Histoire de l’Affaire Dreyfus/T3/3

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Eugène Fasquelle, 1903
(Vol. 3 : La crise : Procès Esterhazy – Procès Zola, pp. 157–216).

CHAPITRE III

L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY

I. Le « procès-verbal » de Zola, 157. — Défection du Figaro ; brochures de Zola, procès-verbal » de Zola, 158. — Je publie l’acte d’accusation de Dreyfus, 160. — Procès de Picquart contre l’auteur des faux télégrammes, 162. — Plainte en corruption contre Mathieu et Léon Dreyfus, 163. — Mon procès contre Rochefort, 164. — Article de l’Intransigeant sur les lettres de l’Empereur allemand ; démenti officiel, 165. — Progrès de l’idée revisionniste, 166. — Lettre de Duclaux à Scheurer, 169. — II Ravary, 170. — La collusion continue, 171. — Picquart à l’instruction, 174. — Mon entrevue avec Ravary, 175. — III. Les experts : Couard, Belhomme et Varinard, 177. — Fausse manœuvre de Tézenas, 179. — expertise de la lettre « du Uhlan », 181. — Esterhazy chez Belhomme, 182. — Sa mise en demeure à Boisdeffre, 183. — Christian chez Du Paty, 184. — IV. Rapport des experts sur le bordereau, concluant au décalque, 185. — Rapport sur la lettre « du Uhlan » qui pourrait être l’œuvre d’un faussaire, 188. — V. Rapport de Ravary qui conclut au non-lieu ; accusations contre Picquart, 189. — Saussier envoie Esterhazy devant le conseil de guerre, 192. — Mercier détruit le commentaire de Du Paty, 193. — VI. Acquittement prévu d’Esterhazy, 193. — Lettres de Scheurer et de Trarieux, 195. — Le huis clos partiel réclamé par Esterhazy et accordé par Billot, 196. — VII. La partie plaignante peut-elle intervenir à l’audience ? 197. — Demange et Labori, 198. — Voyage de Casella à Berlin, 199. — Lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi ; Mathieu Dreyfus refuse de l’intercepter, 200. — VIII. Esterhazy au Cherche-Midi, 200. — Le conseil de guerre, 201. — IX. Première audience, 203. — Le conseil repousse les conclusions de Lucie et de Mathieu Dreyfus, 204. — Le général de Luxer interroge Esterhazy, 205. — Dépositions de Mathieu Dreyfus et de Scheurer, 209. — Le huis clos ; Pellieux. Picquart et Henry, 210. — Confrontation entre Henry et Leblois, 212. — X. Le commissaire du gouvernement abandonne l’accusation, 213. — Plaidoyer de Tézenas, 214. — Esterhazy acquitté et acclamé, 215.

I

L’instruction contre Esterhazy dura près d’un mois (4 décembre au 2 janvier), sans que rien en transpirât.

L’agitation, d’autant plus, alla croissant.

Au lendemain de la séance où les promoteurs de la Revision avaient été marqués comme de mauvais citoyens, Zola avait publié un troisième article. C’était le procès-verbal « des jours tragiques » qu’il venait de vivre, « exaspéré, dans la haine de la bêtise et de la mauvaise foi, dans une telle soif de vérité et de justice qu’il avait compris les grands mouvements d’âme qui peuvent jeter un bourgeois paisible au martyre ». Il osa faire le procès des deux grands tyrans du jour : l’antisémitisme (« ils sont une bande à faire ce métier, et le plus beau, c’est qu’ils le font au nom du Christ »), et la presse (« la presse immonde, les journaux à un sou attelés à cette besogne exécrable de tuer toute générosité dans notre cher peuple de France »).

Le journal, dans sa forme moderne, est, d’abord, une maison de commerce qui vend du papier et de la publicité. Quelques concurrents (Valentin Simond, Meyer), des ennemis personnels (Cassagnac), le haut État-major et ses moines organisèrent une campagne de désabonnement contre le Figaro. De Rodays, père et beau-père d’officiers, devenu tout à coup « un insulteur de l’armée », parce que ses collaborateurs avaient montré le fond de l’âme d’un traître qui appelait l’invasion de ses vœux et crachait sur la nation, n’y put tenir et quitta la partie. Il le fit sans grâce[1], mais non sans esprit de retour et sans avoir recueilli de son trop fragile courage autre chose que des injures.

Cette désertion (plus bruyante en fait que réelle) du moniteur de la Revision parut, d’abord, désastreuse. Comment arriver, désormais, au véritable juge, au premier qu’il faille convaincre, selon Voltaire lui-même, à l’opinion ?

Zola, « ne voyant alors aucun journal qui lui prendrait ses articles[2] », résolut de continuer sa campagne par des brochures. Il en publia deux : une Lettre à la Jeunesse, appel aux étudiants du quartier latin, dont les prédécesseurs avaient manifesté pour toutes les nobles causes et qui, eux, s’en allaient, par bandes, huer Scheurer ; et une Lettre à la France, d’un beau souffle douloureux, mais qui parut familière, la France traversant alors une de ses crises où elle ne permet qu’aux soldats de la tutoyer.

Cependant, ceux qui avaient bu de l’eau de vérité ne pouvaient plus supporter d’autre breuvage. Ils émigrèrent (bourgeois libéraux, quelques universitaires, des hommes de lettres et des artistes) à ceux des journaux radicaux et socialistes qui avaient rompu avec les socialistes et les radicaux de la Chambre.

Lourde faute et, pour longtemps, irréparable des partis modérés. Comme Gonse avait repoussé les avis de Picquart, ils écartèrent ceux de Scheurer, ne comprenant pas que leur intérêt, à défaut d’une pensée plus haute, leur commandait de ne pas laisser une telle cause aux mains de leurs adversaires. Forcément, elle y deviendra révolutionnaire : d’allure d’abord, par la révolte qui est le contre-coup de l’iniquité systématique ; puis, la forme emportera le fond.

Le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes d’autrefois n’eussent pas commis cette erreur. Au contraire, Charmes, Brunetière, Heurteau s’engagèrent violemment contre la Revision, parlant le langage de la réaction cléricale, et perdant ainsi, avec le respect de leurs principes, leur raison d’être[3].

Il y eut, pourtant, quelques exceptions : Hébrard qui garda, dans le Temps, une neutralité bienveillante et, par le fait, très utile ; Yves Guyot, au Siècle ; et, ce qui étonna le plus, Cornély, qui avait quitté le Gaulois et que Saint-Genest, devenu aussi forcené qu’il avait été autrefois clairvoyant, présenta aux lecteurs du Figaro, après le départ de Rodays, comme « un solide patriote[4] ». Il ne chercha pas à nager contre le courant, alors trop violent, le suivit au contraire, mais peu à peu répandit de l’huile sur les eaux.

Bien que Guyot eût protesté contre le huis clos du procès de 1894 et, déjà, eût ressenti une inquiétude, il n’était encore persuadé, comme Clemenceau, que de la nécessité juridique et politique de faire la Revision, mais sans opinion arrêtée sur le fond. Esprit positif et pratique, très libéral, surtout économiste dans les moelles, et, dès lors, bien que breton d’origine, le plus anglophile des Français, il se méfiait des déductions psychologiques et ne voulait juger que sur pièces. Or, Billot a affirmé aux Chambres que Dreyfus n’a pas été seulement condamné sur le bordereau.

J’avais dit souvent à Mathieu Dreyfus qu’il fallait publier, coûte que coûte, les pièces du procès. Mais Demange, à qui le Conseil de l’ordre avait interdit de remettre le dossier de 1894 à Mme  Dreyfus, refusait obstinément de s’en dessaisir. Mathieu finit par me communiquer la copie de l’acte d’accusation que Dreyfus lui-même avait prise au Cherche-Midi et qui avait été déposée en lieu sûr.

On croira difficilement que Méline, ni aucun des ministres (sauf Billot), n’avait eu l’honnête curiosité de regarder, avant de s’engager, sinon toutes les pièces du procès de Dreyfus, du moins l’acte d’accusation de d’Ormescheville. J’ai raconté, précédemment, que Darlan voulut prendre connaissance de la procédure et qu’il y échoua. Je fus informé que Méline, encore à la fin de décembre, était resté dans la même ignorance, soit qu’il préférât s’en tenir systématiquement à la chose jugée, soit qu’il n’osât pas réclamer de Billot la preuve de ses dires. Un ami commun lui offrit, de ma part, l’acte d’accusation de d’Ormescheville, pour que, par lui-même, il en vît l’épouvantable vide. Il hésita, puis refusa. Je le portai alors à Yves Guyot. Le lendemain, le document parut dans le Siècle[5].

La stupeur et l’indignation, d’une part, la colère, de l’autre, furent égales. L’absurdité, le néant de l’accusation opérèrent, en quelques heures, plus de conversions que tous les discours.

Drumont réclama des poursuites contre l’auteur de cette divulgation. Méline trouva moins dangereux, pour une fois, de lui désobéir que de me poursuivre.

Scheurer eut une longue conversation avec l’ambassadeur d’Italie, qui lui certifia que les pièces secrètes, où Panizzardi était mis en cause, étaient des faux. Nulle information plus précieuse, puisque, d’avance, elle signalait les pièges, les embûches[6].

Demange ne se lassait pas de répéter qu’il avait connu seulement le bordereau[7]. L’État-Major, après avoir révélé la communication des pièces secrètes, n’osait plus la démentir ; que fût-il resté de l’énorme accusation ? On commença à se poser la question égoïste, salutaire : « Si une pareille violation de la loi et des droits humains est tolérée, qui assure qu’elle ne sera pas renouvelée demain contre moi ? » Quelques-uns aperçurent enfin que le droit du juste, de l’innocent, d’un seul homme, est plus haut que les intérêts de toute une caste, de l’État ; il est le droit universel, le Droit même.

Et d’autres se lassèrent, s’indignèrent que les plus nobles idées de patrie, de défense nationale, d’honneur, « que les mots les plus grands et les plus saints qui soient dans le langage des hommes[8] » fussent profanés pour couvrir des habiletés de procédure, émouvoir et tromper les masses populaires.

Au fond de toute l’affaire, (en dehors du crime d’Esterhazy et du crime d’Henry), il y a la grande faiblesse humaine, l’imbécile amour-propre : « Je ne veux pas m’être trompé. » Quelques-uns commencèrent à confesser leur erreur. Ils s’aperçurent que cela n’était point si pénible.

Dans le monde des politiques, ce qui retardait surtout l’aveu, c’était la proximité des élections : « Pourquoi cette affaire a-t-elle éclaté si tôt ? »

Dès qu’ils en trouvaient l’occasion, les défenseurs de la Revision s’adressaient aux tribunaux. Aux époques de tyrannie, quand les assemblées tremblent devant le tyran « Un seul » ou devant le tyran « Tous », c’est au prétoire qu’il faut porter la bataille.

Trois procès (jalons vers la vérité pour le lendemain de la défaite) furent ainsi provoqués ou engagés :

Par Picquart contre les auteurs des télégrammes qu’il avait reçus en Tunisie. — Billot, à la demande de Trarieux, avait ouvert une enquête sur l’origine de ces faux ; nécessairement, au bout de peu de jours, il déclara que les soupçons (sur Esterhazy et ses amis) n’étaient pas fondés[9] ; Picquart adressa au procureur de la République une plainte motivée[10].

Contre Mathieu Dreyfus, au sujet d’une prétendue tentative de corruption. — Un sieur Penot et l’abbé Gayraud, député, racontaient que les frères de Dreyfus avaient offert à Sandherr une somme énorme (deux cent mille francs ou toute leur fortune), pour étouffer l’affaire.

