Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abdiquer v. a. ou tr.

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 17).

ABDIQUER v. a. ou tr. (ab-di-ké — du lat. abdicare, même sens). Renoncer à de hautes fonctions, et particulièrement à l’autorité souveraine : Amurat abdiqua deux fois la couronne. (Thomas.) Quand Lycurgue donna des lois à sa patrie, il commença par abdiquer la royauté. (J.-J. Rouss,) Brutus, me dira-t-on, devait abdiquer le consulat plutôt que de faire périr ses enfants. (J.-J. Rouss.) L’intervention du pouvoir politique n’empêcha pas saint Grégoire, fatigué, d’ abdiquer son siège et d’aller mourir dans la retraite. (Chateaub.) J’abdiquerais volontiers tous les sceptres, toutes les palmes du monde, pour faire de toi mon éternelle pensée. (Balz.)

— Par ext. Renoncer à un emploi, à une place, à une charge : Tout magistrat qui abandonne le soin de la patrie et abdique la magistrature est un traître qui mérite la mort. (J.-J. Rouss.) Il me répugnait de penser qu’on pût croire que j’abdiquais une fonction gratuite, pour conserver une fonction salariée. (Cormenin.)

Abdiquer la crosse et la mitre, Renoncer à la dignité d’abbé crosse et mitre.

— L’église ne permet pas d’abdiquer le cardinalat.

— Se dit quelquefois, en parlant de l’abandon d’une espèce de royauté intellectuelle : Listz a abdiqué le sceptre du piano pour se faire chef d’école. || Mettre de côté, oublier : Et tout d’abord, sire, nous commencerons ici par abdiquer votre puissance de roi. (Maurel Dupeys.)

— Fig. Renoncer à ; quitter, abandonner : Abdiquer ses devoirs ; abdiquer sa liberté, ses biens. (Acad.) Sans abdiquer Paris ni la cour. (St-Simon.) Ils abdiquaient aux autels les passions du monde. (Chateaub.) La langue française abdiqua dès lors sa belle et sonore gravité ; elle sacrifia son énergie à la grâce. (Ch. Nodier.) Racine abdique son génie, se met à rimer des psaumes. (Proudhon.) La popularité ne permet pas qu’on l’abdique ; elle soulève ou elle engloutit. (Lamart.) Il abdiqua une vie de bien-être et de luxe pour se confiner dans ces montagnes. (Le Siècle.) En 1763, J.-J. Rousseau abdiqua solennellement son droit de bourgeoisie, et renonça au titre de citoyen de Genève.

Ne pouvant t’élever, je brûlai de descendre,
D’abdiquer ce destin pour t’égaler à moi,
Et de vivre ta vie en mourant comme toi !
Lamartine.

— Renoncer à des prétentions, à des droits : Abdiquer la qualité de caution pour devenir débiteur principal. Abdiquer la mitoyenneté. Trompée par son mari, la princesse abdiqua, par scrupule religieux, ses droits de représailles. || Peut avoir pour sujet un nom de chose : L’hiver n’abdique pas ses droits. La société n’abdiquera plus la surveillance. Son regard modeste et doux semblait vouloir abdiquer tous les droits du génie et tous les rêves de la gloire. (G. Sand.) Il serait déplorable qu’une grande puissance comme l’Angleterre abdiquât, dans une circonstance aussi grave, tous ses devoirs envers elle-même, envers l’Italie, envers l’Europe, envers la civilisation. (Journ.) La loi ne saurait abdiquer sa tutelle bienfaisante sur les actions des hommes. (Hennequin.)

— S’empl. absol., au propre et au fig., et se dit des personnes et des choses : De toutes les tyrannies, la plus odieuse est celle qui ôte perpétuellement à l’âme le mérite de ses actions et de ses pensées : on abdique sans avoir régné. (Balz.) Tout parti qui s’abstient abdique. (Lamart.) Les jacobins purs voulaient que l’Assemblée nationale abdiquât en masse, pour laisser la place à des hommes nouveaux. (Lamart.) Une femme qui a vos charmes ne doit jamais abdiquer (Th. Leclercq.) Conseiller, empêcher, demander, obtenir, voilà le rôle de la femme ; agir, pour elle, c’est abdiquer. (Mme E. de Gir.) Les principes fléchissent quelquefois, ils n’abdiquent jamais. (Le Siècle.) Je suis de ceux qui pensent, comme Bayle, que l’esprit humain ne peut abdiquer. Les partis qui s’isolent et qui abdiquent s’amoindrissent. Ce n’est pas une raison pour que la pensée abdique. (Illustrat.)

J’ai gouverné sans peur, et j’abdique sans crainte.
Jouy
Un inconstant vieillard, lassé du diadème,
Abdique imprudemment et s’en repent de même.
Ducis

S’abdiquer, v. pr. Être abdiqué : Un trône ne s’abdique jamais sans regret. Le nom ne s’abdique pas.

— Fig. Renoncer à sa propre dignité, résigner son pouvoir, se désister de ses droits : Le clergé et l’aristocratie venaient alors s’abdiquer entre les mains du peuple. (Lamartine.) Le gouvernement s’abdiquerait lui-même, s’il abandonnait sa position de gouvernement. (Molé.) Un jour, la France, fatiguée de s’abdiquer, voulut rentrer en possession de ses prérogatives et ressaisir les attributs de sa puissance. (Journ.)

Syn. Abdiquer, se démettre, résigner. Un prince souverain abdique, un fonctionnaire se démet de ses fonctions, un dignitaire résigne sa dignité. Sous un autre point de vue, abdiquer exprime un acte brusque s’achevant en un seul coup, et se démettre indique quelque chose de successif, qui peut ne pas aboutir à une renonciation : Dioclétien abdiqua solennellement l’empire, comme fit depuis Charles-Quint. (Volt.) Dans cette scène immortelle, Auguste délibère s’il se démettra de l’empire. (Volt.)