Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 192

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Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 103).


M Lovelace, à M Belford.

samedi, 20 de mai. Je suis assez content des sobres réflexions de ta dernière lettre, et je t’en fais mes remerciemens. Pauvre Belton ! Je ne me serais guère imaginé que sa thomasine fût capable de cet excès de méchanceté. Mais tel sera toujours le danger de ceux qui entretiendront une fille de basse naissance. C’est ce qui ne m’est jamais arrivé : et je n’ai pas eu besoin de cette ressource. Un homme tel que moi, Belford, " n’a, jusqu’à présent, qu’à secouer le plus grand arbre, et le meilleur fruit lui tombe dans la bouche ". Toujours dans le goût de montagne , comme tu sais ; c’est-à-dire, persuadé qu’il y a de la gloire à subjuguer une fille de bonne maison. Le progrès de la séduction a réellement plus de charmes pour moi, que l’acte qui le couronne ; car c’est une vapeur, le transport d’un instant. Je te remercie cordialement de cette approbation indirecte que tu donnes à mon entreprise présente. Avec une jeune personne telle que Miss Harlove, un homme est à couvert de tous les inconvéniens sur lesquels ton éloquence s’est exercée. Encore une fois, Belford, je te rends grâces de l’encouragement que tu me donnes. On n’a pas besoin, comme tu dis, de se cacher dans un trou, et de fuir le jour avec une compagne telle que Miss Clarisse. Que tu es aimable de flatter si agréablement le désir favori de mon cœur ! Ce ne sera pas non plus une honte pour moi, de laisser à une fille comme elle la liberté de prendre mon nom : et je m’embarrasserai peu de la censure du public, si je vis avec elle jusqu’à l’ âge de discrétion dont tu parles ; quand il devrait m’arriver à la fin d’y être pris, et de consentir quelque jour à marcher avec elle dans le bon vieux chemin de mes ancêtres. Que le ciel te bénisse, mon honnête ami ! Lorsque tu plaidais pour le mariage en faveur de la belle, je me suis figuré que tu badinais, ou que tu ne prenais ce ton que par complaisance pour mon oncle. Je savais bien que ce n’était pas par principes, que ce n’était pas par compassion. à la vérité, je te soupçonnais d’un peu d’envie : mais à présent c’est toi-même. Je te reconnais, et je répète encore : que le ciel te bénisse, mon honnête et mon véritable ami ! Lovelace. Mon courage va redoubler pour l’exécution de tous mes systêmes, et je te ferai le plaisir de t’informer fidèlement de la continuation de mes progrès. Mais je n’ai pu m’empêcher d’interrompre mon histoire, pour t’exprimer ma reconnaissance.