Histoire de l’Affaire Dreyfus/T3/10

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Eugène Fasquelle, 1903
(Vol. 3 : La crise : Procès Esterhazy – Procès Zola, pp. 588–639).

CHAPITRE X

LA CHUTE DE MÉLINE

I. Billot fait procéder à un classement des pièces, secrètes et autres, qui sont relatives à l’affaire Dreyfus, 588. — Henry constitue le dossier, 589. — Lebelin de Dionne, 590. — D’Ocagne, Painlevé et Jacques Hadamard, 591. — Lonquéty et Pomier, 592. — L’obus Robin, 593. — II. Le télégramme du 2 novembre 1894, 594. — Embarras d’Henry ; sa visite à Paléologue, 595. — Démarche de Gonse à l’administration des postes, 597. — Le feuillet des cryptographes ; fausses versions du télégramme, 600. — Gonse s’adresse à Du Paty, 601. — Le faux n° 44 du dossier secret, 602. — III. Le dossier de François Zola, 603. — Le général de Loverdo, 604. — La lettre du colonel Combe, 606. — Henry la falsifie, 607. — Deuxième lettre (fausse) de Combe ; Judet, 608. — Les photographies de Carlsruhe, 609. — Roget découvre le grattage du petit bleu, 610. — Gonse refuse de tenir compte de la communication qui lui est faite par Roget, 611. — Inquiétudes d’Henry ; il cherche à passer à Du Paty le service des renseignements, 612. — IV. Brouille entre Esterhazy et Christian, 613. — Les Mémoires d’Esterhazy, 614. — Christian chez Labori, 615. — Bertulus envoie une citation à Esterhazy, 617. — Mot de Félix Faure à Pellieux sur les « quinze cents gredins qui ne feront pas marcher la France », 618. — Pellieux dénonce Mme Monnier, 619. — Esterhazy chez Bertulus, 620. — V. Second procès de Zola, 621. — Exception soulevée par Zola ; ajournement du procès, 622. — Esterhazy provoque Picquart et cherche à l’assommer, 623. — Maladie de Scheurer, 625. — Zola et les experts, 626. — VI. Réunion de la nouvelle Chambre, 626. — Paul Deschanel élu à la présidence contre Brisson, 627. — Chute de Méline, 629. — Longue crise ministérielle, 631. — Cavaignac, candidat des nationalistes, 632. — Ministère Brisson, 633. — VII. Billot me défère à un conseil d’enquête, 634. — Les Enseignements de l’Histoire, 635. — Lettre de Conybeare, 636. — Je suis révoqué de mon grade, 639.

I

Billot avait la préoccupation du lendemain et le souci de l’ordre. Les preuves successives qu’on lui avait fournies de la culpabilité de Dreyfus, venaient de dossiers différents. Il prescrivit à Gonse de faire un « classement méthodique et rationnel » de toutes les pièces, secrètes et autres, qui avaient trait à l’Affaire[1].

Henry mit quelque temps à former ce nouveau dossier : les pièces secrètes de 1894, celles qui avaient été communiquées aux juges et celles qu’il avait visées dans sa notice biographique, mais sans les y annexer[2] ; une trentaine de notes de Guénée « sur la moralité de Dreyfus » ; un billet de la comtesse Marie de Munster avec ces mots : « On a trop jasé » ; un billet de Panizzardi : « J’ai revu M. Dubois…[3] » ; un lot de fragments informes, antérieurs au procès de Dreyfus, venus par le cornet ; soixante-quatorze pièces, postérieures à la condamnation du juif, lettres ou fragments de lettres volés dans les ambassades, traitant de sujets parfaitement étrangers à l’affaire, surtout d’histoires de femmes ; une correspondance obscène, de grosses plaisanteries germaniques de corps de garde[4] ; le dossier dit des aveux[5] ; et ses principaux faux, les trois lettres de Panizzardi et de Schwarzkoppen, qu’il avait fait fabriquer par Lemercier-Picard ; le brouillon, postdaté, de la lettre de l’attaché autrichien[6], et cette autre lettre de l’attaché allemand où il avait gratté un nom d’espion pour y substituer l’initiale de Dreyfus[7] ; en tout, trois cent soixante-treize pièces. Il garda en réserve (d’accord, apparemment, avec Gonse et Boisdeffre) les photographies du bordereau annoté. Mercier s’en était fait remettre un exemplaire[8]. Esterhazy en avait un autre.

Gonse travailla de son côté.

Le général Lebelin de Dionne avait eu Dreyfus sous ses ordres à l’École de guerre ; il l’avait très favorablement noté : « Conduite très bonne, tenue très bonne ; caractère facile, très bon officier, esprit vif ; très apte au service de l’État-Major[9]. » Gonse ayant fait venir de Dionne, le général n’hésita pas à s’infliger à lui-même un démenti ; il signa que « le juif Dreyfus », dès l’École, lui avait été suspect :

Sa manière d’être haineuse et cassante et ses propos inconsidérés lui avaient attiré l’antipathie de ses professeurs et de ses camarades. Il disait notamment que les Alsaciens étaient plus heureux sous la domination allemande que sous la domination française. Jeune marié, il ne craignait pas de se montrer avec des filles. J’ai eu des reproches à lui faire à ce sujet. S’il était l’objet de l’animosité, cela tenait à son détestable caractère, à l’intempérance de son langage et à une vie privée sans dignité, et nullement à sa religion[10].

Un répétiteur à l’École polytechnique, d’Ocagne[11] » qui se remuait beaucoup, avait raconté à Gonse[12] que Painlevé, le mathématicien, savait de Jacques Hadamard, maître de conférences à la Sorbonne, que celui-ci, parent de Dreyfus, avait eu des renseignements fâcheux sur le condamné de l’île du Diable. Hadamard avait seulement dit à Painlevé[13] qu’il avait couru, dans la presse, des bruits sur la vie privée de Dreyfus ; pour lui, il était convaincu de l’innocence du malheureux, son cousin éloigné, par alliance, et qu’il n’avait, d’ailleurs, vu qu’une seule fois.

Painlevé, averti par un journaliste que le récit de sa conversation avec Hadamard avait été gravement altéré, se rendit chez Gonse. Il croyait alors à la culpabilité de Dreyfus, parce qu’il croyait que l’État-Major en avait des preuves certaines ; mais, comme il était aussi honnête homme que savant, l’idée qu’un propos de lui, inexactement rapporté, fût devenu une charge, lui était odieuse ; il s’étonnait, au surplus, que le sous-chef de l’État-Major, armé, comme il devait l’être, de témoignages formels, s’occupât d’un simple racontar. Il insista donc, avec beaucoup de force, sur les affirmations répétées d’Hadamard au sujet de l’innocence de Dreyfus ; la phrase relative à la vie privée du condamné, son interlocuteur « l’avait dite précisément pour montrer qu’il n’apportait dans l’affaire ni sentimentalité ni esprit de famille, et pour bien établir la valeur intrinsèque de ses arguments[14] ». Gonse l’écouta, de l’air benêt qui lui était habituel ; dans ces conditions, le récit de Painlevé n’apportait rien de nouveau et n’avait aucun intérêt ; il ne lui demandait même pas de le mettre par écrit[15].

Painlevé parti, Gonse rédigea en ces termes, qu’il affirmait être « textuels » et avoir été confirmés par le mathématicien, en présence de d’Ocagne, la déclaration d’Hadamard : « Je n’ai pas voulu dire que je croyais Dreyfus innocent ; d’ailleurs, depuis son arrestation, nous avons eu, dans sa famille, connaissance de certains faits de sa conduite qui font que nous ne pouvons pas répondre de lui[16]. » Il signa, et ce fut une nouvelle pièce secrète.

D’Ocagne raconta encore à Gonse que Dreyfus avait été rencontré à Bruxelles, « quelque temps avant son arrestation », par un ancien camarade de l’École polytechnique « et qu’il n’avait pas paru empressé à se faire reconnaître par lui[17] ». Or, la rencontre de Dreyfus avec Lonquety datait de 1883[18] et, surtout, « n’avait inspiré à celui-ci aucune réflexion particulière[19] ». Le délateur savait que Dreyfus était accusé d’avoir eu des rapports avec Schmettau. Il serrait la corde.

Gonse invoqua également le récit du domestique d’un agent d’espionnage à Bruxelles, Pomier, qui aurait vu chez son maître, « des plis portant la signature de Dreyfus, venant de Paris et relatifs à la mobilisation ». Un policier de Nancy le tenait d’un infirmier ivrogne, qui l’avait entendu raconter, à l’hôpital, par ce domestique ; l’infirmier était mort[20].

Gonse avait chargé Henry de s’informer de Pomier ; la police l’eut vite trouvé[21] ; il démentit formellement les propos qui lui étaient prêtés, toute cette histoire. Henry supprima le rapport, raconta à Gonse, qui maintint le sien, que l’homme avait disparu sans laisser de traces[22].

C’était un des trucs ordinaires d’Henry, très suffisant pour tromper Gonse ou quiconque préférait être trompé. Il l’avait déjà employé, en 1894, quand Mercier lui dit de chercher à la direction de l’artillerie le dossier relatif à l’obus à la mélinite[23]. Gonse reprit aussi cette affaire, n’ayant encore, en tout et pour tout, que cinq fragments calcinés d’une lettre sur papier pelure, la copie, croyait-on, d’une instruction secrète sur le chargement des obus[24] ; il ne doutait pas que Bertillon reconnaîtrait, sur un papier analogue à celui du bordereau, l’écriture du juif.

Ce fut une déception quand l’anthropométreur s’y refusa[25] ; Henry, cette fois, n’osa pas escamoter le rapport ; mais Gonse ne voulut pas en avoir le démenti et persista à imputer cette autre trahison à Dreyfus[26].

Le capitaine Rémusat, ancien camarade de Dreyfus, fut plus accommodant. Il consentit à écrire que Dreyfus avait cherché à se procurer de façon suspecte des renseignements sur l’obus Robin. On n’avait aucun indice que l’obus Robin eût été livré à l’Allemagne, qui fabriquait depuis longtemps des Schrapnell. Gonse n’en conclut pas moins qu’une trahison avait dû être commise et que Dreyfus en était l’auteur[27].

II

Une autre affaire, où Henry, à son ordinaire, avait supprimé une pièce qui le gênait, le mena plus loin qu’il ne l’avait cru.

Gonse n’appartient pas à la race des malfaiteurs de grande envergure. Au besoin, il ment comme un autre, se parjure, authentique des faux ou y collabore sournoisement. Toutefois, sa sottise n’est pas qu’apparente, son air de bêtise est lui-même menteur, et il a des scrupules de vieux soldat discipliné ou craintif. Ainsi fit-il observer à Henry qu’une pièce importante manquait à son dossier, la dépêche du 2 novembre 189, de Panizzardi à l’État-major italien. Il se souvenait qu’il en avait existé plusieurs versions[28].

Henry, qui se gardait bien de tout dire à Gonse, fit semblant de rechercher le dossier des télégrammes ; il rapporta ensuite qu’il ne le retrouvait pas[29].

Il comptait que Gonse n’en demanderait pas davantage. Mais Gonse en référa à Billot[30], et Billot, après s’être fait expliquer l’affaire, dit que rien n’était plus simple ; il n’y avait qu’à se faire délivrer une nouvelle copie du télégramme par le ministère des Affaires étrangères qui l’avait déchiffré[31].

Henry, qui se fût découvert en objectant à cette démarche[32], se rendit donc chez Paléologue ; le diplomate répondit qu’il n’était point qualifié pour remettre, même en copie, une pièce de cette nature ; il était nécessaire que le ministère de la Guerre adressât une demande au ministère des Affaires étrangères.

Voici Henry, à nouveau, loin de compte. Une communication officielle du télégramme qui disculpait Dreyfus, était tout ce qu’il redoutait. Par bonheur, Paléologue, compatissant à son ennui, mais incapable d’en soupçonner la cause, ajouta : « Je vous ai récité tant de fois ce télégramme que je peux bien vous le réciter une fois de plus ; libre à vous de l’écrire sous ma dictée[33]. «

Henry ne se le fit pas dire deux fois, remercia Paléologue, écrivit sous sa dictée le texte de la version authentique ; puis, tranquillement, ayant encore la copie en poche ou l’ayant détruite en route, retourna chez Gonse : « Ces messieurs, lui dit-il, n’ont pas voulu me donner le télégramme[34]. » Il crut encore que l’affaire en resterait là.

Gonse, comme de juste, rapporta cette réponse à Boisdeffre et à Billot. Boisdeffre ne voulut rien savoir ; mais Billot dit qu’il s’en chargeait, que lui-même, au prochain conseil des ministres, il demanderait à Hanotaux la copie de la dépêche, à titre personnel[35].

C’était, d’ailleurs, le plus sûr moyen de ne rien avoir. Hanotaux, en effet, fit à Billot la même réponse que Paléologue à Henry : que les affaires d’État ne se traitent point ainsi, à l’amiable ; qu’il en existe un sage protocole ; qu’en particulier, « cette affaire a été déjà réglée et qu’elle ne saurait faire l’objet de communications personnelles, si confidentielle ? qu’elles puissent être[36] ».