Il existait à l’État-Major, de la main même de Sandherr, un récit de son entrevue, très simple, émouvante, avec Mathieu et Léon Dreyfus[11]. Cette entrevue avait eu lieu le 14 décembre 1894, dix jours après l’ordre de mise en jugement, quatre jours avant le procès. Corrompre Sandherr n’eût servi de rien. Billot, Boisdeffre laissaient dire. Comme Mathieu Dreyfus annonça son intention de poursuivre ses diffamateurs (Penot et Mme  Sandherr), le garde des Sceaux trouva plus pratique d’ordonner une instruction et d’éviter ainsi un débat public[12].

Par moi, contre Rochefort, pour diffamation, et contre Lemercier-Picard, pour faux et usage de faux. Non seulement je n’étais pas tombé au piège qui m’avait été tendu par Henry et Esterhazy, mais j’avais gardé la fausse lettre chiffrée qui était la preuve de la fourberie. L’agent, cherchant une revanche, alla chez Rochefort[13]. Il raconta que je lui avais fait fabriquer une fausse pièce pour perdre Esterhazy (la lettre même qu’il m’avait fait remettre), et, contre cinq cents francs, il en donna une copie. Le vieux pamphlétaire révéla triomphalement qu’il avait enfin la preuve matérielle de mes forgeries et des menées du Syndicat[14]. Je rétablis aussitôt les faits[15] et déposai une double plainte[16], comptant bien que, derrière Rochefort et Lemercier-Picard, je trouverais Esterhazy et ses protecteurs.

Clemenceau réclamait, en vain, un procès contre le Syndicat : « La lumière pour tout le monde ; il n’y a que les stipendiés et les traîtres qui puissent la craindre[17]. »

L’offensive, de nouveau, changeait de camp.

Rochefort avait commis une autre sottise.

Il s’irritait que le crime de Dreyfus fût « officiellement » réduit au seul bordereau, misérable pièce sans valeur, et redoutait que l’expertise, ordonnée par le Sénat, l’attribuât à Esterhazy. Quoi ! patauger bassement dans cette chicane, quand l’État-Major avait les mains pleines de preuves décisives ! Il n’y put tenir, et raconta ce que lui avait dit Pauffin ou ce qui lui en était resté dans l’esprit :

Dreyfus a écrit à l’Empereur d’Allemagne afin de lui faire part de ses sympathies pour sa personne et lui demander s’il consentirait à le laisser entrer avec son grade dans l’armée allemande. Guillaume II fit savoir à Dreyfus, par l’entremise du comte de Munster, qu’il, était préférable qu’il servît le pays allemand, sa vraie patrie, dans le poste que les circonstances lui avaient assigné. Dreyfus accepta. Une des fameuses pièces secrètes est une lettre de l’Empereur d’Allemagne lui-même. Les originaux (sept lettres de Dreyfus, une de Guillaume) ont été restitués au comte de Munster, pour éviter la guerre. Seulement, ils avaient été, au préalable, photographiés[18].

Le plus extraordinaire, c’est que, même dans la folie du temps, l’éclat de rire fut général. Les revisionnistes se gaussèrent du vieil amuseur public ; les amis de l’État-major n’étaient pas encore au point. Aux uns et aux autres, il parut invraisemblable que cette stupéfiante histoire fut le « coup de massue » tant de fois annoncé. Cependant, depuis un mois, elle courait les salons, les brasseries, les bureaux de rédaction ; bien mieux, une photographie de la lettre impériale circulait dans les cercles privilégiés ; le colonel Stoffel l’avait vue de ses propres yeux. D’autre part, Boisdeffre avait recommandé de ne pas exposer cette pièce délicate au grand jour, et Méline, Hanotaux, se fâchèrent.

Mais Rochefort qui, par hasard, était de bonne foi, s’obstina malgré les démentis ministériels et la menace nette d’une poursuite[19]. Il expliqua que Munster avait exigé de Casimir-Perier qu’aucune allusion ne fût jamais faite aux redoutables pièces. Et ce fut aussi l’explication d’Henry, qui fit ainsi coup double[20]. Il authentiquait l’absurde roman et coupait court aux polémiques, couvrait la retraite, après cette escarmouche prématurée.

Les faussaires, pour rompre les chiens, racontèrent que Leblois se réservait de produire devant le conseil de guerre un reçu donné par Esterhazy à l’ambassade d’Allemagne[21].

Peu à peu, l’idée de la faillibilité des juges, de la possibilité d’une erreur, entra dans les cerveaux. Ils rapprenaient à lire, comme ce membre de l’Institut, ce charmant Paul de Rémusat, qui, frappé d’amnésie, se remit, vers la soixantaine, à l’alphabet.

On raconta à ce peuple, doucement, par voie d’allusion, les erreurs judiciaires d’autrefois. Un jeune professeur (Raoul Allier) lui dit, en quelques pages très simples et émues, « Voltaire et Calas » ; je fis l’histoire de Raphaël Lévy, juif lorrain, brûlé vif à Metz, en 1670, pour meurtre rituel, puis réhabilité, par ordre de Louis XIV[22], quand son innocence eut été démontrée par Richard Simon avec l’aide des plus honnêtes gens de la Cour, Hugues de Lyonne et le prince de Condé.

D’autres publications semblables suivirent : l’Affaire du commis militaire Fabus par Bergougnan, une histoire générale des erreurs judiciaires, par Varennes et Lailler.

Pourquoi ces erreurs, ces réhabilitations, seraient-elles le privilège exclusif du passé ? On tira peu à peu de l’oubli les règles du droit.

Ce grand mouvement des cœurs qui, plus tard, deviendra irrésistible, commençait à peine. Dans cette première période, la seule idée de justice ébranle les esprits. Quelques-uns seulement (des femmes) devinent, voient Dreyfus lui-même, pleurent sur lui, sont obsédés par l’idée de son martyre. Pour la plupart, il n’est encore qu’une abstraction, en attendant qu’il devienne, dans la bataille grandissante, un symbole. L’homme n’apparaît pas encore. Lucie Dreyfus me refusait toujours les lettres de son mari, où chaque ligne crie l’innocence. Elle voulait, pour elle seule, son trésor. Le stoïque soldat eût-il approuvé qu’on livrât au public ses effusions, sa détresse ?

La France avait alors le cœur dur. Sa bonté, sa générosité naturelles semblaient mortes. Cependant la férocité, qui sévissait parmi beaucoup de défenseurs d’Esterhazy, préparait déjà la réaction de la pitié. Lebon dépassa le but en se vantant d’avoir, depuis le début de la crise, aggravé le régime du prisonnier[23]. On décrivit, avec trop de froide cruauté, la « cage » de Dreyfus. L’île tragique commençait à se dessiner à l’horizon.

Pour le moment, dans la fraction de la jeunesse qui s’émeut, dans le monde universitaire, parmi les ouvriers des grandes villes, le premier élan, si timide encore, vers la justice, est surtout une révolte de la raison. Vraiment, on veut en faire trop accroire. Au début, le roman amusait ; il devient stupide. « On nous prend pour trop bêtes ! » Puis, les partis de réaction triomphèrent trop vite, les jeunes aristocrates, surtout les cléricaux. Depuis le jour où de Mun avait été maître de la Chambre, fouaillant et faisant marcher le Gouvernement, ils se croyaient sûrs de la prochaine victoire, avançaient la main vers le pouvoir. Cela fit réfléchir quelques-uns. Et, aussi, l’arrogance de trop d’officiers, leur morgue, leur mépris affiché de tout ce qui ne porte pas un uniforme galonné. Il y a, dans Stendhal, une phrase terrible sur « la halte dans la boue qui a fait les généraux si insolents[24] ».

Depuis le début de l’affaire, dès 1894, l’angoisse du doute a été arrêtée chez beaucoup, non seulement parce que Dreyfus est juif, mais parce qu’il est riche. Dans la poétique populaire, ces catastrophes ne peuvent atteindre que les pauvres. Il en fut de même quand le mouvement commença pour la Revision. Les socialistes d’abord, — Viviani[25], Jaurès[26], — dirent comme Drumont : « On n’en ferait pas tant pour un pauvre. » Cela aida à la légende du Syndicat. On commença à y moins croire du jour où il suffit d’exprimer une opinion libre (sur les perquisitions chez Picquart, sur les lettres à Mme  de Boulancy) pour être aussitôt traité de « vendu ». Chacun savait de soi qu’il n’avait pas reçu d’argent. En serait-il de même pour les promoteurs de la Revision ?

La désertion (momentanée) du Figaro donna à penser. Quoi ! cette volte-face pour quelques centaines de désabonnements ! Les juifs ne sont-ils pas assez riches pour compenser cette perte ? Ou serait-il vrai que Zola n’a point été payé ?

La lettre de Zola à la Jeunesse ne resta pas sans écho. Un groupe de jeunes gens lui répondit par une adhésion publique :

Nous ne savons si Dreyfus est innocent ou coupable ; mais, tous, nous voulons que cette affaire soit conduite avec impartialité. Qu’importent les arguties parlementaires ou les colères ridicules d’une Chambre qui s’imagine qu’on résout une question judiciaire avec un ordre du jour emphatique ?… L’opinion publique ? Qu’est-ce aujourd’hui sinon l’opinion de la presse ? Et quelle presse[27] !

Les signataires n’étaient pas encore bien nombreux ; mais, tous, dans leurs milieux, avaient cette autorité que donnent, parmi les jeunes hommes, le talent à son aurore et le caractère déjà formé.

Une lettre de quelques lignes produisit une impression profonde. Le jour même où je fis paraître l’acte d’accusation de 1894, Scheurer demanda à Duclaux ce qu’il en pensait. Nul, depuis Pasteur dont il était le successeur, n’était estimé à l’égal de ce grand savant, modeste et simple, qui vivait dans son laboratoire, dédaigneux des honneurs, épris seulement de science. Duclaux répondit :

Je pense tout simplement que si, dans les questions scientifiques que nous avons à résoudre, nous dirigions notre instruction comme elle semble l’avoir été dans cette affaire, ce serait bien par hasard que nous arriverions à la vérité. Nous avons des règles tout autres qui nous viennent de Bacon et de Descartes : garder notre sang-froid, ne pas nous mettre dans une cave pour y voir plus clair, croire que les probabilités ne comptent pas et que cent incertitudes ne valent pas une seule certitude. Puis, quand nous avons cherché et cru trouver la preuve décisive, quand nous avons même réussi à la faire accepter, nous sommes résignés à l’avance à la voir infirmer dans un procès en revision auquel, souvent, nous présidons nous-mêmes.

Avec Duclaux, c’était la Science elle-même qui entrait dans l’Affaire : les moines eux-mêmes n’osèrent pas dire que la Science se fût vendue aux juifs.

II

Saussier avait confié l’instruction contre Esterhazy à un vieux commandant retraité, du nom de Ravary, dont on racontait de fâcheuses histoires, petit et chafouin, mal tenu, d’esprit obtus, et qui, sauf la consigne, ne comprenait rien. Il était assisté du même greffier qu’avait eu d’Ormescheville, Vallecalle, intelligent, sournois, qui en pensait plus qu’il n’en disait.

L’instruction de Ravary fut le recommencement de l’enquête de Pellieux. Il entendit les mêmes témoins ; en plus, Junck, Gonse (à la demande formelle d’Esterhazy qui eût voulu aussi Boisdeffre) ; et, à la requête de Mathieu Dreyfus, quelques civils[28]. Mêmes accusations, aggravées, contre Picquart, accueillies avec la même faveur. Même roman, embelli, d’Esterhazy, écouté avec la même déférence. Et même collusion[29].

Au début, Esterhazy, sans force de résistance, s’était remis à trembler ; Henry, d’une autre trempe, le secoua :

Soyez donc tranquille. Ravary sera mandé à la boîte et il sera stylé. On lui fera voir tout ce qui est nécessaire. C’est entendu ; tout marche très bien[30].

