Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/angoisse s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 2p. 378-379).

ANGOISSE s. f. (an-goi-se — du lat. angustia, resserrement ; d’ angustus, étroit, lequel vient d’ ango, je serre. Ce mot a passé par un grand nombre de transformations : Rabelais donne angustie ; puis sont venus angussie, angusse, angosse, et enfin angoisse ; mais la racine primitive paraît être le bas-breton ancou ou angou, qui signifie étroit, pressé, vexé). Sentiment de tristesse, d’anxiété, accompagné d’une grande difficulté de respirer et d’une sorte de resserrement à l’épigastre : Dans les crises nerveuses, on éprouve presque toujours de l’ angoisse.

— Au pl. et par ext., Souffrances physiques très-violentes : Nous regardons la mort, non-seulement comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné de la plus vive douleur et des plus pénibles angoisses. (Buff.) Atteint d’une maladie douloureuse, il en supporta les longues et cruelles angoisses avec une sérénité stoïque. (Mignet.)

Ah ! si dans mes tourments vous descendiez, mon père,
Je vous arracherais des larmes de pitié,
Les angoisses du corps n’en sont qu’une moitié.

C. Delavigne.

— Fig. Douleur morale profonde, affliction mêlée d’inquiétude, de crainte : Vivre dans d’extrêmes, de mortelles ANGOISSES. Le roi de France avait grande angoisse au cœur, quand il voyait ses gens ainsi desconfire. (Froissart.) Mille douleurs, mille afflictions nous persécutent sans cesse, et les angoisses nous trouvent toujours trop facilement. (Boss.) Immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, je suais d’ angoisse. (St-Sim.) Toute la terre est un lieu de tribulations et d’ angoisses pour une mauvaise conscience. (Fén.) Les angoisses de l’amour maternel se peignent dans tous les traits de Niobé. (Mme de Staël.) Clisson éprouvait des angoisses de repentir et désirait qu’on ne lui eût pas obéi. (Anquet.) Déjà les peuples n’habitent que des décombres ; ils sentent en eux comme une grande angoisse. (Lamenn.) Le bonheur tranquille disparut, elle fut en proie à toutes les angoisses des passions. (H. Beyle.) Moi, sans croyances décidées, j’ai souvent inspiré de splendides visions de l’éternité qui faisaient oublier aux malheureux les terreurs de la mort ou les angoisses de la vie. (E. Sue.) C’est avec une inexprimable angoisse que chacun attendait le moment où Othello reparaitrait. E. Sue.) Quelle terrible angoisse agitait son cœur ! (Balz.) Toute joie terrestre est suivie d’ANGOISSES, de mécontentement. (Balz.) En ce moment, une sueur plus froide lui passa sur le front, une angoisse plus mortelle lui serra le cœur. (Alex. Dum.) Mais c’est là que l’embarras devint plus insoluble et l’ANGOISSE plus déchirante entre nous. (Lamart.) Il faut à celui qui gouverne la manœuvre ou le feu, la sérénité au visage dans l’ angoisse du cœur, pour faire lire la confiance dans les yeux du chef. (Lamart.) Le but de la femme est la maternité, avec toutes ses angoisses et toutes ses sollicitudes. (G. Sand.)

. . . Angoisse prévue est à demi passée.

Alain Chartier.

Ce n’est pas ce qu’on croit que d’entrer chez les dieux ;
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.

La Fontaine.

L’air résonne des cris qu’au ciel chacun envoie :
Albe en jette d’angoisse, et les Romains de joie.

Corneille.

. . . Quelle angoisse mortelle
Me causait de ses bras l’étreinte paternelle !

C. Delavigne.

— Philol. Au sujet des vers de Corneille, cités plus haut, Voltaire fait la remarque suivante : « On ne dit plus guère ANGOISSE. Quel mot lui a-t-on substitué ? Douleur, peine, affliction ne sont pas des équivalents. angoisse exprime la douleur pressante et la crainte à la fois. » Cette dernière partie de l’observation de Voltaire est d’une grande justesse ; mais les exemples que nous venons de citer prouvent surabondamment que ce mot est d’un emploi très-fréquent, du moins en prose.

— Hortic. Poire d’angoisse, Espèce de poire très-âpre, même quand elle est arrivée à sa complète maturité. Dans certains pays, on appelle ces sortes de poires trivialement, mais énergiquement, des serre-gueule.

— Par anal. Instrument de torture dont on se servait autrefois pour bâillonner quelqu’un. On introduisait dans la bouche du patient la poire d’angoisse, qui s’ouvrait au moyen d’un ressort, se développait en forme de poire et étouffait complètement les cris. Les voleurs s’en servaient également pour bâillonner ceux qu’ils dépouillaient. Cet instrument paraît avoir été inventé par un certain Gaucher, capitaine qui servait au temps de la Ligue dans le parti espagnol, et on l’aurait ainsi appelée à cause de sa ressemblance avec la poire d’angoisse, qui, elle-même, devrait son nom à Angoisse, petit village du Périgord où ce fruit a été trouvé. Mais il est plus probable que le fruit doit son nom à son âpreté, et l’instrument, à sa forme d’abord, puis à la douleur qu’il cause.

— Fig. Manger, avaler des poires d’angoisse, Eprouver des mortifications sensibles, de grands chagrins : Le poète Villon se plaignait de ce qu’en prison on lui avait fait manger maintes poires d’angoisse. Il lui a fait avaler des poires d’angoisse. (Acad.) Ceux de Guise, ayant ainsi commencé avec les princes de Bourbon, leur ioulurent faire avaler d’autres poires d’angoisse. (Régnier de la Planche.)

Syn. Angoisse», affres, transes. V. Affres.