Histoire de Jonvelle/Première époque/Chapitre III

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CHAPITRE III

CASTELLA, CHÂTEAUX, RETRANCHEMENTS.

Les Romains, en faisant la conquête des Gaules, s’établirent d’abord dans les camps fortifiés des peuples vaincus, et en élevèrent encore d’autres, pour assurer leur domination, soit à l’intérieur, soit sur les frontières des provinces. Les uns, servant à protéger les haltes de leurs troupes, consistaient dans un simple rempart de terre ou de pierres avec un fossé extérieur. Les autres, beaucoup plus considérables, étaient établis pour défendre les légions en présence de l’ennemi, pour y placer des garnisons destinées à la surveillance, enfin pour loger celles qui prenaient leurs quartiers d’hiver. Ces camps, appelés stativa, étaient nombreux dans la Séquanie, surtout dans cette partie qui correspond au département de la Haute-Saône. Tels sont ceux d’Amage, de Cita, de Charriez, de Morey, de Montarlot et de Montverrat, décrits par M. Edouard Clerc.

Mais lorsque les peuples qui habitaient au delà du Rhin commencèrent à envahir nos contrées, ces anciens camps devinrent insuffisants. D’ailleurs, les routes, qui sillonnaient le pays en si grand nombre, et qui avaient contribué à sa prospérité pendant la paix, étaient devenues elles-mêmes une cause de ruine, aux jours de l’invasion. Les soixante mille barbares que Constance-Chlore défit sous les murs de Langres, et tant d’autres ennemis dont les ravages, à la même époque, firent de nos belles campagnes un vaste désert, y étaient venus par toutes ces routes qui, partant des bords du Rhin et de la Moselle, aboutissaient a Luxeuil, Port-Abucin, Purgerot, Morey, Corre, Jonvelle et Bourbonne. Alors les Romains, pour couvrir les camps principaux, les routes, les passages, les frontières, et arrêter ainsi dans leur marche les ennemis qui se précipitaient comme un torrent sur la province, élevèrent partout de nouveaux retranchements, des forteresses et des tours. Ces retranchements, appelés aujourd’hui Chazel, Châtel, Châtelet, Châtelard, Chatillon, etc., plus importants que des camps volants, ne diffèrent souvent des camps stativa que par une moindre étendue. Malgré les modifications que la main des hommes et du temps y ont apportées dans quinze siècles, on en retrouve encore un grand nombre autour de Jonvelle : et bientôt, cela n’est pas douteux, on pourra se rendre compte de la stratégie que les Romains et les peuples leurs successeurs avaient adoptée, pour la défense du pays que nous habitons. Indiquons-en sommairement les principaux.

I. Chatelard de Purgerot. Ce retranchement, situé au sommet d’un plateau escarpé qui domine au loin la contrée, et protégé du côté accessible par un gros mur et un fossé, communiquait avec les camps de Noroy et de Morey, par des signaux en usage chez les Gaulois et les Romains. Sa proximité de Port-d’Atelier, de Port-Abucin et de Creuseil, endroit si remarquable par ses antiquités celtiques, fait présumer que la forteresse avait été établie pour protéger les passages de la Saône et le réseau des routes qui venaient s’y rencontrer, de tous les points de la province. Ainsi l’on croit que le Châtelard, après avoir servi aux Gaulois, devint un des points stratégiques les plus importants, sous la domination de leurs vainqueurs[1].

II. Châtelet de Noroy. Ce castellum, établi sur la montagne de Noroy appelée Bridelle, a une superficie d’environ deux hectares et demi. Il était défendu par un mur de circonvallation construit avec ciment, et présentant des angles aigus au nord et au levant et un rectangle au couchant. On y a trouvé des ossements humains et des armures. Du haut de ce retranchement, on aperçoit vingt-deux villages. Il commandait, ainsi que le Châtelard de Purgerot, les routes nombreuses qui arrivaient à ses pieds et se croisaient au Montrot, à deux kilomètres de la montagne.

III. Châtillon-sur-Saône. C’est le castellum le plus intéressant pour nous, parce qu’il s’est relevé de ses ruines et que, voisin de Jonvelle, il a été comme lui, pendant tout le moyen âge, le boulevard de la province à laquelle il appartenait. Bâti sur un roc escarpé et enveloppé dans une ceinture de murailles hérissées de tours, dont on voit encore des vestiges imposants, Chatillon s’avance à l’est comme un promontoire, au confluent de l’Apance et de la Saône. Les débris de constructions anciennes mêlés de tuiles à rebords, les vestiges de castramétation encore visibles dans le bois dit le Rouvrois, les sarcophages que l’on a découverts à la Riépotte (Ripella), contenant trois ou quatre cadavres à la fois, sa situation au centre des routes qui venaient y aboutir, les médailles que le sol a rendues, son nom lui-même, tout se réunit pour attester l’établissement et le séjour des Romains à Châtillon. On y voit encore les vestiges d’une porte, creusée dans la pierre et récemment détruite, qui conduisait à la Romaine, espèce de citadelle avancée, en face de la ville, et totalement ruinée pendant la guerre de dix ans.

IV. Autres retranchements. A quatre kilomètres de là, sur le coteau qui domine Jonvilotte, la voie de Corre à Châtillon et celle de Jussey à Jonvelle, on retrouve les ruines d’un petit retranchement, destiné aussi à protéger les alentours.

On rencontre aussi un petit fort à l’entrée du bois de Passavant, non loin de la route romaine de Corre à Châtel-sur-Moselle. Il est appelé le Haut de Langres, sans doute parce que, depuis ce lieu culminant, la vue plonge sur les remparts de la métropole des Lingons.

Des retranchements analogues, quoique moins considérables, existaient à Montigny, à Vitrey, à Ouge, à Charmes, dans les bois d’Amance et de Faverney, à Combeaufontaine, à Jussey, à Tartécourt, à Anchenoncourt. Nous les indiquons dans la carte des antiquités. Comme la plupart se trouvent dans les bois et sur des plateaux peu cultivés, il est à croire que ceux qui avaient été construits dans la plaine ou dans les autres lieux cultivés aujourd’hui, ont dû disparaître, nivelés par la charrue. Mais on voit, par cette simple énumération, combien les Romains avaient multiplié leurs moyens de défense, surtout dans le voisinage des routes qui de la Germanie amenèrent les Barbares au sein de notre province.

  1. Il a été décrit dans le Mémoire sur les antiquités de Purgerot.