En effet, Gonse fit venir Ravary, lui montra le faux d’Henry. Et Du Paty, aussitôt, de rassurer Esterhazy :

Oui, on a fait venir R… et on lui a montré tout ce qu’il fallait. Ce que dit votre avocat est stupide. Exécutez absolument ce qui vous est dit et n’en sortez pas[31].

Désormais, et tous les soirs « sans exception », Ravary adressa à Gonse le compte rendu de ses auditions quotidiennes. Quelques heures plus tard, Henry ou Du Paty en transmettaient le résumé à Esterhazy et lui indiquaient les réponses à faire ; quand il avait un renseignement spécial à demander, il envoyait sa maîtresse où son cousin chez Du Paty. Il connut ainsi toute la marche de l’instruction.

Vous serez interrogé demain, lui écrivit Du Paty, sur vos rapports avec Schwarzkoppen. Maintenez-vous absolument sur le terrain qui a été convenu, et ne vous laissez aller à entrer dans aucun détail[32].

Ainsi fut fait[33].

Mathieu Dreyfus raconta les propos de la fille Pays à l’architecte Autant, quand Esterhazy fit mettre son bail au nom de sa maîtresse et parla de se tuer.

Esterhazy, prévenu, envoya Marguerite chez Autant, le sommant de tout nier. Elle adressa des lettres de menaces au propriétaire de la maison[34].

De même, pour l’Alibi-office, pour la lettre anonyme à Hadamard[35].

Esterhazy, « le chapeau enfoncé sur les yeux, le pardessus relevé », fit irruption au bureau, bouscula le tenancier de l’agence : « Je suis le commandant Esterhazy ; on me jette à la tête un tas de sales histoires ; on m’accuse d’avoir fait partir de Lyon une lettre de menaces ; vous savez bien que ce n’est pas moi[36]. » Quand Ravary la lui présenta, il dit, effrontément, qu’il la voyait pour la première fois[37]. On fit disparaître l’employé qui en avait pris une copie pour la préfecture de Police.

Pour infirmer l’authenticité de la principale de ses lettres à Mme  de Boulancy, il dit qu’il a l’habitude d’orthographier le mot Uhlan avec l’h devant l’u, « à la hongroise », ce qui n’a aucun sens, le mot étant d’origine turque, de Oghlan, « jeune garçon, page, cavalier[38] ». Mathieu requiert la saisie, chez un avoués d’une lettre d’Esterhazy où se trouve cette phrase : « Ces canailles (des créanciers) auraient besoin du bois de la lance d’un uhlan prussien pour savoir comment l’on traite des soldats. » Il nie toujours[39].

Mathieu verse au dossier la lettre d’Esterhazy à Weil, de juin 1894 : « Je ne puis soustraire mes pauvres petites filles à la destinée qui les attend que par un crime[40]. » Ravary trouve la lettre très belle : « Comme cet homme aime ses enfants ! » Il refuse longtemps de faire citer Weil, malgré l’insistance de Picquart[41]. Quand il l’appelle, il l’interroge sommairement. Weil raconte les emprunts qu’il a consentis à son ancien ami, l’argent qu’il a recueilli pour lui chez de riches juifs, la quête avec le grand rabbin et l’abbé Seigneur[42]. Esterhazy réplique : « Tout ce que dit le témoin est faux ; je lui dois de l’argent, c’est vrai, mais je le lui paierai[43]. » Il ne conteste pas la lettre, mais s’étonne (et Ravary avec lui) qu’elle soit aux mains de Mathieu.

Un coiffeur a raconté à un journaliste[44] qu’Esterhazy, quelque temps avant d’être dénoncé, est venu dans sa boutique, qu’il a tenu d’étranges propos : « Un grand scandale va éclater, Dreyfus est innocent. » Mathieu rapporte ce récit à Ravary : « Il y a des exemples de criminels qui, poussés par un besoin irrésistible, font des confidences. » Il demande qu’Esterhazy soit confronté avec le garçon qui l’a rasé[45]. Esterhazy nie encore[46], et la confrontation n’a pas lieu[47]. « Connaissez-vous Mademoiselle de Comminges ? — Je ne fréquente aucune femme du demi-monde[48]. » « Tout cela, lui dit Du Paty, n’a aucune espèce d’importance. »

Alors que les dépositions de tous les témoins lui sont communiquées d’avance et qu’Henry et Du Paty se concertent avec lui sur les réponses à faire, Picquart ni Leblois ne savent rien des principales allégations portées contre eux par Henry, Lauth, Gribelin et Gonse[49]. La surprise leur en est réservée pour l’audience. Ravary, comme Pellieux, traita Picquart en accusé, mais d’un ton bonhomme, l’air d’un portier-consigne qui est gêné d’assister à une querelle entre des chefs. Il l’interrogea sur ses relations avec moi, qui ne l’avais pas vu depuis cinq ans et comme si j’étais le chef du Syndicat.

Picquart lui dit que « les témoins ne sortiraient de terre que si Esterhazy était arrêté ». Il répondit que « les chefs n’avaient pas jugé à propos de le faire ». Il refusa en conséquence de procéder aux recherches et aux confrontations que réclamait le colonel. Quand Picquart lui rapporta que, déjà, en Tunisie, Esterhazy était soupçonné, que le colonel Dubuch, le fils du général de la Rocque, le commandant Sainte-Chapelle en pourraient déposer, il grommela : « Esterhazy, nous le connaissons mieux que vous ! » Mais il ne fit même pas mention de ces indications dans son rapport[50].

Il refusa encore d’ordonner des enquêtes dans les villes où Esterhazy avait tenu garnison, bouscula Mathieu Dreyfus qui insistait : « Vous n’allez pas nous faire un réquisitoire ? » Mais il fit le gracieux avec Scheurer et avec moi.

Il m’arriva d’égarer, dans un compartiment de chemin de fer, ma serviette de député ; les employés[51] la fouillèrent avant de me la rendre. Elle renfermait des documents parlementaires (un rapport sur l’État-Major), des fac-similés du bordereau et de l’écriture d’Esterhazy et de Dreyfus que j’avais fait voir à des collègues. Un « inconnu » signala aussitôt à Tézenas « qu’il avait vu, lui-même, dans ma serviette, des lettres d’Esterhazy découpées, retouchées, maquillées ; dans certaines parties, l’écriture se trouvait surchargée de bandelettes couvertes d’écriture ». L’avocat s’échauffa, conféra avec Esterhazy qui, déjà, connaissait l’incident et réclama la comparution des employés. « La Compagnie, sans doute, leur a imposé le secret, sous menace de révocation immédiate ; l’affaire est très grave[52]. » L’allégation parut stupide à Ravary lui-même. Esterhazy menaça de commencer une campagne de presse s’il n’était fait droit à sa requête[53]. On capitula encore : Du Paty lui écrivit[54] :

Oui, faites passer un article dans ce sens, mais sans insister. On citera les employés de la gare et le télégraphiste.

En effet, le lendemain, le Petit Journal publia la sensationnelle révélation et la presse s’émut des contenus terrifiants de ma serviette et de cette preuve nouvelle que je suis un faussaire. Les employés du chemin de fer furent appelés à déposer[55].

Pourtant, Ravary se garda de me citer ; mais j’allai de moi-même le trouver et je lui remis ma serviette et son contenu, qui fut, par lui et par le greffier, reconnu conforme à la description qu’en avaient faite les employés[56]. Dans la petite chambre du Cherche-Midi, lourdement chauffée, où il tenait ses assises. Ravary, obséquieux, d’un ton humble, quand il eut reçu ma déposition, se plaignit des journaux qui avaient ébruité et dénaturé cette sotte histoire dont il ne devait rien rester. Il s’excusait, se confondait. La conversation s’engagea, et toute l’effroyable nullité du pauvre homme m’apparut, chargé de cette terrible affaire dont il ne comprenait rien, sinon que le bordereau avait été décalqué ou photographié[57] et que Dreyfus devait rester coupable, puisque le ministre de la Guerre affirmait que le juif avait été justement condamné. Il m’avoua qu’il connaissait la communication des pièces secrètes aux juges. Les juifs ont tort de se solidariser avec Dreyfus ; ils eussent mieux fait, « si puissants, si riches », de le faire évader. La preuve qu’Esterhazy n’a point trahi, c’est qu’il est toujours sans le sou ; or, l’Allemagne paye bien[58]. Et il parlait du commandant avec un grand respect.

En effet, Esterhazy le prenait de haut avec lui, l’étourdissait de sa superbe : « On a cherché à me discréditer, à me déshonorer. Alors que j’étais l’objet d’une enquête et que je dépendais de la justice militaire, dans l’impossibilité de parler ou d’agir pour me défendre, mes adversaires n’ont pas craint de déverser sur moi, publiquement, les plus abominables outrages. C’est là une conduite infâme et qui est sans exemple chez tous les peuples civilisés ; l’accusé est sacré[59]. »

III

Cependant une peur le tenait : quel sera le résultat de l’expertise ?

Ravary, comme Pellieux, a accepté, sans discuter, ses mensonges : la dame voilée, le manuscrit d’Eupatoria. Mais il existe, au moins, une preuve matérielle de son crime : le bordereau. Si les experts le lui attribuent, il est perdu.

Et l’État-Major avec lui. Boisdeffre, Gonse, Du Paty, surtout Henry, ne sont pas moins inquiets que lui : tout s’écroule s’il se trouve seulement deux honnêtes gens parmi les experts.

Pellieux, précédemment, avait confié l’examen de la lettre « du Uhlan[60] » à trois hommes de l’art : Charavay : un vieil inspecteur d’académie, Belhomme ; un architecte devenu expert, Varinard. Ravary, assez logiquement, leur voulut confier l’expertise du bordereau. Charavay se déroba : il avait, en 1894, attribué le bordereau à Dreyfus. Il fut remplacé (mais seulement pour le bordereau) par Couard, paléographe, ancien élève de l’école des Chartes, jocrisse savant, patelin et jovial, autrefois protégé des juifs de Metz, depuis antisémite, avec d’utiles parentés dans l’Église, et père lui-même de deux prêtres, les abbés Joseph et André.

Les autres (Varinard, Belhomme) hésitèrent à accepter cette nouvelle mission. Ils ne voulaient pas être amenés, malgré eux, à s’occuper de l’affaire Dreyfus. Il fallut, pour les décider, l’intervention d’un magistrat, Beaudoin, président du tribunal civil de la Seine : « Sur les cinq experts inscrits au tableau, leur dit-il, trois sont récusables pour avoir été consultés en 1894 ; il ne reste que vous deux (Couard était expert à Versailles) ; de plus, deux ministres viennent de déclarer au Parlement qu’il y a une affaire Esterhazy, mais qu’il n’y a pas d’affaire Dreyfus[61]. » Une telle parole, tombant de si haut, calma, sinon leurs scrupules, du moins leurs craintes.

On tint d’abord leurs noms secrets, « pour empêcher les démarches que pourraient faire auprès d’eux les amis de Dreyfus ». Mais l’État-Major comptait bien les « travailler » ; Esterhazy en reçut l’assurance. Du Paty lui écrivit :

Les experts sont désignés ; vous aurez demain leurs noms ; ils seront vus, soyez tranquille. Tenez-vous en absolument à ce qui a été décidé[62].

L’équité, le bon sens voulaient que les experts comparassent le bordereau à l’écriture de Dreyfus et à celle d’Esterhazy. Ainsi l’avaient entendu Scheurer, le Sénat, le monde entier. On décida de leur faire comparer seulement l’écriture d’Esterhazy à celle du bordereau. Cela simplifiait l’opération, facilitait la fraude.

« Tézenas, avoue Esterhazy[63], n’était pas au courant de la vérité, » La naïve crédulité de cet homme subtil apparut tout entière dans la lettre qu’il adressa un matin à Ravary. Il demandait, « très respectueusement, mais officiellement et fermement », — pour satisfaire l’opinion, et dans l’intérêt de son client, qui doit sortir blanchi de l’épreuve. — que l’écriture d’Esterhazy fût expertisée avec celle de Dreyfus[64].

