Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/chiffon s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 1p. 95-96).

CHIFFON s. m. (chi-fon — rad. chiffe). Lambeau de vieux linge ou d’une étoffe quelconque : Tas de chiffons. Bamasser des chiffons. Brûler des chiffons. Le chiffon ne pourra bientôt plus suffire à la fabrication du. papier. Les chiffons de laine, que l’on peut se procurer partout à un prix modéré, forment un engrais puissant. (Math, de Dombasle.), .. L’aveugle Fortune a, d’un tour de sa roue, Élevé bien des gens qui, vautrés dans la boue, Ont fait pis, en plein jour, qu’amasser des chiffons.

VIENNET.

— Par dénigr. Pièce de linge ou d’étoffe servant a la parure : Une femme trouvera toujours charmant te plus misérable chiffon, si le genre suprême est de porter ce chiffon. (Th. Gaut.) Perdait-on un chiffon, avaiton un amant. Un mari vivant trop au gré de son épouse, Une mère fâcheuse, une femme jalouse, Chez la devineuse on courait.

La Fontaine.

— Par ext. Petit morceau de papier : Excusez le chiffon sur lequel je vous écris. (P.-L. Courier.) N’auries-vous pas aperçu par là un petit chiffon de papier ? (F. Soulié.) Il Manuscrit sans valeur : Tout mon temps à GrandVal s’en va à blanchir les chiffons des autres. (Dider.)

— Fam. Terme d’amitié que l’on adresse à des enfants mignons et éveillés : Viens ici, mon petit chiffon. || Mot injurieux que l’on applique à une personne, surtout à une femme malpropre, qui se tient mal : Oh ! le sale CEif- fon que tu es !

— Pop. Chiffon de pain, Petit morceau de pain : Les soldats de garde, à la vue de mon uniforme, m’offrirent un chiffon de pain de munition. (Chateaub.) Tout goulu qu’il est, Sancho partage avec son âne son dernier chiffon de pain. (J. Janin.)

— Argot. Chiffon rouge, Langue. !i Balancer le chiffon rouge, Parler.

— Techn. Chiffons en garenne, Ceux qui arrivent en fabrique sanS/être triés, les diverses qualités étant mêlées.

— Encycl. Techn. Les chiffons, vieux morceaux d’étoffe, de toile, de coton, de laine ou de soie, sont l’objet d’un commerce très-considérable. Autrefois, on n’utilisait guère que les chiffonslie toile ou de coton pour la fabrication du papier : les chiffons de laine n’étaient employés que comme engrais, principalement pour tumer les terres ou l’on cultive le houblon. L’industrie moderne a su tirer de ces derniers mêmes un parti avantageux : à l’aide de machines spéciales, on les effiloche et on en fabrique des tissus feutrés que l’on emploie pour faire des gants ou des étoffes grossières. On paye les chiffons de laine de 28 à 30 fr. les 100 kilog. Les chiffons de soie sont encore presque sans aucun usage ; ils ne se vendent que 6 à 7 fr. les 100 kilogr. Ce sont les chiffons de chanvre, de fin et de coton qui sont de beaucoup les plus précieux, à cause de l’immense emploi qu’en font les nations civilisées pour la fabrication du papier. Pendant longtemps, l’exportation des chiffons a été interdite, en France, en Espagne et en Portugal. Les chiffons qui servent à la fabrication du papier sont soumis à différentes opérations avant d’arriver aux piles qui les défilent et les raffinent successivement.

Le triage consiste à séparer les chiffons blancs de ceux qui sont gris, écrus ou colorés ; les blancs se divisent eux-mêmes en blancs, demi-blancs de toile et de coton ; ceux de laine et de soie sont réservés pour le papier gris.

Le délissage se fait en coupant les parties les plus dures, telles que les ourlets, les boutons, etc., ainsi que les morceaux qui présentent une surface trop grande, au moyen d’une lame de faux plantée dans un établi devant chaque ouvrière occupée au triage.

