Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/champs de glace

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 889).

CHAMPS DE GLACE, nom donné à ces immenses étendues de glace qui recouvrent la mer dans les régions polaires, et empêchent la navigation pendant la majeure partie de l’année. « Parmi les productions inanimées du Groenland, dit le fameux voyageur Scoresby, aucune n’excite peut-être autant d’étonnement que la glace par son abondance et sa variété extrême. Les masses prodigieuses, connues sous le nom de champs de glace, îles de glace, montagnes flottantes, si communes dans le détroit de Davis, sont propres, par leur hauteur, par leur forme et par la profondeur à laquelle elles s’enfoncent dans l’eau, à frapper le spectateur d’étonnement. Les champs de glace qui environnent le Groenland ne sont pas moins surprenants. Ce qui manque à leur élévation est compensé par l’étendue de leur surface ; on en a vu qui avaient jusqu’à 100 milles de longueur et plus de 50 milles de largeur. Ce n’était qu’une immense masse de glace, dont la surface était en général élevée de 4 à 6 pieds au-dessus du niveau de l’eau, et dont la base s’enfonçait à peu près à 20 pieds dans la mer. Les champs de glace font ordinairement leur apparition vers le mois de juin, quelquefois plus tôt ; ils servent fréquemment de refuge aux jeunes baleines. Des vents forts du nord et de l’ouest, en écartant les glaçons détachés, livrent ces animaux aux navires qui vont faire la pêche. Quelques champs offrent une plaine parfaitement unie, sans fissures et sans mornes, en un mot si lisse que j’en ai vu sur lesquelles un carrosse aurait pu rouler en ligne droite, et dans une étendue de 100 milles, sans le moindre empêchement. Mais plus généralement la surface présente quelques mornes qui rompent un peu l’uniformité d’un blanc trop intense par une teinte d’un vert léger. Le mouvement rapide que les champs de glace éprouvent quelquefois, et les effets étranges produits par ces masses immenses sur tout corps qui leur offre de la résistance, est un des objets les plus étonnants et certainement les plus terribles que présentent ces régions. Très-souvent ces masses acquièrent un mouvement de rotation qui donne à leur circonférence une vitesse de plusieurs milles par heure. Un champ qui est ainsi en mouvement, venant à en toucher un autre qui est en repos ou qui suit une direction contraire, produit, surtout dans ce dernier cas, un choc épouvantable. Lorsqu’une masse pesant plus de 10 millions de tonneaux est en mouvement, si elle vient à en heurter une autre pareillement en mouvement, on peut concevoir quel est le résultat du choc. Le champ le plus faible est broyé avec un bruit épouvantable, et quelquefois la destruction est mutuelle. La vue de ces effets prodigieux, quand on peut les observer en sûreté, est d’une sublimité imposante ; mais si l’on court risque d’être accablé par le choc, il est difficile de se défendre d’un mouvement de terreur et d’effroi. Les pêcheurs de baleines ont constamment besoin d’une vigilance infatigable quand ils naviguent au milieu de ces champs, dangereux surtout par les temps de brume. On se figure aisément que le navire le plus solide pris entre deux champs de glace est brisé en un clin d’œil. C’est ainsi qu’un grand nombre de navires ont été détruits depuis l’établissement de la pêche ; quelques-uns ont été jetés sur la glace, d’autres complètement ouverts, d’autres enfin ensevelis sous les fragments de la glace entassée. »

Ces champs de glace ne restent pas immobiles, mais sont entraînés sans cesse, soit par les vents, soit par les courants sous-marins. En 1827, Parry, qui cherchait une route au pôle nord, vit ses vaisseaux arrêtés dans les mers du Spitzberg ; alors il essaya de s’avancer sur la glace, mais il fut bientôt obligé de renoncer à sa tentative : les glaces l’entraînaient au midi, tandis qu’il voulait se diriger vers le nord, et le soir d’une course longue et pénible il se trouva à 4 milles plus au sud qu’il ne l’était le matin.