La lettre de Tézenas était partie quand Esterhazy arriva chez l’avocat qui lui conta l’incident. Esterhazy fit la grimace, mais n’objecta rien et courut au Cherche-Midi. Il y entrait comme chez lui, en maître, les portes s’ouvrant devant lui, salué très bas, entouré de l’estime de tous les officiers et commis. Il trouva Ravary dans son antre enfumé, avec le commissaire du gouvernement (Hervieu), le greffier Vallecalle et le vieux Belhomme, tous très agités.

Ravary, brusquement, interpella le fol qui voulait se perdre : « Qu’est-ce qui prend à votre avocat ? Voici ce qu’il m’écrit. (Il montrait la lettre.) Je ne le suivrai pas sur ce terrain. « Vous pouvez l’en avertir. Je refuse de faire droit à sa demande, »

Esterhazy prétend que cette colère de Ravary l’amusa beaucoup. Comme il voyait Ravary résolu à repousser la comparaison entre l’écriture de Dreyfus et la sienne, il joua, à bon compte, l’homme qui ne craint rien. Ces fantaisies lui étaient familières : « Je ne crois pas, dit-il à Ravary, que vous puissiez refuser ce que vous demande Tézenas. » Ravary répliqua que c’était son droit ; en tous cas, qu’il le prenait ; et il fit appel au commandant Hervieu qui approuva. Belhomme, se levant, protesta « formellement et solennellement » : « Si la défense persévère dans sa demande, je refuse de me prêter à une pareille manœuvre et je me récuse[65].

Esterhazy, dans ces moments, et avec raison, se sentait moralement supérieur à ses protecteurs.

Il prévint Tézenas de cette querelle. L’avocat ne cacha pas sa surprise. Le soir, Henry, Du Paty rappelèrent Esterhazy à l’ordre pour cette bévue de Tézenas[66]. L’autre, tranquillement, reprit qu’il était nécessaire de mettre son défenseur « au courant de certaines choses ». Il lui raconta donc qu’il avait consulté « ses amis du ministère » (c’était sa formule), et qu’il ne fallait, à aucun prix, rouvrir l’affaire Dreyfus, car de grands dangers en résulteraient. Tézenas se laissa persuader. Il s’était pris d’une grande amitié pour Esterhazy, l’invitait à déjeuner.

Il fut moins facile de convaincre les experts. Boisdeffre. Gonse, pensèrent à faire la part du feu. Que la lettre « du Uhlan » fût ou non attribuée à Esterhazy, à condition qu’on fît traîner l’expertise jusqu’après l’irrévocable acquittement, il leur importait peu. Ils exigeront seulement que le bordereau ne soit pas de lui. L’honneur d’Esterhazy les laisse froids ; l’essentiel, c’est d’éviter la revision, que Dreyfus reste à l’île du Diable.

Mais Esterhazy ne l’entendait pas ainsi ; il lui fallait tout son honneur.

Les experts, l’ayant fait venir chez Ravary[67], lui communiquèrent les pièces de comparaison versées au dossier par Mathieu ; il les dénia toutes. On lui présente une pièce : « C’est étonnant, dit-il, c’est bien mon écriture, mais je suis certain de n’avoir pas écrit cela. » Une autre pièce : « Je n’y comprends rien, tous les faits qui sont relatés là sont exacts, mais ce n’est pas mon écriture. » Ils s’inclinèrent, lui firent ensuite plusieurs dictées en allemand et en français. Il écrivit « légèrement, sans hésitation et, à ce qu’il leur parut. avec toute la franchise possible ». Il leur parut aussi que les traces d’influence germanique abondaient dans l’écriture française d’Esterhazy, qu’au contraire quand il écrivait en allemand, l’influence française dominait dans son graphisme ; dès lors, que « son écriture était un mélange des écritures allemande et française[68] ».

Toutefois, ils repoussaient encore l’hypothèse du décalquage qu’Esterhazy, Ravary, l’État-Major eussent voulu leur voir adopter, parce qu’elle était déjà admise par le public.

Comme les experts, au cours de cette séance, ne lui avaient pas parlé des lettres à Mme  de Boulancy, Esterhazy s’en plaignit à Du Paty. Précédemment, il avait prié Ravary de faire expertiser par Bertillon la lettre « du Uhlan », « qui était fausse », et les autres, qu’il avait reconnues pour authentiques devant Pellieux, mais dont il affirmait maintenant « qu’elles avaient été maquillées et truquées[69] ».

Du Paty essaya de le faire patienter :

L’expert-chimiste, lui dit-il, sera vu. Les autres marchent très bien. Je tâcherai de faire ce que vous demandez. En tous cas, cela ne viendrait qu’après le conseil de guerre[70].

Cette dernière phrase mit Esterhazy en éveil. Il devina le plan de l’État-Major : le faire acquitter sur le bordereau, le perdre avec les lettres à Mme  de Boulancy, — c’est-à-dire, ma fois se sauver et se débarrasser de lui[71]. On ne lui en fait pas aisément accroire. De ses grands yeux sombres, profonds, où brûle un feu de volcan, il voit très clair. Il décida de ne s’en fier qu’à lui-même, de se renseigner directement. Il alla, de son pas léger, chez Belhomme, qui passait pour le « chef des experts » et qui ne fit nulle difficulté pour le recevoir[72].

Il eut vite fait de se rendre compte que Belhomme était « gâteux « ; en effet, l’expert ne s’était pas encore résigné à croire que le bordereau avait été décalqué sur l’écriture du commandant[73], et il lui attribuait la lettre « du Uhlan ». Donc, ou Du Paty s’illusionnait, ou il trompait Esterhazy.

Il s’en retourna, plein de craintes ; lui, qui écrivait avec une facilité vertigineuse, il s’y prit à deux fois pour rédiger sa mise en demeure à Boisdeffre[74]. Il garda d’ailleurs, car il pensait à tout, les deux brouillons et les cacha dans une potiche japonaise sur la cheminée de sa maîtresse.

Bête qui s’est vue dix fois forcée par les chiens, sentant sur lui leur haleine et leurs crocs, et dix fois déjà, par miracle, a échappé à l’hallali, il se crut perdu ce soir-là et, tout en rusant encore, cacha mal sa peur :

Que dois-je faire puisque les experts se refusent à conclure comme vous l’espériez ?[75] Dois-je demander, comme Tézenas le voulait, comme c’est mon droit[76], une expertise avec l’écriture de Dreyfus et reparler du décalque ? Belhomme est un idiot ; il n’y a qu’à le regarder[77]. Dois-je exiger la contre-expertise Bertillon ? Tous ces gens-là vont m’assassiner[78]. Ne peut-on, cependant, démontrer à Ravary et aux experts que je n’ai pu écrire les termes de la grande lettre Boulancy ?[79] Si les experts concluent que le bordereau est de moi, il m’est impossible, pour ma défense, de ne pas m’efforcer de démontrer que c’est Dreyfus qui est l’auteur du bordereau. Comprenez donc bien que si vous êtes véritablement les maîtres de l’instruction et des experts, je ne puis que m’en rapporter absolument à vous ; mais que, si cela vous échappe, comme je le crains, je suis dans l’obligation absolue de démontrer que le bordereau est calqué par Dreyfus sur mon écriture[80].

Cette menace de réclamer la comparaison entre l’écriture de Dreyfus et la sienne était ingénieuse. Il avait été le témoin de la colère de Ravary et d’Hervieu, quand Tézenas, innocemment, en avait fait la proposition, et Belhomme avait dit alors qu’il renoncerait plutôt à faire l’expertise. En effet, les experts consentaient bien à décharger Esterhazy du bordereau, mais ils avaient scrupule de l’attribuer formellement à Dreyfus. Et l’État-Major ne pensait pas qu’il en pût demander autant à la science ou à la conscience de ces hommes.

Esterhazy, d’ailleurs, ne s’en tint pas là. Ayant repris ses esprits, ou bien remonté par Henry, il envoya Christian, le lendemain matin, chez Du Paty. Il avait joué, au préalable, devant son cousin et sa maîtresse, l’une de ses comédies, la figure bouleversée et dans un bruyant désespoir. S’il ne sort pas intact et insoupçonné de cette affreuse campagne, il ne survivra pas à son honneur amoindri. Il porte toujours sur lui, dans la poche supérieure de son gilet, une boîte en métal pleine de cyanure de potassium[81]. Il se tuera donc, car, jamais, « il ne se laissera dégrader », mais en léguant à Christian sa mémoire à venger et ses papiers, avec mission impérative de les publier[82].

C’est ce que Christian fut chargé de dire à Du Paty.

Celui-ci, pâle et blême, entra dans une violente colère, allant et venant, parlant sans suite, tragique et comique, criant tantôt qu’Esterhazy était un autre Gribouille, tantôt un maître-chanteur.

Il était, d’ailleurs, préoccupé surtout de lui-même : « Si vous parlez, dit-il à Christian, on ne vous croira pas. On pèsera votre parole et celle du colonel marquis Du Paty de Clam, appuyé par le général de Boisdeffre et par tous ses chefs. »

Christian, très convaincu que son cousin était un héros, répliqua bravement : « S’il est besoin de dire la vérité, je la dirai. Je sais que vous avez menacé, un jour, Mme  Pays : « On peut toujours fermer la bouche à une femme bavarde ; il y a Saint-Lazare. » Mais, moi, Monsieur, je ne suis pas une femme et je n’ai pas peur. On m’a chargé de vous faire cette communication ; elle est faite. À vous de réfléchir. »

Et, très content de lui-même, le bon jeune homme se retira[83].

IV

Il fallut passer par où voulait Esterhazy.

On régla, d’abord, l’affaire du bordereau. Couard, Varinard et Belhomme travaillaient au Cherche-Midi « avec Ravary », dans la même chambre[84] ; chapitrés, tour à tour bousculés et flattés, ils conclurent « à l’unanimité » et « en leur honneur et conscience » que le bordereau n’était pas l’œuvre d’Esterhazy et qu’il présentait toute l’apparence d’un faux, « avec des parties de calques[85] ».

Belhomme — « l’idiot », au dire d’Esterhazy, — rédigea, en leur nom, le rapport.

« Le bordereau, sans date et sans signature, lacéré en morceaux de forme irrégulière, apparaît, au premier coup d’œil, comme un document suspect. » En effet, « cette pièce est tracée sur du papier pelure d’une telle transparence qu’elle suggère immédiatement l’idée qu’elle a pu être calquée sur d’autres documents auxquels on aurait emprunté soit des mots entiers, soit des parties de mots ». Pourtant, « il n’y a pas de calque pour celles des lignes du verso qui sont superposées à des lignes du recto ». « Mais le procédé du calque a pu être employé pour le recto tout entier et pour les autres lignes du verso », notamment pour celles qui contiennent le mot « manœuvres[86] ».

Évidemment, il se trouve dans le bordereau des « formes de lettres qui sont caractéristiques de l’écriture d’Esterhazy » ; mais il existe un contraste frappant « entre l’homogénéité de chacun des écrits d’Esterhazy, où le même type d’écriture se conserve d’un bout à l’autre sans défaillance », — il dit lui-même que son écriture est « très fantaisiste[87] », — « et les incohérences de toutes sortes relevées dans le bordereau, les hésitations, les reprises, la gêne, la contrainte qui y paraissent ». Ainsi, la ressemblance incontestable et la prétendue dissemblance plaident également pour Esterhazy et révèlent la fraude.

« Supposons que le commandant Esterhazy ait fabriqué le bordereau : il est clair qu’il se sera efforcé de dissimuler sa personnalité graphique. » Or, Belhomme, Couard et Varinard ont trouvé dans le bordereau un nombre considérable de lettres « identiques à celles de l’écriture courante d’Esterhazy » ; donc, le bordereau n’est pas de lui.

