Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/chouannerie s. f

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 1p. 199-200).

CHOUANNERIE s. f. (chou‑a‑ne‑ri ‑ rad. chouanner). Hist. Insurrection, guerre des chouans : Aujourd’hui encore, il y en a qui regardent la CHOUANNERIE comme une guerre héroïque ainsi que toutes les guerres de fanatiques. || Bandes de chouans. || Nom que, par dénigrement, les écrivains libéraux donnaient au parti royaliste.

Encycl. La chouannerie fut une insurrection, ou plutôt une longue série d’insurrections royalistes, qui précédèrent la guerre de Vendée proprement dite et qui se perpétuèrent jusque sous le consulat. Elles eurent pour théâtre le bas Maine, une partie de l’Anjou et s’étendirent dans presque toute la Bretagne, en Normandie et même jusqu’en Touraine. C’était une petite Vendée en quelque sorte permanente, dont l’histoire est assez confuse, parce qu’elle ne se compose guère que d’une multitude d’actions particulières ou de brigandages, et qu’à de certains moments elle se confondait avec la guerre vendéenne. Nous essayerons cependant d’en esquisser les principales péripéties.

C’est le département de la Mayenne qui fut le berceau de la chouannerie ; ce pays était aussi favorable que la Vendée à ce genre de guerre ; sillonné d’une infinité de ruisseaux et de torrents, très‑boisé, parsemé de coteaux, morcelé à l’infini, coupé de haies impénétrables que bordaient des fossés profonds, il formait un véritable labyrinthe et offrait les plus grandes facilités pour résister à des forces supérieures. La population était rude et même farouche. Les femmes, tenues dans une dépendance presque servile, ne jouèrent aucun rôle dans la révolte, et ne ressemblaient en aucune manière à ces hardies Vendéennes, fanatiques et aventureuses, qui poussaient leurs maris dans la guerre civile, et souvent les accompagnaient ; en un mot, et pour employer une expression du temps, il n’y eut pas de brigandes dans la chouannerie. Le pays était rempli d’un grand nombre de faux‑sauniers ou contrebandiers, qui approvisionnaient les campagnes de sel acheté en Bretagne (pays de franchise, non soumis à la gabelle); ces hardis fraudeurs étaient naturellement fort populaires et trouvaient partout assistance et protection. Chose singulière au premier abord, ce sont ces hommes dont la vie n’était qu’une lutte continuelle contre les gens du roi et l’ordre légal de l’ancien régime, qui les envoyait aux galères et les pendait, qui se soulevèrent les premiers au nom du roi et de la religion. Au fond, rien de plus simple : l’abolition des gabelles avait supprimé leur profession. Comme les nobles, ils avaient en quelque manière perdu leurs priviléges, et l’affranchissement de la France les ruinait, ou du moins les obligeait à un travail régulier.

La guerre du bas Maine ou chouannerie comprend trois grandes périodes : la première commence en 1792 et reste distincte jusqu’au passage des Vendéens dans le pays ; la deuxième date de 1794, peu de temps après la destruction de la grande armée vendéenne, et se prolonge jusqu’à la pacification de 1796 ; enfin la dernière s’étend de 1799 à 1800.

On sait que, dès le commencement de la Révolution, les nobles et les prêtres travaillèrent à fomenter la guerre civile et à fanatiser la partie ignorante de la population. Le marquis de la Rouarie, notamment, avait organisé en Bretagne une vaste conspiration qui se ramifiait dans les contrées adjacentes, qui échoua cependant, mais dont les éléments restèrent à peu près intacts.

En août 1792, à la suite d’un tumulte qui eut lieu dans un village du bas Maine à l’occasion de la levée des volontaires, les paysans du canton prirent les armes. Ces premiers insurgés, presque tous faux‑sauniers et d’autant plus facilement remués par les agents royalistes et par les prêtres réfractaires, ne formaient que quelques bandes irrégulières ; coiffés de ce bonnet de laine que la Révolution avait emprunté au paysan pour en faire le bonnet de la liberté, avec leurs longs cheveux plats, leur casaque de peau de chèvre et leur mine farouche, ils semblaient une cohue de barbares ; les uns avaient des fusils, d’autres n’étaient armés que d’un long bâton nommé ferte dans le pays, et dont l’usage habituel était de servir d’appui pour franchir les haies et les fossés qu’on rencontre à chaque pas. Les contrebandiers en avaient d’ailleurs fait une arme redoutable. Ces premiers rassemblements étaient commandés par Jean Cottereau, surnommé Jean Chouan, qui avait eu de nombreux démêlés avec la justice.

