Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/provençal, ale adj.

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 321-322).

PROVENÇAL, ALE adj. (pro-van-sal, a-le). Géogr. Qui est de la Provence ; qui appartient à la Provence ou à ses habitants : Littérature provençale. Langue provençale. La plus grande gloire de la poésie provençale est d’avoir eu pour fille la poésie italienne. (Fonten.) C’était ce mélange de graisse fraîche et d’ail qui signale la cuisine provençale. (Alex. Dum.)

— Substantiv. Habitant de la Provence : Tout le monde sait que Pétrarque fut inspiré par une Provençale. (Fonten.) On connaît la pétulance des Provençaux, leur brutale jovialité. (Michelet.)

— s. m. Langue parlée en Provence : Le provençal, qui n’est qu’un des grands dialectes de la langue d’oc, tient, par son système de vocalisation, du portugais et de l’espagnol. (A. Maury.)

— s. f. Jeux. Manière de mêler les cartes en les jetant sur le tapis les unes après les autres et en différentes places.

— Erpét. Espèce de couleuvre.

— Bot. Variété de giroflée.

— Loc. adv. À la provençale, À la manière des Provençaux : Mon procès, dit-il en grasseyant sur les r et accentuant tout à la provençale, est quelque chose de bien simple. (Balz.)

— Art culin. Se dit de certaines préparations usitées en Provence : Moules à la provençale. Qui n’a pas senti sa bouche se mouiller en entendant parler de truffes à la provençale ? (Brill.-Sav.) Il y avait dans la liberté du tête-à-tête un grain de cette vieille gaieté gauloise, relevée ici d’une pointe d’ail à la provençale. (Ste-Beuve.)

— Encycl. Linguist. Le provençal, un des dialectes principaux de la langue d’oc, est le plus ancien idiome qui se soit formé du latin ; il arriva de très-bonne heure, dans les poésies des troubadours, à une haute perfection littéraire, au point qu’à un certain moment, du XIIe au XIVe siècle, on put croire qu’il serait la langue définitive du sud de la France, de l’Espagne et de l’Italie. Avant que Dante eût donné une vitalité nouvelle à l’idiome populaire italien, c’est en provençal qu’écrivaient les poëtes italiens, et lui-même a laissé, dans cette langue, un certain nombre de canzones ; après qu’il eut adopté l’italien, il n’en continua pas moins d’emprunter aux Provençaux leur poétique et leurs procédés littéraires. Il en fut de même en Espagne avant que le castillan l’emportât définitivement sur les autres idiomes locaux ; le provençal était la langue poétique dans les cours de Barcelone, de Castille et de Portugal. Notons, toutefois, que les Portugais et les Espagnols l’appelaient de préférence limosin parce que les troubadours les plus renommés qu’ils connurent chez eux : Bertrand de Born, Bernard de Ventadour, Arnauld Daniel, Giraud de Bornheilh, étaient Limousins et qu’il y avait peu de différence sensible entre ces deux dialectes de la langue d’oc. Si, chez nous, le nom de troubadours provençaux leur est resté, quel que fût leur lieu d’origine, c’est qu’après la disparition des grands centres littéraires de Rodez, de Limoges, de Poitiers, de Toulouse, la poésie méridionale trouva son dernier refuge dans la Provence et que les débris du vieil idiome des troubadours y subsistent encore. On rapporte généralement au Xe siècle le Chant de Boèce, que Lebeuf faisait remonter seulement au XIe, époque où le provençal servit d’expression à la civilisation la plus avancée de l’Europe méridionale. Un des centres principaux de cette langue fut la petite cour de Provence, à Arles. Des princes de la famille qui occupait le trône d’Arles l’introduisirent à la cour de Barcelone, en allant eux-mêmes prendre possession du trône de Catalogne, et les troubadours le portèrent dans toutes les cours de l’Italie et de l’Espagne. Le savant Bembo dit que nul idiome n’avait jamais joui chez les étrangers d’une plus grande faveur que le provençal au XIIe siècle, alors que la littérature des troubadours était à son apogée. Les premiers poètes italiens vinrent étudier leur art chez les maîtres du gai savoir ; Pétrarque, comme Dante, s’essaya dans la langue provençale, qui lui était aussi familière que sa langue maternelle.

Le provençal n’eut pas moins d’influence sur le développement de la littérature française ; l’étude de cet idiome est curieuse sous le triple rapport de la théorie générale des langues, des origines grammaticales de la langue française et de ses propres beautés. En prenant au latin la plus grande partie de son vocabulaire, le provençal a retranché, dans chacun des mots tirés de cette source, à peu près toutes les syllabes qui suivent celle où tombe l’accent tonique. De là vient qu’on y rencontre beaucoup de monosyllabes. C’est ainsi que homo, homme, y est devenu hom ou om. Des flexions de la déclinaison latine, il n’a gardé, comme la langue d'oïl, qu’un s final qui caractérise le nominatif ou sujet singulier et l’accusatif ou régime direct pluriel, tandis que le nominatif pluriel et l’accusatif singulier en sont dépourvus. Les autres cas sont déterminés par des particules, et l’article défini est formé du pronom démonstratif latin contracté. La conjugaison du provençal se fit à l’aide d’auxiliaires, et l’adoption de ces nouvelles formes grammaticales eut pour conséquences celle de nouvelles formes syntaxiques et l’usage de la construction directe. C’est dans la forme du langage que consistait surtout la grâce de la littérature provençale.