« Peut-on admettre qu’Esterhazy ait pris à tâche de reproduire des lettres identiques en les traçant avec une application soutenue, dans un écrit qu’il voulait faire attribuer à une autre personne ? » « L’s double est celle qu’emploie habituellement Esterhazy, mais peut-on supposer qu’un homme intelligent comme il l’est. — « retors », dit ailleurs Belhomme, — « n’ait pas remarqué qu’il donne lui-même à cette lettre une forme spéciale ? » Dès lors, « pour déguiser sa personnalité graphique, il aurait adopté une autre forme, soit deux s ordinaires, soit un s long et un s simple ».

Ainsi, l’idée préconçue, suggérée, que l’habitude constante des espions, surtout quand ils sont intelligents, c’est de déguiser leur écriture, voilà tout le raisonnement de Belhomme, Couard et Varinard. Puisque l’écriture du bordereau est celle d’Esterhazy, Esterhazy n’est pas l’auteur du bordereau. Ils révèlent ensuite quel a été le procédé du faussaire, qui, lui aussi, est « un homme intelligent », vu qu’il a « dissimulé sa personnalité graphique ». « Ayant entre les mains quelques spécimens d’une autre écriture qui ressemble à la sienne » — c’est le manuscrit d’Eupatoria. — « il note les différences de forme qui existent entre les deux écritures et il compose un alphabet où il a soin d’insérer les formes spéciales des lettres qu’il a remarquées dans l’écriture qu’il veut imiter, en éliminant celles qui lui sont personnelles ; il complète, en outre, cet alphabet par le tracé des lettres doubles et surtout des lettres liées. »

Pourtant, Couard, ni Varinard, ni Belhomme, n’expliquent pourquoi ce faussaire subtil a choisi une écriture qui ressemble à la sienne, — ni, surtout, pourquoi le véritable auteur de la trahison, ayant imité ou décalqué l’écriture d’Esterhazy dans la pensée manifeste, s’il est pris, de lui attribuer le bordereau, ne l’a pas dénoncé. Par un dernier reste de pudeur, ou par une abominable hypocrisie, ils ne nommèrent pas Dreyfus, feignant d’ignorer qu’un autre avait été condamné pour le crime dont ils disculpaient Esterhazy.

Or, le faussaire « n’était pas un professionnel ». Il a donc eu « besoin de consulter souvent l’alphabet qui lui servait de guide, et, chaque fois qu’il y jeta un coup d’œil, il se produisit un temps d’arrêt dans le mouvement de sa main et, par suite, des hésitations, des reprises et des retouches, comme on en voit tant dans le bordereau et comme on n’en voit pas dans les écrits reconnus par Esterhazy ».

Ce rapport « enchanta » l’État-Major[88] ; Du Paty s’empressa de le communiquer en copie à Esterhazy. Mais Esterhazy le trouva absurde, et, bien plus, insuffisant ».

Pour la fameuse lettre à Mme  de Boulancy. Charavay consentit à signer, avec Varinard et Belhomme, qu’elle « pourrait être l’œuvre d’un faussaire[89] ». Esterhazy se contenta de ce doute[90]. Mais Mme  de Boulancy, que Ravary s’était bien gardé de convoquer, regimba ; elle déclara publiquement que la lettre « du Uhlan » était aussi authentique que les autres, qui avaient été reconnues par Esterhazy[91].

V

Ravary clôtura son instruction, le 30 décembre, sur ces paroles d’Esterhazy : « Je persiste à demander ma comparution devant le conseil de guerre qui, seul, peut faire éclater mon innocence et réduire à néant toutes les accusations de mes calomniateurs[92]. »

Le geste, à en croire le juge, lui parut beau ; mais sa conscience lui commandait de rester étranger à toute considération accessoire. Il tient Esterhazy pour innocent ; il le proclame.

On l’a accusé, autrefois, d’avoir triché au jeu[93]. Il fait loyalement le jeu de l’État-Major.

Le rapport de Ravary, au contraire du rapport de d’Ormescheville, était destiné à la publicité.

Il y relatait, sans en rien mettre en doute, et non sans admiration, les aventures d’Esterhazy et de la dame mystérieuse « qui avait d’abord exigé de lui le serment de respecter son incognito ». Il louait le commandant de n’avoir pas hésité à se démunir du document libérateur, « s’en remettant à ses chefs du soin de défendre son honneur menacé ». « Les conclusions, si catégoriques, des experts infirment péremptoirement l’accusation portée par Mathieu Dreyfus ». Esterhazy déclare « qu’il n’a jamais vu le bordereau avant qu’il lui fût présenté » par Pellieux. « Alors que l’identité des écritures serait encore plus grande, cela ne prouverait encore rien », car Esterhazy, à Rouen, n’a pu se procurer de renseignements ni sur les troupes de couverture, ni sur Madagascar, etc. Assurément, « la vie privée d’Esterhazy ne saurait être proposée comme modèle aux jeunes officiers ; toutefois, de ses écarts, même les plus répréhensibles », on ne saurait déduire qu’il est un traître. « L’impartialité » fait un devoir à Ravary de constater que les notes militaires de l’inculpé sont excellentes.

Puis, en regard de ce panégyrique, un acte d’accusation en règle contre Picquart. « Non seulement les dépositions des témoins présentent de nombreuses contradictions avec les dires de Picquart, mais elles révèlent, en plus, des faits extrêmement graves commis par cet officier dans le service. » Suit un vigoureux résumé des dépositions d’Henry, de Lauth et de Gribelin contre leur ancien chef. Notamment, Picquart « a profité de l’absence d’Henry pour se faire ouvrir l’armoire de cet officier et s’emparer d’un dossier contenant des pièces secrètes » ; plus tard, Henry l’a vu « compulser, avec Leblois, ce dossier d’où sortait la photographie de la pièce Canaille de D… ». « Si l’on considère que c’est une pièce identique qui a été renvoyée au ministère de la Guerre par Esterhazy, on est amené fatalement à se demander si la corrélation qui existe entre les deux faits n’est point le résultat de cette indiscrétion. » Il est vraisemblable que le petit bleu est un document frauduleux. « Le comte Esterhazy proteste de toutes ses forces contre les procédés inqualifiables employés par Picquart qui, sans mandat aucun, s’est livré à des investigations odieuses sur sa vie privée, a jeté les soupçons sur son honorabilité et commis des illégalités monstrueuses, en violant sa correspondance, allant jusqu’à faire perquisitionner dans son appartement pendant son absence. » — On croirait lire l’historique de l’enquête Pellieux, dont Ravary célèbre « la remarquable impartialité ». — Enfin, Picquart « pourrait bien avoir été l’âme de la campagne scandaleuse qui vient de se produire et dans laquelle il aurait eu l’habileté de se dissimuler et de laisser les autres porter les premiers coups ». Ravary « n’a point la mission de faire le procès de Picquart ; mais il appartiendra à l’autorité militaire d’examiner et d’apprécier ses actes et de leur donner la suite qu’il appartiendra[94] ».

Le commandant Hervieu, comme Ravary, concluait au non-lieu.

Mais Saussier, qui tenait dans la comédie le rôle du chef loyal et sévère, repoussa les conclusions du juge instructeur[95]. Il motiva, avec beaucoup de soin, son ordonnance : « Attendu que l’instruction n’a pas produit, sur tous les points, une lumière suffisante pour proclamer, en toute connaissance de cause, la non-culpabilité de l’inculpé ; attendu, en outre, qu’en raison de la netteté et de la publicité de l’accusation et de l’émotion qu’elle a occasionnée, il importe qu’il soit procédé à des débats contradictoires… » En conséquence, le gouverneur de Paris renvoyait Esterhazy, comme cela avait été entendu, avec lui, devant le premier conseil de guerre[96].

Ainsi, la collusion continuait à s’habiller de probité et d’honneur, pareille à ce personnage de roman, qui, sous de longs cheveux blancs, semblait le plus vénérable des hommes. On lui arracha un jour sa perruque et l’on vit une face de forçat.

Cependant les juges sauront, par Saussier lui-même, qu’une ordonnance de non-lieu a été proposée ; pourquoi Saussier l’écarte, — afin que la réparation soit plus solennelle ; — et, dès lors, ce qu’ils ont à faire.

Ce fut le dernier acte militaire de Saussier. Quinze jours plus tard, l’impitoyable limite d’âge l’atteignit[97]. Les sociétés militaires et patriotiques, un peuple immense, défilèrent, une dernière fois, devant le vieux soldat, et les voix de la renommée le célébrèrent comme le modèle des citoyens et des chefs. Un décret du Président de la République, sur la proposition de Billot, le maintint, hors cadre, dans la première section de l’État-Major.

Il eut honte et souffrit, mais en secret.

Mercier, vers cette époque, commit, par précaution, un nouveau crime[98]. On se souvient qu’au lendemain de la condamnation de Dreyfus, il avait ordonné de disloquer le dossier secret et brûlé lui-même la notice biographique qui avait fait la conviction des juges. Il fut pris de peur quand il connut par Boisdeffre la désobéissance d’Henry et que Picquart avait eu entre les mains les pièces secrètes et le commentaire de Du Paty. Bien que cette note imbécile n’eût pas servi, elle était la preuve de la forfaiture. Gonse, d’ordre de Boisdeffre, la remit à Mercier qui la jeta au feu[99].

VI

Scheurer, qui était allé passer quelques jours en Alsace, et Zola, quand je leur annonçai la conclusion des experts, n’y voulurent pas croire[100] ; Monod se demanda « si l’on n’avait pas donné aux experts un faux fac-similé[101] ». Quand ils surent que mon renseignement[102] était exact, ils ne doutèrent pas de l’acquittement d’Esterhazy.

Nul, d’ailleurs, n’en doutait plus ; et les uns, déjà, triomphaient, pendant que les autres se préparaient à de nouveaux combats[103].

Méline et ses principaux collègues se payaient de l’illusion que l’acquittement d’Esterhazy serait la fin de l’agitation qui troublait, depuis deux mois, la sécurité de leur règne. Au contraire, l’ardeur des partisans de la Revision redoubla. Pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils assistaient à la préparation systématique d’une iniquité ; ils en ressentirent une cruelle et salutaire douleur ; d’autant plus ils s’enthousiasmèrent de justice.

Leurs aînés avaient connu d’autres défaites, d’autres revanches du droit. Scheurer parla en leur nom :

Ce qui me reste de force et de vie, je l’ai mis au service de l’innocence opprimée ; ce don de moi-même n’est pas révocable. Nous attendrons, forts de notre conscience, la juste, l’inévitable réparation[104].

Trarieux, dans une lettre à Billot, protesta contre le simulacre de justice qui se préparait. De Picquart, on ne savait encore que les calomnies dont il avait été abreuvé ; Trarieux raconta comment Picquart avait découvert l’innocence de Dreyfus et comment il en avait été puni[105]. Mathieu révéla les démarches du contrôleur général Martinie, au nom de Billot[106].

Grand symptôme d’un prochain réveil des cœurs : pour la première fois, des femmes[107] ont fondé un journal et, tout de suite, au-dessus des passions, font entendre la voix de la Pitié.

Comme en 1894, il restait à la victoire du Mensonge un dernier obstacle : La publicité du débat. Si le témoignage de Picquart n’est pas étouffé sous le huis clos, l’acquittement devient impossible ou trop honteux. Pour savoir de quel côté est la vérité, il suffit de regarder qui demande la pleine lumière[108] et qui en a peur. À leur ordinaire, les paladins de profession agitèrent le spectre de l’étranger, les susceptibilités inquiètes de l’Allemagne. Or, toute la presse allemande affirmait que nulle objection ne viendrait de Berlin à un débat au grand jour[109] ».

Autre argument : les secrets de la défense nationale ne sauraient être livrés en pâture à la curiosité publique.

