Hespérus/La Vision suprême
La Vision suprême
Une étoile parmi la stagnante épaisseur
Des nuages s’était levée avec douceur,
Faible, et dont le rayon coulant du ciel nocturne
Comme des pleurs de lait d’une fissure d’urne,
En flaques de blancheur s’étalait sur les murs.
L’illuminé songeait sous les cieux moins obscurs.
« Donc j’ai franchi les seuils clos de portes ignées
Et j’ai pu vivre avec les Anges, trente années,
Partageant leurs travaux, leurs jeux et leurs repas,
Ainsi que l’homme vit avec l’homme ici-bas.
J’ai la Sagesse et j’ai l’Amour : j’aurai la vie.
Nuit dernière, d’un jour perpétuel suivie,
O mort ! par qui les yeux se ferment dans le temps
Et dans l’éternité se rouvrent, je t’attends
Comme un homme inquiet va guetter au passage
L’ami qui doit venir, porteur d’un bon message ;
Et de ce remûment plein d’un captif essor
due l’approche d’un souffle imperceptible encor
Communique à la voile, à l’arbre, à la broussaille,
Mon être intérieur infiniment tressaille.
Crépuscule ébloui de devenir le jour,
J’apparaîtrai sous la forme de mon Amour !
Car, pour le Ciel auguste ou pour l’Enfer immonde,
L’homme engendre sa chair future dès ce monde,
Et la verra, selon l’objet dont il s’éprit,
Splendide ou ténébreuse, éclore de l’esprit.
En des candeurs de neige, en des ardeurs de flamme,
Où, sensible, vivra la beauté de mon âme,
Je serai tout mon rêve enfin substantiel ;
Et puisque l’hyménée est le vrai nom du Ciel,
Puisque deux amants purs, que l’intime mystère
D’être unis pour l’Eden fiança dès la terre,
Lui, Sagesse, Elle, Amour, et l’un à l’autre égal,
Deviendront un seul ange auguste et conjugal :
Dans Adramandoni, dont les belles pelouses
Voient avec les Epoux converser les Epouses,
Je verrai, nuptiale, en habits de satin,
Mêlée à la lumière et mêlée au matin,
La femme en qui Dieu mit l’Amour de ma Sagesse !
Déjà, car le Seigneur me fait cette largesse,
Je la vois.
Loin d’ici, sur la terre pourtant,
Une région morne et splendide s’étend,
Cieux glacés, sol durci, mer immobilisée.
Là, du soleil polaire éternelle épousée,
Mais après tant de : jours immaculée encor,
La neige ne sait point l’ardeur des baisers d’or
Et livre sans périls de fonte ni de hâle
A l’impuissant époux sa virginité pâle.
Steppes développant leur blême immensité
Sous un ciel des candeurs de la terre teinté ;
Forêts, gorges, vallons, molles profondeurs blanches
Que parfois, sous le givre éblouissant des branches,
Traverse à pas pesants un carnassier rôdeur,
Muet dans le silence et mat sur la splendeur ;
Villes au loin, hameaux presque enfouis qu’assiège
L’épais grossissement onduleux de la neige ;
Larges fleuves étreints par les glaces, amas
D’avalanches, sommets éclatants de frimas,
Tout s’estompe et se fond dans la monotonie
D’une blancheur intense, immuable, infinie.
Forme sensible à peine eu ce vaste unisson
Du ciel froid, du désert blafard et du glaçon,
S’élève, au flanc des monts, une antique demeure.
Son tranquille escalier que rarement effleure
Le pas d’un serviteur pensif qui disparaît
Sous une voûte ainsi qu’un spectre s’en irait,
Ses arcades qu’au loin la neige continue,
Et le blêmissement de ses toits sous la nue
Forment un édifice étrange et solennel,
Semblable à ces palais que l’hiver éternel
Dresse et maçonne, ayant, sous la brume blanchâtre,
Pour pierre la banquise et le flocon pour plâtre.
