Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/confesseur s. m.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 4p. 896-897).

CONFESSEUR s. m. (kon-fè-seur— lat. confessor ; de confiteri, confessum, avouer). Chrétien qui a confessé sa foi au péril de sa vie, sans avoir été livré à la mort : Par la nature même des choses, les confesseurs et tes martyrs doivent précéder les docteurs. (J. de Maisue.) Il Suint qui, dans l’office, n’a pas de titre particulier pour le distinguer, n’étant ni apôtre ni martyr : Les saints confesseurs de la foi.

— Prêtre qui entend les confessions : On s’effraye à la vue d’un confesseur, comme s’il

CONF

ne venait que pour prononcer des arrêts de mort. (Bourdal.) Dans les grandes villes, le confesseur ne connaît même pas ses pénitents. (Gerbet.) Charles II faisait passer les confesseurs par l’escalier de ses maîtresses. (Vaquerie.) La confession de Gil Blas, dépouillée des agréments du récit, effrayerait un confesseur aguerri. (P. de Saint-Victor.) Qui voulez-vous, décidément,

D’un confesseur ou d’un amant ?

Collé.

’... De mon confesseur les avis sont mû loi ; Mais le vieux que j’ai pris dit toujours comme moi. C. Délavions.

— Fam. Confident.

.. Voyons, prends-moi pour confesseur ; Se suis-je pas un peu ta mère, un peu ta sœur ?

B. AuoiER.

— Liturg. Ancien nom des chantres.

— Hist. Confesseur du roi, Officier commensal chargé d’entendre la confession du roi, et ayant titre de quatrième ecclésiastique de la cour. Il avait les causes commises aux requêtes’de l’hôtel ou du palais, et jpuissait du droit d’être réputé présent aux bénéfices dont il était pourvu.

— Adjectiv. Qui a confessé la foi : La vraie croix est portée par quatre évêques confesseurs et martyrs. (Chateaub.)

— Encycl. Liturg. L’Église ne proposa d’abord à l’admiration et au culte des fidèles que ceux qui avaient rendu témoignage à la foi au prix de leur sang, c’est-à-dire lesnmriyrs

— du grec martyres, témoins. Plus tard, elle canonisa encore ceux qui, pendant les persécutions, avaient confessé la foi, sans perdre la vie, et enfin ceux qui, dans un temps quelconque, s’étaient signalés par leur zèle pour la religion, leurs vertus et la sainteté de leur vie ; les saints appartenant à ces deux dernières catégories reçurent le nom de confesseurs. Le nom de confesseur s’applique donc, dans le langage ecclésiastique, à tous les saints autres que les martyrs. On distingue cependant assez ordinairement trois classes de saints : les apôtres, les martyrs et les confesseurs, et pour les derniers ou les subdivise en confesseurs pontifes, confesseurs docteurs, et confesseurs non pontifes, selon qu’ils ont été évêques ou papes, qu’ils ont éclairé l’Église de leurs lumières, ou qu’ils ont été de simples fidèles, dont la science n’a pas jeté un bien vif éclat. C’est au iii<s siècle qu’on trouve les premières traces d’un culte rendu aux confesseurs. Origëne parle d’une intercession de tous les saints de Dieu, et saint Cyprien s’efforce de faire rendre aux confesseurs les mêmes honneurs qu’aux martyrs. Au ive siècle, ce culte a déjà fait des progrès, surtout celui de la Vierge. Enfin, on sait comment Martin de Tours, qui mourut vers l’an ■400, reçut, sans être martyr, le culte des Francs d’abord, qui le choisirent pour leur patron, et ensuite celui du monde entier. Déjà, du reste, l’Église, sortie victorieuse de l’ère des persécutions, commençait à vivre d’une vie paisible, et n’ayant plus autant d’occasion d’admirer les grands dévouements qui se traduisaient par la perte de la vie, elle reportait sur des vertus plus calmes les hommages et J’admiration des fidèles.