Je fis observer à Billot, dans une lettre ouverte, que le huis clos n’empêcherait pas ces secrets d’être connus de l’accusé, de l’homme qui avait écrit : « Je voudrais être tué comme capitaine de Uhlans en sabrant des Français[110] ! »

La clameur fut telle que Billot parut ébranlé. Mais Boisdeffre et Esterhazy veillaient. Si le huis clos n’est pas prononcé, toute l’œuvre si péniblement échafaudée s’écroule. Sur quoi, Billot proposa, à son ordinaire, une transaction : Esterhazy et les témoins civils, moins Leblois, seront entendus en audience publique ; Leblois et les témoins militaires (Picquart, Gonse, Henry) à huis clos. Boisdeffre accepta cette transaction, mais Esterhazy déclara aussitôt « qu’il fallait englober les experts dans le huis clos ». Boisdeffre et Gonse, qui trouvaient le rapport de Belhomme très probant, commencèrent par rejeter cette nouvelle exigence. Esterhazy se fâcha et, encore une fois, eut gain de cause. Du Paty lui écrivit : « Convenu ; les experts seront entendus à huis clos. » Les révélations de Cuers gênaient également Esterhazy ; Du Paty le rassura : « Pour l’entrevue de Bâle, appelez ou Henry ou le général Gonse. Ils en parleront, du reste, les premiers[111]. »

VII

Trarieux avait demandé à Billot que « la partie plaignante, assistée de son défenseur, pût intervenir à l’audience ; sinon, il n’y aura pas de débat contradictoire[112] ».

La question juridique est sujette à controverse. Le code militaire dispose « que les tribunaux statuent seulement sur l’action publique[113] ». Cependant, la jurisprudence et les commentateurs acceptent des exceptions à la règle, « quand les faits de la poursuite peuvent servir de base à une action ultérieure » ; le plaignant peut, alors, se faire représenter aux débats par un avocat ou un avoué. Dans le procès intenté au général Cremer et à de Serres, accusés d’avoir fait fusiller Arbinet sans jugement, la veuve du condamné avait été assistée d’un avocat[114]. Point de débat contradictoire si la partie plaignante est absente.

Bien que les chances fussent nulles de faire admettre cette prétention, qui n’avait pour elle que d’être équitable et sensée, Mathieu Dreyfus décida de tenter l’entreprise. Demange se présentera pour lui à la barre et, pour sa belle-sœur, un jeune avocat que Leblois lui avait désigné, Fernand Labori, qui avait plaidé quelques affaires retentissantes (pour les Jeunes Turcs, pour l’anarchiste Vaillant), procédurier ingénieux, orateur inégal, mais sonore et vigoureux, le geste large du théâtre, la parole vibrante. Sa qualité maîtresse était la fougue ; il la cultivait ; emporté de tempérament, il l’était encore par système. Avec cela, subtil, positif, avisé, et, sous un air de témérité, prudent et calculateur. Le prétoire, avec le trantran des affaires courantes, paraissait à cet esprit entreprenant, remuant et personnel un champ trop étroit pour ses talents et son ambition. Il avait été candidat à la députation dans la Marne, en 1898, porté par des républicains modérés et avec l’appui du parti catholique[115] ; il avait été battu par Mirman ; maintenant, il cherchait sa revanche et s’était offert au ministère pour affronter la lutte, à Reims, contre le chef du parti radical, Bourgeois. Labori n’avait pas encore la certitude que Dreyfus fût innocent[116] ; il inclinait seulement à le croire. Et, sentant les périls de la tâche qui lui était proposée, il n’accepta d’abord le dossier qu’à la condition, qui ne fut pas discutée par Mathieu, « de se faire couvrir par une commission d’office ». On appelle « avocats d’office » les avocats désignés (par le tribunal ou par le bâtonnier, aux parties pauvres ou qui n’ont pas trouvé de défenseur ; ils plaident gratuitement. Demange, avec sa loyale franchise, objecta que les deux avocats devaient se présenter dans les mêmes conditions ; or, il tenait, comme par le passé, à prendre toute sa responsabilité et il ne faisait pas consister la délicatesse à décliner des honoraires dans la plus noble des causes, alors que les avocats en reçoivent, légitimement, pour les plus douteuses. Labori renonça à ce qu’il considérait, à bon droit, « comme une sauvegarde[117] ».

Le 1er  janvier, un journaliste italien, Casella, entretint Schwarzkoppen à Berlin. Le colonel allemand, « aide de camp de l’Empereur et Roi », rappela à son interlocuteur la déclaration explicite du comte de Munster ; il ajouta : w Le bordereau n’est pas de Dreyfus. Je sais que Dreyfus n’est pas coupable. — Avez-vous connu Esterhazy ? — Je le crois capable de tout[118]. » Il n’en voulut pas dire davantage, mais, comme Casella repartait pour Paris, il lui remit une lettre pour Panizzardi.

Casella avait fait le voyage à la demande de Mathieu Dreyfus ; il lui donna rendez-vous dès son retour, mais se mit volontairement en retard. Matthieu, introduit dans la chambre de l’Italien, y aperçut sur une table, où l’autre l’avait laissée en évidence, la lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi. Il hésita, puis refusa de comprendre l’invite. Le compatriote de Machiavel lui en marqua quelque dédain, puis porta la lettre à Panizzardi. Schwarzkoppen rappelait à son ami qu’il lui avait remis, avant de quitter Paris, les photographies des pièces mentionnées au bordereau : « Comment cette canaille d’Esterhazy se tirera-t-elle d’affaire ? Même s’il est acquitté, comment pourra-t-il continuer à vivre en France[119] ? »

C’était le mot fameux sur le cardinal de Rohan : « Qu’on ne pende pas Son Éminence ; je ne sais qui dorénavant le pourra être en France. »

Une pareille lettre, si elle avait été interceptée, photographiée et publiée, eût paru un témoignage irrécusable. Casella avait soupçonné cette arrière-pensée à Schwarzkoppen. Quand Panizzardi lui donna lecture de la missive, il raconte « qu’il ne put retenir un moment de fureur ». Il courut chez Mathieu : « Vos adversaires luttent avec l’épée et le poignard ; vous ne luttez qu’avec l’épée ; vous ne savez pas combattre et vous serez vaincu. — Non, dit Mathieu, car la justice et la vérité combattent pour nous[120]. »

VIII

La veille du procès[121], Esterhazy se constitua prisonnier au Cherche-Midi. La manière dont il fut traité lui aurait appris, s’il n’avait pas lui-même réglé la comédie, que son triomphe était proche.

Le conseil de guerre se réunit dans la même salle où Dreyfus avait été condamné. Il comprenait deux commandants, deux lieutenants-colonels, deux colonels[122] et, pour président, le général de Luxer[123], Ils étaient tous certains de la trahison de Dreyfus, puisque le ministre de la Guerre lui-même, par trois fois, l’avait publiquement affirmée. Et non moins certains, dès lors, de l’innocence d’Esterhazy, car le bordereau ne peut pas être, à la fois, de l’un et de l’autre.

Nulle invitation spéciale à acquitter Esterhazy ne leur fut adressée ; à quoi bon ? L’ordre de recondamner Dreyfus a été donné à ces soldats par le chef de l’armée, du haut de la tribune, aux applaudissements des deux Chambres et de l’immense majorité du pays. L’ordre d’acquitter Esterhazy en résulte. Et les attendus de Saussier confirment l’ordre[124], précisent nettement le service que la haute armée attend d’eux : calmer l’opinion, ramener la paix dans les esprits, finir l’affaire.

Ce général, ces officiers s’apprêtent à commettre l’un des actes les plus détestables et les plus imbéciles du siècle. Quel jury, de Paris ou des départements, devant ce même acte, eût hésité ?

Sauf une poignée d’hommes, honnis, détestés, mais invincibles, la nation tout entière eût acquitté Esterhazy, sans voir, sans savoir, sans vouloir ni voir ni savoir.

Le principe même de la Révolution, c’est la souveraineté du nombre. Mais le nombre est faillible, autant que l’individu. Son droit souverain, sa capacité de juger ne sont point corrélatifs. Et, nulle part plus qu’en matière judiciaire, il n’est sujet à erreur. D’avance, il a condamné Dreyfus ; d’avance, il acquitte Esterhazy.

L’acquittement paraît plus monstrueux que la condamnation ; mais la fermentation aussi est plus forte, la folie plus intense. Et ces juges ne le sont que de nom. Ce sont des soldats imbus de l’esprit de corps, façonnés par la discipline[125].

Vous croyez être dans un tribunal ; or, vous êtes à l’exercice, sur un champ de manœuvre, sur un champ de bataille. Le général a levé son épée : « Chargez ! » Les colonels lèvent leurs épées et répètent : « Chargez ! » Ainsi de suite, jusqu’aux chefs d’escadron, aux simples capitaines.

Ce qui ne paraît pas moins extraordinaire, mais ce qui n’est pas moins exact, ces soldats, qui vont acquitter ce traître, se croient, se sentent libres. Ils protesteront, avec une sincère colère, et, de plus, avec une raison apparente, quand on les accusera d’avoir acquitté par ordre. Au fait, leur libre arbitre est-il beaucoup plus étroit que celui de la plupart des hommes, dans toutes les circonstances de la vie, dominés, dirigés, poussés par des causes et des mobiles qu’ils ignorent, par l’atavisme, par l’éducation, par le milieu ?

J’ai sous les yeux la lettre d’un officier, camarade de régiment d’Esterhazy, qui, depuis quinze ans, professait pour lui un grand mépris, qui, déjà en Tunisie, l’avait cru espion, qui était convaincu de l’innocence de Dreyfus, homme de science, d’ailleurs, et d’esprit philosophique. Quatre jours avant le procès[126], il écrit : « Cependant, si j’étais membre du conseil de guerre, j’acquitterais. » Et cela, il l’écrit sans embarras, l’esprit en repos.

Au lendemain de la dénonciation d’Esterhazy par Mathieu Dreyfus, un général dit à un diplomate : « Enfin ! ce misérable va être démasqué. » Or, dans le dossier qui est là, sur cette table, devant les juges, il y a un certificat donné par lui-même, depuis huit jours, à Esterhazy. Il s’en excuse d’un mot : « La discipline a de dures exigences. » Et, le soir de l’acquittement, un des juges, qui avait connu Esterhazy, ses friponneries et l’ignominie de sa vie, dira, la conscience plus légère : « Je tremblais de le trouver coupable. »

IX

L’affaire fut vivement enlevée, en deux jours[127], à deux séances par jour.

Le conseil repoussa, d’abord, les conclusions de Lucie et de Mathieu Dreyfus, tendant à être autorisés à intervenir dans les débats, subsidiairement à y assister.

Labori plaida au fond ; Demange, en quelques mots, invoqua, « au-dessus de la loi silencieuse, les règles immuables de la justice ». Non seulement le commissaire du Gouvernement leur répliqua[128], mais l’avocat d’Esterhazy, comme s’il eût redouté de voir accueillir la requête des plaignants.

À l’unanimité, les conclusions furent rejetées, et, notamment, par ce motif que le conseil n’avait pas à statuer sur le cas de « l’ex-capitaine Dreyfus, justement et légalement condamné[129] ». Les juges eussent pu s’en tenir à cet arrêt : si Dreyfus est coupable, Esterhazy est innocent.

Le greffier appela les témoins, qui se tenaient dans une salle voisine. Pour la première fois[130], Picquart y vit Scheurer, Mathieu, Lucie Dreyfus. Il dit à Mathieu : « Vous n’avez pas à me remercier ; j’ai obéi à ma conscience[131]. » À Scheurer : » Je serai mis en prison, condamné, déporté. Peu m’importe. Je ferai mon devoir, Dreyfus est innocent, je le jure[132]. »

Les témoins militaires (sauf Bernheim) s’écartèrent de lui, méprisants, mais s’empressèrent autour de la fille Pays.