Au dedans le silence et la paix sont profonds ;
De froides pesanteurs descendent des plafonds,
Et, miroirs blanchissants, des parois colossales
Cernent de marbre nu l’isolement des salles.
De loin en loin, et dans les dalles enchâssé,
Un bassin de porphyre au rebord verglacé
Courbe sa profondeur polie, où l’onde gèle ;
Le froid durcissement a poussé la margelle
Et le porphyre en plus d’un endroit est fendu ;
Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu,
Roseau de diamant dont la cime évasée
Suspend une immobile ombelle de rosée.
Dans la vasque pourtant, des fleurs, givre à demi,
Semblent les rêves frais du cristal endormi
Et sèment d’orbes blancs sa lucide surface,
Lotus de neige éclos sur un étang de glace,
Lys étranges, dans l’âme éveillant l’idéal
D’on ne sait quel printemps farouche et boréal !
Une vierge aux grands yeux ouverts sur le mystère
Habite avec ces fleurs dans le Nord solitaire.
Le suprême dessein qui règle les hasards
La fit naître du sang impérial des Tzars ;
La gloire, la grandeur presque surnaturelle,
Le faste, elle eut l’orgueil de ces pourpres sur elle,
Et reçut, jeune front peut-être épouvanté,
Un diadème encor, la parfaite beauté.
L’homme se sent pâlir parfois sous la couronne,
La femme, non ; en vain la chute l’environne,
Son vertige a l’ivresse et n’a pas la douleur ;
Dans la main d’une femme un sceptre est une fleur.
Prends cette fleur ! disait le satan qui l’assiège ;
Mais, Dieu l’ayant élue, elle a connu le piège
Et de la terre sombre a détourné les yeux
Comme un rayon jaloux remonterait aux cieux.
Un roi l’aimait ; pensive, elle a conclu l’échange
De l’amour faux d’un roi pour l’amour vrai d’un ange ;
De moment en moment, vers l’Hymen immortel,
Comme un prêtre gravit les marches d’un autel,
Elle monte, pour guide ayant cette courrière
Qui prépare le lit nuptial, la Prière ;
Et, pendant qu’elle aspire à l’immuable Amour,
Le blanc septentrion est l’unique séjour
Auquel, blancheur aussi, son âme se résigne.
Le ciel aura cet ange, et la neige a ce cygne.
Or, la fille des Tzars et moi, nous nous aimons.
Qu’importent entre nous des mers, des deux, des monts !
Tout l’éloignement sombre interpose son voile
Sans dérober l’étoile au regard de l’étoile ;
Et, si distants que l’un de l’autre nous soyons,
Nous nous sentons voisins, à cause des rayons.
Qu’importe que je sois ce vieux à face vile,
Cette chose mêlée aux fanges d’une ville,
Et qu’elle ait la noblesse avec la pureté,
Lys des champs qu’une tige héraldique a porté !
Sa grâce, ma laideur, sa grandeur, ma bassesse,
C’est l’inégalité naturelle, qui cesse,
C’est l’envers du mental, l’extérieur du front ;
Nos êtres sont égaux dans ce qu’ils deviendront.
L’un chez l’autre adorant les parités futures,
Nous secourons les fers et romprons les clôtures
De l’épreuve, prison qui nous possède en vain ;
Il faut être terrestre avant d’être divin,
Mais par je ne sais quoi de moins lourd dans nos chaînes
Se dénonce l’essor des libertés prochaines !
O jeune Ame, vouée à mon âme déjà
Quand de l’antique nuit la lumière émergea,
De mon chaste désir éternelle vestale,
Nous vêtirons enfin notre splendeur totale !