Il y a quelques divergences, peu importantes d’ailleurs, sur l’origine de ce surnom, qui appartenait aux quatre frères Cottereau ; mais, en résumé, voici la version généralement admise. Ces Cottereau formaient une sorte de tribu de contrebandiers, et dans leurs incursions nocturnes, dans leurs courses aventureuses à travers les bois, ils avaient pris pour signe de ralliement le cri du chat‑huant, qui n’éveillait pas la vigilance des gabeleurs ou employés de la gabelle. Le nom leur en resta, prononcé à la manière des paysans du Maine. Ces agiles faux‑sauniers ne furent plus dès lors désignés que sous le nom de chouans, et, quand éclata l’insurrection, ce nom fut naturellement appliqué aux compagnons qui se rangèrent autour d’eux ; car, dès l’origine, ce sont des membres de cette famille qu’on trouve à la tête du mouvement, dont le prince de Talmont prit plus tard la haute direction.

Ces bandes indisciplinées et féroces débutèrent par l’assassinat du juge de paix de Loiron et d’autres patriotes, et vécurent nécessairement de pillages. Après divers petits combats contre des détachements de bleus, elles furent en partie dispersées, et trouvèrent un asile dans le bois de Misdon, près de Laval. Les chouans se firent là des tanières recouvertes de broussailles et de feuilles, et vécurent ainsi pendant six mois d’incursions rapides et de coups de main. Dans l’intervalle éclata l’insurrection vendéenne, et la même cause qui l’avait provoquée, la réquisition, renforça successivement la troupe des chouans de tous les jeunes gens qui refusaient d’aller défendre la patrie en danger. Quand l’armée vendéenne vint dans le bas Maine, les chouans la joignirent à Laval et partagèrent ses destinées jusqu’au grand désastre de Savenay, qui anéantit l’armée catholique et royale.

La seconde époque de la guerre des chouans ne commença pas immédiatement après la défaite des Vendéens au Mans et à Savenay. La terreur s’était répandue dans le bas Maine, et les fugitifs qui avaient échappé se tenaient cachés dans leurs forêts. Cependant Charette se maintenait encore dans le bas Poitou, et bientôt Jean Chouan reprit aussi les armes dans la Mayenne, au commencement de 1794, pendant que d’autres chouanneries s’organisaient dans la Bretagne, sous la direction de Puisaye et avec les secours de l’Angleterre. Toutes ces bandes étaient d’ailleurs commandées par des chefs particuliers et n’agissaient que rarement de concert. Le plus souvent, la discorde était entre les chefs, qui avaient chacun leur territoire et agissaient en tout comme de petits souverains absolus, frappant des contributions, soit en argent soit en bestiaux, grains, etc. : c’était la féodalité du brigandage. Ainsi, rien que le bas Maine, dans cette seconde époque, se trouva divisé en six territoires. Les insurgés étaient alors mieux organisés, mieux entretenus, et, comme les routiers du moyen âge, vivaient du paysan, dévoraient la contrée, pillaient, violaient, égorgeaient, toujours au nom de Sa Majesté Très‑Chrétienne et de notre sainte mère l’Église, à peu près comme le faisaient encore dernièrement les brigands du sud de l’Italie. Ils étaient confortablement vêtus d’une veste grise à basque avec parements de couleur, et coiffés d’un chapeau à larges bords orné de rubans blancs sur lesquels étaient inscrites des devises pieuses ou royalistes. Les chefs avaient le tricorne et le plumet blanc, des épaulettes, enfin un gilet rouge, marque de haute distinction parmi ces bandits, dont le plus grand nombre portait le cœur de Jésus au bras ou sur la poitrine. Aux paysans et aux contrebandiers qui avaient formé le premier noyau s’étaient joints des Vendéens fugitifs, des aventuriers et des intrigants de toutes les conditions : nobles, émigrés rentrés, prêtres rebelles, etc. Toutefois le fond se composait principalement des demi-sauvages sortis des bois et des landes de la Mayenne. Comme les Peaux‑Rouges de l’Amérique, ils portaient des surnoms, tels que Sabre‑Tout, Sans‑Quartier, Vif-argent, Brise‑Bleu, Chasse‑Bleu, le Vengeur, etc. Un de leurs chefs les plus renommés, Jean Treton, n’était connu des siens que sous le nom de Jambe‑d’argent. C’était un ancien mendiant, estropié, et qui était ainsi désigné on ne sait trop pourquoi, peut‑être parce que sa jambe malade l’avait toujours fait vivre. Un autre chef du bas Maine était ce Cottereau, à moitié frénétique, toujours gorgé de liqueurs fortes, et dont la férocité épouvantait jusqu’à ses compagnons.