On ne voit pas qu’Hanotaux, à l’exemple de Paléologue, ait suggéré à Billot de réclamer officiellement la dépêche. Cette affaire l’ennuyait beaucoup. Il avait eu de grosses difficultés avec l’ambassadeur d’Italie. Il en aurait de nouvelles si celui-ci, par quelque indiscrétion, apprenait que les dépêches de Panizzardi avaient été interceptées.

D’autre part, Billot s’obstina, soit qu’il eût quelque arrière-pensée, soit entêtement de chasseur. Il prescrivit à Gonse « de se retourner du côté des postes et télégraphes[37] ».

Ici encore, il eût suffi de suivre la procédure régulière, c’est-à-dire de demander, par lettre officielle, au sous-secrétaire d’État des postes (Delpeuch), une copie de la dépêche de Panizzardi. Le soir même, la copie eût été transmise.

Gonse, par surcroît, commit une singulière bévue. Soufflé ou non par Henry, au lieu de demander la copie ou le décalque qu’il aurait eu aussitôt[38], il réclama « l’original[39] », la dépêche elle-même. Delpeuch lui expliqua « qu’elle avait été détruite, comme toutes les dépêches, au bout d’un certain temps, et qu’il était impossible de satisfaire à sa demande[40] »

Henry avait eu souvent affaire à l’administration des postes ; il en connaissait les usages.

L’idée ne vint pas au sous-secrétaire d’État d’offrir, spontanément, le décalque. C’eût été un gros embarras pour Henry, bien que les postes n’eussent pu donner que le texte chiffré. Billot, butté comme il l’était, se serait adressé aux cryptographes du ministère des Affaires étrangères, qui avaient la clef, et tout craquait.

Ainsi, la sottise des uns, l’incurie des autres ou leur demi-complicité, tout ce qu’on appelle le hasard, mais le hasard bien dirigé, servaient de nouveau Henry. Toutefois, l’attention de Billot avait été fâcheusement éveillée, par la maladresse de Gonse et tant de démarches, sur la dépêche de Panizzardi, et Henry restait à la merci d’un incident. Il eût suffi d’une conversation fortuite entre Paléologue et Billot.

Paléologue, comme je l’ai raconté, avait objecté déjà la dépêche du 2 novembre à la version de Gonse et d’Henry que Dreyfus n’avait pas eu de rapports directs avec l’Allemagne et que Panizzardi était l’intermédiaire. Pourtant, cette version inattendue, ces variantes dans l’histoire de la trahison, tantôt avec l’Italie, tantôt avec l’Allemagne, et le trouble d’Henry, qu’il avait noté, le jour où ils en parlèrent, tout cela s’était arrangé jusqu’à présent dans son esprit. Quiconque a eu affaire à Henry s’est trompé sur l’extraordinaire paysan ; tous le prirent pour un bon rustre et le plus droit des hommes. Ainsi Bertulus, Picquart. De même Paléologue, Il était aux premières loges pour bien voir et n’avait encore rien vu. Il croyait toujours, sur la parole d’Henry, à la culpabilité de Dreyfus.

Cette fois pourtant, Paléologue, étant lui-même en cause, eût pu comprendre. Ces traductions de la dépêche chiffrée de 1894, d’une sincérité manifeste, d’où résultait que Dreyfus n’avait pas eu de rapports avec l’Italie, si Henry, l’une après l’autre, les avait fait disparaître, c’est qu’elles étaient la condamnation de la lettre mystérieuse de 1896, où Panizzardi avouait qu’il avait eu le juif à son service. La fourberie lui fût apparue à travers le mensonge d’Henry à son endroit. La fameuse lettre était un faux, et le faussaire celui qui avait supprimé les versions authentiques de la dépêche.

L’accident eût été d’autant plus grave que Billot, qui se résignait volontiers à être dupe, manquait d’estomac devant les complicités trop cyniques et dangereuses. Faire usage d’une pièce douteuse et couvrir un faussaire avéré, ces deux vilenies n’engagent pas au même degré la responsabilité. La peur eût pu lui donner le courage d’agir honnêtement.

Henry, au début, avait cru suffisant de supprimer la dépêche de 1894, parce qu’elle ne cadrait pas avec son faux de 1896. Il s’apercevait, à présent, qu’en jetant au feu un chiffon de papier, il n’avait pas aboli la possibilité de voir réapparaître la version authentique que Paléologue tenait en réserve. Il devenait, dès lors, nécessaire, puisque Billot s’acharnait à avoir la dépêche, de lui en fournir un texte qui le satisfît, ne fût pas en contradiction avec la pièce de 1896 et permît, en outre, de contester la version des cryptographes officiels, le jour où elle sortirait de l’administration des postes ou du ministère des Affaires étrangères.

Il n’y a qu’un moyen d’authentiquer un faux : un autre faux.

Une telle estime entourait Henry que d’apporter un matin à Gonse une version convenable de la dépêche, rien ne lui eût été plus aisé. Il l’aurait retrouvée tout à coup dans un de ses dossiers, après l’avoir fait écrire par Guénée, qui n’était pas moins expert que Lemercier-Picard.

À la réflexion, il lui parut qu’à assumer encore une fois, à lui tout seul, tous les risques, il jouait gros jeu ; et l’idée lui vint de faire participer à la fabrication du nouveau faux, dont il avait besoin, le seul officier de l’État-Major qui se fût avisé, avec Picquart, de suspecter son autre faux.

On a vu[41] qu’Henry, en 1894, avait fait une copie de l’ébauche primitive où les cryptographes avaient inscrit, sous les groupes chiffrés, à titre conjectural, les mots arrêté, ministère de la Guerre, preuve, relations, Allemagne. Mots excellents, accusateurs, mais, par malheur, inexacts : ainsi le premier chiffre de la dépêche (913), qu’on avait pris pour un groupe et traduit arrestato, et qui n’était qu’un numéro d’ordre[42]. Au surplus, cette version elle-même était favorable à Dreyfus : « On a arrêté le capitaine Dreyfus qui n’a pas eu de relations avec l’Allemagne[43]. »

Cependant, avec le feuillet cryptographique dont les déchiffreurs avaient eu le tort de se désaisir, l’instrument générateur des faux était aux mains de l’État-Major. Tous les militaires qui en ont eu connaissance, ceux qui avouent avoir connu le feuillet comme ceux qui le nient, se sont cramponnés, imbéciles ou déloyaux, à ces premiers déchiffrements hypothétiques. La première traduction, donnée comme incertaine par le ministère des Affaires étrangères, mais qui disculpait Dreyfus ; la traduction définitive, passée au crible de la contre-épreuve de Sandherr[44], ils rejettent tout ce qui ne vient pas à l’appui de leur idée préconçue. Il n’y a de vrai pour eux que le faux, pourvu qu’il serve leurs passions et leur intérêt.

Sandherr, prisonnier de sa contre-épreuve, disait aux diplomates qu’il était d’accord avec eux[45] ; mais, entre officiers, il exprimait des doutes[46] ; il fut associé, comme on sait, à la constitution du dossier secret de 1894, y inséra une fausse version de la dépêche.

Il n’est pas impossible que cette fausse version ait été, à cette époque, montrée à Du Paty comme étant la copie de la première traduction conjecturale des cryptographes. Ils avaient lu : « Dreyfus n’a pas eu de relations avec l’Allemagne[47]. » Le copiste avait transcrit : « Le ministère de la Guerre a un rapport secret offert à l’Allemagne[48]. »

Du Paty avait rédigé à ce sujet une note qui fut jointe au dossier des télégrammes[49]. Henry l’y put lire avant de détruire tout le paquet.

Ainsi Henry put, en toute sûreté, suggérer à Gonse d’avoir recours aux lumières de Du Paty ; en tout cas, quand Gonse lui demanda de « recueillir ses souvenirs », Henry était là[50]. Gonse raconte qu’il se borna à écrire, sous la dictée de Du Paty, un texte qui n’aurait eu à ses yeux qu’une « valeur indicative[51] ». En fait, la cuisine du faux fut moins sommaire ; elle occupa plus d’une séance. La traduction de Du Paty, celle qu’il avait reproduite dans sa note de 1894, donnait pleine satisfaction. Faux éhonté, puisque les déchiffreurs, à aucun moment, « n’avaient écrit, ni suggéré, ni même imaginé rien de tel »[52]. Toutefois, par un bizarre scrupule. Du Paty refusait d’y ajouter la phase : Rimane prevenuto emissario, qui avait figuré sur la deuxième version, mais à titre conjectural[53], et qui, d’ailleurs, n’incriminait pas Dreyfus (en prison, depuis quinze jours, quand Panizzardi envoya sa dépêche). Il la déclarait douteuse. Cela donna lieu à une discussion d’abord, puis à un échange de lettres entre Gonse et lui[54].

Finalement, Gonse se détermina pour une nouvelle rédaction, plus explicite, où la phrase contestée fut remplacée par une autre plus mensongère encore : « Le capitaine Dreyfus est arrêté. Le ministère de la Guerre a la preuve de ses relations avec l’Allemagne ; toutes mes précautions sont prises[55]. »

Il faut rappeler ici le texte authentique de la dépêche dont Gonse avait gardé un souvenir à peu près fidèle[56], qui avait été noté par Du Paty[57] et que Paléologue avait, l’autre jour, récité à Henry : « Si le capitaine Dreyfus n’a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l’ambassadeur de publier un démenti officiel, afin d’éviter les commentaires de la presse. »

La nouvelle pièce, qui étayait si solidement le faux d’Henry, fut montrée à Boisdeffre et à Billot, puis jointe au dossier[58] ; une note annexe portait que la pièce avait été reconstituée de mémoire par Du Paty, mais sans nulle mention, même pour la contredire, de la version authentique[59].

Le répertoire du dossier fut recopié pour Billot par un jeune officier qui admirait beaucoup Henry, qu’Henry avait pris en amitié et qui s’appelait Cuignet[60].

III

Billot, derrière un tel rempart et un rapport d’ensemble de son gendre Wattine[61], en collaboration avec Gonse, se sentit très rassuré. Rochefort, Drumont, furent avisés qu’on avait maintenant des preuves « qui pouvaient se peser par 100 kilos[62] ». Quand les amis de Dreyfus reviendront à l’assaut, on « déballera » tout.

Entre temps, quelques spadassins de lettres furent enrôlés pour les frapper par derrière, les punir d’avoir voulu un peu de vérité et de justice.

Le père de Zola, lieutenant, en 1832, à la légion étrangère[63], avait donné sa démission, sous le coup d’une accusation de détournements, pour éviter de passer devant un conseil de guerre. Était-il l’auteur des malversations qui lui furent imputées, dans de menues affaires de fournitures, ou était-ce un sous-ordre dont la femme passait pour sa maîtresse ? Dès que cette femme fût arrêtée, il se livra, remboursa la somme qui manquait. « Nulle plainte juridique n’avait été déposée contre lui[64]. »

Il ressort des témoignages contemporains les plus hostiles que François Zola, s’il se punit lui-même « d’une heure de folie[65] », ou d’une complaisance coupable, protesta vivement de son innocence[66].

Il se trouva un vieillard de quatre-vingts ans, le général de Loverdo, pour déterrer cette faute de jeunesse dans ses souvenirs. Étant enfant, il en avait entendu parler par son père, le premier général de Loverdo, qui avait reçu chez lui, dans une amicale intimité, l’officier démissionnaire[67]. Surtout, il savait la vie si belle de François Zola, après ce drame douloureux, toute de labeur et d’énergie, où il fut honoré de l’amitié de Thiers et de Mignet, son projet pour les fortifications de Paris, qui est d’un précurseur[68], ses travaux au port de Marseille, le canal d’Aix, son œuvre qui porte son nom[69]. Rien que le souvenir de son propre père eût dû l’arrêter, l’empêcher de violer cette tombe.

La chose horrible, beaucoup plus que l’action si basse d’inviter les gens de l’État-Major à déshonorer le père dans son cercueil et le fils dans son père[70], c’est que Loverdo, en leur envoyant sa dénonciation, crut rendre un suprême service à l’armée. « la venger d’un traître[71] ».

Les dossiers du personnel, conservés aux archives de la Guerre, sont tenus pour secrets ; « constitués uniquement en vue des besoins administratifs[72] », ils dorment dans la poussière d’une véritable nécropole. À peine si quelques historiens obtiennent parfois le privilège de les consulter. Mais toute arme, en ces tristes temps, était bonne. Billot ayant donné l’ordre de rechercher le dossier de François Zola, l’archiviste le remit à un envoyé d’Henry[73].

« Les pièces n’étaient pas cotées, et il n’en existait pas de bordereau[74]. »

Quatre seulement (si Henry, cette fois, ne pratiqua aucune suppression) étaient relatives à l’incident dénoncé par Loverdo : la démission de François Zola, une lettre détaillée du colonel Combe, chef de la légion étrangère, une autre, fort courte, du général Trézel, maréchal de camp et chef de l’État-Major à Alger, et un rapport du duc de Rovigo, commandant en chef du corps d’occupation, au ministre de la Guerre.