Couchés le même jour, selon d’anciens accords,
Moi dans le sol obscur qui ressemble à mon corps,
Toi dans la neige pâle à qui ton corps ressemble,
Nous ressusciterons, transfigurés ensemble,
Et déjà, pour sourire aux divins épousés,
Les beaux Anges en deux groupes se sont posés
Sur les blancs escaliers de la mystique enceinte,
Ceux-ci vêtus de pourpre et ceux-là d’hyacinthe ! »
Tel il songeait. Ses doigts en un geste enfantin
Vers l’épouse promise à son rêve hautain
Envoyaient le baiser des jeunes fiançailles,
Et son ombre difforme errait sur les murailles.
Tout à coup, avec l’air d’une bête en arrêt,
Il se tut.
Tout le ciel, plein d’astres, l’éclairait.
Crispé, roide, il tendait une oreille éperdue
Sans doute vers des voix d’anges dans l’étendue.
Autour de nous s’accrut le silence. On eût dit
Que les bruits se taisaient afin qu’il entendît.
Quoi ! ce murmure épars des Esprits dans l’espace,
Qui confondrait l’ouïe humaine et la dépasse
Par les vibrations d’un éther trop subtil,
Le pouvait-il entendre et le comprenait-il ?
Il écoutait. Parfois, ouvertes par l’extase,
Ses lèvres remuaient, répétant une phrase ;
Et, bientôt, l’œil sublime et le front surhumain,
Sous l’ombre éblouissante, il s’écria : « Demain ! »
Demain, la fange aura pris l’époux, et, jalouse,
La neige épaissira le linceul de l’épouse ;
Mais l’archange-prophète a dit : « Vous revivrez ! »
O réveil ! nous montons, réunis, délivrés,
Purs êtres que plus rien d’extérieur n’altère.
Qu’était-ce que le noir océan, et la terre,
Et le pâle soleil de l’antique ciel bleu ?
Des éléments : de l’eau, de la boue et du feu.
La nature d’en bas, c’est l’éternelle morte.,
Une élévation sublime nous emporte
Vers le monde vivant des Cieux définitifs,
Et, libres d’autant plus que nous fûmes captifs,
Humains, mais déchargés des pesanteurs infâmes,
Nous n’avons de l’épreuve emporté que nos âmes,
C’est-à-dire la forme intime de nos corps.
Être esprit, c’est avoir le dedans pour dehors.
Nous montons, éblouis, des chemins de lumière !
Quand j’hésite, c’est toi qui passes la première.
Parfois, vêtu de pourpre, un angélique Esprit
S’envole devant nous, se retourne, et sourit.
Nous le suivons, heureux, ma main serrant la tienne
Pour que l’un, s’il faiblit, de l’autre se soutienne,
Unis, mais d’un peu loin et les regards baissés,
Comme il convient, n’étant encor que fiancés.
O cieux purs ! le chemin de lumière se hausse !
Mais le Tartare, en bas, fuligineuse fosse,
Érige des palais de fange et de roseaux ;
Et, rauque, une clameur, comme à travers des eaux,
Apporte jusqu’aux cieux spirituels l’insulte
De l’orageux Enfer qui dans sa haine exulte !
« Maîtres des lâchetés et seigneurs des effrois,
Nous sommes les héros, les papes et les rois !
Broyés sous nos talons, du sang de leurs blessures
Les peuples résignés empourprent nos chaussures ;
Et Dieu s’écroulerait s’il n’avait pour appui
Notre divinité par où l’on croit en lui.
A nous le Sceptre, à nous la Crosse irréfutable !
Mais au banquet splendide où notre orgueil s’attable
Deux princes manqueraient si vous étiez absents,
Jeunes Anges ! »
Ainsi nous tentent les Puissants.
« Les Sceptres, qu’on les fonde ! et vendez les Tiares !
Hurle à son tour la voix mauvaise des Avares,
Cri plus âpre, monté d’un enfer plus obscur.
L’or est beau, l’or est bon, l’or est grand, l’or est pur !
Plus puissant que la Force et l’Orgueil, et plus sage,
Il a, Dieu virtuel, le mépris de l’usage,
Et dans tout homme ayant amassé des tas d’or
N’allume que l’amour d’en amasser encor.