M. de Rossi a publié, dans son bulletin de 1864, une inscription curieuse qui remonte au ive siècle, et qui a été découverte à Milan. Nous la trancrivons ici :

ET. A. DOMINO. CORONATI. SVNT. BEATI.

CONFESSORES. COMITES. MARTYRVM.

AVRELIVS. DIOGENES. CONFESSOR. ET.

VALERIA. FELICISSIMA. BIBI. IN. DEC FECËRVNT.

Dans cette inscription on voit que les confesseurs étaient traités de bienheureux compagnons des martyrs. Seulement, ici il nous faut remarquer que le mot comités a plutôt le sens d’aides, adjutores, que celui de simples compagnons. Ils aidaient, en effet, a la propagation de la foi nouvelle, tout autant que les martyrs, dont ils étaient ainsi plutôt les’ aides, les coadjuteurs, que les compagnons. Quant au culte qu’on leur rendait, nous ne savons pas d’une façon bien précise de.quelle nature il était. Saint Jérôme nous apprend que, la veille de la Saint-Antoine, Ifilarion, ermite, faisait, dans la nuit, ce que l’on appelait des vigiles sacrées ; c’est-à-dire qu’il était en prière toute la nuit qui précédait la fête de saint Antoine. Maintenant Sozomène nous apprend que plus tard Hilarion eut aussi sa fête, et qu’une femme nommée Constantia venait prier la nuit près du tombeau d’Hilarion.

— Dr. canon. Dans les premiers siècles du christianisme, le pénitent offrait une pièce de monnaie au prêtre qui l’avait confessé. Par la suite des temps, lorsque ce fut une obligation de conscience pour les chrétiens de laisser en mourant une partie de leurs biens à l’Église, et qu’on refusa la sépulture à ceux qui n’avaient pas rempli ce devoir, la position de confesseur devint aussi importante que lucrative ; c’est alors qu’on vit cette lutte entre le clergé séculier et le clergé régulier pour la direction des consciences, à laquelle de grands avantages étaient attachés. Le moine faisait donner à son couvent, le curé à son église, et leur avidité était d’autant plus grande, leur mendicité d’autant plus importune que ce n’était pas pour eux qu’ils demandaient, et cette sorte d’impersotmalité leur ôtait toute retenue. Lorsque cet abus des donations eut

CONF

peu à peu disparu, la fonction de confesseur procura d’autres avantages : elle introduisait dans le secret des familles, mêlait celui qui en était revêtu à la plupart des affaires importantes, le faisait conseiller en même temps que confident, et par là lui donnait de l’influence et du pouvoir. S’il y avait rivalité pour la direction des consciences du peuple ou de la bourgeoisie, que devait-ce donc être lorsqu’il s’agissait de celle des grands, des princes et des souverains ! C’était la, puissance et la domination qu’on obtenaitavec cesfonctions, et, sous un roi dévot, il valait mieux être confesseur que premier ministre. De là les luttes, les rivalités, les intrigues sans nombre mises en jeu par les divers ordres religieux pour obtenir ce poste d’une importance sans égale. Presque partout la victoire resta aux jésuites, personne ne pouvant les égaler en adresse et en habileté, pour ne pas dire plus ; car ces vénérables Pères savaient exciter la crainte a défaut de l’amour, comme on peut le voir par le fait suivant que rapporta Saint-Simon : « Maréchal, premier chirurgien du roi, qui avait sa confiance, homme droit et parfaitement vrai, nous a conté une anecdote bien considérable et qui mérite de ne pas être oubliée. Il nous dit que le roi, dans l’intérieur de ses cabinets, regrettant le P. Lachaise et le louant de son attachement à sa personne, lui avait raconté une grande marque qu’il lui en avait donnée : que, peu d’années avant sa mort, il lui dit qu’il se sentait vieillir, qu’il arriverait peut-être plus tôt qu’il ne pensait qu’il faudrait choisir un autre confesseur ; que rattachement qu’il avait pour sa personne le déterminait uniquement à lui demander en grâce de le prendre dans sa compagnie, qu’elle était bien éloignée de mériter tout ce qui s’est dit et écrit contre elle, mais qu’enfin il lui répétait qu’il la connaissait, que son attachement à sa personne et à sa conservation l’engageait à le conjurer de lui accorder ce qu’il lui demandait, que c’était une compagnie très-étendue, composée de bien des sortes de gens et d’esprits dont on ne pouvait répondre, qu’il ne fallait point mettre au désespoir et se mettre ainsi dans un hasard dont lui-même ne pouvait répondre, et qu’un mauvais coup était bientôt fait et n’était pas sans exemple. Maréchal pâlit à ce récit que lui fit le roi, et cacha le mieux qu’il put le désordre où il en tomba. ■ Dans une semblable occasion, un autre jésuite fut encore plus franc et plus explicite, quoique le conseil qu’il donna fût tout contraire.