Le colonel Combe, ancien soldat de l’Empire, qui s’était exilé volontairement en Amérique après Waterloo et n’était rentré en France que depuis la Révolution de juillet[75], s’exprimait sur le cas de François Zola avec une grande violence. S’il convenait qu’une femme était au fond de l’affaire, il n’y trouvait aucun motif d’indulgence pour celui qu’il appelait « le vil instrument de toutes les turpitudes humaines » ; la présence d’un tel « individu » dans l’armée « eût souillé les regards des guerriers qui tiennent et estiment l’honneur » ; son devoir, enfin, lui commandait de mettre le ministre en garde contre les protestations de l’intrigant, quand il reviendrait à Paris et ne manquerait pas de se présenter « comme une malheureuse victime de chefs iniques[76] ».

Ainsi l’insulteur de l’armée qu’était Zola avait pour père un voleur qui, lui aussi, comme Dreyfus, avait cherché « à déguiser son infâme conduite en parlant de son innocence ».

Au contraire, Trézel opinait que « deux mois de détention et la perte de son grade étaient pour l’officier coupable une punition suffisante » ; et Rovigo, en réponse à une lettre de Soult qui s’étonnait que François Zola eût été mis si vite en liberté, revendiquait la responsabilité d’une mesure humaine et juste : « À quel titre pourrais-je signer un ordre d’informer contre un homme qui a rempli tous les engagements qu’il avait pris ? »

Billot, à la lecture de ces documents, éprouva quelque déception ; il fit demander s’il existait un dossier, plus grave, au bureau de la justice militaire ; on lui répondit que non[77].

Henry s’est-il alors concerté avec Gonse ? Boisdeffre avec Du Lac[78] ? Quoi qu’il en soit, Henry remit tranquillement au dossier les lettres de Rovigo et de Trézel, copia la lettre de Combe, mais en la falsifiant, et en forgea une seconde. Il supprima, notamment, de la première le passage relatif au payement intégral du déficit et l’histoire, qui expliquait tout, de la Dalila de caserne qui avait affolé le malheureux officier[79]. La seconde lettre, sans date, où le colonel de la légion étrangère critiquait vivement l’abandon des poursuites contre Zola, était censée provenir des archives de Constantine où l’original en a été vainement recherché[80]. Henry porta ensuite ces deux pièces à son ami Judet[81] qui était particulièrement qualifié pour les présenter au public avec une vertueuse et patriotique indignation. En effet, il ne s’était pas engagé pendant la guerre, comme l’avaient fait tant de ses camarades, s’était fait réformer en 1871, avait obtenu, en 1875, d’être nommé, en violation de la loi, sous-lieutenant de réserve, et, après avoir démissionné à l’époque où les relations se tendaient avec l’Allemagne, n’avait repris son grade, en 1890, que par une autre faveur exceptionnelle et illégale[82]. Judet se chargea de faire éclater le scandale dans le Petit Journal, le matin même où Zola reparaîtrait, à Versailles, devant les assises.

La manœuvre contre Picquart fut plus grossière. Elle consista, à la veille des élections, à faire raconter par les journaux qu’il s’était rendu en Allemagne pour s’y rencontrer, à Carlsruhe, avec Schwarzkoppen, qu’il existait une preuve « matérielle » de l’entretien ; un agent les avait photographiés ensemble[83]. Ces révélations s’échelonnèrent sur plusieurs jours, se confirmaient.

Le coup avait été combiné entre Henry, Esterhazy et Guénée qui, chargé de filer Picquart, avait constaté qu’il n’était plus à son domicile[84]. Il était, en effet, allé passer quelques jours chez une vieille amie de sa mère[85]. Possien, ce journaliste à qui Picquart avait fait racheter autrefois un article en faveur de Dreyfus, annonça qu’il avait vu de ses yeux la photographie ; elle existait, en effet, ainsi qu’une autre où l’on avait représenté le même Schwarzkoppen attablé avec Dreyfus.

Pellieux la vit aussi et en parla triomphalement à Esterhazy ; il avait vu également le rapport de l’agent.

Quelque dédaigneux que fût Picquart des injures, il se fâcha ; il déposa une plainte en faux contre Possien[86].

Dans cette douloureuse histoire que je raconte, tant de sottise et de déloyauté n’a plus rien de nouveau. Une impression finit par s’en dégager, moins de colère que de monotonie. On ne s’étonne plus de rien. On s’habitue, comme à l’air qu’on respire, à cette collusion qui se perpétue pour abîmer ou salir les défenseurs de Dreyfus, c’est-à-dire pour protéger un traître avéré. Tout ce qui s’est appelé la conscience, le simple respect humain semblent perdus.

Nul doute, cependant, que les faussaires, elle plus audacieux de tous, n’eussent parfois peur de leur œuvre.

Un incident singulier le montra.

Henry, on se le rappelle, avait peu de rapports directs avec Billot. Il est probable que, s’il l’eût vu plus souvent, il l’aurait dissuadé d’autoriser le général Roget à procéder à une enquête personnelle sur l’affaire[87]. À quoi bon ? La mission une fois donnée, il fallut s’incliner.

Roget se mit à la besogne, questionnant beaucoup Henry, qu’il tenait en grande estime, plein de méfiance, au contraire, à l’endroit de Du Paty, et acharné surtout contre Picquart. Il le tenait pour vendu au Syndicat ; à force d’entendre dire que le petit bleu était un faux, il s’en était persuadé.

Il examina, en conséquence, la carte-télégramme avec beaucoup de soin et, comme il avait l’œil bon, il ne tarda pas à s’apercevoir non seulement que l’écriture en était « déguisée et contrefaite », nullement semblable, comme l’avait cru Picquart, à celle de Schwarzkoppen, mais encore que les lettres du mot Esterhazy, sur l’adresse, « n’étaient point liées entre elles, mais empâtées et baveuses[88] », et, de plus, écrites sur un grattage ». Il suffisait, pour en être sûr, de regarder le petit bleu « par transparence[89] ».

Nécessairement, le jeune général vit dans sa découverte la confirmation des soupçons de Lauth, au sujet de l’arrivée frauduleuse de la carte télégramme, et l’explication de la dépêche Blanche où « Georges » était avisé par une confidente qu’on savait qu’il avait fabriqué le petit bleu.

Quand Henry avait procédé à son grattage, c’était précisément pour en faire accuser l’accusateur d’Esterhazy. S’il avait fait envoyer la fausse dépêche par Esterhazy, c’était pour amorcer l’accusation.

Il semble que le succès de son plan aurait dû enchanter Henry. Tout au contraire, Gonse, qui n’avait pu manquer de le consulter, refusa de « tenir aucun compte » des révélations de Roget[90]. Ses yeux ne s’ouvriront, il ne verra le grattage qu’après la mort d’Henry.

Henry en avait trop fait. Nul ne le soupçonnait encore, mais il se connaissait lui-même, et la peur le tenait. S’il avait, tous ces temps-ci, fabriqué de nouveaux faux, c’est que ceux d’autrefois l’y condamnaient, parce que le faux appelle le faux ; mais le goût n’y était plus et il tressaillait à chaque fois qu’il entendait parler d’une forgerie. Claretie ayant raconté dans un journal qu’un escroc italien lui avait vendu de fausses lettres du prince Léopold de Hohenzollern[91], Henry lui envoya Valdant, aux renseignements[92]. D’autre part, Picquart, depuis qu’il avait été chassé de l’armée, n’était plus le même. Il y avait laissé sa résignation ; son courage de passif devenait actif ; pour cette stupide histoire de la photographie de Carlsruhe, n’avait-il pas tout de suite porté plainte ? Il devait suffire, pour le moment, de l’attaquer en dessous. Ce serait folie de l’attaquer en face, d’une telle accusation, d’étendre aussi démesurément le champ de bataille. Et, bien plus, la sagesse, pour Henry, c’était de s’en aller. Maintenant que le dossier des faux était officiellement reconstitué, sous la haute direction de Gonse et avec la collaboration de Du Paty, il n’avait plus rien à faire au ministère. Il dit, en conséquence, à Boisdeffre[93] que sa santé d’homme d’action et de forte vie, de paysan accoutumé au grand air, déclinait dans l’atmosphère des bureaux, qu’il en avait assez, après cinq années, de ce métier de rond-de-cuir et de gratte-papier, et qu’il demandait à rentrer dans un régiment. « Et qui vous remplacera ? — Du Paty[94]. »

Mais Du Paty, qui lui aussi, avait assez de l’affaire Dreyfus, refusa. Il n’eût accepté une telle charge, une aussi redoutable succession, qu’en sous-ordre, avec un chef comme le général Bonnal. Sinon, il préférait quitter L’État-Major, aller en garnison à Nancy. Et Henry resta.

IV

Nous avons laissé Christian Esterhazy fort préoccupé de son argent, depuis qu’il ne prenait plus son cousin pour un preux des anciens temps. L’escroc essayait toujours de le faire patienter, tantôt par de bonnes paroles : « Je t’enverrai de l’argent ces jours-ci… », tantôt par une belle indignation d’honnête homme : « Pour Dieu ! rassurez-vous et cessez de manifester une inquiétude blessante et absurde[95] ! » Christian étant accouru un jour à Paris, il lui fit des billets et, pour montrer combien sa situation était intacte, le mena chez Pellieux, mais pas plus loin pourtant que l’antichambre[96], pendant qu’il entrait seul chez le général qui lui avait gardé, d’ailleurs, toute son amitié. Cependant la confiance n’était revenue ni à Christian ni à sa mère ; ils apprirent, avec surprise, que les billets du commandant n’ajoutaient rien à leur droit, exigèrent alors le remboursement immédiat des fonds. Sur quoi Esterhazy écrivit à Christian une lettre de rupture et à Mme Esterhazy que son fils était un polisson, qui entretenait des femmes de mauvaise vie[97].

Il espérait les intimider après les avoir si longtemps dupés, et se proposait d’exploiter la peur de ces pauvres gens, comme il avait abusé de leur crédulité, mais sans réfléchir que la passion de l’argent, qui abêtit les plus intelligents, donne parfois aux plus timorés quelque chose qui ressemble à du courage.

Christian, en effet, lui répondit par une mise en demeure catégorique, partit pour Paris avec sa mère et se rendit, au débotté, chez la fille Pays[98]. Esterhazy, « jouant avec un poignard », ne chercha plus à nier : « Il n’y a rien chez Rothschild ; si tu as cru à cette histoire, tu n’es pas fort ; si tu portes plainte contre moi, je fais une plainte contre vous pour usure. » Puis, comme Christian n’en croyait pas ses oreilles, il essaya, une dernière fois, selon la formule qu’il lui avait naguère prêchée, « de le mettre dedans » : « Si vous voulez me laisser du temps, je vous rembourserai jusqu’au dernier sou, avec intérêt de 5 pour 100, sur les sommes qui me reviendront de mes Mémoires. » Et il montrait un traité où figuraient les signatures de deux collaborateurs de Drumont[99]. Mais Christian ayant répondu qu’il allait consulter un homme de loi : « Eh bien, merde ! je me tue ce soir[100] ! »

Christian, qui commençait à se former, ne s’effraya pas ; mais la perte de son argent lui parut un si extraordinaire désastre qu’il refusait encore d’y croire. Il se raccrocha à cette pensée que les fonds étaient bien chez Rothschild et que le projet de son cousin était seulement de se les approprier pour un temps, « en attendant les versements de son éditeur[101] ». Quand un commis du grand banquier le détrompa, il fut consterné.

Il avait menacé Esterhazy de s’adresser à la justice ; pendant que sa mère se berçait encore de l’illusion qu’elle se rattraperait sur les bénéfices, qui ne pourraient manquer d’être considérables, des Mémoires sensationnels de son neveu[102], Christian se mit à la recherche d’un avocat. Le bon jeune homme allait chez Auffray, qui avait servi d’intermédiaire, en janvier, entre Esterhazy et Mme de Boulancy, quand il rencontra un de ses amis[103] qui était revisionniste et qui, l’ayant chapitré, le mena, quelques jours après, chez Labori. Et il raconta toute sa mésaventure, non seulement la flibusterie dont il était victime, mais toute la collusion, dont il avait été témoin, entre Esterhazy et l’État-Major, ses propres rendez-vous nocturnes avec Du Paty, les faux télégrammes, ce qu’il savait de la fable de la dame voilée dont il avait écrit lui-même les lettres, le compagnonnage de Pellieux et du misérable. Il remit, en outre, à Labori, un paquet de lettres d’Esterhazy et l’autorisa à répéter ses confidences à Mathieu Dreyfus ; puis, le lendemain, il fit le même récit à Trarieux. Le sénateur, qui n’était pas tenu par le secret professionnel, informa Zola, Leblois, Picquart et moi[104].

Ainsi, tout ce que nous supposions, tout ce que le bon sens indiquait comme la seule explication possible du pitoyable roman que l’État-Major avait accrédité, tout cela était vrai, et le témoin que nous envoyait le destin, — puisque tout dans ce drame shakespearien devait être étrange et terrible, — c’était le proche parent du traître lui-même.

