Santerre et de Menou (10 juin). Dans cette affaire, où les républicains avaient tous les désavantages, le représentant Bourbotte se battit comme un lion. Son cheval fut tué sous lui ; un jeune lieutenant lui donna le sien : c’était l’héroïque Marceau, qui, six mois plus tard, devait gagner la bataille décisive du Mans.

Pendant ce temps, la chouannerie avait commencé dans la Bretagne, ou plutôt elle avait recommencé, car il y avait eu depuis longtemps une série de petits mouvements sans cesse renaissants. Ce fut, comme on l’a dit, une petite Vendée. V. chouannerie.

Avec la prise de Saumur, la route de Paris semblait ouverte. Mais il n’y avait pas à songer à entraîner plus loin le paysan vendéen ; d’Elbée fit prévaloir le plan d’aller à la mer par Nantes, pour gagner l’appui des Anglais en leur offrant un port.

La prise facile d’Angers, évacué par les républicains, ne fit que confirmer les révoltés dans leur projet. Mais il fallait à la grande armée d’Anjou l’appui de la Vendée maritime, des hommes du Marais, que les autres Vendéens nommaient par ironie les grenouilles, et dont le principal chef était Charette, bandit commandant à d’autres bandits. Celui-ci, qui se battait surtout pour le butin et qui venait de reprendre Machecoul, eût volontiers mis la main sur cette riche proie, s’il en eût eu la force, mais pour la piller à lui seul. Il vint au siège, mais pour la forme, et n’agit guère que par une canonnade peu efficace.

Nantes, remplie des fugitifs de l’Ouest, échappés à la férocité des révoltés, dépourvue de forces militaires, attendait dans la terreur ce déluge de barbares. Canclaux, qui commandait, n’avait que cinq bataillons, des canonniers de Paris, des gardes nationales, en tout une douzaine de mille hommes. Il y avait d’ailleurs des patriotes énergiques, le maire Baco, le ferblantier Meuris, qui commandait un bataillon, Beysser et d’autres encore. Meuris, posté à Nort, se battit héroïquement huit heures durant contre une armée avec son bataillon, qui se fit tuer presque en entier, et sauva ainsi Nantes, qui eut le temps de se préparer.

La noble ville se défendit vigoureusement contre cette grande année. Cathelineau, en voulant pénétrer dans l’intérieur par des ruelles, fut blessé à mort d’un coup de feu (29 juin). Cette catastrophe démoralisa les Vendéens, qui battirent en retraite dans le plus grand désordre. D’Elbée fut nommé pour remplacer Cathelineau dans le commandement. Malgré leur échec, les Vendéens se reforment à Cholet et marchent sur Châtillon, où ils font essuyer une sanglante défaite à Westermann (5 juillet) et déshonorent, comme toujours, leur victoire par des exterminations de prisonniers. On a parlé à satiété des représailles républicaines, mais jamais elles n’ont égalé les horreurs commises par ces barbares.

Le 15, Labarolière et Mehou, avec des forces bien inférieures, écrasent Bonchamp, La Rochejaquelein et Lescure à Martigné-Briant. Le 18, nouveau succès des républicains à Vihiers.

Biron, dont la conduite était fort suspecte, avait été rappelé et remplacé par Rossignol, ancien ouvrier de Paris, qui était alors à la tête d’une division de gendarmerie. C’était un homme intrépide et dévoué, mais qui n’avait peut-être pas les qualités pour commander un corps d’armée. Pendant le mois de juillet, le représentant Philipeaux, envoyé sur le théâtre de l’insurrection, avait montré beaucoup d’activité, levé quelques forces dans les départements voisins et contribué à sauver Angers par la reprise des Ponts-de-Cé. Mais il arrivait avec des préventions contre Ronsin, Rossignol et autres sans-culottes. Au reste, nous l’avons dit, il y avait souvent désaccord entre les représentants, les commissaires nationaux, aussi bien qu’entre les généraux, et sous ce rapport les républicains n’étaient pas beaucoup plus unis que les chefs vendéens ; ils étaient tiraillés entre deux influences, la commission de Saumur et celle de Nantes.

Dans un conseil de guerre tenu à Saumur, le plan de Ronsin et Berthier avait été de nouveau écarté. On décida qu’il y aurait deux commandants en chef, Canclaux et Rossignol, à qui l’on donna l’armée la moins bien organisée. Canclaux avait notamment Kléber et le formidable noyau de l’armée de Mayence, qui, en vertu de la capitulation de cette ville, ne pouvait servir durant un an contre l’ennemi.

La Convention et le comité de Salut public avaient donné des ordres terribles, brûler les bois, les enclos, couper les récoltes, etc. C’était comme l’explosion de la colère nationale, et malheureusement ces mesures furent trop souvent appliquées.

Cependant la guerre continuait, mêlée de succès et de revers. Rien de décisif, et c’était là un mal immense, car les forces de la République risquaient de s’épuiser, et cette plaie ouverte au sein de la France allait s’élargissant et s’envenimant.

Le 13 août, 25,000 Vendéens avaient été battus à Luçon par 2,500 républicains commandés par Tuncq.

