Histoire de l'expédition chrestienne/Livre I/chapitre VIII

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Des linéament du corps, ornements, habits, & autres coustumes receues entre les Chinois.


CHAPITRE VIII


LE peuple de la Chine est la plus part de couleur blanche ; car quelques-uns des provinces Meridionales pour la proximité de la Zone torride sont bruns. Leur barbe est claire, quelques uns n’en ont point, le poil rude, & sans moustaches, elle paroist tard, les hommes de trente ans peuvent estre accomparez aux nostres de vingt. La barbe comme tous les cheveux de la teste est de couleur noire & entre les Chinois la chevelure rousse est laide. Ilz ont les yeux petitz, de figure ovale, noirs & eslevez  : leur nez fort petit à grand’peine paroist, les oreilles sont mediocres ; en quelques provinces ilz ont quasi la face carrée. Plusieurs en la Province de Canto & Quam si ont deux ongles en chasque petit orteil du pied, ce qu’on peut voir parmi tous les Cocincinois leurs voisins  : peut estre qu’autrefois ilz avoyent six doigtz à chasque pied.

Toutes les femmes sont de petite taille, & establissent une grande partie de la beauté de la femme en la petitesse du pied. C’est pourquoy dez leur première enfance ilz envelopent tres-estroictement leurs piedz avec des bandes, à fin qu’ilz ne puissent librement croistre, & pour cela en marchant on jugeroit qu’elles sont estropieez. Ilz appliquent ces bandages tout le temps de leur vie. Cela semble estre de l’invention de quelque homme sage, à fin qu’il les retinst en la maison, & qu’elles ne courussent par les rues, ce qui est principalement convenable à la femme. Les hommes & les femmes nourrissent leur chevelure, & ne la font jamais tondre ; les enfans toutefois & jeunes filles sont razez à l’entour de la teste, & laissent seulement croistre leurs cheveux au sommet ; & ce la pluspart jusqu’à l’aage de quinze ans, en apres ilz les laissent croistre à plaisir ; mais ilz portent les cheveux espars & flottans sur les espaules jusqu’à vingt ans, lors qu’on leur baille le chapeau viril, comme a esté dict cy dessus. Plusieurs Sacrificateurs des idoles razent aussi leur barbe & leur cheveux tous les huict jours. Ceux qui font jà d’aage ramassent leurs barbe & cheveux avec un petit bonnet fait de poil de cheval, ou cheveux humains, ou aussi de filetz de soye tissu en forme de retz. Le bonnet est percé en haut, par où les cheveux (d’autant qu’ilz sont longz) sortent, & sont mignardement & artistement nouez. Les femmes ne se servent pas de ce bonnet, mais relevans & ramassans aussi leur perruque en nœudz, elles la parent avec or, argent, pierres precieuses, & finalement avec des fleurs. Elles portent des pendantz d’oreilles, mais point de bagues aux doigtz.

Les hommes aussi bien que les femmes portent des robes longues  : les hommes les portent retrousseez jusqu’à la poictrine, & lient le dessous avec une bande soubz l’aisselle gauche, & le dessus soubz la droicte  : les femmes les lient au milieu de la poictrine. Les manches de l’un & de l’autre sont larges & longues, telles que sont coustumierement en Italie celles des Vénitiens. Mais les manches des femmes sont larges à la poignée, & aux hommes elles sont estroictes, & sont seulement ouvertes autant qu’il suffit pour passer les mains. Les hommes ageancent proprement leurs chapeaux en diverses façons avec des beaux ouvrages ; ceux-là sont estimez les meilleurs qui sont tissus de soye de cheval. L’hiver ilz portent des bonnetz de laine, ou aussi de pure soye. Leurs souliers principalement sont differentz des nostres. Les hommes les portent de crespe ou pure soye, & les accommodent si bien avec diverses enlassures de fil de soye & de fleurs, qu’ilz surpassent mesme la proprieté de noz dames. Aucun ne porte des souliers de peau, si ce n’est la lie du peuple, & aussi rarement employent ilz des peaux en semelles, mais ilz les garnissent de draps cousus ensemble.

Les bonnetz des gens de lettres sont carrez : les autres ne les peuvent porter autres que rondz. Chacun d’eux le matin consume pour le moins une demie heure à se peigner & ageancer sa chevelure ; ce qui seroit tres-fascheux aux nostres. Ilz ont aussi accoustumé d’enveloper leurs piedz & jambes de fort longues bandes. C’est pourquoy ilz se servent tousjours de tres-longues jarretieres. Ilz n’ont pas de chemises comme nous  : mais au lieu d’icelles ilz portent une tunique de drap blanc sur la chair, & se lavent souvent le corps. Ilz font porter un parasol contre les rais du Soleil & contre la pluie par un serviteur  : les pauvres en portent un plus petit eux-mesmes.