Le confesseur de Victor-Amédée, roi de Sardaigne, étant à l’extrémité, fit prier le roi de venir le voir, et lui tint ce langage : «Sire, j’ai été comblé de vos bontés, je veux vous en marquer ma reconnaissance ; ne prenez jamais de confesseur jésuite." Ne me faites point de question, je n’y répondrais pas. »

C’est avec le P. Cotton que commence le règne des jésuites dans le confessionnal des rois de France ; il ne fit pas comme certains de ses successeurs, et n’abusa pas de sa position pour perdre les ennemis de sa compagnie, dont pourtant il obtint le rappel, qui fut aussi fatal à la France qu’au monarque lui-même. Henri IV, d’ailleurs, n’était pas roi à se laisser mener par son confesseur, quoiqu’on lui répétât toujours par manière de plaisanterie qu’il avait du colon plein les oreilles. On sait qu’il demanda un jour au P. Cotton :’ ■ Que feriez vous, si quelqu’un venait vous révéler en confession qu’il veut m’assassiner ? — Sire, je me mettrais entre vous et l’assassin. » Observait-il la même discrétion sur ce que lui confiait son royal pénitent, et ne pourrait-on pas trouver à Rome quelques notes de lui dans les portefeuilles ou sont classées les correspondances envoyées par les confesseurs des souverains ? Les confesseurs de Louis XII ^jésuites également, ne jouèrent aucun rôle dans la politique et dans les événements ; la place était prise par Richelieu, qui se servait d’eux pour diriger le roi plus à son aise, pour faire par exemple naître des scrupules dans son âme sur son attachement platonique pour M’ie d’Hautefort, dont le cardinal redoutait l’influence. Quant à lui, il ne subissait l’influence d’aucun confesseur ; son seul confident était le P. Joseph, et Dieu sait si ce qu’il lui confiait avait trait à la religion. Sixte V ordonnait à son aumônier de lire son bréviaire pour lui, n’en ayant pas le temps à cause des soins et des soucis de sa principauté temporelle. Richelieu devait faire de même et conseiller à son confesseur de faire pénitence à sa place. C’est avec Louis XIVque commence la prépondérance bien marquée du confesseur du roi, qui était un personnage important de la cour et qui figure dans les annuaires. On lit, dans l’État de la France en 1712, l’article suivant à propos du confesseur du roi : » Le R. P. Michel Le Tellier, jésuite : 1,200 livres de gages, 2,654 livres de livrées à la chambre aux deniers, 3,000 pour l’entretien de son carrosse, et une table ordinairement de six couverts servie toutes les fois qu’il vient à la cour. Aux grandes fêtes, lorsque le roi fuit ses dévotions, le R. P. confesseur se trouve à l’église auprès do Sa Majesté, revêtu du surplis sous le manteau avec le bonnet carré ; aux autres jours de l’année, il assiste, quand il lui plaît, à la messe du roi, mais sans surplis ni bonnet carré. » Par une charte de Philippe le Long, faite à Bourges, le 16 novembre 1318, il était défendu à tous de parler au roi durant qu’il entendait la messe, hormis à son confesseur, qui pouvait lui parler seulement

CONF

des choses qui intéressaient sa conscieure. Et après la messe, il pouvait lui parler de ce qui concernait le fait de la collation des bénéfices.