Il s’isola, près d’une fenêtre, « regardant courir les nuages au-dessus des arbres du vieux jardin » et, d’un geste fréquent, passant sa main sur son front[133].

C’était le premier contact direct entre les deux partis.

Picquart avait pratiqué ces hommes, ses chefs ou ses subordonnés d’hier ; mais il commençait seulement à les connaître ; ils étaient des inconnus pour Scheurer et, sauf Du Paty, pour Mathieu. Gonse circulait, ennuyé d’être là, mais Esterhazy avait exigé qu’il déposât[134]. La figure de Lauth, taillée au couteau, dure, méchante, sur un corps mince et souple, respirait la haine. Du Paty posait, le corps droit, la tête haute, le monocle dans l’œil. Et Henry, avec son aspect de boucher, le sang toujours au visage, lourd, massif, frôlait Mathieu, semblait chercher une querelle[135].

Leblois était parti l’avant-veille pour Strasbourg, où son père, le vieux pasteur du Temple Neuf, venait de mourir. Il l’enterre aujourd’hui, mais il sera là demain.

Le greffier appela les témoins, qui défilèrent devant le conseil, puis rentrèrent dans leur chambre. Le rapport de Ravary fut lu par Vallecalle, en leur absence. Trarieux, Jaurès, d’autres spectateurs encore, observèrent que les mêmes faits avaient été invoqués comme des charges contre Dreyfus et, maintenant, étaient portés à la décharge d’Esterhazy[136].

Le commissaire du Gouvernement avait précédemment réclamé le huis clos ; le conseil rendit aussitôt son jugement, à la majorité de cinq voix contre deux : « Les débats seront publics jusqu’au moment où leur publicité paraîtra devenir dangereuse pour la défense nationale[137]. » On a vu que ce moment avait été précisé par Esterhazy : jusqu’à l’audition des témoins militaires et des experts.

À la séance de l’après-midi, le général de Luxer interrogea Esterhazy, d’une voix sèche ; l’accusé, très calme, avec une parfaite désinvolture, raconta, pour la centième fois, son roman de la « dame voilée ». Le général montra quelque curiosité : « Quel intérêt avait-elle à vous renseigner ? — Elle semblait poussée par un besoin impérieux de défendre un malheureux. — Pourquoi se cachait-elle, ayant quelque chose à dire dans l’intérêt de la vérité ? — J’ai juré de ne pas chercher à savoir d’où lui venaient ses renseignements. » Luxer observe que la police a cherché en vain les cochers qui l’avaient conduite à ses rendez-vous. Esterhazy, décidément, trouve le beau général trop bête et réplique, transcendant d’ironie, mais en gardant une attitude très militaire : « Tout ce que j’ai dit est aussi vrai que je suis innocent[138]. »

Sur tout le reste, il fit à peu près les mêmes réponses qu’à Pellieux et à Ravary. Cependant, il ajouta à ses mensonges ordinaires une sottise qui eût suffi, à elle seule, devant des juges non prévenus, à le convaincre de son crime. Il racontait les prétendues perquisitions qui auraient été faites chez lui, à l’automne de 1896, « des cambriolages opérés sans mandat, sans droit, pendant des mois, au mépris de toute justice et de toute protection due à un citoyen ». Il s’en était aperçu à son retour de la campagne. Les armoires étaient forcées, ses correspondances bouleversées ; un carnet de notes, prises par son père en Crimée, avait été volé.

« Qu’avez-vous supposé ? » lui demanda Luxer. Il n’avait rien supposé du tout, puisqu’il n’y avait pas eu, chez lui, la moindre perquisition. Il répondit : « Que c’était Mathieu Dreyfus ! »

Pour qu’il eût pu faire alors une telle hypothèse, il eût fallu que, déjà, il se crût soupçonné, par le frère du condamné, d’être l’auteur du bordereau. Or, à l’automne de 1896, Mathieu Dreyfus ignorait son nom.

Une lueur traversa-t-elle le cerveau du général, ou demanda-t-il, sans penser à mal, à quelle date exacte l’accusé s’était rendu compte de ces incidents ?[139] Esterhazy, en tous cas, s’effraya de sa bévue et, cherchant à s’en tirer, s’embourba davantage. Il dit qu’il avait constaté « ces actes abominables », au moment même où il avait été dénoncé par Mathieu (quoi ! plus d’un an après le départ de Picquart !), mais que déjà, en octobre 1896, il avait eu les preuves d’un premier cambriolage ; seulement, il l’avait mis sur le compte de domestiques qu’il renvoya. On avait pénétré chez lui « des masses de fois ».

Luxer, n’y comprenant plus rien, n’insista pas. Si les plaignants avaient pu suivre les débats, poser des questions, Esterhazy, enserré, quelque souple qu’il fût, était pris.

On glissa sur les lettres à Mme  de Boulancy : « Il y en a une que je nie formellement. » Il refusa de dire ce qu’était le document libérateur : « Le ministre m’en a accusé réception. »

Sur une observation plus dure de Luxer, il reconnut qu’il était endetté, qu’il avait une liaison irrégulière, « mais c’était une faute et non un crime » ; enfin, il demanda que lecture fût donnée de ses notes, qui étaient excellentes[140].

Il avait parlé avec sa verve ordinaire, jouant très bien le personnage du reître calomnié. Le public lui était très sympathique.

Au contraire, les dépositions de Mathieu et de Scheurer furent accueillies par des rires ironiques et des rumeurs.

Pellieux, en civil, était assis derrière Luxer[141], entouré d’officiers qui donnèrent le signal des manifestations hostiles.

Mathieu, très maître de lui, énuméra les preuves qu’Esterhazy était l’auteur du bordereau, le convainquit, à plusieurs reprises, de mensonge[142]. Tézenas le harcela au sujet des fac-similés qu’il avait fait répandre à profusion : c’est pour chercher à fausser la justice » ; des sommes énormes ont été dépensées : « Vous avez le droit de défendre votre frère devant les juges, mais pas ailleurs » (c’est-à-dire : devant l’opinion). Mathieu, bravement, répondit : « Je le défends partout. » On le hua[143].

Pendant qu’il déposait, il regarda fixement Esterhazy qui détourna la tête.

À la pensée de son frère, ruiné, brisé par le crime de ce misérable, les sanglots lui montaient à la gorge. Mais il les refoula, parla d’une voix haute et claire. Toutes ; les puissances sociales, qui s’étaient coalisées pour perdre son frère, l’étaient, à nouveau, pour sauver le traître. Son patriotisme ardent d’Alsacien n’en fut pas diminué. Sa fermeté, sa droiture ne se démentirent jamais.

Scheurer, avec sa simplicité ordinaire, d’une voix grave, raconta la genèse de sa conviction, ses longues recherches et ses pénibles démarches. Quand il eut achevé cette sorte de confession publique, il attesta, très haut, sa certitude que Dreyfus était innocent. Il parut faiblir sur l’attribution du bordereau à Esterhazy, quand il dit cette parole d’honnête homme : « Étant un homme, je puis me tromper. » Il expliqua sa pensée : « Il importe peu que le bordereau soit attribué à celui-ci ou à un autre ; Dreyfus n’en est pas l’auteur. » Des officiers ricanèrent[144]. Il les interpella : « Ah ! vous trouvez cela drôle ! »

Pour la première fois de sa longue vie, les militaires, chamarrés, couverts de décorations, produisirent sur lui une impression pénible. Il en ressentit une nouvelle amertume contre les hommes qui lui avaient fait perdre ses chères illusions[145].

Le gérant de la maison où demeurait Esterhazy fut confronté avec Marguerite Pays, « rentière », qui nia les propos qu’elle lui avait tenus. Autant maintint sa déposition. Le commissaire Hervieu intervint durement : « Vous ne me paraissez pas très bienveillant ? Je ne comprends pas pourquoi vous déposez ainsi. » Le témoin répliqua : « Je n’ai pas à être bienveillant ! » et demanda si sa parole ne valait pas celle de la maîtresse d’Esterhazy[146].

Weil en savait long ; mais Drumont l’avait averti « qu’il ne lui échapperait pas, s’il se permettait de hausser le ton[147] ». Il raconta seulement les démarches qu’il avait faites pour venir en aide à Esterhazy. Celui-ci l’insulta : « J’ai failli mettre deux fois l’épée à la main pour lui ; je lui ai sauvé l’honneur deux fois. »

Après la déposition du directeur de l’Alibi-office, le conseil prononça le huis clos ; et le procès de Picquart commença.

Ce « contraste outrageant[148] » entre la publicité de l’attaque contre un homme et le huis clos de sa défense indigna seulement quelques républicains.

S’il ne savait rien des accusations portées contre lui, n’ayant pas assisté à la lecture du rapport Ravary[149], Picquart ne se faisait nulle illusion sur l’issue du combat ; mais, fort de sa conscience, sûr de sa mémoire, sûr aussi qu’à se tenir ferme à la rampe de la vérité, il ne risquait que de nouvelles persécutions, il développa jusqu’au soir son réquisitoire contre Esterhazy. Les juges, qui avaient cru le voir paraître en posture humble d’accusé, furent surpris d’entendre un accusateur. Un seul, Rivals, sembla favorable. Les autres étaient hostiles, ne comprenaient d’ailleurs pas grand’chose.

Pellieux n’était pas intervenu à l’audience publique[150]. Dès que le huis clos fut prononcé, il prit une part active aux débats, et, de sa voix hautaine, ironique et dure, chaque fois que Picquart parlait de Billot ou de Boisdeffre, il l’arrêtait, lui défendait de mêler ces grands noms à une telle affaire[151].

Quelques officiers, admis à assister aux débats, lui faisaient des signes désespérés pour qu’il se tût des grands chefs. Mais Picquart poursuivit son récit. Certaines interruptions, que Pellieux fit en ricanant, lui parurent inintelligibles, parce qu’il ignorait tout des mensonges d’Henry et de Lauth. Il ne comprit qu’après l’audience, quand il lut, dans les journaux, le rapport de Ravary[152].

Luxer lui réclama les lettres de Gonse[153] ; Picquart les remit aussitôt ; mais il n’en fut pas donné lecture.

Tout le temps qu’il parla, Esterhazy, l’œil sombre et mauvais, agité de mouvements nerveux, semblait un serpent à qui l’on marche sur la queue, qui se retourne pour mordre et qui n’ose pas.

Tézenas fut surpris, mais sa conviction préétablie qu’Esterhazy était la victime d’une machination fut plus forte que l’évidence.

Le lendemain matin, comme Picquart complétait sa déposition, il fut tellement harcelé par les deux généraux et d’un tel ton, avec une animosité si acerbe, que le commandant Rivals intervint : « Je vois, dit-il, que le colonel Picquart est le véritable accusé. Je demande qu’il soit autorisé à présenter toutes les explications nécessaires pour sa défense. »

Luxer y consentit, Picquart put achever sa démonstration ; et, comme il savait maintenant de quelles calomnies il avait été accablé, il insista « pour être confronté avec tous les témoins dont les allégations seraient contradictoires avec les siennes ou tendraient à l’incriminer ». Il se retira, et le conseil entendit Gonse, Lauth et Henry, qui le chargèrent avec violence. Quand Henry eut terminé, Picquart fut rappelé et confronté avec lui. Il le prit de très haut, notamment, il somma Henry de préciser son imposture au sujet du dossier secret et de la pièce qui était devenue le document libérateur : « À quelle époque m’avez-vous vu compulser le dossier avec Leblois ? » Henry bredouilla que c’était à l’automne, et Pellieux, lui venant en aide, observa que, vraiment, il était difficile, à cette distance (d’un an), de donner une date exacte. Mais Picquart insista. Henry finit par dire que c’était peu après son retour de permission, en octobre[154]. « Écrivez, Messieurs les juges, dit Picquart ; consignez cette date : à cette époque, Leblois n’était pas rentré à Paris ; vous l’entendrez, vous me confronterez avec Gribelin. »

Mais les juges s’en gardèrent, et Picquart ne fut confronté ni avec Gribelin ni avec Lauth. Leblois fut entendu contradictoirement avec Henry, mais la question de la date, qui emportait le reste, ne fut pas posée à nouveau ; et Leblois ne la souleva pas, pour n’avoir point à dire à des officiers qu’il avait passé ses vacances en Allemagne. Le débat porta sur le point de savoir si le dossier secret « se trouvait » sur la table de Picquart quand Leblois était venu voir son ami (à une date indéterminée). Henry l’affirmait ; Leblois dit qu’il n’en savait rien, qu’il fallait le demander à Picquart. Henry, prudent, sans faire aucune mention de la pièce Canaille de D…, dit que Leblois avait certainement vu une grande enveloppe avec les mots : « Dossier secret » ; Leblois le nia formellement[155], réclama un supplément d’enquête ; Pellieux et Tézenas s’y opposèrent.