Cependant, le premier moment de joie passé, il fallut se rendre compte que, si nous tenions enfin la preuve flagrante du crime de l’État-Major, qui était lui-même une preuve nouvelle du crime d’Esterhazy, nous n’avions aucun moyen assuré de la faire éclater. Tout reposait sur le témoignage de Christian, et quel témoignage à la fois plus décisif et plus fragile ! Christian, dans une heure de trouble ou dans un accès de colère, avait pu faire ses confidences à Labori et à Trarieux. Mais l’avocat était tenu de s’en taire, et le sénateur de la Gironde hésitait à s’exposer au plus outrageant démenti. Christian pouvait revenir de lui-même à d’autres sentiments ou se laisser reprendre par le fourbe, ou par quelque moine qui lui ferait horreur de sa conduite. Quoi ! pour un peu d’argent qu’il avait perdu, il s’était fait le dénonciateur du parent dont il portait le nom, le pourvoyeur des juifs et des ennemis de l’armée !

Ceux d’entre nous qui passaient pour les plus téméraires étaient fort prudents de nature, ou l’étaient devenus. Il fut donc décidé qu’on patienterait et qu’on chercherait, sans le brusquer, à amener Christian à déposer de lui-même devant Bertulus. Le juge avait été informé de l’incident par Picquart et, lui aussi, il recommandait d’agir avec la plus extrême circonspection pour ne pas risquer d’effaroucher ce précieux témoin.

En attendant, le récit de Christian confirmait et précisait singulièrement les accusations de Picquart contre Esterhazy et Du Paty, et même dans ce qu’elles avaient d’inexact, puisque Christian tenait d’Esterhazy et de la fille Pays que Du Paty était l’auteur ou l’inspirateur des faux télégrammes[105].

Bertulus, toutefois, ne laissait pas d’être assez embarrassé ; il avait, sur l’indication de Picquart[106], fait procéder à des comparaisons entre l’écriture de Du Paty et celle de la dépêche Blanche ; l’expertise avait été favorable à Du Paty[107]. Le soupçon de Picquart se porta alors sur Mme Du Paty que Christian avait mise en cause ; l’expertise fut de nouveau négative. Pour Du Paty, il n’avait pas cessé de protester qu’il n’était pour rien dans l’affaire des télégrammes[108].

On se trouvait donc, de ce côté, dans une impasse, et pour une raison très simple : c’est que les faux télégrammes, imputés à Du Paty, étaient l’œuvre d’Esterhazy et d’Henry. D’autre part, comme les révélations de Christian, témoin personnel en ce qui concernait son cousin, ne laissaient place à aucun doute, le juge s’enhardit à faire ce qu’il avait retardé jusque-là : à citer Esterhazy lui-même. Picquart l’avait accusé à nouveau d’être l’auteur des articles de la Libre Parole, sous la signature « Dixi », et en avait fourni une très ingénieuse démonstration[109]. Un rapport de police donnait un renseignement identique[110]. C’était sur Esterhazy qu’il fallait marcher.

Esterhazy, à ce moment, ne savait encore rien de la visite de Christian à Labori ; il pensait l’avoir intimidé, s’être débarrassé de lui, et il avait repris son train de vie habituel, allant presque tous les jours chez Pellieux « comme au rapport[111] », lui menant des journalistes[112], recevant, par son intermédiaire, les communications de Gonse, les portant à « ses journaux » avec celles d’Henry qui lui étaient remises par Guénée[113], discourant jusqu’à une heure avancée de la nuit dans les salles de rédaction et les cafés.

Pourtant, il restait inquiet, terriblement énervé, toujours aux aguets, à la façon d’une bête traquée qui a dépisté une première fois les chiens, mais qui sait qu’ils reviendront et qui entend déjà leurs aboiements ; et ni Henry ni Pellieux ne parvenaient à le rassurer. Pellieux avait beau lui rappeler ce mot de Félix Faure : « Général, ce ne sont pas quinze cents gredins qui feront marcher la France ! » Il continuait à se méfier du Président de la République qu’il faisait harceler par les gens de la Libre Parole[114], et il redoutait surtout les quinze cents « gredins », et principalement Picquart.

Pellieux n’avait pas besoin d’Esterhazy pour être excité contre Picquart ; il le considérait comme l’âme du « complot international », et il le faisait suivre étroitement, s’informant de ses relations et ne craignant pas d’employer des officiers à ces basses besognes. L’un d’eux consentit à aller interroger le concierge de Mme Monnier, cette parente de Picquart que le père Du Lac avait nommée à Boisdeffre, dont Henry avait fait l’une des dames voilées d’Esterhazy et que Pellieux et Gonse avaient déjà dénoncée à Bertulus. Le concierge, plus scrupuleux que l’officier, refusa de parler et avertit sa locataire. Mme Monnier se rendit aussitôt chez le général de Pellieux et lui demanda de faire cesser des procédés aussi offensants.

Pellieux commit alors une action infâme. Il écrivit au mari pour se plaindre de la démarche de sa femme, qui s’était présentée à lui « comme la parente et l’amie de Picquart », et exigea de lui des explications verbales ou écrites. Faute de quoi, « il sera en droit de considérer comme fondés les bruits qui ont couru et courent encore sur le rôle de Mme Monnier dans ce qu’elle appelle l’Affaire[115] ».

Le mari n’eut pas de peine à justifier sa femme du rôle que Pellieux lui attribuait ; elle était encore avec lui et leurs enfants à la campagne, qu’elle n’avait pas quittée à l’époque où Esterhazy se serait rencontré avec sa mystérieuse protectrice. Pellieux l’écouta, s’inclina devant cet argument décisif ou fit semblant, puis raconta tout à Esterhazy[116] qui venait de recevoir la citation de Bertulus.

Pellieux, comme Esterhazy et Henry, savait que Bertulus avait donné sa confiance à Picquart ; certainement il lui dira que le bandit est informé, et Picquart s’arrêtera net, frappé dans ses affections, pour écarter un scandale.

Ce fut, en effet, la pointe empoisonnée du discours d’Esterhazy à Bertulus. Il convint qu’il avait renseigné Drumont, refit, pour la centième fois, l’histoire de ses rapports avec l’inconnue qui l’avait documenté, s’embrouilla dans quelques mensonges et termina sur cet avertissement : « qu’une certaine dame venait de faire une démarche tellement inconsidérée qu’il y avait lieu d’espérer qu’elle se dévoilerait[117]. »

Par malheur, Mme Monnier elle-même avait déjà signalé à Bertulus[118] la nouvelle indignité de Pellieux à son égard ; le juge eut ainsi, au premier mot d’Esterhazy, une preuve de plus que la collusion continuait.

Un autre que Bertulus aurait réfléchi que la lutte contre de tels adversaires devenait une guerre au couteau et qu’il y ruinerait sa carrière. Mais il s’était piqué au jeu et, s’il avait fait capituler sa conscience devant son intérêt, il n’aurait plus osé regarder l’un de ceux qui savaient la vérité. Il décida toutefois, et avec beaucoup de sens, qu’il ralentirait pendant quelque temps son instruction afin d’endormir les soupçons dont il était l’objet. Il se contenta de demander au ministère de la Guerre, qui la lui remit, la lettre « Espérance[119] », et à Esterhazy, qui se déroba, les lettres de la dame voilée[120]. Puis, très maître de lui, dans l’immobilité silencieuse du chasseur à l’affût, et malgré les impatiences qui venaient à Picquart, il attendit que Christian consentît à parler.

V

Ces incidents, l’espérance fiévreuse que Christian ne tarderait pas à livrer Esterhazy à Bertulus, décidèrent Zola à ne pas accepter la rencontre que Billot lui proposait pour le 23 mai, à Versailles. Les journaux alléguèrent, ce qui parut plausible, qu’au lendemain du scrutin de ballottage, quand les passions électorales soufflaient encore en tempête, les vents du dehors pénétreraient dans le prétoire. Labori souleva une exception d’incompétence, inadmissible en droit, mais qui, étant préjudicielle, obligeait la cour d’assises, en cas de pourvoi, à ajourner les débats. Il prétendit qu’en ne citant pas Zola et Perrenx à Paris, le ministère public les soustrayait à leur juge naturel, le jury de la Seine où ils habitaient.

Le choix de Versailles, s’il avait été dicté par les raisons les plus basses, n’en était pas moins parfaitement légal. Le garde des Sceaux eût pu renvoyer l’affaire devant les assises de n’importe quelle ville de France où avait été mis en vente un seul exemplaire de l’article de Zola. La Cour se déclara compétente. Mais Labori ayant riposté que ses clients se pourvoyaient en Cassation, Périvier, qui présidait, et le procureur général Bertrand, l’un solennel et l’autre goguenard[121], durent s’incliner. Le sursis fut prononcé.

Les nationalistes, qui croyaient tenir une nouvelle victoire, manifestèrent une vive indignation : c’était une reculade honteuse, l’aveu de la peur qui tenait ces diffamateurs et de leur impuissance à se justifier. Ils huèrent Zola qui le matin, avait été frappé au cœur par l’article de Judet, l’éclaboussure inattendue qui salissait son nom et la mémoire de l’homme dont sa mère avait gardé et lui avait enseigné le culte[122]. Picquart fut poursuivi par une bande de malandrins que la police laissa faire.

Esterhazy était venu à Versailles pour se livrer contre lui à des voies de fait. Il erra tout le jour devant la porte du Palais de justice, grommelant des menaces, l’air d’un traître de mélodrame. On observa que les officiers évitèrent son contact. Le soir, il envoya à Picquart une lettre outrageante : il se promènera, trois jours de suite, de telle à telle heure, dans deux rues qu’il désignait, pour lui infliger une correction[123]. Picquart, comme on peut croire, ne répondit pas à cette provocation de souteneur ; il dit seulement à un journaliste que, « s’il tombait dans un guet-apens, il saurait se défendre, mais il n’oublierait pas que son devoir était de respecter la vie d’Esterhazy » ; « cet homme appartient à la justice du pays et je serais coupable de l’y soustraire[124] ».

Le bandit, à la façon des bravi d’autrefois, attendit une occasion favorable. Un mois plus tard[125], ayant rencontré Picquart, il se précipita pour l’assommer, par derrière. Il était accompagné d’un maréchal des logis de dragons et armé d’un énorme gourdin. Picquart se retourna, frappa à son tour, fit rouler le chapeau de son assaillant dans le ruisseau et appela la police ; Esterhazy prit la fuite[126].

Une telle ignominie, les vilenies dont les journaux « patriotes » et « religieux » l’abreuvaient, la haine féroce de ses anciens compagnons d’armes, surtout son calme dans l’épreuve, une sérénité souriante de philosophe, accrurent les sympathies qui, du premier jour où il parut sur la scène du drame, étaient allées vers Picquart. À la réunion constitutive de la Ligue des Droits de l’homme et du citoyen, qui fut présidée par Trarieux, assisté de Grimaux et de Duclaux ; puis, aux premières conférences qu’organisa Pressensé[127], avec le concours de quelques amis, Quillard, Morhardt, Psichari, heureux de payer de leur personne pour une si noble cause, chaque fois que le nom de Picquart était prononcé, les revisionnistes, dans la belle griserie de la bataille, l’acclamaient comme le Siegfried moderne qui avait entrepris de délivrer la Walkyrie endormie. Pour lui, s’il n’était pas insensible à cette popularité naissante, il en réprouvait alors les exagérations, évitait le bruit, soit modestie, soit fierté, et vivait chez lui, très simplement, entouré de ses livres, réfléchissant beaucoup et dégageant peu à peu du soldat résigné qu’il avait été, un autre Picquart que le premier n’eût pas reconnu et qui ne se connaissait pas encore lui-même. Il résista à ceux qui l’eussent voulu entraîner dans les rares salons qui s’étaient enflammés pour le martyr de l’île du Diable ; malgré sa réserve, il n’y aurait pas échappé au ridicule qui s’attache au héros du jour, vainqueur ou vaincu, que les femmes s’offrent à célébrer ou à consoler. Il fréquentait seulement quelques « intellectuels » qu’il étonnait par la variété de ses connaissances. Dans le conseil, il faisait preuve d’une extrême circonspection, d’un soin méticuleux du détail et plein d’une légitime méfiance ; il s’attendait, de ses anciens chefs, au pire.

Scheurer, atteint depuis quelque temps du mal incurable qui devait l’emporter, avait dû renoncer à tout rôle actif. Il n’était plus qu’un conseiller, encore étonné de l’extraordinaire tempête qu’il avait déchaînée, meurtri cruellement par la dure sottise des républicains et la résistance des chefs de l’armée, mais plus passionné que jamais pour l’idéal de justice auquel il avait donné sa vie.

Zola répondit au Petit Journal par une apologie douloureuse de son père[128] et par une assignation. Judet n’avait encore appuyé son attaque d’aucune preuve que d’une conversation avec le général de Loverdo[129], Il réservait les lettres de Combe pour la reprise du procès. D’autre part, les trois experts, Couard, Belhomme et Varinard, que Zola avait accusés de fraude, d’imbécillité ou d’aveuglement, le harcelaient, réclamaient 300.000 francs de dommages-intérêts. Zola eût voulu faire juger l’affaire par le jury ; mais la Cour de cassation décida que les experts ne sont pas des fonctionnaires et, dès lors, que la juridiction correctionnelle était compétente[130] ; et c’était maintenant la condamnation certaine, toute la laideur d’un procès d’argent, avec l’impossibilité légale de fournir la preuve.