Le P. Ferrier, confesseur de Louis XIV, pendant sa jeunesse, joua un rôle peu important ; les amours du roi étaient secrètes, les maîtresses n’étaient pas déclarées publiquement, les arrangements se passaient dans l’intérieur du confessionnal, et le confesseur ne se trouvait pas dans la rude alternative ou de perdre une place à laquelle il tenait, ou de tolérer des scandales que la simple morale réprouvait hautement. Telle fut la position critique du P.- Lachaise, qui succéda au P. Ferrier ; les difficultés de sa position lui causèrent bien des insomnies. C’était lui qui était le confesseur en titre au moment où la faveur de Aime de Montespan donnait à la ville et à cour le spectacle d’un double adultère. Plus d’une fois, à l’époque des fêtes de Pâques, il feignit une maladie pour n’avoir pas à refuser 1 absolution à son royal pénitent ; c’est ainsi que, dans l’ancienne Chambre des pairs, à certains jours de procès politiques, on voyait inévitablement un certain nombre de pairs tomber malades. Une fois, il envova à sa place lo P. Deschamps, qui refusa bravement l’absolution. Le P. Lachaise n’avait pas un semblable courage ; aussi, dans ses moments d’humeur, Mm| ! de Montespan l’appelait la chaise de commodité. Quand le roi approcha de l’âge mûr, que la fougue de ses sens fut éteinte, l’influence du confesseur se fit sentir d’une façon plus déplorable, et son intervention fut plus fatale encore que ne l’avait été sa tolérance. Il persuada au monarque que ramener les hérétiques dans le sein de l’Église serait une œuvre agréable au ciel et une expiation de ses anciennes erreurs ; de là la révocation de l’édit de Nantes. Ce fut lui aussi qui détermina Louis XIV : i épouser M’ie de Maintenon ; mais il s’opposa à la publication du mariage, ce que la favorite ne put jamais lui pardonner. Il n’en resta pas moins le confesseur du roi jusqu’à ses derniers moments, quoique bien souvent il eût demandé à se démettre de cette charge, que ses infirmités lui rendaient pénible. « Il fallut continuer à porter le faix jusqu’au bout, dit Saint-Simon ; les infirmités et la décrépitude qui l’assaillirent bientôt après ne purent le délivrer. Les infirmités, la mémoire éteinte, le jugement affaissé, les connaissances brouillées, inconvénients étranges pour un confesseur, rien ne rebuta le roi, et jusqu’à la fin il fit apporter le cadavre et dépêcha avec lui les affaires accoutumées.» Après la mort du P. Lachaise, il fallut lui donner Tin successeur : ce n’était pas petite affaire, et bien des compétitions se produisirent. C’était le confesseur royal qui était chargé de la feuille des bénéfices, et il voyait les plus grandes dames, les plus hauts seigneurs lui donner la direction de leur conscience, espérant par là obtenir les faveurs du maître. Il était aussi le confesseur du Dauphin ; car, sur le chapitre du confesseur, Louis XIV prétendait régnnter sa famille ; volontiers il l’eût fait pour tout son royaume, mais il se bornait seulement à exercer celte tyrannie sur ceux qui lui étaient immédiatement soumis. Tels étaient, par exemple, les prisonniers de la Bastille, qui ne pouvaient se confesser que par ordre exprès du roi, ordre qui portait le nom du confesseur auquel le détenu pouvait avoir recours. Dans le palais de Versailles, bien plus forte était la contrainte, et les fils, petits-fils et autres membres de la famille du grand roi devaient recevoir de la main du monarque un confesseur, nui était alors un accessoire indispensable et taisait pour ainsi dire partie de la domesticité. « Le V. Le Tellier, dit Saint-Simon, pensa que lo P. La Rue avait besoin de quelques marques de considération, après ce qui lui était arrivé à la mort de la Dauphine. Lo roi le nomma donc confesseur de M. le duc do Berry, et déclara qu’il réservait pour le petit Dauphin le P. Martineau, qui l’était de celui dont la perte affligeait toute l’Europe. » Or voici ce qui était arrivé au P. La Rue : il était confesseur de la duchesse de Bourgogne, qui l’avait accepté de la main du roi, au bon plaisir duquel elle avait fait bien d’autres sacrifices. Mais lorsqu’elle se trouva sur son lit de mort, à ce moment où les ménagements et les flatteries ne sont plus de saison, elle lit comprendre à son confesseur par ordre qu’elle en aimerait tout autant un autre. Celui-ci s’y résigna, etalla chercher lui-même le religieux que la princesse lui avait indiqué. Cet événement, si simple en lui-même, ne laissa pas de faire un immense éclat à 1(1 cour de Versailles, où il dut se reproduira plus d’une fois.