Cette guerre, comme nous l’avons dit, est marquée d’une infinité d’épisodes dont la plupart n’ont pas une grande importance militaire et dont le détail, difficile à suivre, n’offrirait guère que de fastidieuses répétitions. Les principales affaires sont celles du Bourg‑Neuf, de la Baconnière, de Launay‑Villiers, de la Forge‑de‑fort-Brillet, de Châtillon‑sur‑Sèvre, des bois de la Chapelle.

Jean Chouan, dont le centre d’opération et le refuge était toujours le bois de Misdon, fut blessé à mort dans un combat contre les bleus et expira peu d’heures après. Deux autres de ses frères et plusieurs de ses parents furent également tués pendant cette guerre. Mais il restait bien d’autres chefs en armes, et, entre autres, Jambe‑d’argent, Mousqueton, de Scepeaux, La Merozière, dit Jacques, le Grand-Francœur, Coquereau, de Turpin, et, plus tard, de Frotté, Dandigné, de Bourmont, de Rochecotte, Lechandelier, Taillefer, Gaulier dit Grand‑Pierre, Dauphin le Vengeur, Saint-Paul, chef du camp de la Vache‑Noire, et en Bretagne, de Puisaye, Cormatin, Cadoudal, Boishardy, et bien d’autres encore.

Le 18 avril 1795, Cormatin avait signé avec les républicains le traité de pacification de la Prévalaye, se flattant d’entraîner la Bretagne, la Normandie, l’Anjou et le Maine ; mais un petit nombre de chefs seulement consentirent à déposer les armes. Cormatin réunit encore quelques‑uns des dissidents et parvint à leur faire signer une sorte de règlement qu’on voulut bien nommer la pacification de la Mabilais, et qui en réalité ne pacifia rien. Hoche commandait alors dans l’Ouest et s’efforçait, par un mélange d’énergie et de douceur, de ramener la paix dans ces malheureuses contrées ; mais ceux d’entre les chefs royalistes qui avaient juré de désarmer ne songeaient eux‑mêmes qu’à se procurer des avantages particuliers, et nullement à cesser la guerre ; à plus forte raison ceux qui avaient refusé leur soumission. Inutile d’ajouter que cet inextricable réseau d’insurrections qu’on appelait la guerre de l’ouest s’appuyait sur l’Angleterre et en recevait des secours de toute nature. La guerre continua donc en beaucoup d’endroits, jusqu’au moment où elle reprit partout par la trahison des chefs royalistes, qui avaient juré la paix. Nous citerons ici un passage d’une lettre du général Hoche qui peint en quelques traits le caractère de cette guerre ; il écrit à Aubert‑Dubayet :

« Je vais vous esquisser le genre de guerre que nous ont faite et que nous font encore des bandes composées de voleurs, de prêtres, de contrebandiers, d’émigrés, d’échappés des galères et de déserteurs. Réunis sous des chefs qui sont ordinairement du pays, les chouans se répandent imperceptiblement partout, avec d’autant plus de facilité qu’ils ont partout des agents, des amis, et qu’ils trouvent partout des vivres et des munitions, soit de gré, soit de force. Leur principal objet est de détruire les autorités civiles ; leur manœuvre, d’intercepter les convois, d’assassiner les patriotes des campagnes, de désarmer nos soldats lorsqu’ils ne peuvent les embaucher, d’attaquer nos cantonnements, postes ou détachements, lorsqu’ils sont faibles, et enfin de soulever les habitants des villes même en les affamant ; leur tactique est de combattre derrière les haies… Vainqueurs, ils égorgent et pillent ; vaincus, ils se dispersent et assassinent les bons habitants des campagnes, que la terreur et le fanatisme divisent. »