Par nous, vous connaîtrez, Ames longtemps dupées,
L’extase de sentir entre ses mains crispées
Courir les flamboîments de l’or torrentiel :
Anges ! vous compterez, pièce à pièce, le Ciel ! »
L’abîme tentateur renforce ces voix gaies
Par des écroulements somptueux de monnaies.
Un autre appel s’élève, et c’est une chanson
Qui nous émeut d’un tiède et violent frisson
Comme le veut du sud chauffe et tord des voilures.
« Montez vers eux, parfums légers des chevelures,
Et vous, bruits doucereux des caresses, montez
Avec le clair éveil des rires chuchotes !
Enseignez-leur l’amour, seul reposoir propice
Où la fatigue d’être immortel s’assoupisse,
Et ce léthé, stagnant endormeur des desseins,
Qui gît dans l’intervalle adoré des beaux seins.
Langueurs lasses du lit, soupirs, caresses nues,
Doux néant, soyez-leur des ivresses connues,
Et qu’ils sachent, heureux de se désabuser,
Ce que l’Enfer a mis de ciel dans le Baiser ! »
Ce chant qui nous poursuit, plein d’énervantes fièvres,
A fait se rapprocher ma bouche de tes lèvres ;
Parce qu’au fond de moi sans doute il est resté
Un peu des pesanteurs de l’univers quitté,
Mon front penche, surpris d’ivresse et de panique
Au doucereux appel de la Chair tyrannique,
Et je te dis, sentant se heurter mes genoux :
« Regardons-les ! peut-être ils aiment comme nous... »
Mais ton œil, qui connaît le bon grain de l’ivraie,
Surprend l’ombre d’un jet de la lumière vraie,
Et l’Enfer, qui s’effare, apparaît dans ce jour
Tout autre qu’il n’était, vu selon son amour.
Ce bétail attaché dans une herbée épaisse
De glaives et de dards sanglants, pour qu’il y paisse,
Ces ânes dont le bât a crevassé leur dos
Et qui buttent, chargés de coups sur les fardeaux,
Ces lynx maigres, dont flotte, ainsi que de vieux linges,
Le ventre, ces chacals chevauchés par des singes,
Ces porcs, sale troupeau gras d’ordures, qui sent,
Palpe et mange sa fange en se réjouissant,
Ce sont les empereurs, les évêques, les princes !
Un roi qui grossissait d’empires ses provinces,
Homme encor, mais sans tête, a pour royaume un trou
Et porte sa couronne à même sur le cou,
Pendant qu’à ses talons ce loup-cervier qui lape
Du sang est un héros et ce renard un pape !
Non moins affreux, ayant pour membres des serpents
Et d’impurs scorpions l’un sur l’autre rampants,
Les Avares, ployés vers des tables étroites,
Rangent soigneusement des cailloux dans des boîtes ;
Quelqu’un vient et leur dit : « Sciez ces troncs, hissez
Ces blocs ! » et, quand ils ont, esclaves harassés,
Scié les troncs, hissé les blocs, leurs mains avides
Pour unique salaire obtiennent des noix vides,
Et tous courent, furtifs et le regard sournois,
Enfouir dans des trous les coquilles de noix !
Plus bas, une rondeur se gonfle et se resserre :
Helminthes fourmillants d’un immonde viscère,
Là pullulent, heureux, les Amants de la Chair.
Puisque l’homme devient l’amour qui lui fut cher
Ils se sont incarnés dans leur sale espérance.