Ce poète, qui avait l’âme si révolutionnaire, l’avait, en même temps, très bourgeoise. Depuis vingt ans, chaque fois qu’il lançait une bombe (la plupart de ses romans sont explosifs), il s’étonnait que les blessés se permissent de crier et qu’on ne le laissât pas se rasseoir tranquillement à sa table pour en fabriquer de nouvelles. Cependant, il avait voulu son procès (bien qu’il lui soit arrivé de dire qu’il n’était pas autrement venu au secours de Dreyfus injustement condamné que du peintre Manet injustement méconnu), et il l’avait aimé comme le plus beau de ses poèmes. Mais tout ce qui en était résulté, et qui n’était plus la grande affaire, l’excédait, — le tracas des petits procès accessoires, le grimoire des procédures, tant d’ennuis et de misères, le bouleversement indéfini de sa vie, si méthodique, de travailleur acharné, jusqu’à la plainte d’un colonel à la grande chancellerie pour lui enlever sa décoration[131]. Il y avait des heures où il regrettait de n’avoir pas suivi le conseil de Duclaux, de ne pas s’être constitué prisonnier. On l’eût glorifié davantage et il écrirait, dans le bon silence de sa cellule, un autre roman[132].

VI

La nouvelle Chambre se réunit le 1er juin et, tout de suite, le petit groupe des nationalistes et des antisémites, compact et résolu, en fut le maître, sans même parler, rien qu’à porter ses voix à droite ou à gauche. Dès la première séance, après le discours du président d’âge, Drumont et ses amis poussèrent leur cri de guerre : « À bas les juifs[133] ! »

Jamais assemblée ne débuta par plus d’incohérence. Le 1er juin, elle nomme Deschanel à la présidence contre Brisson ; le 14, elle renverse Méline ; le 30, une majorité de cent voix salue Brisson, battu hier, aujourd’hui président du Conseil.

Méline, au lendemain des élections, s’était cru vainqueur ; Félix Faure, sortant de la réserve constitutionnelle, s’était félicité, dans un discours à Saint-Étienne, que le pays eut approuvé sa politique, « une politique raisonnée et sage[134] ». Il n’y avait plus qu’à renouveler, à cimenter plus étroitement le pacte avec la droite, à gouverner, comme on avait fait voter, contre les radicaux et les socialistes.

Brisson, à la fin de la précédente législature, en excommuniant les « perfides », c’est-à-dire les ralliés et leurs garants, avait jeté le gant au centre. Il était légitime que le défi fût relevé. Les modérés (qui avaient repris le nom de « progressistes ») décidèrent de présenter un candidat à la présidence, « sous peine, leur dit Poincaré, de débuter par une abdication ».

Il eût pu briguer le fauteuil et, de même, Ribot. Mais, soit qu’il leur répugnât de solliciter pour eux-mêmes le concours indispensable de la droite et des nationalistes (les modérés n’étaient que deux cents), soit qu’ils craignissent une défaite, ils proposèrent Deschanel. Il ne fut élu d’abord qu’à une voix, refusa, fut réélu à quatre voix[135] et monta au fauteuil au milieu des cris de colère et des injures de toute la gauche.

C’était alors un homme jeune encore, qui devait sa rapide fortune au nom de son père et à sa propre habileté à manœuvrer entre les partis, d’un joli talent oratoire, bien qu’apprêté et trop académique, qui n’était dénué ni de caractère ni de courage, et qui en avait toutes les apparences, et, aussi, une probité solide, de l’application au travail, une bonne grâce toujours au beau fixe, et un remarquable esprit de conduite. Il siégeait depuis plus de dix ans à la Chambre où il comptait ses succès par ses apparitions, savamment espacées, à la tribune ; il y portait à la fois un air de jeune premier et une connaissance, parfois approfondie, des sujets les plus ardus ; nul diseur plus habile ; ambitieux de parvenir aux honneurs, il n’en paraissait point pressé ; surtout, à travers tant de crises qui avaient déchiré la République, il avait su, tout en restant assez ferme sur les principes, demeurer bien avec tout le monde. Son père, au Sénat, avait pris parti résolument pour la Revision ; on ne put jamais arracher au fils une déclaration publique. Dans les couloirs de la Chambre, quand il se trouvait avec des adversaires de la Revision, et dans les salons, où il était recherché, il faisait chorus avec les défenseurs de l’Armée[136] ; mais il ne tourna jamais le dos aux défenseurs de Dreyfus, toujours aimable, se lamentant sur cette cruelle division de la conscience française ou se taisant d’un air entendu. S’il était trop intelligent pour n’avoir pas discerné les signes d’une erreur judiciaire, il était surtout convaincu qu’il était une des réserves politiques les plus précieuses de la France ; dans l’intérêt même du pays, il ne devait pas compromettre dans cette bagarre la fortune d’un homme d’État tel que lui. Il rêvait, comme Cavaignac, de l’Élysée. La droite l’avait adopté.

La chute de Méline fut la réponse des républicains de gauche à la coalition qui avait porté Deschanel à la présidence[137]. Tous leurs orateurs (Millerand, Bourgeois. Trouillot, enfin Brisson), dans l’interpellation sur la politique générale, dénoncèrent l’alliance obstinée, persistante de Méline avec la droite ; les partis de réaction gouvernaient le Gouvernement, et chaque jour on leur livrait quelque chose de l’esprit républicain. Cochin et Cassagnac convinrent que telle avait été la politique des deux dernières années, Cassagnac pour la condamner, car il voulait reprendre sa liberté d’action, Cochin pour se féliciter d’avoir pu assurer ainsi la défense des intérêts conservateurs et catholiques. Mais Méline s’obstina à nier qu’il eût demandé les concours qui lui avaient été spontanément, disait-il, accordés, et repoussant, contre toute évidence, l’accusation d’être le protégé des hommes du Seize-Mai, il refusa de prononcer la parole qui aurait rompu l’alliance.

C’était là que Brisson l’attendait. Quand Méline eut emporté de haute lutte un premier vote de confiance[138], Brisson fit proposer par deux de ses lieutenants[139] de n’approuver, pour l’avenir, qu’« une politique appuyée sur une majorité exclusivement républicaine… » La motion, combattue par Méline, fut adoptée[140]. Drumont et ses amis votèrent avec la gauche : « Parce que la haute banque, la juiverie, avaient imposé à Félix Faure et à Méline, dans l’affaire Dreyfus, une attitude équivoque[141]. » Déroulède, qui s’abstint, avait précisé, dans une interruption, les griefs des nationalistes : ils réclamaient « le départ de M. Billot[142] ».

Ainsi tomba Méline, l’un des hommes qui auraient pu servir le plus utilement la République, s’il n’avait pas, à son insu, perdu le sens et l’esprit républicains dans la fréquentation de ses alliés économiques ; les protectionnistes. Il avait de rares et précieuses qualités, le courage, la décision, le sens politique à la Guizot. Mais le souci des basses combinaisons parlementaires lui fit perdre de vue l’Idéal sans lequel la République ne serait que l’étiquette du plus faible des gouvernements. Il eût pu se cramponner au pouvoir ; on lui en donna le conseil ; il était épuisé par deux années de luttes incessantes et il ne se sentait pas la force de continuer. Ses pires fautes, celles qui chargeront le plus lourdement sa mémoire, il ne les avait pas commises sous la pression seulement de la droite, mais des radicaux qui le renversèrent.

La crise ouverte par la démission de Méline dura douze jours (16-28 juin).

Sauf Drumont, personne, dans ces deux séances, n’avait fait allusion à l’affaire Dreyfus. Ni Ribot, qui savait à quoi s’en tenir depuis longtemps[143], ni Bourgeois, dont les doutes n’étaient pas moins anciens[144], ni Millerand, qui, dans son discours, avait regretté l’échec de Jaurès[145], ni Brisson lui même, n’avaient osé aborder d’un mot le redoutable problème. Cependant, l’Affaire avait pesé sur tout le débat, car c’était elle qui avait fait de Méline le prisonnier des États-Majors et des moines, et, maintenant, elle pesait plus durement encore sur la crise ; aucun des parlementaires à qui Félix Faure offrit le pouvoir ne se dissimulait que la politique resterait empoisonnée, que la vie ne serait pas vivable, tant que ce cauchemar opprimerait les consciences et déchaînerait les passions.

L’eussent-ils méconnu, la presse le leur aurait rappelé. D’une part, les revisionnistes, qui considéraient la chute de Méline comme une victoire, redoublèrent d’ardeur et quelques-uns de violence, Gohier, surtout, d’une fureur croissante, qui croyait servir la vérité en employant les armes ordinaires du mensonge. D’autre part, les nationalistes et ceux des radicaux qui compagnonnaient avec eux, enjoignirent d’avance au futur Gouvernement d’en finir avec le Syndicat et dénoncèrent comme « dreyfusard » quiconque, parmi les personnages consulaires qui furent appelés à l’Élysée, leur était suspect de tiédeur[146].

Ce qui ajoutait à l’obscurité de la situation, c’est que les votes de la Chambre, contradictoires et équivoques, ne donnaient aucune indication nette au Président : dans le premier, les modérés et la droite s’étaient prononcés pour la politique de Méline ; le second, dont l’appoint avait été fourni par les antisémites et les césariens[147], indiquait l’orientation à gauche.

Ribot, puis Sarrien et Peytral déclinèrent le pouvoir ou échouèrent à mettre sur pied un gouvernement.

Dans ce désarroi, les antisémites et les césariens, tous ceux qui, avec Rochefort et Drumont, avaient reproché à Méline sa faiblesse envers les défenseurs de Dreyfus, savaient seuls ce qu’ils voulaient : ils exigeaient le portefeuille de la Guerre pour Cavaignac et ne désespéraient pas de le voir premier ministre.

Ils le sentaient leur homme, résolu à tout pour briser les misérables qui réclamaient la justice égale pour tous, au besoin pour leur mettre la main au collet et les livrer à une juridiction d’exception.

Les radicaux, le sachant populaire, l’appuyaient.

Sarrien, tout de suite, lui avait offert la succession de Billot ; Peytral commença par s’adresser à Saussier qui se déroba ; il revint alors à Cavaignac qui, sentant sa force, parla en maître, exigea que Freycinet ne fit point partie de la combinaison.

Seul, parmi les haïsseurs de vérité, Esterhazy se méfia de Cavaignac. Il se connaissait en hommes, et l’un de ses amis, camarade de Cavaignac à l’École polytechnique, lui avait ainsi défini le personnage : « Une bourrique, à mine austère, qui prend son entêtement pour de l’énergie, un sectaire en carton, ambitieux, haineux et sans courage, qui, à la première occasion, perd la tête[148]. » Il avertit Drumont que ce « Robespierre-Jocrisse » ferait regretter Billot.

Au contraire, Félix Faure souhaitait l’avènement de Cavaignac. Il paraît certain qu’il n’offrit à Brisson de former un cabinet qu’avec l’espoir de le voir échouer[149]. Libre alors, après avoir démontré l’impuissance du vieux chef radical, il se serait adressé à l’homme qui incarnait « la défense de l’armée » et qui l’eût débarrassé de l’Affaire.

Brisson hésita d’abord à accepter la lourde tâche qui lui était tardivement proposée[150]. Il s’y décida, ensuite, en raison même des périls de la situation, après avoir consulté ses amis. S’il restait hostile à l’idée revisionniste, il s’effrayait pour la République de l’audace des césariens qui ne se cachaient même plus pour préparer leurs mauvais coups et qui soufflaient la révolte aux chefs de l’armée, pendant que le Gésu la soufflait aux moines et aux prêtres. Pourtant, il donna le ministère de la Guerre à Cavaignac. Il distribua les autres porte-feuilles à des radicaux (dont Bourgeois, Sarrien, Lockroy) et prit lui-même celui de l’Intérieur[151]. La déclaration ministérielle, très modérée, muette sur les principaux articles du programme radical (revision de la Constitution, séparation des Églises et de l’État, impôt du revenu), fut ferme, au contraire, sur la question cléricale et les menées des prétoriens : « Nous sommes résolus à défendre énergiquement contre toute tentative d’empiétement l’indépendance de la société laïque et la suprématie du pouvoir civil[152]. »

Les nationalistes n’en accueillirent pas moins bien le nouveau cabinet. Et ils dirent pourquoi, Drumont dans son journal[153], Déroulède à la tribune : « Parce que Cavaignac était ministre de la Guerre, et que c’était une garantie que l’honneur de l’armée, l’honneur du pays seraient sauvegardés[154]. »

Cavaignac protesta modestement que Brisson pensait comme lui « sur les grands intérêts nationaux dont il avait la garde » et que, sur le reste, il pensait comme Brisson.

VII

Billot, avant de quitter le ministère de la Guerre, avait cru trouver l’occasion de rentrer en grâce auprès de Drumont.