Je traicterai maintenant de la coustume receue entre les Chinois touchant les noms propres, qui semblera estre du tout inouie aux nostres. Ilz ont (commc j’ay dict) un surnom ancien & immuable  : mais il n’est pas de mesme du nom ; car ilz s’en forgent un nouveau, & signifie tousjours quelque chose qui aussi convient bien aux surnoms. Ce nom s’escrit avec un seul charactere ; & se prononce (ce qui est tout un) d’une seul syllabe, il peut toutefois estre de deux. Le pere donne le premier à son enfant, mais seulement si c’est un masle : car les femmes, soit jeunes, soit aageez n’ont point de nom entre les Chinois : mais on les appelle du surnom du pere, & du nombre qu’elles tiennent entre les soeurs par ordre de naissance. Les peres tant seulement & les plus grans appellent les masles par ce nom ; les autres les appellent du nombre que par ordre de naissance ilz tiennent entre leurs freres, comme nous avons maintenant dit des filles. Mais eux-mesmes aux libelles de convy & de presens, & ez autres escritures, & lettres s’appellent par leur propre nom, qu’ils ont le premier receu de leur pere ; mais si quel qu’un des autres qui fussent esgaux ou superieurs, appelloit quel qu’un de ce nom, ou aussi son pere ou son parent, du sien, cela seroit non seulement încivil, mais aussi injurieux.

Quand l’enfant commence premièrement ses estudes, son precepteur luy impose un autre nom, qu’on appelle nom d’eschole ; & ont accoustumé, & peuvent estre appellez de ces noms par leurs condisciples & maistres. Quand quelqu’un prend le chapeau viril, ou se marie, il est encor honore d’un nom nouveau un peu plus honorable par quelque homme de qualité ; lequel nom ilz appellent lettre. Tous en apres le peuvent appeller par ce nom, ceux-là seulement exceptez qui sont ses serviteurs ou subjectz. Finalement estant jà du tout parvenu en aage, il reçoit le nom le plus honnorable de quelque personnage de qualité, qu’ilz appellent Grand. Tous le peuvent appeller par ce nom sans en excepter aucun present & absent : mais toutefois les parens & les plus grans ne luy font pas tant d’honneur, ilz l’appellent du premier nom qu’ilz disent lettre.

Si quel qu’un aussi fait nouvellement profession de quelque secte, le Docteur qui la receu luy donne un nouveau nom, qu’ilz appellent nom de religion. Or quand quelqu’un par devoir visite une autre encor, que l’hoste escrive ce moindre nom & surnom sur le livre, neantmoins le visité reciproquement luy demande quel est son nom honorable, à fin que s’il est besoin, il le puisse nommer sans offense. Et pour cete cause nous a-il fallu prendre un nom plus relevé, que celuy que nous avons receu au Baptesme, duquel ilz puissent nous nommer.

Ilz sont fort amateurs des antiquitez. Ilz n’ont pas de statues anciennes. Ilz estiment les trepiedz de fonte à cause de la rouillure, tesmoing de son ancienneté : comme aussi les vieux vazes de craie & de marbre, que nous avons cy-dessus appelle jaspe. Ilz estiment sur toutes choses les peintures des bons peintres, dont les traictz sont de seul encre, & non d’autres couleurs comme aussi les characteres des escrivains illustres & leurs inscriptions sur le papier, ou sur le drap, munies du cachet des mesmes escrivains. de crainte qu’il n’y aie de la fraude ; car il n’y a pas faute de tres fins imitateurs de l’antiquité, qui arrachent de l’argent des ignorantz, en des choses tres viles, que par apres ils recognoissent avoir esté tres-mal emploie.

Tous les Magistratz ont un seau propre & particulier de leur office, qui a esté donné par le Roy Humvu, & ilz scellent tout ce qu’ilz escrivent juridiquement seulement de couleur rouge. Ilz gardent ce seau avec un tres-grand soin ; car s’ilz le perdent, non seulement ilz decheent de leur Magistrature, mais encor ilz sont severement punis. Et pour ce toutes les fois qu’ilz sortent de leur maison, ilz l’emportent quand & eux dans un coffret fermé à clef, & scellé d’un autre cachet ; & ne l’ostent jamais de leur presence  : mais en la maison on dit que de nuict ilz le gardent sous le chevet.

Les hommes d’autorité ne vont pas à pied par les rues, mais sont portez sur une selle à bras fermée de tous costez, & ne peuvent pas estre veus des passans si ce n’est qu’ilz ouvrent le devant, en quoy ilz sont differentz des Magistratz : car iceux sont portez dans des chaizes ouvertes de tous costez. Cest aussi la coustume que les femmes marieez soient porteez dans une chaize fermée de tous endroictz  : mais par la forme elles sont aisement recognues différences de celles des hommes. Il n’est pas permis par les loix d’avoir des coches, ou carrosses.

