Hermine Gilquin/VI

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E. Fasquelle (p. 31-34).
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VI


Ce fut le commencement. Il y eut une suite.

Quelques jours après, Pierre Gilquin, revenant tard de traiter une affaire, s’était endormi dans sa voiture. Il faisait nuit noire. Les chevaux, n’étant plus dirigés sur une route qui leur était inconnue, entrèrent dans une grande mare, la voiture chavira, et Gilquin se noya, passant presque sans le savoir du sommeil à la mort.

Le mauvais sort était revenu.

Cette année-là, chez tous, la récolte passa les espérances. Seule, la ferme des Gilquin eut à supporter des désastres. Il y eut une épidémie sur les bestiaux, une autre sur les volailles. On ramassa un peu partout des pigeons morts qui s’étaient envolés lourdement du pigeonnier des Gilquin, comme fuyant une atmosphère de pestilence. Plus de cercles vivants et joyeux autour de la haute tour. Plus rien que les tristes fumées sortant des cheminées et s’évanouissant dans le dur ciel de l’hiver.

Le bruit courut alors que les affaires de la veuve tournaient mal, et que, si cela continuait, les terres ne pourraient rester sous l’empire de ses mains débiles. Les choses, pourtant, allèrent ainsi des semaines et des mois, et la vie sembla recommencer, animer de nouveau les vieilles pierres, les champs toujours reverdissants.

L’année suivante, le temps de son deuil terminé, Hermine fut conviée par une amie de pension à assister à son mariage. C’était la première sortie de la jeune fille depuis la mort de son père. Lorsqu’elle parut, il y eut dans l’assemblée comme une petite émotion, un frisson presque imperceptible, et même, quelques personnes entre elles se communiquèrent instinctivement leur sensation :

— Voilà Hermine, — dirent-elles, — o va arriver queque malheur !

La petite vierge autrefois choyée était devenue un trouble-fête.

On était au plein de l’été. Le déjeuner et le dîner devaient avoir lieu sous une tente. La journée se passa bien. Le soir, un peu avant le dîner, quand tous les invités cherchaient autour des tables la désignation de leurs places, la tente prit feu. En une minute, tout fut en flammes. Des enfants s’étaient amusés à tirer des pétards, une étincelle avait mis le feu à de la paille sèche amoncelée tout près de la toile, et la tente avait flambé. Tout le monde heureusement put sortir du brasier. Hermine fut la seule atteinte. Sa robe fut brûlée, son corps fut couvert de plaies. Seul, son visage resta indemne sous ses deux mains dont elle s’était protégée d’un geste instinctif, et qui furent marquées par les flammes. Sa mère la sauva en jetant sur elle son châle. Elle dut garder le lit pendant plusieurs jours.

Il n’y avait plus à en douter : Hermine, à sa naissance, avait rapporté avec elle les fléaux disparus.