Après un mois d’informations prises par les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, par l’évêque de Chartres et lo curé de Saint-Sulpice, pour le malheur de la France et de la religion, la place de confesseur du roi fut donnée au P. Le Tellier. Ce nom est resté célèbre dans les annales des persécutions, et on ne peut plus le séparer désormais des troubles de fa bulle Unigenitus et.de la destruction de Port-Royal. En parlant de ces deux événements, nous dirons le rôle qu’y joua ce sombre jésuite, dont Saint-Simon a dit : « C’étoit un homme terrible qui n’alloit à rien moins qu’à destruction, à couvert et à découvert, et qui, parvenu à l’autorité, ne s’en cacha plus.» À la cour de Louis XV. où le libertinage levait effrontément la têto et sa montrait au grand jour, l’influence des confesseurs alla s’amoindrissant. Cette charge, occupée alors par le P. Pérusseau, devint presque une sinécure, et le roi n’avait recours à son confesseur que dans ses maladies ou ses rares accès de dévotion. Lorsqu’il tomba malade à Metz, on voulut renvoyer la duchesse de Châteauroux ; il se passa alors dans la chambre du roi une comédie qui mérite d’être rapportée, et qui montre combien la religion s’était avilie en se faisant la servante des grands. Voici comment la rapporte le maréchal de Richelieu, qui y joua un si grand rôle et qui était lié d’intérêt avec la duchesse de Châteauroux. « … Ils imaginèrent de traiter avec le confesseur du roi, le P. Pérusseau, jésuite. Ils le firent venir dans un petit cabinet, à côté du lit du roi, et la duchesse de Châteauroux lui demanda si elle serait obligée de partir, en cas que le roi désirât la confession et les autres sacrements ; mais le jésuite, embarrassé, manifestait ses inquiétudes en balbutiant, et ne lui donnait que des réponses inintelligibles. « Parlez donc, Père Pérusseau, lui disait avec impatience Mme de Châteauoux, et déterminez-vous. Ne permettez pas que je sois renvoyée scandaleusement ; la réputation du roi sera moins compromise si je pars secrètement. Si je sors, au contraire, forcément, cette manière, en outrageant le roi, me déshonorera. » Pérusseau, qui était fin et adroit, se souciait peu intérieurement d’outrager Mme de Châteauroux, s’il pouvait conserver une place précieuse et chère à sa compagnie. En parlant, il ne voulait pas dire ce qu’il voulait faire, et, en ne parlant pas, il impatientait le duc de Richelieu et la favorite, peu endurants de leur naturel. Obligé de leur répondre, Pérusseau répétait sans cesse, dans son embarras : « Mais madame, le roi ne sera peut-être pas confessé. — Il le sera, répondait la duchesse, car le roi a de la religion, j’en ai aussi, et je serai la première à l’exhorter à se confesser pour le bon exemple. Je ne voudrais pas m’exposer à prendre sur moi qu’il ne le fût pas, mais il s’agit d’éviter un scandale : serai-je renvoyée ? dites-le moi. » Pérusseau, aussi embarrassé que la duchesse, répondait encore en balbutiant qu’il n’était pas permis