On void quelques villes basties au milieu des rivieres & des lacz, comme Venise au milieu de la mer. En ces villes on va par les rues sur des Gondolles tres proprement embellies. Et d’autant que tout le pays est divisé de rivieres & de canaux, ilz voyagent plus souvent par bateaux que les nostres, & sont aussi la plus part plus commodes, & plus propres. Mais ceux sur lesquelz les Magistratz sont portez (ce qui se fait tousjours aux despens du public) sont si grandz, qu’ilz portent sans aucune incommodité toute une famille entière, & aussi aisement que s’ilz estoient dans leur propre maison. Car il y a en iceux diverses demeures, sales, cuisines, chambres, caves, despenses, & le tout si bien & richement paré, qu’ilz semblent non des navires, ains des maisons de princes. Ainsi il arrive souvent que pour faire quelque festin magnifique ilz se retirent en ces navires, d’autant qu’à mesme temps ils se pourmenent avec delice & volupté sur les rivieres & les lacz. Au dedans tout esclatte de ce reluisant betume meslé de diverses couleurs, que les Portugais appellent Ciara, & les graveures où il est requis proprement doreez recreent les yeux, comme les parfums & mixtions odorantes les narines.

Ilz portent beaucoup plus d’honneur & de respect à leurs maistres que nous ; & encor que quelqu’un ne soie esté disciple d’un autre que l’espace d’un jour, en quelque science ou art que ce soit ; neantmoins en apres durant toute sa vie il l’appelle son maistre & l’honore pour tel. Car il ne s’assoit jamais qu’à son costé en quelque assemblée que ce soit, & luy rend les devoirs avec le mesme respect, tiltres & ceremonies deuës aux maistres.

Le jeu de dez, & de cartes, qui est aussi en usage en ce pays, est vulgaire jeu de dez, & commun parmi le peuple. Les plus graves pour passer le temps, & aussi pour le gain, emploient les eschecz qui ne sont pas beaucoup dissemblables aux nostres. Ilz sont differentz en cecy. Le Roy ne sort jamais des quatre cellules les plus proches de son lieu, ni aussi les deux lettrez assesseurs du Roy. Ilz n’ont point de Roine. Ilz ont deux autres pièces d’assez belle invention qu’ilz appellent les chauderons ou boettes à poudre de guerre ; ilz marchent devant les deux chevaux ; & les piétons (ou pions) suyvent apres, qui en ces deux cellules devancent d’une. Cete pièce va quasi de mesme façon que noz chevaux ou Elephans. Elle n’attaque toutefois pas le Roy conducteur de l’armee ennemie, si ce n’est qu’entre-elle & le Roy qui est attaqué il y ait une autre pièce, ou des siennes, ou de celui contre qui on jouë : & ainsi le Roy attaqué peut eviter le mal en trois façons. Premièrement (à fin que je parle ainsi) en esquivant légèrement du corps, & se retirant d’une fuite honeste en la prochaine demeure ou cellule ; secondement opposant un autre piece au devant ; finalement en se descouvrant entierement le costé, commandant à son soldat duquel il estoit couvert de se retirer.

Il y a entr’eux une sorte de jeux fort serieux qui est tel. Plusieurs jouent sur un damier de trois cens cellules, avec deux cens pieces (ou dames) desquel les unes sont blanches, les autres noires. Avec ces pieces l’un tasche de ranger les pieces de l’autre au milieu du damier, afin que par apres il commande aux autres cellules. Enfin celuy qui s’est emparé de plus de cellules au damier est appellé vainqueur. Les Mandarins se plaisent extremement à ce jeu, & passent souvent la plus grande partie du jour en jouant ; car entre bons joueurs un jeu dure souvent une heure entiere. Celuy qui entend bien ce jeu, encor qu’il n’excelle en aucune autre chose, est honoré, & convié de tous. Voires quelques-uns le coisissent pour maistre avec les ceremonies accoustumées, à fin qu’ils apprennent de lui bien exactement toutes les particularitez de ce jeu.

On peut juger qu’il sont un peu tardifs en la punition des crimes, principalement au larrecin si ce n’est qu’on l’ait commis deux fois  : car on ne le punit jamais de mort. Au deuxiesme larrecin, ils bruslent d’un cautere & ensemble marquent avec de l’encre deux characteres au bras, par lesquels ils monstrent qu’il a esté convaincu de larrecin pour la deuxiesme fois. Celuy qui est surpris au troisiesme est cauterisé au visage avec le mesme fer. Si derechef il est trouvé en mesme faute, toutes les fois qu’il y est surpris, il est selon la grandeur du crime plus ou moins fouetté, ou condamné aux galeres pour le temps ordonné par les loix. C’est pourquoy tout le pays est plein de larrons, principalement de l’ordure du peuple.

Il y a en chaque ville plusieurs milliers d’hommes qui de nuict font la garde par les rues, et par certains entrevalles font la ronde par tout, sonnans un bassin ; & encor que quasi toutes les rues de nuict soyent fermeez de grilles des fer, & de barrieres, neantmoins bien souvent les larrons de nuict volent des maisons entières. Cela arrive d’autant qu’il faudroit bailler des gardes aux gardes mesmes, pource qu’ilz sont eux-mesmes larrons, ou compagnons des larrons. Quand ilz entendent qu’en Europe ez villes les plus habiteez il n’y a aucunes gardes contre les larrons de ville, mais qu’on ordonne seulement des gardes & sentinelles contre les ennemis de dehors, ilz sont tous estonnez. Les villes aussi, encor qu’en tres profonde paix, & au milieu du Royaume, sont tous les jours fermeez le soir, & les clefs porteez au Gouverneur de la ville.