Mais le manque d’entente entre les deux armées, peut-être des fautes d’exécution dans le plan concerté, amenèrent la défaite des républicains à Torfou et à Coron (19 septembre). Comme il arrive en pareil cas, les deux partis qui divisaient l’armée s’accusèrent mutuellement. Le comité de Salut public sentit enfin la nécessité d’introduire l’unité dans le commandement. Il n’y eut plus qu’une seule armée, sous le nom d’armée de l’Ouest, placée sous le commandement de Léchelle, général médiocre, qui heureusement eut le bon esprit de ne pas contrarier les opérations de Kléber. Quelques succès, mêlés de revers, suivirent ces événements. C’est le temps de la terrible mission de Carrier à Nantes ; on en trouvera les détails à l’article qui lui est consacré.

Après divers mouvements dans le détail desquels nous ne pouvons entrer, les Vendéens, vaincus à Cholet, où d’Elbée et Bonchamp furent blessés mortellement (17 octobre), se traînèrent en désordre jusqu’à Saint-Florent et traversèrent la Loire. Cette vaste émigration, mêlée d’un grand nombre de femmes et d’enfants, commandée par des chefs presque tous blessés, offrait le spectacle le plus lamentable.

À ce moment Charette, qui s’isolait toujours, s’était emparé de l’île de Noirmoutier, attendant sans doute les Anglais et se tenant prêt à continuer l’insurrection dans le Marais et le Bocage.

La grande armée catholique, refoulée sur la rive droite de la Loire, commandée dès lors par La Rochejaquelein, erra comme au hasard, livrant encore quelques furieux combats, puis gagna Laval, Fougères, Granville, enfin se rabattit sur Le Mans, où elle fut écrasée par l’héroïque Marceau, chargé du commandement par intérim (13 décembre). Dans ses longues courses à travers la Mayenne, Maine-et-Loire, la Sarthe, la Bretagne, la Normandie, elle ne rencontra pas la sympathie et l’appui que lui avaient promis ses prêtres et ses chefs, sauf parmi quelques bandes de chouans. La sanglante déroute du Mans était un coup mortel. La Rochejaquelein parvint à ramener les débris de l’armée vers la Loire ; un dernier combat fut livré à Savenay, où presque tout ce qui restait de ces malheureux périt (22 décembre).

La Vendée était vaincue par la France et par la Révolution.

Toutefois, si ces malheureuses contrées cessèrent d’être le théâtre de grandes opérations militaires, elles n’en continuèrent pas moins à être désolées par des brigandages sans résultat. Charette, Stofflet, Bernard de Marigny, après la mort des grands chefs, se partagèrent l’Anjou et le Poitou, qu’ils dévastèrent périodiquement sans qu'aucun d’eux voulût reconnaître un supérieur. Ils se réunirent un moment pour une action commune ; mais l’affaire manqua, et Charette et Stofflet en profitèrent pour faire fusiller Marigny.

Pendant ce temps, la chouannerie se développait en Bretagne avec des caractères peut-être encore plus hideux.

Après le 9 thermidor, les dispositions étaient à la paix ; Canclaux fut appelé au commandement de l’armée de l’Ouest, et il arriva avec les dispositions les plus conciliantes. Le 17 février 1795, il signa avec Charette et quelques autres chefs le traité de La Jaunaye, qui contenait d’ailleurs des conditions honteuses pour la République. Ainsi Charette reçut 2 millions, et on lui abandonna le droit de conserver une garde territoriale soldée par l’État, c’est-à-dire les moyens de recommencer la guerre.

Il n’y manqua pas. Le 26 juin, il reprit les armes, proclama Louis XVIII, surprit et massacra la garnison du camp républicain des Essarts, mais attendit vainement et les Anglais et le comte d’Artois, qui devaient débarquer sur la côte. Son mouvement avait été combiné avec le fameux débarquement de Quiberon. V. ce nom.

Stofflet avait fini par signer aussi la paix, le 2 mai, aux mêmes conditions royales que Charette. Enfin Hoche avait conclu en Bretagne un traité analogue avec les chefs de chouans Cormatin et Bourmont. Cette pacification ne fut pas plus sincère, comme le prouva bientôt l’affaire de Quiberon.

Charette continuait en désespéré sa guerre de brigandages ; traqué dans les bois, pris enfin par le général Travot, il fut, comme on le sait, fusillé à Nantes le 24 mars 1796. Stofflet, qui avait repris les armes, avait subi le même sort à Angers un mois auparavant.

Hoche, qui commandait dans l’Ouest, parvint par sa vigilance, sa douceur et sa fermeté à achever la pacification de la Vendée et de la Bretagne. Toutefois, sous le Consulat, il y eut de nouveaux troubles, suscités en Vendée par d’Autichamp, en Bretagne par Bourmont et Cadoudal, en Normandie par de Frotté. Mais les chefs, successivement battus, finirent par signer un traité de pacification en février 1800.

Pendant les Cent-Jours, nouveaux soulèvements, réprimés cette fois par le général Lamarque.

Enfin, en 1832, la duchesse de Berry, plus résolue que le triste comte d’Artois, se jeta en Vendée pour y rallumer la guerre civile en faveur de son fils. La capture de cette princesse et d’énergiques mesures ne permirent pas à l’insurrection de se développer.

Depuis, la paix n’a plus été troublée dans ces contrées, si longtemps et si souvent ensanglantées par des guerres fratricides. Les routes, les chemins de fer, le développement de l’industrie et du commerce, la diffusion de l’instruction, le progrès des lumières les ont heureusement transformées, et il paraît hors de doute que la Vendée et la Bretagne sont définitivement conquises à la cause de la démocratie et de la liberté.