Fardés, les membres oints de suie et d’huile rance,
Décrépits, gracieux, d’un geste libertin
Retroussant des haillons de gaze et de satin,
Et, vieillards, sur des fronts chargés de cent années,
Mêlant des cheveux gris à des roses fanées,
Les uns, comme on verrait entre des bras d’amant
Le jeune époux tenir l’épouse au corps charmant,
Enlacent d’une étreinte éperdue un squelette
Qu’à leur lèvre céda la dent de la belette,
Et baisent, enivrés d’amour dans un cercueil,
Le trou qui fut la bouche et le trou qui fut l’œil ;
Dans un bosquet qui voit sous les pleurs des cascades
Se jouer des guenons au lieu d’hamadryades,
D’autres, priapes fous, sans aucun vêtement,
Mais de la tête aux pieds velus horriblement,
Presque animaux, scandant leurs cris d’infâmes gestes,
Environnent d’un chœur de danses immodestes
Des torses de venus faits d’excréments durcis.
Et tous portent la joie en feu sous leurs sourcils,
Car tel est le Désir dont ces Ames sont faites
Qu’étant dans l’infamie elles sont dans les fêtes !
Mais voici : pour avoir tenté nos fronts élus,
Les vieillards débauchés, les priapes velus,
Comme par la fenêtre on jette des ordures,
Seront précipités en des géhennes dures.
Plus d’amours ni de jeux. Fainéants, au travail !
L’atelier rude après le languissant sérail.
Et leurs mains, à la molle étreinte habituées,
Devront broyer du fard pour les prostituées !
Aveugle enfer, hélas !
Cependant, pèlerins
Miraculeux, passants des abîmes sereins,
Notre angélique essor traverse des fumées,
De flamme, de musique et de parfum tramées !
Roulant de toutes parts cet éclair adouci
Qui tremble à l’orient de la perle, voici
Que les Cités du Ciel s’ébauchent dans la brume ;
Et, suprême, au delà des paradis, s’allume
Jérusalem, au loin, comme une lampe d’or !
Mais sur quel seuil devra se poser notre essor ?
Car celui qui discerne et qui groupe les âmes
Selon la parenté de leurs intimes flammes
Fonda pour les Elus de l’épreuve émigrés
Autant de Ciels qu’il est dans l’amour de degrés ;
Et le séjour prescrit par sa miséricorde
Si strictement avec les habitants concorde
Que toute autre lumière aveuglerait leurs yeux.
Nous montons à travers les Cieux, cherchant nos Cieux.
O spectacle ! Un Eden, dans une gloire pâle,
Ouvre sur l’infini des portiques d’opale,
Candide et confiant symbole de l’accueil,
Qui propose à nos pas et conseille à notre œil
De pénétrer jusqu’aux clartés intérieures.
Blanches, aux toits d’argent, s’élèvent les demeures ;
Le flamboîment issu du cri de Jéhovah,
Lorsque l’aîné des jours naturels se leva,
Baigne les dômes clairs, et, docile aux hélices
Des longs jardins, allume, en glissant, les calices.
La neige, sur le sol, se mêle aux fleurs d’été ;
Neige spirituelle, elle a nom Chasteté.
Toute chose, en un lieu céleste, représente,
Et, de réalités naturelles exempte,
A des réalités intimes correspond.
Ici le jour, couleur d’une perle qui fond,
Lucide, mais terrestre encor dans son essence,
Des Esprits qu’il éclaire est l’humble Connaissance ;
Les Hymens, pour figure, ont ces blanches maisons
Où le Désir grimpant suspend des floraisons
Parfois de lys, parfois de rouges amarantes ;
Et les fenêtres sont des Candeurs transparentes.
Des Anges, sous les fleurs, rayonnent deux à deux ;
L’Amour qu’ils ont en eux transparaît autour d’eux,
Plus vif selon qu’ils font de plus sacrés Usages ;
Il est l’ardente chair de leurs jeunes visages,
Azuré leurs regards, embrase leurs cheveux,
Les vêt d’une syndone irisée où leurs vœux
Sont brodés en festons de perles et de gemmes,
Et, royal, sur leurs fronts pose des diadèmes.