d’arranger d’avance la confession d’un malade ; qu’il ne connaissait pas la vie du roi ; que la conduite du confesseur dépendait de l’aveu du pénitent, et que, n’ayant personnellement aucune mauvaise opinion des rapports intimes du roi avec madame la duchesse, le résultat dépendait des aveux du roi. « S’il ne faut que des aveux, répliqua la dame, je vous confesse, Père Pérusseau, que j’ai péché avec le roi tant que nous l’avons voulu, et avec habitude. Est-ce le cas de me faire renvoyer par le roi Louis XV ? N’y a-t-il pas quelque exception pour un roi ? » L’idée du roi en danger jetait Pérusseau dans un plus grand embarras. Il avait été secrètement résolu, dans le parti des princes, de faire renvoyer la duchesse, si le roi se confessait ; mais, si le roi guérissait sans confession, Pérusseau ne voulait pas s’exposer au ressentiment de la maîtresse, ni être renvoyé lui-même après la convalescence, si le roi la reprenait. Dans cette perplexité, il voulait s’évader et gagner la porte du petit cabinet ; mais le duc de Richelieu, qui en occupait l’entrée et qui tenait la porte entr’ouverte, s’y opposa, et lui répliqua vivement, poussé à bout par ses expressions entortillées : « Ah ! Père Pérusseau, soyez donc galant envers les femmes ; accordez à présent même à Mme la duchesse de Châteauroux la faveur de quitter la cour sans scandale. Vos car, vos peut-être et vos si nous désolent. » Le jésuite, patient et résolu à tout souffrir, persistait à garder un profond silence, et Richelieu, voyant cette résistance soutenue, saute sur le P. Pérusseau, et, l’embrassant avec ses grâces et toute l’expression de sa galanterie ordinaire, le presse étroitement, et dit au jésuite avec le ton de la plaisanterie : « Je vois bien, mon révérend Père, que vous êtes peu sensible à la beauté des femmes » et le serrant encore plus étroitement, il ajoute : « Faites donc pour moi, qui ai toujours aimé les jésuites, ce que les Pères de l’Église les plus galants ont permis aux confesseurs en semblable circonstance. » Pérusseau, encore plus inflexible, persistait dans son mystérieux silence, ne voulant pas être un jour poursuivi par le duc et par la duchesse si le roi guérissait sans confession, ni avouer d’avance ce qu’il avait résolu de faire, et ce qu’il était possible qu’il ne fît pas en cas de guérison. Mme de Châteauroux était dans la désolation, tous les moments lui étaient précieux, et il ne lui restait plus que l’usage de ses attraits et de ses grâces pour gagner Pérusseau. Elle prit donc de ses douces mains le menton du jésuite, et lui dit les larmes aux yeux et avec sensibilité : « Je vous jure, Père Pérusseau, que si vous voulez éviter un éclat, je me retirerai de la chambre du roi pendant sa maladie. Je ne reviendrai plus à la cour que comme son amie, et jamais comme maîtresse ; je me convertirai et vous me confesserez. » Pérusseau, encore plus inflexible, continua à les laisser tous deux dans l’incertitude sur ce qu’il avait à faire s’il confessait le roi. »

