Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Henri IV/Appendice
APPENDICE
Chapitre II. — L’Armada, p. 22.
De Thou, si complet ici, doit être comparé aux Anglais, il donne la part importante que les Hollandais eurent à la chose. Les Mémoires de la Ligue contiennent les dépositions des Espagnols naufragés, t. II, p. 452. Nos archives possèdent trois curieuses ballades anglaises, avec gravures ; on y voit les grils, fouets, etc., qu’apportaient les Espagnols. (Archives de Simancas, B, 6, 76.)
Chapitres VI et VII. — Vers le mois d’avril 89, le légat Morosini s’étant retiré à l’abbaye de Marmoutiers, le roi y vient pour se récréer, dit-il, puis il avoue que c’est pour parler au légat. — Il s’excuse de s’appuyer sur l’alliance des hérétiques. — Suit un dialogue très vif. À tout ce qu’objecte l’homme du pape, le roi répond toujours par l’impossibilité d’apaiser les catholiques. « Que voulez-vous que je fasse ? si le duc de Mayenne vient pour me couper le cou, il me faut bien une épée, recourir aux hérétiques, aux Turcs même. Ils veulent absolument ma tête, et moi je veux la garder, etc., etc. — Le cardinal Cajetano fait, le 28 mars 1590, un long rapport sur la situation. — Si le Navarrais arrive à la couronne, il faudra peu de temps pour que la religion soit exterminée. — Villeroy lui a conté un entretien de Mornay, d’après lequel « le Navarrais ne se fera pas catholique, mais laissera tout le monde croire et vivre à sa guise ; il réformera le catholicisme, se fera roi des Romains, envahira l’Italie, bouleversera la chrétienté. » — « Le Navarrais, dit Cajetano, a su, par des lettres interceptées que le pape me donnait ordre de semer la division parmi les princes du sang. »
On est saisi d’étonnement en voyant, quelques feuilles plus loin, Henri IV devenu si indifférent au parti protestant, qu’il songe à épouser une fille de Philippe II (26 juin 1597). La grande crainte du pape à cette époque, c’est qu’à la mort d’Élisabeth Henri IV ne fasse tomber la succession d’Angleterre dans les mains du roi d’Espagne ; cette idée monstrueuse paraît si naturelle au pape, qu’elle fait son inquiétude ; il y pense jour et nuit ! (Archives de France, extraits des Archives du Vatican, carton L, 388.)
Les Archives de Suisse contiennent plusieurs pièces intéressantes sur cette époque. Celles de Berne éclairent la destinée du fils aîné de l’amiral. Dans les Registres du Conseil de Genève, on trouve la manière étrange dont on avait imaginé d’annoncer l’abjuration aux étrangers. Le chancelier écrit : « S. M. demeure en l’église où elle a été baptisée. » (Communiqué par MM. Bétant et Gaberel.) — Cf. la correspondance d’Henri avec le landgrave, éd. Rommel ; une très curieuse brochure de M. C. Read : Henri IV et le ministre Chamier, 1854 ; enfin le charmant livre de M. E. Jung, Henri IV écrivain. — J’ajourne beaucoup de choses. Voir l’important ouvrage de M. Poirson et mon volume suivant[1].
Notes de la conclusion, page 197.
Luther fut réellement le premier apôtre de la tolérance. Il y a des textes pour et contre dans l’Évangile. Les Pères sont partagés : saint Hilaire, saint Ambroise et saint Martin sont pour ; saint Cyprien, saint Augustin sont contre, et ce sont ces derniers que toute l’Église a suivis, et les conciles, et les papes, et saint Thomas d’Aquin. — Luther n’hésite pas. Il tranche ainsi la question : « L’usage de brûler les hérétiques vient de ce qu’on craignait de ne pouvoir les réfuter. » Léon X et la Sorbonne le condamnent (error 33) pour avoir avancé : Hereticos comburi esse contra voluntalem Spiritus. Il avait dit (à la noblesse allemande) : « Contre les hérétiques, il faut écrire, et non brûler. » Dans son explication de saint Matthieu (XIII, 24-30) : « Qui erre aujourd’hui n’errera pas demain. Si tu le mets à mort, tu le soustrais à l’action de la parole et tu empêches son salut, ce qui est horrible. Oh ! que nous avons été fous de vouloir convertir le Turc avec l’épée, l’hérétique par le feu et le Juif à coups de bâton ! » Le 21 août 1524, il intercède auprès de l’Électeur pour ses ennemis, Münzer et autres : « Vous ne devez point les empêcher de parler. Il faut qu’il y ait des actes et que la Parole de Dieu ait à lutter… Qu’on laisse dans son jeu le combat et le libre choc des esprits. — La guerre des paysans qui ne l’écoutèrent pas et le mirent dans une si grande colère ne lui fit pas cependant modifier ces doctrines. Il autorise seulement les princes à se faire obéir et à réprimer l’esprit de meurtre (4 février 1525). En 1530 encore (sur le psaume 82), il ne demande contre les blasphémateurs publics que leur éloignement. — Un savant et consciencieux ministre d’Alsace, M. Müntz, qui connaît à fond Luther, et que j’ai consulté, me répond : « Je ne connais de lui aucun passage où il approuve qu’on punisse l’hérétique paisible qui ne prêche pas la révolte et le meurtre. »
Pages 203, 210. — Palissy, Palestrina.