On a vu que les amis d’Esterhazy demandaient, depuis six mois, que je fusse révoqué de mon grade dans l’armée territoriale[155]. Billot objectait seulement que j’étais député. Dès que mon mandat fut expiré, le premier article que j’écrivis lui fut signifié avec une mise en demeure de Castelin ; il me déféra aussitôt à un conseil d’enquête de région « pour faute grave contre la discipline[156] ».

Deux jours plus tard, l’inculpation fut changée : « Pour avoir, en dehors de la période d’activité, publié contre ses chefs un article injurieux. » Billot s’était aperçu que la première formule ne pouvait être appuyée d’aucun texte ; il invoquait, pour étayer le second, un décret de 1878[157].

Toute la force de cet article, sur les Enseignements de l’Histoire, était dans l’idée, qui me hantait depuis longtemps[158], que l’Allemagne choisirait son heure pour sortir la preuve décisive du crime d’Esterhazy, les cent et quelques lettres du traître qu’elle avait à Berlin, et pour les lancer au visage de l’État-Major, à la veille d’une guerre. Il existait un précédent terrible qui aurait dû être inoubliable et que je racontai. Comme Bismarck l’avait fait en 1870 pour la note de Benedetti sur la Belgique[159], quelque successeur du chancelier de fer annexerait à une circulaire diplomatique les papiers d’Esterhazy. « Et voilà, devant le monde entier, accusés d’imposture et de félonie, convaincus en tout cas de la plus injustifiable des erreurs, les chefs même de cette armée qui va se battre[160] ! » Aussi bien n’étais-je pas seul à éprouver cette crainte ; elle avait été également formulée, comme un avertissement, dans une revue anglaise, par Conybeare, le savant orientaliste d’Oxford, très ami de la France, et très informé de l’affaire Dreyfus : « L’empereur Guillaume tient entre ses mains une arme avec laquelle, quand il trouvera une occasion favorable, il pourra briser l’État-Major et détruire, pour une génération, la foi du peuple français dans les chefs de son armée[161]. »

Conybeare précisait que la série de documents vendus à l’Allemagne par Esterhazy, tous de la même écriture que le bordereau, s’étendait jusqu’à 1896 ; Dreyfus, à l’île du Diable, n’a pu les écrire. « Heureux les Français s’ils peuvent faire justice sans une pareille intervention ! »

Billot releva ces citations et le passage suivant de mon article : « Ainsi, l’homme dont le colonel de Schwarzkoppen disait au colonel Panizzardi : « C’est mon homme ! » c’est le même dont le général de Pellieux se félicitait d’avoir provoqué l’acquittement, contre lequel le général Billot, ministre de la Guerre, n’a pas osé sévir, même après l’aveu des lettres à Mme de Boulancy, et à qui les officiers de l’État-Major, témoins à la cour d’assises, ont été condamnés, par ordre, à donner la main. »

Qui, dans cette phrase, avais-je injurié ? Billot, en effet, n’avait pas osé sévir contre Esterhazy[162], et je reproduisais les propres paroles de Pellieux, sous la foi du serment, au procès de Zola[163].

Je pensai d’abord engager l’affaire au fond, en citant des témoins, Saussier, Hanotaux, Picquart, Esterhazy lui-même, dont les réponses ou le silence confirmeraient mes allégations. À la réflexion, il me parut préférable de m’en tenir à la question de principe et de récuser la compétence du conseil d’enquête.

Billot en avait confié la présidence à un vieux soldat, le général de Kirgener de Planta, excellent homme qui maugréait de la corvée, mais qui n’en était pas moins décidé à donner l’avis que le ministre et l’opinion attendaient.

Je présentai ma défense en quelques mots :

Si j’ai diffamé quelqu’un, qu’on me traduise devant les tribunaux qui sont chargés de juger les diffamateurs. Et si je n’ai diffamé personne, — et je n’ai ni injurié ni diffamé qui que ce soit, — alors il importe, non pas à moi seul, mais à tous ceux qui tiennent une plume dans ce pays, que je ne laisse point porter atteinte en ma personne, par une voie détournée, aux libertés qui sont établies par la loi.

J’ai le droit, comme citoyen libre d’un pays libre, de discuter les actes de l’autorité militaire comme ceux du pouvoir civil. J’ai usé de ce droit depuis plus de vingt ans ; j’en ai usé, étant déjà officier de l’armée territoriale, contre des personnalités militaires qui, quelle que fût la vivacité de mes polémiques, n’ont jamais cru pouvoir me le contester. Le général Boulanger lui-même n’a jamais osé me déférer à un conseil d’enquête.

Je démontrai encore (ou le tentai) que le cas visé par le décret de 1878, c’était celui d’un officier qui, pour des motifs particuliers, personnels, aurait injurié un de ses chefs hiérarchiques sous les ordres duquel il avait été placé. Un officier, un soldat, rentré dans la vie civile, n’a point, hors des périodes d’activité, de supérieurs militaires[164].

Enfin, sans aborder le fond, mais pour démontrer ma bonne foi et le bien fondé de mes craintes, je donnai lecture d’une lettre que j’avais reçue le matin même de Conybeare. Il y affirmait, à nouveau, que l’État-Major français était menacé de voir publier par des journaux étrangers les fac-similés des documents qu’Esterhazy avait vendus à l’Allemagne et qui étaient de sa main. Et il ajoutait ce détail alors inconnu : « Schwarzkoppen ne niera pas qu’il donnait une mensualité de deux mille francs à son informateur habituel, le commandant Esterhazy[165]. »

Les officiers m’écoutèrent en silence ; j’eus l’impression de parler une langue qu’ils ne comprenaient plus quand je leur dis :

Dénoncer l’écueil, ce n’est pas le faire surgir : je l’ai signalé. Savoir ce que je savais, ce dont je suis certain, et ne pas le dire, c’eût été une lâcheté. Si je m’étais tû, bien des tristesses, bien des amertumes m’eussent été épargnées. Mais j’eusse eu le mépris de moi-même[166].

Il n’y eut guère que Clemenceau et Guyot pour protester, au nom des principes, contre le précédent d’une semblable poursuite[167]. Mais la lettre de Conybeare, reproduite par la presse du monde entier, eut un immense retentissement. Les douze deniers de la trahison, les deux mille marks par mois, devinrent, entre les mains des revisionnistes, une arme terrible. Et, encore une fois, Esterhazy baissa la tête ; Schwarzkoppen n’opposa aucun démenti.

Ces incidents se déroulèrent pendant la crise ministérielle. Le conseil d’enquête ayant conclu contre moi[168], Billot eut juste le temps de faire signer par Félix Faure et de contresigner lui-même le décret qui me révoquait de mon grade. Il n’eût pas voulu, bien que démissionnaire, en laisser l’honneur à Cavaignac.