Lors de l’expédition de Quiberon, un grand nombre de chouans furent dirigés sur le point de débarquement pour prêter la main aux Anglais et aux émigrés. On sait quel fut pour le parti royaliste le résultat désastreux de cette tentative. La chouannerie en reçut un contre-coup terrible, mais n’en fut pas encore abattue. En outre, un peu plus tard, Charette et Stofflet rallumaient l’incendie en Vendée, espérant vainement une descente du comte d’Artois sur la côte ; mais, comme on le sait, le prince ne fit que poser le pied à l’Île-Dieu, et il fut définitivement arrêté dans son conseil privé qu’on ne pouvait exposer une vie aussi précieuse (octobre 1795).

Mais déjà, sur tous les points, l’insurrection était en décadence. Les continuelles dissensions des chefs, la découragement des soldats, les mesures aussi prudentes que vigoureuses de Hoche, finirent par dompter la révolte. Charette, Stofflet et d’autres chefs durent plier sous la nécessité. En avril 1796, la Vendée, qui, depuis longtemps, n’était plus qu’une chouannerie, fit sa soumission. De Scépeaux conclut le mois suivant un traité avec Hoche et parvint à obtenir l’adhésion de la Mayenne ; la Bretagne, accablée depuis Quiberon, se soumit à son tour, et la pacification fut complète.

La troisième époque de la chouannerie, qui porta aussi le nom de guerre des mécontents, commença vers le milieu de 1799 et se termina au mois de janvier de l’année suivante.

L’insurrection éclata à la fois dans toutes les contrées qui déjà avaient été si longtemps ensanglantées. Les principaux chefs étaient : de Bourmont, de Scépeaux, Georges Cadoudal, de Frotté, et autres, qui avaient déjà marqué dans la guerre civile. De brillants avantages signalèrent l’ouverture de la campagne, et entre autres la prise du Mans ; mais la fureur sauvage qui avait soulevé les hommes de l’Ouest dès 1792 était bien calmée ; ces malheureuses contrées étaient d’ailleurs épuisées, et il fut facile de prévoir l’issue de cette nouvelle lutte. En arrivant au pouvoir, Bonaparte tourna tous ses efforts de ce côté pour obtenir une pacification définitive. Après beaucoup de conférences infructueuses, ayant reconnu que les chouans ne cherchaient qu’à gagner du temps, il fit marcher des troupes nombreuses, et reçut enfin la soumission de la plupart des chefs. Le reste fut dispersé et désarmé. La chouannerie, qui d’ailleurs n’avait plus alors aucune force, fut complétement anéantie.

En 1815, lors du retour de l’île d’Elbe, quelques vieux habitués des guerres civiles, les Dandigné, les Moustache, les Sapinaud, etc., essayèrent de rallumer l’incendie, mais ils furent mis en déroute par Lamarque, après divers engagements.

Le peuple a fait de l’épithète de chouan une injure, flétrissant ainsi des entreprises insensées, appuyées sur l’étranger et qui mirent la France dans un si grand péril. Un écrivain royaliste, J. Duchemin‑Descepeaux a publié, en 1827, des Lettres sur l’origine de la chouannerie (2 vol. in-8°, Imprimerie royale). C’est une réhabilitation systématique, une glorification de cette guerre, que, même à cette époque, les royalistes honnêtes jugeaient sévèrement et distinguaient soigneusement de la Vendée. Toutefois, ce travail, fruit d’une enquête minutieuse, présente un grand nombre de renseignements curieux.

À notre tour, disons qu’il serait bon, qu’il serait français peut‑être, de ne pas se montrer trop sévère envers les chouans, envers la chouannerie. Ici le blâme tomberait sur des paysans ignorants et égarés ; il y aurait de la justice, de l’humanité, de la fraternité à ne point porter un jugement trop farouche sur l’un ou l’autre camp de nos guerres civiles ; et il est probable que si ce brave et honnête républicain qui s’appelle Hoche avait pu écrire les guerres de la Vendée et de la chouannerie, il aurait été de cette opinion.