Malgré cette conduite prudente et réservée, c’est ici une les dernières intrigues où paraissent les confesseurs de nos rois, et sous Mme de Pompadour la destruction de l’ordre des jésuites mit fin pour jamais à leurs manœuvres souterraines. Depuis cette époque, le confessionnal fut donné à un pauvre curé de campagne qui était comme aveugle, sourd et muet, et restait complètement étranger à la cour.

Parmi les autres confesseurs influents de cette époque, il faut citer celui de Marie Leczinska, qui lui donna de si funestes conseils, et qui, en lui persuadant de tenir la dragée haute à Louis XV, fut la cause première des honteuses débauches dans lesquelles ce prince se plongea. L’abbé Polet, confesseur du cardinal Fleury, exerça longtemps une grande influence ; il n’en usa que pour obtenir des lettres de cachet contre les jansénistes. Enfin le confesseur de la duchesse de Berry, fille du régent, mérite aussi une mention spéciale : celle-ci le faisait assister à toutes ses orgies, pour n’avoir pas ensuite la peine de s’en confesser.

L’Espagne, le pays catholique par excellence, vit aussi le règne des confesseurs du roi. Les plus célèbres sont le P. Nithard et le P. d’Aubenton, Le premier abusa tellement de son influence sur la reine, que l’indignation publique le força de quitter l’Espagne et de se retirer à Rome. Le P. d’Aubenton fut envoyé par Louis XIV pour servir de confesseur à Philippe V, et ce ne fut pas sans peine qu’il put être mis en possession de cette place qui, jusqu’à ce jour, avait été le privilège exclusif des dominicains. Renvoyé par le crédit de la princesse des Ursins, il fut rappelé après la chute de cette intrigante, et confessa le roi jusqu’à sa mort. Son influence, comme celle de tous les jésuites, fut fatale à l’Espagne et à la France, et tous ses efforts ne tendirent qu’à assurer les intérêts de sa compagnie. Louville, ambassadeur de Louis XIV à Madrid, raconte une conversation qu’il eut avec d’Aubenton, et qui montre une fois de plus par quelle curiosité indiscrète et déplacée la plupart des prêtres discréditent le confessionnal : « Encore un trait de fausseté niaise de d’Aubenton. Il me vint trouver l’autre jour, et me dit qu’il trouvait le roi triste, et qu’il attribuait en grande partie ses vapeurs à l’excès de sa passion pour la reine. Il me pria bonnement ensuite de lui apprendre à distinguer l’usage de l’abus sur cet article, attendu que, n’ayant pas été mari, nécessairement il était fort inhabile à donner des conseils en cette matière. « Mon père, lui répondis-je, comme je n’ai pas été plus mari que vous, je ne dois pas en savoir davantage, et vous vous adressez mal. Cependant, j’ai ouï dire aux médecins, ce que je ne garantis pas, que ces sortes de choses ne comportent pas de règles fixes. La constitution des personnes, l’âge, le climat et la saison peuvent influer sur ce qui est utile ou nuisible en ce genre ; et c’est au bon sens de la personne, aidé de sa modération naturelle, à peser le pour et le contre, ou, si vous l’aimez mieux, le plus ou le moins. Par exemple, j’ai entendu fort mal parler de la canicule à ce propos. — Mais, reprit le confesseur, vous connaissez le prince et le climat d’Espagne, expliquez-vous positivement par des nombres. — Ah ! mon Père, m’écriai-je, vous avez volé celle-là à Sanchez ; je vous conseille de retourner à ce savant homme, car il fait assez souvent les demandes et les réponses. — Bon, dit-il, voilà qui est de la plaisanterie. Parlons sérieusement : estimeriez-vous qu’un tête-à-tête tous les deux jours fût une mesure sage ? — Vraiment, répliquai-je, votre proposition est des plus raisonnables, et les gens seraient de bien méchante humeur qui ne s’en accommoderaient pas. — Donc, si le Roi Catholique se renfermait dans son intérieur deux fois chaque jour, il y aurait abus ? — Oui, mon père, et encore plus s’il s’y renfermait trois. — Eh bien, c’est que justement le roi se trouve dans ce cas-ci. — Eh bien, mon père, Dieu lui soit en aide ! Au surplus, ajoutai-je, il serait malheureux que le roi se fatiguât pour une aussi mauvaise besogne, car on assure que nous n’avons point encore de reine d’Espagne. » Là-dessus, notre homme me conta que la nature, qui n’avait rien refusé aux deux époux, tant s’en faut, ne les avait point créés l’un pour l’autre ; et, pour aider mon intelligence, il se servit, en parlant de la reine, du mot areta, qui est du latin de casuiste espagnol. Vous voyez que le bon Père aime les détails de ménage. »

Les rois d’Espagne ont eu bien d’autres confesseurs ambitieux et complaisants. Un des descendants de Philippe V n’allait chez sa maîtresse, qui était religieuse, qu’accompagné de son médecin et de son confesseur, qui l’attendaient à la porte, et qui, à sa sortie, soignaient également et son corps et son âme.