  1. Cass., I, 11, Billot ; 557. Boisdeffre : 561, Gonse. — Gonse « plaça les pièces dans l’ordre de leur arrivée au ministère de la Guerre ; il les cota en inscrivant sur chacune d’elles un numéro d’ordre et en paraphant de sa main chaque numéro ». (Cass., I, 356. Cuignet. — Ce travail dura environ six semaines, de la fin d’avril au commencement de juin 1898.
  2. Voir t. Ier, 360.
  3. Cass., I, 371, Cuignet.
  4. Nombre de ces lettres sont des faux manifestes.
  5. Il y avait ajouté (ou ce fut Gonse) une note du contrôleur Peyrolles sur sa conversation, du 6 janvier 1895, avec le commandant Guérin, et une lettre d’un conseiller municipal de Neuilly qui, lui aussi, avait entendu parler des aveux. (Cass., II, 135-137.)
  6. Voir p. 49.
  7. Cass., I, 372, Cuignet : III, 90, Bertillon. — Pièce 371 du dossier secret.
  8. Chambre des Députés, 7 avril 1903. discours de Jaurès.
  9. Années 1891-1892. — Cass., III,586.
  10. Déclaration datée du 1er juin 1898. (Cass., III, 585. — I, 371, Cuignet ; Rennes, II, 180, Lebelin de Dionne.)
  11. C’était lui qui avait mené Boisdeffre chez la princesse Mathilde pour la convaincre de la culpabilité de Dreyfus. (Voir t. I, 349.) — J’avais contribué à le faire décorer.
  12. Cass., I, 755, d’Ocagne ; Rennes, III, 340, Gonse.
  13. Cass., I, 757, Hadamard : « M. Painlevé, mon camarade de collège et de l’École normale supérieure, fut chargé (en 1896) de me dissuader de me présenter à une place de répétiteur à l’École polytechnique, à cause de ma parenté, très éloignée, avec Dreyfus. » De même, Painlevé. (I, 758.)
  14. Rennes, III, 334 et suiv., Painlevé.
  15. Ibid., 335, Painlevé ; 340, Gonse.
  16. Pièce 96 du dossier secret, datée du 8 mars 1898, signée : Gonse. — À Rennes : « Dans ma pensée, il n’était pas question de faire un témoignage, une pièce de justice. » (III, 340.) — Devant la Cour de cassation, Roget avait déposé en ces termes : « Il a été établi au moment du procès, ou peu après, que M. Hadamard, beau-père de Dreyfus, avait eu à payer des dettes pour son gendre. Il avait même tenu à ce propos, à M. Painlevé, un propos significatif. » (I, 672). À Rennes, mis au pied du mur par Painlevé, Roget convint qu’il avait fait du beau-père de Dreyfus et de son petit cousin par alliance un seul personnage. (III, 344.)
  17. Cass., I, 756, d’Ocagne.
  18. Rennes. II, 184. Dreyfus : « C’était au moment de l’exposition d’Amsterdam. » Lonquety déclare qu’il rencontra Dreyfus dans un restaurant. « à une époque qu’il lui est difficile de fixer ». (Cass., I, 514 ; Rennes. II, 184.)
  19. Cass., I, 514, Lonquety.
  20. Pièce 66 du dossier secret. — « L’infirmier Schérier passait pour avoir l’habitude de boire. » (Cass., III, 173. Ballot-Beaupré.)
  21. Il était mécanicien à Paris.
  22. Cass., I, 368. Cuignet ; Rennes, II, 591. Gribelin. — De même à l’interrogatoire du 24 février 1899 devant le juge Josse. (Cass., III, 173, Pomier.)
  23. Voir t. Ier, 362.
  24. Pièce 75 du dossier. — Cass., I, 64, Roget ; 369, Cuignet.
  25. Rapport du 2 juin 1898 ; pièce 82.
  26. Il ne changea pas un mot à sa note (du 13 mai 1898), n’y ajouta pas, en post-scriptum, l’expression d’un doute.
  27. Rémusat racontait que Dreyfus, étant à l’École de guerre, lui avait adressé une lettre pour demander « ces renseignements destinés à son professeur d’artillerie qui désirait se tenir au courant des inventions nouvelles ». (Pièce 71 du dossier.) Mais il ne produisit jamais la lettre, qu’il citait de mémoire (Cass., III, 357, Mornard) et dont Dreyfus n’a gardé aucun souvenir. C’était son frère qui avait « porté le renseignement » à Gribelin. (Rennes, II. 591.) — Rennes, III, 235, général Deloye : « L’inventeur de l’obus, M. Robin, a déclaré spontanément que Dreyfus ne lui avait jamais rien demandé de ses affaires, rien, rien, rien, encore rien. » — Les Allemands ont deux Schrapnell, l’un de 1891, l’autre de 1896. Celui-ci n’a rien de commun avec l’obus français de 1874. (Cass., I, 44 Hartmann.)
  28. Voir t. Ier, 24 et suiv.
  29. Cass., I, 391, Paléologue ; 557, Boisdeffre ; 561, Gonse ; Rennes, III, 228, Du Paty : « Le dossier des télégrammes a disparu. » — La version officielle de la dépêche du 2 novembre avait été communiquée à Sandherr par Delaroche-Vernet. (Rennes, I, 52.)
  30. Cass., I, 557, Boisdeffre ; 561, Billot ; 562, Gonse. — Gonse place ces divers incidents après la confection de la pièce n° 44 du dossier secret ; l’erreur est manifeste, mais intentionnelle. Boisdeffre, sur ce point, est en contradiction formelle avec Gonse.
  31. Cass., I, 391, Paléologue ; 557, Boisdeffre.
  32. Ibid., I, 563, Gonse.
  33. Ibid., I, 391, Paléologue. (Fin avril ou commencement de mai 1898.)
  34. Cass., I, 391, Paléologue ; 557, Boisdeffre ; 363, Gonse.
  35. Ibid., I, 557, Boisdeffre.
  36. Ibid., I, 556, Billot. — D’après Boisdeffre (I, 557). Hanotaux aurait simplement refusé la communication pour des raisons de convenance diplomatique. De même Gonse (I, 562). Paléologue n’a connu la démarche que par un récit de Gonse (I, 392). Hanotaux, dans sa déposition, passe l’incident sous silence.
  37. Cass., I, 557, Boisdeffre ; 562, Gonse.
  38. Ibid., III, 511, Paléologue : « Pour obtenir une copie du télégramme, le ministère des Affaires étrangères n’a eu qu’à s’adresser, dans les formes régulières, au sous-secrétariat d’État des Postes et Télégraphes. La pièce a été retrouvée et envoyée le jour même où elle a été demandée, 24 février 1899. La voici : elle est identique à celle qui a été déchiffrée, en 1894, au quai d’Orsay. » — De même, Ballot-Beaupré.
  39. Cass., I, 391, Paléologue. (Récit de Gonse au témoin.)
  40. Ibid., I, 562, Gonse : III, 511, Paléologue.
  41. Voir t. Ier, 246.
  42. Rennes, I, 60, Paléologue. — Le jour même où le feuillet fut communiqué à Sandherr, on intercepta une nouvelle dépêche qui portait le numéro 914.
  43. Rennes, I, 52, 56, Delaroche-Vernet ; 59, 60, Paléologue.
  44. Voir t. Ier, 249.
  45. Cass., I, 395, Paléologue.
  46. Rennes, II, 228, Du Paty. (Note de Du Paty remise, de sa part, à Mercier, et par Mercier à Chamoin.)
  47. Rennes, I, 52, 56, Delaroche Vernet ; 59, 60, Paléologue.
  48. Ibid, II, 227, Du Paty. (Voir Appendice II.)
  49. Ibid, II, 228, Du Paty.
  50. Cass., I, 557, Boisdeffre : 561, Gonse : III. 512, Paléologue.
  51. Ibid., I. 557, Boisdeffre ; 561, Gonse.
  52. Ibid., II, 17 : Rennes, I, 59, Paléologue.
  53. Voir t. Ier, 246.
  54. Paléologue demanda à Gonse si la phrase sur l’émissaire lui avait été dictée par Du Paty : « Je ne me souviens plus exactement, dit Gonse, il me semble, en effet, que c’était cette version. » (Cass., I, 391, Paléologue). Or, le contraire résulte du texte que Du Paty a produit dans sa note de Rennes ; la phrase est signalée comme douteuse. Il y insiste dans sa déposition (III, 511.)
  55. Du Paty déclare avoir dit (à Gonse) que le huitième groupe chiffré pouvait se lire relations ou preuve, mais que les deux mots ne pouvaient s’appliquer à des groupes différents (Rennes, III, 514). La distinction figure également dans la note qu’il remit à Mercier (II, 228). Les cryptographes avaient, en effet, indiqué que le groupe VIII pouvait se lire Preuve ou Relation. (Cass., III, 511 ; Rennes, I, 59, Paléologue.)
  56. Cass., I, 561, 564, Gonse.
  57. Rennes, III, 228, Du Paty.
  58. N° 44 du dossier secret. — Cass., I, 547. Billot ; 552, Boisdeffre ; 561, Gonse.
  59. N° 45 du dossier secret.
  60. Cass., I, 338, Cuignet.
  61. Le rapport de Wattines est daté du 28 mai 1898 ; il n’est signé que de Gonse. Au-dessous de la signature de Gonse : « Vu et approuvé, Boisdeffre », Wattines énumère les pièces les plus importantes du dossier secret, ne discute aucune des dates qui leur sont attribuées. Il conclut ainsi son examen : « Tels sont les documents que l’on ne connaît pas, dont beaucoup sont même ignorés de Picquart et que l’on prétend des faux. À quel degré d’égarement peut conduire la passion pour que l’on en vienne, pour sauver à tout prix un coupable, à soutenir que des officiers français ont commis des faux ou se servent de pièces falsifiées ? Les documents ci-joints et les douze cartons du service répondent. On ne fabrique pas 1500 pièces. » Sur le plus fameux des faux d’Henry : « Cette pièce se passe de commentaire. »
  62. Intransigeant du 12 avril 1898.
  63. François Zola, « dont le père et le grand-père avaient servi la République de Venise comme capitaines », avait débuté comme lieutenant dans les régiments italiens du prince Eugène. Démissionnaire en 1820, il se fit ingénieur et publia, à peine âgé de vingt-trois ans, un Traité sur le nivellement topographique qui lui valut le titre de membre de l’Académie de Padoue. Il fut employé ensuite à d’importants travaux en Autriche. Il obtint, en 1831, d’être réintégré comme lieutenant dans la légion étrangère, à Alger. (Dossier François Zola, aux archives de la Guerre.)
  64. Lettre du duc de Rovigo, gouverneur général de l’Algérie, au maréchal Soult, ministre de la Guerre, d’Alger, le 17 septembre 1832 ; lettre du général Trézel au ministre, d’Alger, le 15 juillet 1832. — Récit analogue dans la lettre du colonel Combe, chef de la légion étrangère, au général Buchet, 12 juillet 1832. Ces lettres, ainsi que la lettre de démission de François Zola, du 3 juillet 1832, furent successivement versées à l’instruction Flory. (Affaire Zola contre Judet). Elles furent plus tard communiquées à Zola, par ordre du général de Galliffet. La lettre du duc de Rovigo a été reproduite par Zola dans son volume, La Vérité en marche (264 et suiv.) ; celles de Combe et de Trézel par Jacques Dhur (Le Père d’Émile Zola, 14, 15, 197.) — La somme détournée se montait à 4.000 francs.
  65. La Vérité en marche, 287.
  66. Lettre du colonel Combe. — Voir p. 606.
  67. Petit Journal du 25 mai 1898, conversation avec le général de Loverdo : « Zola continua, durant quatre ou cinq mois, son métier de pique-assiette : il était attiré chez nous par Mme …, etc. » — À l’instruction Flory (19 août 1898), Loverdo dépose que son père intervint en faveur de Zola. Il n’existe, au ministère de la Guerre, aucune trace de cette intervention.
  68. Il y préconisait l’emploi des forts détachés qui fut adopté après la guerre de 1870.
  69. Le canal Zola fut déclaré d’utilité publique le 2 mai 1844 ; Thiers s’y était vivement intéressé.
  70. Zola, à la mort de son père (1847), avait sept ans ; il assista à ses obsèques « auxquelles toute la population participa ». (La Vérité en marche. 238.)
  71. La Vérité en marche, 233.
  72. Lettre de Cavaignac, ministre de la Guerre, au garde des Sceaux, du 29 août 1898. (Instruction Flory.)
  73. Déclarations de Raveret, chef, et d’Hennet, sous-chef des archives administratives de la guerre, à Zola (La Vérité en marche, 253 et 277). — L’envoyé d’Henry fut, sans doute, Gribelin. — La remise du dossier à Henry eut lieu dans le courant de mars 1898. Dès le mois suivant, un article de la Patrie, du 29 avril, fait allusion à l’affaire d’Alger, aux archives de la Guerre qui renferment des renseignements édifiants « sur plusieurs des plus notoires apologistes des traîtres ou sur leur parenté ». Le dossier fut restitué par Henry le 8 juin. (Note signée Raveret).
  74. Déclarations de Raveret et d’Hennet.
  75. Michel Combe était colonel du 17 janvier 1815 : il commanda, en février 1832, le corps expéditionnaire d’Ancône et fut blessé mortellement, le 13 octobre 1837, à l’assaut de Constantine ; il mourut le 15. (Camille Rousset, L’Algérie de 1830 à 1848, II, 288).
  76. Voir Appendice III.
  77. Déclaration de Raveret ; note (au crayon), cote 14.
  78. « Dans un établissement religieux du quartier de l’Europe, un ancien élève qui, vers ce temps (avril 1898), rendit visite à un Père, son professeur d’autrefois, reçut de lui cette bonne nouvelle : « Oh ! Zola, il n’est plus à craindre, il est fini, nous avons de quoi le tuer ! » (La Vérité en marche, 313).
  79. « Le sieur Fischer s’est offert à acquitter pour Zola le montant des dettes au payement desquelles les 2.000 francs saisis dans la malle ne suffisaient pas. Cette offre acceptée, tous les créanciers ont pu être payés, et le conseil d’administration couvert du déficit existant en magasin… Fischer était marié et il avait existé longtemps entre lui, sa femme et Zola, des relations toutes particulières d’intimité, de ménage et de cohabitation, qu’on pouvait diversement interpréter. On n’avait fait cesser que les deux dernières, en envoyant Fischer à la Maison Carrée ; la femme alla habiter Alger. » — Cavaignac, dans sa lettre au garde des Sceaux, osa dire : « La comparaison du texte, imprimé dans le Petit Journal avec celui du rapport écrit de la main du colonel Combe, ne fait ressortir que des différences peu nombreuses qui ne dénaturent pas le texte original. »
  80. Voir Appendice III.
  81. Judet dit d’abord que les lettres lui furent envoyées par un correspondant anonyme. Au procès qui lui fut intenté par Zola, il changea de version : « Je suis lié par le secret professionnel. Ce que je puis affirmer, c’est que les lettres du colonel Combe existent ; j’en ai vu des copies. » (Trib. correct., 3 août 1898.) Il dit ensuite (Instr. Flory, 17 août), que « ses renseignements lui avaient été fournis par un témoin digne de foi ». Esterhazy, dans deux lettres, des 25 et 30 décembre 1899, que j’ai sous les yeux, dit que ce fut lui qui, le premier, avisa Judet.
  82. Né le 11 janvier 1851, réformé pour myopie par le conseil de revision de Dijon, où son père commandait le bureau de recrutement, sous-lieutenant d’artillerie de réserve le 15 octobre 1876, démissionnaire le 31 octobre 1886, réintégré le 21 mai 1890.
  83. Écho de Paris du 20 avril 1898, Gaulois du 28, Jour du 1er mai : « Le gouvernement sait de source absolument sûre… etc. » Possien précisait que l’entrevue avait eu lieu le 5 avril. — Trarieux écrivit à Méline qu’il l’interpellerait, à la rentrée des Chambres, sur cette histoire.
  84. Esterhazy. Dép. à Londres (Éd. de Bruxelles), 94 et suiv. — Voir Appendice IV.
  85. Cass., I. 210. Picquart.
  86. 6 mai 1898. — Possien, rédacteur au Jour, interrogé par Bertulus, se retrancha derrière le secret professionnel (21 mai). De même Vervoort. — Bertulus interrogea également Guénée « qui se contenta de donner un certificat d’honorabilité à Picquart ». (Cass., I, 267.)