Le blutage consiste à débarrasser les chiffons triés et délissés des matières terreuses qui y sont adhérentes, en les faisant passer dans un blutoir dont 1 arbre est armé de palettes placées en hélice, et animé d’une vitesse de 15 a 20 tours par minute.

Le coupage a pour but de diviser mécaniquement les chiffons, afin de les préparer à subir l’action des piles. On y emploie de petites machines composées d’un cylindre armé de couteaux qui, dans leur mouvement de rotation, viennent frotter contre le bord anguleux d’une table distributrice.

Le lessivage est la première opération du blanchiment. Les matières que l’on emploie pour lessiver les chiffons sont le sel de soude, les cristaux de soude, la potasse et la chaux. Un grand nombre de fabricants emploient la chaux seule ; d’autres la mêlent avec du sel de soude, des cristaux de soude ou de la potasse, pour rendre la lessive caustique. Le • lessivage donne de moins bons résultats par le premier procédé que par le second, surtout quand on se sert d’appareils fixes et dans lesquels les chiffons ne sont pas agités. La lessive doit être plus ou moins forte et être appliquée plus.ou moins longtemps, selon la qualité des chiffons sur lesquels on opère ; lorsque ceux-ci sont très-gros, il est préférable de faire le lessivage en deux fois, afin de se débarrasser, au bout de trois ou quatre heures, de la lessive déjà très-brune, et de la remplacer par une nouvelle. La tension de vapeur à laquelle on lessive généralement correspond à une atmosphère ; mais, pour les chiffons grossiers, les toiles d’emballage, on peut la porter à 3 atmosphères ; dans ces conditions, le lessivage produit plus d’effet, les ordures sont mieux dissoutes, sans cependant que le nerf des chiffons soit altéré. Le lessivage s’opère dans des cuviers à circulation continue ou intermittente, dans lesquels on jette les chiffons primitivement humectés avec de l’eau tiède ; 1 opération dure de quatre à six heures.

Le rinçage se fait dans les mêmes appareils, après qu’on a soutira la lessive, et que celle-ci a été remplacée par de l’eau. On se sert, dans les grands établissements, de chaudières verticales en métal, de forme elliptique, chauffées à feu direct ou à la vapeur ; dans ces derniers temps, on a employé avec avantage des chaudières rotatives, dont l’intérieur est armé de bras pour secouer et frotter les chiffons pendant tout le temps que dure cette opération. Quand ils ont été lessivés et rincés, les chiffons sont mis à «goutter dans une caisse, puis on les porte dans la pile, afin de leur faire subir l’effilochage. Cette opération a pour but de’ diviser les chiffons de manière à les réduire • en fibrilles comme de la charpie, mais en les brisant le moins possible.

Après cette opération, qui constitue la fabrication de la pâte, se succèdent celles du pressage, du cardage au loup, du blanchiment, de ! l’affinage et du collage de la pâte. V. papier. :

— Agric. Nous avons dit que les chiffons de laine peuvent servir à fabriquer de gros papier gris-, mais une chose qu on ignore assez’ généralement, c’est qu’on peut en faire un emploi très-avantageux en agriculture. Ces chiffons constituent en effet un engrais d’une efficacité remarquable et d’une grande durée, et, sous ce double rapport, ils peuvent être éminemment utiles pour les terres éloignées de la ferme ou d’un accès difficile. On les emploie le plus souvent en composts, c’est-kdire mélangés avec de la terre végétale ou du fumier. Le mélange s’opère quelques mois

à l’avance, dans la proportion de 1, 200 kilogr. de chiffons par 4 ou 5 voitures de fumier. Cette quantité suffit pour fumer un hectare de terre de fertilité moyenne. Ce compost doit être remué plusieurs fois avant l’emploi, afin

que la fermentation s’opère régulièrement. 11 aut veiller aussi à ce qu’il ne se dessèche pas. L’eau qui s’en échappe forme un purin très-riche, que l’on doit recueillir avec soin.