Au temps de sa plus grande extension, et en y rattachant les dialectes voisins, le languedocien, le périgourdin, le limousin, l’agenais, etc., le provençal était parlé dans toute la région circonscrite par la Loire, l’Atlantique, les Pyrénées, la Méditerranée et les Alpes. Sa littérature était fort riche ; les romans de chevalerie provençaux : Flor et Blancheflor, Fier-à-bras, Gérard de Roussillon, Renaud de Montauban, Lancelot du Lac, Geoffroy et Brunisende, Roncevaux, jouirent pendant tout le moyen âge d’une grande renommée ; mais en ce genre la littérature du Nord remporta sur celle du Midi, et c’est surtout dans la poésie lyrique, à laquelle ils donnèrent toutes sortes de formes savantes : tensons (dialogues), canzones (chansons), sirventes (satires), plants (plaintes), prézies (chants de guerre), qu’ils eurent une véritable supériorité. Leur poésie amoureuse, canzones, albas (aubades), chansons composées pour être chantées sous les fenêtres des belles, et leur poésie bucolique (pastourelles) sont aussi fort remarquables. Quoique moins cultivée, la prose a laissé encore quelques monuments dignes d’attention, entre autres un traité de Pierre Raymond contre les ariens, une Réfutation de la doctrine des albigeois et des tuschins par Raoul de Gassin. La plus grande partie de ces écrits étaient nés des controverses religieuses ; ils périrent pour la plupart dans les guerres des vaudois et des albigeois. Rudel, Bertrand de Alamannos, Sordello s’étaient exercés dans le genre historique ; on ne connaît plus que les titres de leurs ouvrages. Salviati mentionne une traduction toscane de Tite-Live, faite au XVe siècle, non sur le latin, mais sur une version provençale.

Le provençal reçut un premier coup au XIIIe siècle, lors de l’établissement de l’inquisition : déclaré suspect d’hérésie, il fut proscrit de la rédaction des actes publics, qui dut se faire en latin. Cependant l’emploi s’en prolongea, malgré l’Église, jusqu’à ce que l’ordonnance de 1525 rendît obligatoire l’usage de la langue française. Banni des universités, des collèges, des écoles, il a peu à peu abandonné les villes, mais il est encore parlé dans tous les villages et il jouit toujours d’une certaine faveur, même chez les lettrés. Il est surtout usité dans toute l’ancienne Provence et le Comtat-Venaissin, qui forment aujourd’hui les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, des Basses-Alpes et de Vaucluse ; il anticipe, au nord, dans une partie du département de la Drôme, sur le patois dauphinois ; à l’ouest, il s’étend sur le comté de Nice, et à l’est le Rhône le sépare du languedocien. Le provençal moderne est vif et âpre ; chaque contrée de la Provence a sa manière de le prononcer. Les uns disent ami pour j’aime, les autres aimi ; mais la généralité dit eimi. Dans les montagnes, depuis Barcelonnette jusqu’aux rives du Var, on termine en ous la première personne du singulier du présent de l’indicatif des verbes. Par exemple : aimi, sabi, finissi se disent aimous, j’aime ; sabous, je sais ; finissous, je finis. Dans les mêmes endroits, le c prend le son du ch français dans tous les mots provençaux correspondants aux mots français qui ont cette articulation. Ainsi capeou, camie, cabro sont exprimés chapel, chapeau ; chamie, chemise ; chabro, chèvre. Les Marseillais ne connaissent pas le gn liquide ; ils retranchent le g de cette articulation et ne font entendre que le n dur. Ainsi le mot tigno, engelure, est prononcé par eux tino, et cette dernière expression signifie en provençal une cuve. Les Grassois retranchent la liquider ; aussi pour dire sant Harari, saint Hilaire, ils prononcent sant Aai. Aux environs de Fayence, le peuple fait sentir le r comme si c’était un s, et le mot parti, qui signifie, je pars ou un parti, se prononce pasti, qui veut dire je pétris ou un pâté. Dans le département du Var, le n entre deux voyelles ne se lie pas avec celle qui le suit. Ainsi fanaou, fanal, ne se prononce point fa-naou, mais fan-aou, d’une manière très-brève. Dans certaines communes, on retranche même les nasales et on prononce ocubicou, espèce de figue, au lieu d’ocubicoun. Le l est souvent prononcé comme un r ; il en est ainsi dans les mots palo, pelle ; pielo, pile, qu’on prononce paro, piero. Dans les environs de Bargemont, la syllabe la est prononcée comme si elle était écrite lia : ainsi lou bla, le blé ; la plaço, la place, sont exprimés lou blia, la pliaço, etc.

Le provençal moderne ou patois provençal a hérité d’une grande partie des caractères de l’ancienne langue et il a aussi sa littérature, qui est la plus importante des littératures populaires de la France. Parmi les principaux poètes provençaux modernes, on cite : Diouloufet et Ricard, d’Aix ; Morel, Peyrol et Dupuy, d’Avignon ; Garcin, de Draguignan ; Roumanille, de Saint-Remy ; Désanat, de Tarascon ; Estachon, Pascal, Laydet, de Marseille ; Gros, P, Bellot, Marius Trussy et Mistral, l’auteur de Miréio, Théodore Aubanel, etc.