  87. Cass., I. 69, Roget.
  88. C’est ce que Picquart avait remarqué à l’enquête Pellieux. (Voir p. 106.)
  89. Cass., I, 109, Roget : « — Au mois de mai 1898, j’ai constaté… » — De même, Instr. Tavernier, 1 et 12 nov. 1898 ; Rennes, I, 295, 330.
  90. Instr. Tavernier, 2 nov. 1898, Roget : « Je rendis compte au général Gonse de mes constatations ; il ne fut donné, à ce moment, aucune suite à ma communication, ni tenu aucun compte des convictions que je lui exprimais. Ce n’est que quatre mois après… » c’est-à-dire après la mort d’Henry. — Gonse, le même jour, dépose « qu’il ne s’était jamais aperçu du grattage ; il doit dire que jamais son attention n’a été appelée sur ce point ». — Roget n’a aucun intérêt à raconter qu’il a constaté le grattage dès mai 1898 ; Gonse a le plus grand intérêt à le nier. — Henry, précédemment, avait paru redouter que le « Syndicat » fût renseigné sur son compte : d’avance, il traitait de faux « un dossier Henry » que la « bande » allait faire paraître (Libre Parole des 13 et 14 mars 1898).
  91. Figaro du 16 mai 1898. — Je fis cette observation dans le Siècle : « Du piège où est tombé M. Claretie, concluez à la profondeur de ceux où tombent quotidiennement certains personnages du ministère de la Guerre. ».
  92. Jules Claretie, La Vie à Paris, 1898, ch. XX, in fine.
  93. Juin 1898.
  94. Instr. Tavernier, 17 juin 1899, Du Paty ; 10 et 12 juillet, Gonse et Boisdeffre. Ces deux dépositions ayant été communiquées à Du Paty : « Je constate, dit-il, qu’Henry a invité ses chefs à me donner sa succession avec ce qu’elle comportait, c’est-à-dire la responsabilité des documents de la S. S., y compris le faux qu’il a commis. » (13 juillet.)
  95. Lettres de mars et avril 1898.
  96. Christian Esterhazy, Mémoire, 83.
  97. 14 avril 1898.
  98. 23 avril 1898.
  99. Gaston Méry et Boisandré. — L’éditeur Fayard lui remit 5.000 francs d’avance. (Cass., II, 183. Esterhazy.)
  100. Mémoire, 84.
  101. Ibid., 85.
  102. Christian, sur l’avis de sa mère, écrivit dans la soirée à Esterhazy : « Après réflexion, nous acceptons ce que vous avez proposé, c’est-à-dire de parler à notre notaire qui prendra avec vous les engagements… etc. »
  103. Herbin, avocat à la Cour d’appel.
  104. Souvenirs de Mathieu Dreyfus. — Christian dit qu’il fit son récit à Trarieux « comme au sénateur de son département » (la Gironde). — Cass., I, 232, Bertulus : 101, Roget ; et Christian, dép. du 8 juillet 1898.
  105. Cass., II, 238, Christian Esterhazy.
  106. Ibid., II, 217, 230, Picquart ; 268, Bertulus.
  107. Enq. Bertulus, expertise Couderc, 28 février et 1er mars 1898. — Cass., II, 34, 38 ; Rennes, III, 504, Du Paty : Cass., II, 268, Bertulus.
  108. Cass., II, Du Paty, (Enq. Bertulus, 29 mars 1898).
  109. Ibid., II, 221, Picquart (5 mai 1898).
  110. Rapport du commissaire Bernard (4 mai 1898).
  111. Cass., I, 589, 610 ; Dép. à Londres (5 mars 1900).
  112. Il cite, notamment, Boisandré (de la Libre Parole), et Cloutier (de l’Intransigeant). Il attribue au général de Pellieux un article de l’Écho de Paris (du 24 avril 1898), qui dénonçait Panizzardi comme ayant été l’intermédiaire entre Dreyfus et Schwarzkoppen et révélait les pseudonymes (Maximilienne, Chien de Guerre) dont se servaient les attachés italien et allemand.
  113. Esterhazy a joint à sa déposition quelques-uns de ces billets d’Henry relatifs à des communications à faire à la presse : « M’envoyer de suite au ministère détail sur dernière note remise au général ; n’en parlez à personne… » « Le général (Gonse ?) a remis au général de Pellieux, pour que vous la fassiez passer dans un de vos journaux, une note. Portez cela à la Libre ou à l’Intransigeant à votre choix… Le général de Pellieux vous a-t-il remis quelque chose avant hier pour l’Écho de Paris ? » — Il fréquentait également à la Patrie, à la Presse et au Gaulois.
  114. Dép. à Londres (Éd. belge), 94 : « Devant l’inertie du Président de la République, j’ai prié M. de Boisandré de demander à Mme de Martel de rappeler à Félix Faure le mot qu’il avait dit au général de Pellieux. »
  115. Cass., I, 235, Bertulus. — La lettre de Pellieux est datée du 6 mai 1898 : « Mme Monnier vient de se présenter chez moi pour se plaindre qu’un officier du gouvernement de Paris eût été prendre à son domicile des renseignements sur elle. Je lui ai manifesté mon étonnement de sa démarche inconsidérée. Elle m’a fait connaître alors qu’elle la faisait auprès de moi parce que j’avais été mêlé à « l’Affaire » et qu’elle était la parente et l’amie de M. Picquart. J’estime que j’ai droit, au sujet de cette visite à laquelle je ne pouvais m’attendre, à des explications de votre part et je vous serais reconnaissant de vouloir bien me les fournir soit verbalement, soit par écrit. J’ajouterai encore que si je ne recevais pas de réponse, je serais en droit de considérer comme fondés les bruits qui ont couru et courent encore sur le rôle de Mme Monnier dans ce qu’elle appelle l’Affaire. »
  116. Dép. à Londres, 5 mars 1900 : « Par ordre du général de Boisdeffre. »
  117. Cass., I, 222, Bertulus : II, 269, Esterhazy (14 mai 1898).
  118. Ibid., I, 235, Bertulus, (lettre du 10 mai.)
  119. 26 mai 1898 (Cass., II, 269, Bertulus).
  120. 2 juin (Ibid., II, 270, Esterhazy).
  121. Cour d’assises de Seine-et-Oise, 23 mai 1898, Bertrand : « Je m’incline devant la loi. Condamnés devant le jury de la Seine, fuyant devant le jury de Versailles, MM. Zola et Perrenx ne seront pas jugés aujourd’hui, mais la cause est jugée. » — Périvier : « Vous avez ce que vous voulez ? Tant mieux ! » Il essaya aussi de l’éloquence : « Il n’y a rien au-dessus de la loi, rien, rien, pas même M. Zola ! »
  122. La Vérité en marche, 234.
  123. Jour du 24 mai 1898.
  124. Siècle du 26 mai 1898.
  125. 3 juillet.
  126. Temps du 4 ; récits de Picquart et du cantonnier Blasy, témoin de l’incident. — L’article de Gaston Méry, dans la Libre Parole, est intitulé : « Picquart rossé par le commandant Esterhazy. » Le collaborateur de Drumont reproduit avec joie la version d’Esterhazy : « Ce fut inénarrable. Avec une voix de femme, il se mit à me dire : « Vous n’avez pas de honte ! » Il s’enfuit. J’aurais dû lui mettre mon pied quelque part. Je le frappai de nouveau à plusieurs reprises. » Autant de mots, autant de mensonges d’après le récit de Blasy.
  127. Francis Dehault de Pressensé, né à Paris en 1853, secrétaire d’ambassade, puis rédacteur au Temps, à la République française et à la Revue des Deux Mondes. Il était le fils du pasteur Edmond de Pressensé, ancien représentant de la Seine, sénateur et membre de l’Institut, et avait professé, jusqu’en 1898, les opinions les plus modérées : « La République ne sera vraiment intangible que le jour où elle aura laissé les ralliés la gouverner. » (Revue des Deux Mondes, 15 février 1897.) Dans son livre sur le Cardinal Manning, il inclinait au catholicisme, « au remède du christianisme surnaturel » et déplorait « la contagion du rationalisme moderne ». Il s’est expliqué, à plusieurs reprises, avec une grande franchise, sur les causes profondes de son évolution au socialisme ; ce fut l’attitude de l’Église, « sauf quelques exceptions admirables », et des partis conservateurs pendant l’Affaire qui l’édifia : « J’avais rêvé. Le bruit de la bataille m’a réveillé. J’y ai couru. » (Aurore du 27 juillet 1901.)
  128. « Mon père », dans l’Aurore du 28 mai 1898.
  129. Petit Journal du 25 mai.
  130. 14 mai 1898. — Zola s’était pourvu contre un jugement du tribunal correctionnel de la Seine qui, à la date du 9 mars, s’était déclaré compétent.
  131. Plainte du colonel Perrossier, en son nom et au nom d’anciens militaires membres de la Légion d’honneur. Le duc d’Auerstædt s’empressa de répondre que leur plainte serait soumise au Conseil (1er juin 1898).
  132. C’est ce qu’il me dit à maintes reprises : « J’aurais fait, tous les matins, une heure de bicyclette dans la cour et j’aurais travaillé le reste du temps. »
  133. Séance du 1er juin 1898.
  134. Discours du 29 mai 1898, au banquet de Saint-Étienne.
  135. Par 282 suffrages contre 278 (2 juin). La veille, il avait obtenu 277 voix contre 276. Il fut réélu ensuite président définitif par 287 voix contre 277 à Brisson qui avait posé, une troisième fois, sa candidature.
  136. Il s’exprima en ces termes dans l’allocution qu’il prononça comme président définitif : « Je suis assuré d’être l’interprète de l’assemblée tout entière en adressant l’expression de ses ardentes sympathies à nos armées de terre et de mer. » — Il ne dit pas : à l’armée, selon la formule d’alors, pour éviter d’avoir l’air de prendre parti. — La Chambre applaudit. Millevoye interrompit : « Vive l’armée ! À bas les traîtres ! » (Séance du 13 juin 1898.)
  137. Cassagnac dit nettement que, s’il avait voté pour le fils d’un proscrit de Décembre, c’était pour cimenter « la coalition de tous les conservateurs contre les radicaux ». (Séance du 14 juin 1898.)
  138. Cet ordre du jour, signé de Ribot, Charles Dupuy, Poincaré, Leygues et Jonnart fut adopté par 295 voix contre 272.
  139. Henri Ricard et Bourgeois (du Jura).
  140. Par 295 voix contre 246.
  141. Séance du 14 juin 1898.
  142. Séance du 13 juin.
  143. Il avait dit à Chautemps, dès 1896, à son retour d’Amérique, que Dreyfus était probablement innocent. Depuis que Scheurer avait commencé sa campagne, il ne cachait pas, dans les conversations de couloirs, que ses doutes d’autrefois étaient devenus une quasi-certitude.
  144. Voir t. II, 182.
  145. Séance du 13 juin 1898.
  146. Ainsi Ribot et Peytral (Libre Parole. Autorité des 17 et 18 juin, Dépêche (de Toulouse) ; du 24, etc.).
  147. Drumont, Marcel Habert, Morinaud, Ferrette, Charles Bernard, Chiché, Gauthier (de Clagny), Firmin Faure, Mirman, Ernest Roche, Paulin Méry, Alphonse Humbert, Le Hérissé, Stanislas Ferrand, etc.
  148. Dessous de l’affaire Dreyfus., 60 : Cass., I, 500.
  149. « Quelques-uns pensèrent et dirent que le Président de la République ne lui offrait la mission de former un cabinet que pour démontrer publiquement son impuissance à y réussir. » (André Daniel (André Lebon), L’Année politique, XXV, 248.)
  150. Note Havas du 20 juin 1898 : « Il a fait remarquer au Président les difficultés nouvelles, résultant pour lui du temps écoulé et des négociations antérieures. »
  151. Le ministère du 30 juin 1898 était ainsi composé : Présidence du Conseil et Intérieur, Brisson : Justice, Sarrien ; Affaires étrangères, Delcassé ; Finances, Peytral ; Instruction publique, Bourgeois ; Commerce, Maruéjouls ; Travaux publics, Tillaye ; Agriculture, Viger ; Guerre, Cavaignac ; Marine, Lockroy ; Colonies. Trouillot.
  152. Séance du 30 juin 1898.
  153. Libre Parole du 29 : « Le Président du Conseil est une quantité négligeable, un mannequin sur lequel s’assoiera Cavaignac. » — De même le Gaulois, l’Intransigeant, la Patrie, les Croix, etc.
  154. 30 juin. — L’ordre du jour de confiance fut voté par 316 voix (dont Déroulède et Drumont) contre 203.
  155. Voir p. 219.
  156. Mon mandat expira le 31 mai ; mon article sur les Enseignements de l’Histoire parut le 4 juin ; l’annonce de l’interpellation de Castelin à mon sujet fut publiée dans le Jour du 8 ; l’ordre de me déférer à un conseil d’enquête est du 12.
  157. Le paragraphe 9 de l’article 22 du décret du 31 août 1878 vise le cas d’un officier de la réserve ou de l’armée territoriale qui, « en dehors de la période d’activité, aurait adressé à un de ses supérieurs militaires ou publié contre lui un écrit injurieux ». Ici encore, dans la seconde convocation qui me fut adressée, le texte du décret fut arbitrairement modifié.
  158. Elle obsédait aussi Zola qui s’en expliqua plus tard. (Aurore du 12 septembre 1899.)
  159. Le 20 août 1866, Benedetti, ambassadeur de France à Berlin, avait communiqué à Bismarck, sous la forme d’un traité d’alliance, un projet de l’Empereur relatif à la Belgique : il demandait à la Prusse le concours de ses armées pour s’emparer de ce pays neutre. Bismarck demanda à Benedetti une copie de ce traité. Le 29 juillet 1870, il l’annexa à la circulaire qu’il adressait aux puissances pour dénoncer la mauvaise foi du gouvernement impérial.
  160. Siècle du 4 juin 1898. — Vers la Justice par la Vérité, 131.
  161. National Review du 1er juin.
  162. Cass., I, 548, Billot ; II, 176, Pellieux.
  163. Lettre à Esterhazy du 12 janvier 1898 ; Procès Zola, I, 247, Pellieux : « Si j’ai participé à cette œuvre d’acquittement, j’en suis fier. »
  164. Ce fut la thèse de mon avocat, Mornard, quand je me pourvus devant le Conseil d’État contre le décret qui me révoquait. (Audience du 15 novembre 1902.) Le commissaire du gouvernement, Arrivière, abandonna l’accusation en ce qui concernait le ministre de la Guerre ; mais il soutint que le général de Pellieux, commandant la place de Paris, était mon supérieur hiérarchique, en vertu de l’article 49 du règlement du 16 juin 1897 : « Les officiers de réserve et de l’armée territoriale dans leurs foyers sont placés pour tout ce qui concerne la police générale, la discipline, la conduite et la tenue, sous la haute autorité du général commandant la subdivision de région dans laquelle ils résident. » Le Conseil d’État adopta cette thèse et rejeta mon pourvoi.
  165. D’Oxford, le 23 juin 1898.
  166. Vers la Justice par la Vérité, 136 et suiv.
  167. « Si, sous prétexte de service militaire, on peut mettre les Français au régime de se voir enlever leur grade dans l’armée, parce qu’ils auront écrit quelque phrase dont un général ne sera pas content, notre Gouvernement, de quelque nom qu’il s’appelle, n’est en réalité qu’un césarisme de prétoriens sans César. Et si les radicaux eux-mêmes n’ont rien à dire contre un tel état de choses, ils sont dignes dès aujourd’hui du sort qui les attend… » (Aurore du 24 juin.) — Le Spectator (de Londres) intitula l’article où il rendait compte de l’incident : « La Terreur militaire en France. » — La Gazette de Saint-Pétersbourg (Vedomosti, n° 156) critiqua vivement la décision de Billot : « Elle soulève la question de savoir s’il est défendu à tous les Français appartenant à la réserve et à la territoriale de s’occuper des questions politiques concernant la France. »
  168. 24 juin 1898.