Pour la bénédiction de ce livre, finissons par ces innocents, le protestant, le catholique. J’ai tiré ce que j’ai dit de Palestrina des Memorie du chanoine Baïni, très lumineusement résumés dans un excellent article de M. Delécluze (ancienne Revue de Paris).
Quant à Palissy, je serais inconsolable de n’en pas parler tout au long si M. Alfred Dumesnil n’en avait fait si bien la légende. Un mot seulement sur son séjour aux Tuileries. Ce sont de ces spectacles où Dieu s’amuse, que ce bonhomme, ce saint, ait été logé au palais de la Saint-Barthélemy, par Catherine, dans sa ménagerie avec ses bêtes, oiseaux, poissons, à côté de l’astrologue et du parfumeur trop connu !… Elle prenait plaisir à voir Palissy orner ses vases de plantes d’un vert pâle où couraient des serpents.
Sa poterie lui sauva la vie, et fit excuser son génie de naturaliste. Admirablement étranger aux sottes sciences du Moyen-âge, il avait un sens pénétrant pour toute chose d’expérience et de vérité, une seconde vue lointaine des vraies sciences. Il semblait que la nature, charmée de trouver un homme si ignorant, lui dît tout, comme à son enfant. Il voyait au sein de la terre couler les eaux, sourdre les fontaines, monter la sève aux plus secrètes veines des plantes. Il entendait parfaitement la formation des coquillages et l’élaboration profonde du monde des mers. Le premier il ramassa toutes sortes de curiosités et fit un Cabinet d’histoire naturelle. Beaucoup de gens demandant ce que signifiait tout cela, il commença (1575) à enseigner, non telle science (faisant profession de ne rien savoir), mais seulement ce qu’il avait vu, trouvé, expérimenté.
Ce qu’il regarde volontiers dans les choses de la nature, ce qu’il observe avidement et voudrait imiter, ce sont les arts ingénieux par lesquels elle protège les plus humbles de ses enfants. Les volutes des coquillages où ils se retirent, s’abritent et trouvent tant de sûreté contre la violence des flots, contre la rage d’un monde de destructeurs, lui font envie ; il les propose comme modèle originaire des forteresses les plus sûres. Ah ! pourquoi Dieu n’a-t-il donné le refuge au moins de l’huître et du moule, la carapace des tortues, à ce grand peuple poursuivi, à ces infortunés troupeaux de vieillards, d’orphelins, de femmes, qui, désormais sans foyer, s’enfuient, éperdus, sur les routes de France ?… Le rêve des îles Bienheureuses dont se berça l’humanité, les solitudes d’Amérique où nos fugitifs qui cherchaient la paix trouvèrent la mort et l’Espagnol, tout cela n’arrête pas l’imagination de Palissy, positif jusque dans ses songes. Le sien, c’est une œuvre d’industrie, un vaste jardin établi dans une position forte et savamment fortifiée où il ferait un château de refuge pour sauver les persécutés. Les sciences de la nature ont été précisément cet abri pour l’âme humaine.
Ce pauvre homme, méprisé, jeté à la voirie avec les chiens, n’en commence pas moins le vrai nouveau monde. Il termine le seizième siècle et le dépasse. Par lui, nous passons de ceux qui devinèrent la nature à ceux qui la refirent, des découvreurs aux inventeurs, créateurs et fabricateurs. — De lui est cette parole : « La nature la grande ouvrière ; l’homme ouvrier comme elle. » Le seizième siècle n’a pas été perdu, puisqu’il finit par un tel mot. Combien nous voilà loin de l’Imitation monastique, froide et stérile ! La chaude imitation dont il s’agit ici, c’est le prolongement de la création.
Page 338. — Projet de république chrétienne, grand dessein d’Henri IV, etc.
M. Poirson a très bien distingué qu’il y a là deux choses : 1o le système positif des alliances d’Henri IV avec les ennemis de la maison d’Autriche, système qui se faisait de lui-même sous l’impression de terreur que cette maison inspirait ; toute l’Europe se serrait du côté de son défenseur ; 2o un plan tout utopique de Sully pour la fédération européenne. M. Poirson est trop indulgent pour ce plan ridicule. Cela a été écrit par les secrétaires de Sully (ils le disent eux-mêmes en 1627 pendant le siège de La Rochelle, et déjà sous la royauté du cardinal. Richelieu, l’année précédente, avait proposé, comme type de l’ordre financier, l’année 1608, c’est-à-dire l’apogée de l’administration de Sully. Celui-ci put en concevoir le vague espoir d’être rappelé aux affaires par le cardinal. De là peut-être ces idées (si étranges chez un protestant) de faire une république italienne vassale du pape. Ce qu’il propose aussi pour les élections de Hongrie et de Bohême est ridicule et quasi fou. On regrette de trouver cette tache dans ce beau livre des Œconomies.
- ↑ C’est-à-dire, dans cette édition, les chapitres xiv et suivants. — Note Wikisource.