En Espagne, le dernier confesseur officiel a été le P. Claret, dont les suggestions n’ont pas peu contribué à la chute d’Isabelle II. Ce prêtre est un ancien militaire, qui a jeté la casaque aux orties dans la circonstance suivante. En 1824, il faisait partie de la bande de Cabrera, qui était serrée de très-près par les christinos. Un jour, la petite troupe, cernée de tous côtés, se croyait complètement perdue ; Claret fit alors vœu d’embrasser le sacerdoce si la Providence le tirait de ce danger. Il parvint à s’échapper et tint parole. Quelque temps après son ordination, il fut nommé évêque de Cuba et aumônier de la reine, qu’il accompagna lorsqu’elle s’enfuit d’Espagne, au mois d’octobre 1868. C’étaient de semblables causes, c’est-à-dire la direction des jésuites, qui, en 1638, avaient amené la révolution qui chassa Jacques II du trône d’Angleterre ; mais, comme dit le poète :

L’exil jamais n’a corrigé les rois.

Parmi les confesseurs dont l’histoire a gardé les noms, il faut citer ce prêtre de Versailles, nommé Lécuyer, qui osa refuser l’absolution à Mme de Montespan, ce qui fit beaucoup de bruit à la cour ; le roi ne se calma que lorsque Bossuet lui eut remontré que ce prêtre avait agi selon sa conscience. Il y eut aussi le confesseur de Boileau, dont le satirique parlait en ces termes : « Un bon prêtre, à qui je me confessais, me demanda quelle était ma profession : — Poëte. — Vilain métier ! Et dans quel genre ? — Satirique. — Encore pis ; et contre qui ? — Contre les faiseurs d’opéras et de romans. — Achevez votre confiteor. »

Parlons aussi du confesseur du fabuliste. Le confesseur de La Fontaine, voyant son pénitent attaqué d’une maladie dangereuse, l’exhortait à réparer le scandale de sa vie par des aumônes : « Je n’en puis faire, répondit le poëte, je n’ai rien ; mais on prépare une édition de mes Contes, et le libraire doit me remettre cent exemplaires ; je vous les donne ; vous les ferez vendre pour les pauvres. » Le confesseur, aussi simple que le pénitent, alla consulter un de ses confrères pour savoir s’il devait accepter cette singulière aumône.

Terminons par une anecdote moderne, qui ne manque point de piquant. Une coquette sur le retour voulut mettre sa conscience en règle ; elle se présenta chez un bon curé de campagne. « Voyons, ma fille, lui dit le prêtre, commencez. — Je n’ai point volé, je n’ai point prêté à usure, je n’ai point médit de mon prochain… — Mais alors ? — Hélas ! j’ai eu quelques faiblesses. — Ah ! et sont-elles nombreuses ? — Mon Dieu ! on ne tient pas un compte par doit et avoir de ces fantaisies-là. — Eh bien ! ma fille, tâchez de vous rappeler par à peu près, et, pour chaque faiblesse, mettez un cierge brûler devant l’autel des âmes en peine. » Le lendemain, le bon curé sortait de son presbytère, lorsqu’il rencontre sa pénitente, portant une caisse de cierges sur sa tête et une autre sous son bras. « Oh ! fit-il. — Il n’y a pas de oh ! il n’y a pas de ah ! monsieur le curé ; j’en ai encore trois caisses à la maison. »