Nul n’est oisif. Les uns ensemencent les champs,
Taillent la vigne, ou dans la cité sont marchands ;
D’autres sont conseillers ou maîtres de milices ;
Mais l’hymen associe aux labeurs les délices :
En deux ramiers, avec un bruissement doux,
Des lèvres de l’Épouse aux lèvres de l’Époux
Se croise du Baiser le symbole fidèle ;
Chaque ramier, couleur de neige en venant d’Elle,
A des ailes de flamme en revenant de Lui.
Et quand, à l’occident de leur Ciel, aura lui
Le signe interrupteur des soins et des négoces,
Ils s’en iront, époux conviés à des noces,
Ardent midi qui s’offre en exemple au matin,
Près d’un couple nouveau s’asseoir en un festin.
Sur des tables qu’éclaire entre de blancs pilastres
La constellation d’une lampe à sept astres,
Ils se partageront les pains de pur froment
Et vers l’Amour, soleil du plus haut firmament,
Leurs bras élèveront les coupes solennelles !
Puis, sous les myrtes purs, inclinés en tonnelles,
Ce sera le moment des Spectacles, des Jeux,
Des chastes entretiens sur les gazons neigeux,
Dans les feuilles, pendant qu’une fleur, balancée
Au toucher de leurs fronts, se teint de leur pensée ;
Et, bientôt, enlacés d’un geste plus aimant,
Ayant l’ombre autour d’eux comme un consentement,
Vers les maisons d’hymen, secrètes sous les branches,
Ils marcheront, pensifs, avec les lenteurs blanches
De deux cygnes voguant sur un sombre canal,
Jeunes Ames au corps chaque soir virginal,
Qu’isolera du ciel, des cités, des ramées,
Un bruit mystérieux de portes refermées.
Nous passons ! Dans les cieux sans limite agrandis
S’échelonnent encor des villes, paradis
Plus parfaits et peuplés de plus sublimes hôtes,
Suivant qu’ils sont placés en des zones plus hautes.
Mais, parmi tant de seuils sacrés, il n’en est pas
Un seul qui soit égal à l’orgueil de nos pas ;
Le besoin de la vie extrême nous dévore ;
Et nous montons, plus purs si nous montons encore !
Tout s’enfuit. Les Edens, les Cieux, ont-ils été ?
Plus rien.
L’espace immense.
Au fond, une clarté
Terrible ! et qui, semblable à quelque aimant avide,
Nous attire, éperdus, à travers tout le vide.
Nous allons. Elle s’enfle, et devient, de flambeau,
Fournaise ! le levant qui s’empourpre est moins beau.
Puis, des chaleurs. Nos corps sentent par chaque pore
Suinter de l’ombre, reste impur qui s’évapore.
Nous sommes nus. Le rouge et chaud rayonnement
Pénètre dans nos chairs plus immédiatement.
Tout notre être devient un élan qui s’embrase
Dans la proximité de la dernière extase.
Nous voyons à travers des splendeurs de bûcher
Des formes tressaillir, des couleurs s’ébaucher,
Et, comme un matelot, de la mer solitaire
Voit surgir sa patrie et jette ce cri : Terre !
Sublimes arrivants, nous avons crié : Ciel !
Front de l’immensité, but providentiel
Des Sagesses, Sion qui trônes au pinacle
De l’affranchissement suprême, Tabernacle !...
Reçois notre salut, Monde sacerdotal
Où les Anges vêtus d’un fluide cristal
Apparaissent tout nus, étant les Innocences,
Où le Bien et le Vrai, conjoignant leurs essences
Dans un extrême effort d’épanouissement,
Consomment sans relâche en l’éternel moment
Les mystères du saint hymen que symbolise
Ce couple tout parfait, le Seigneur et l’Église !
Flammes de la Chaleur et rayons du vrai Jour,
Nous entrons dans le gouffre auguste de l’Amour ;
Et nous sommes un des sourires de la Joie.
Mon sein qui brille s’offre à ton sein qui flamboie ;