L’honorabilité d’Henry et de Gribelin « rendait leur témoignage inattaquable[156]. » Les menteurs, c’étaient Leblois et Picquart.

Déposèrent ensuite Curé et Mulot, Du Paty et Bertillon, sur les questions que Picquart leur avait posées au cours de son enquête ; Junck et Valdant, qui confirmèrent les dires de Lauth et d’Henry ; le commandant Bergougnan, ami d’Esterhazy ; et l’expert Belhomme « pendant quelques minutes[157] ». Les autres experts et le lieutenant Bernheim[158], qui avait été convoqué au sujet du manuel, ne furent pas entendus.

Pellieux fit communiquer au conseil de guerre le rapport des experts sur les lettres à Mme  de Boulancy. Il pensait que, « dans l’intérêt d’une bonne justice, il ne devait subsister aucun doute dans l’esprit des juges[159] ».

Esterhazy écoutait distraitement, l’air d’un spectateur qui s’ennuie au théâtre, à une méchante pièce.

Vers le soir, l’un des secrétaires de Tézenas entra dans la salle des témoins et annonça que Picquart serait arrêté après l’audience[160].

Il ne broncha pas, demanda à Mathieu des nouvelles de son frère[161].

X

Le commissaire du gouvernement prononça quelques paroles, abandonna l’accusation. Cependant Tézenas plaida longuement, cinq heures d’horloge.

Il était malade (d’une cruelle sciatique), se traînait à peine : il avait fallu le porter à l’audience. Et, suivant les débats avec une attention soutenue, paraissant, pour la première fois, à une barre de conseil de guerre, il avait été ému par le ton sec et dur de Luxer interrogeant Esterhazy. Celui-ci le rassurait : « Mon acquittement est certain. — Il faut faire, lui dit Tézenas, comme si vous pouviez être condamné. » Et, comme il eût fait aux assises, il plaida à fond, méthodiquement, sur tous les points. Il affirma l’existence de la dame voilée (qu’il identifiait, à part lui, sur des propos intentionnellement échappés à Esterhazy, avec la marquise Du Paty). À la vérité, le rapport des experts le gênait ; il le trouvait obscur, incompréhensible. Mais sa foi n’en fut pas ébranlée. La preuve de la machination, c’est l’histoire du manuscrit d’Eupatoria (il y insista beaucoup) et, encore, les procédés suspects de Picquart, convaincu de mensonge par ces témoins irrécusables : Gonse, Henry, Junck, Lauth, l’élite de l’impeccable État-Major.

Cette plaidoirie, si minutieuse, donna aux juges l’illusion qu’ils allaient statuer dans la pleine et entière liberté de leur conscience. Ils se retirèrent dans la chambre du conseil. Les gardes emmenèrent Esterhazy. En traversant la salle des témoins, comme il passait devant Picquart, il salua.

La délibération dura trois minutes[162].

Les portes de la salle furent rouvertes au public et aux témoins ; Picquart se plaça au premier rang.

Le général de Luxer donna alors, d’une voix ferme, lecture du jugement : à l’unanimité, Esterhazy était acquitté[163].

Un tonnerre d’applaudissements et de cris éclate : « Vive la France ! À bas le Syndicat ! »

Le président fait à nouveau évacuer la salle, puis, suivi des juges, se retire[164]. On introduit alors Esterhazy. Le greffier, devant la garde assemblée qui présente les armes, donne lecture du jugement : « Au nom du peuple français… »

Esterhazy, insensible, sans un muscle qui tressaille, reçoit alors les félicitations de ses amis, journalistes, officiers, et d’inconnus, de femmes qui tiennent à honneur de lui serrer la main. Un vieil adjudant à moustaches blanches, la poitrine constellée de décorations, lui donne l’accolade. Émotion factice chez quelques-uns, sincère chez presque tous. Tous ces yeux pleins de larmes ne sont point menteurs.

Saussier, vite prévenu, s’est empressé de signer et d’envoyer l’ordre de mise en liberté.

Esterhazy a peine à se frayer un passage à travers la foule pour rentrer à la prison, y procéder à la formalité de la levée d’écrou et revêtir, modestement, un costume civil.

Mille à quinze cents hommes assiègent les abords du Cherche-Midi, poussent des acclamations ; les mains se tendent vers le triomphateur. Quand il franchit le seuil de la prison, une voix forte s’écrie : « Chapeau bas devant le martyr des Juifs ! » Et tous se découvrent.

Picquart, Mathieu, ont pu disparaître, sans être reconnus, dans la nuit.

Mais ce peuple en délire veut revoir encore son héros ; il attend dans la rue étroite, les rangs pressés, brise la barrière trop faible de la police.

Enfin, l’homme apparaît, entouré d’officiers et d’amis, et un cri immense s’élève, s’étend, de rue en rue, à travers Paris : « Vive Esterhazy ! Vive l’Armée[165] ! »

  1. Il déclarait, dans son article du 13 décembre, qu’il se retirait momentanément, « parce qu’il n’avait pas toute l’opinion publique pour lui et que la raison d’État lui en faisait un devoir ». Son co-gérant, Périvier, le remplaça. Il était également convaincu de l’innocence de Dreyfus, mais s’en taisait.
  2. La Vérité en marche, 38.
  3. Au Journal des Débats, Heurteau et Charmes avaient commencé par hésiter : Jules Dietz, quand ils se furent prononcés contre la Revision, refusa de les suivre, cessa toute collaboration politique.
  4. 22 décembre 1897 : « Bonne chance, camarade ! »
  5. 7 janvier 1898.
  6. Rennes, III, 420, Trarieux.
  7. Lettre à Cassagnac. (Autorité du 1er  décembre 1897, etc.)
  8. Procès Zola, I, 394, Jaurès.
  9. Procès Zola I, 189, 190, Trarieux.
  10. Du 3 janvier 1898, en faux et usage de faux. Il dénonçait Souffrain comme l’auteur du télégramme Speranza. — Pellieux dit « qu’il mit Picquart en présence de sa propre certitude, qu’il avait acquise par une enquête à la préfecture de police », que Souffrain, malgré ses dénégations, était l’auteur de la dépêche. (Procès Zola, I, 265.) « Une jeune fille employée au bureau de poste avait reconnu Souffrain dans une douzaine de photographies qu’on lui avait présentées. » (Cass., I, 103, Roget.) D’autre part, Pellieux contesta que Souffrain pût être l’agent d’Esterhazy, ce qui, au contraire, confirma Picquart dans ses soupçons. — En ce qui concerne le télégramme Blanche, Picquart porta plainte contre « inconnu », mais il se réservait de mettre en cause Du Paty. — Bertulus fut « requis », le 28 janvier, d’avoir à instruire en faux, usage de faux et complicité contre X. (Cass., I, 220.)
  11. Cass., II, 280. — Cordier, et Mercier lui-même, font un récit analogue : Sandherr n’eut à repousser aucune offre. (Rennes, II, 517 et 555.) — Voir t. I, 366.
  12. 29 décembre 1897.
  13. Sous le nom d’Émile Durand.
  14. Intransigeant (antidaté) des 25, 26 et 27 décembre.
  15. Dans le Temps du 25.
  16. 31 décembre 1897.
  17. Aurore du 12.
  18. Intransigeant du 12.
  19. 12 et 14 décembre 1897.
  20. Écho de Paris des 18 et 20, Éclair, etc.
  21. Libre Parole, Écho de Paris. Patrie, du 1er  janvier 1898. — Leblois se rendit aussitôt au gouvernement de Paris et au ministère de la Guerre pour déclarer qu’il n’avait jamais eu de pareille pièce entre les mains. (Instr. Fabre, 202.)
  22. Louis XIV évoqua l’affaire devant le Conseil d’État, par arrêt du 18 avril 1670. L’évocation, dans l’ancien droit, participait à la fois de l’antique translatio litis et de la moderne Cassation ; elle signifiait que le Roi tenait pour mal rendus les jugements et arrêts qu’il avait retenus.
  23. Dépêche coloniale du 26 novembre 1897 : « Pendant que l’on discute en France l’affaire Dreyfus, le Gouvernement ne néglige pas d’assurer la garde du condamné de l’île du Diable. Le nombre des surveillants a été porté de 7 à 13. »
  24. Lucien Leuwen, 8.
  25. Lanterne du 30 novembre 1897.
  26. Petite République du 11 décembre : « Si la terrible sentence avait accablé un pauvre homme, sans relations, sans fortune… Autour du procès, ce sont deux fractions de la classe privilégiée qui se heurtent ; les groupements opportunistes, protestants et juifs, d’un côté, les groupements cléricaux et militaires, de l’autre, sont aux prises. » Dans le même article, où les contradictions abondent, Jaurès dénonce la communication des pièces secrètes « comme le crime des crimes » ; Mercier et ses associés sont « des Judas qui trahissent le droit de l’humanité ».
  27. Temps du 6 janvier 1898.
  28. Picquart déposa les 9, 10, 13, 28 et 29 décembre ; Henry le 10 ; Gribelin le 11 et le 15 ; Lauth le 13 ; Gonse le 14 ; Junck le 16.
  29. Cass., I, 586 ; Dép. à Londres, 5 mars 1900, Esterhazy.
  30. Dép. à Londres, 1er  mars 1900 ; lettre signée Hy. — Boisdeffre affirme n’avoir été « mêlé en rien à l’affaire Esterhazy ; l’instruction s’est faite sous la direction de Saussier ; il s’est tenu absolument à l’écart ». (Procès Zola, I, 139.)
  31. Cass., I, 587, Esterhazy.
  32. Note du 14 décembre 1897. (Dép. à Londres, 5 mars 1900.)
  33. Instr. Ravary, 15 décembre. (Cass., II, 118.
  34. Procès Zola, II, 176, Stock.
  35. Instr. Ravary, 20 décembre, Mathieu Dreyfus.
  36. Procès Esterhazy, 164, Ferret-Pochon.
  37. Instr. Ravary, 21 décembre, Esterhazy.
  38. Louis Léger, Mém. de la Société de linguistique, V, 41. — Littré, à tort, fait venir Uhlan de ula, lance « en polonais ». Lance, en polonais, c’est lança ou kopja.
  39. Procès Esterhazy, 143, Mathieu Dreyfus.
  40. Ibid., 145, Mathieu Dreyfus. — La lettre lui avait été remise par le grand rabbin (Cass., I, 310, Zadoc-Kahn).
  41. Procès Zola, I, 296, Picquart.
  42. Instr. Ravary, 29 décembre 1897, Weil.
  43. Ibid., 30 décembre, (Cass., II, 120).
  44. Paul Marion, ancien rédacteur à la République française.
  45. Instr. Ravary, 20 décembre, Mathieu Dreyfus.
  46. Ibid., 21 décembre, Esterhazy (Cass., II, 119).
  47. Procès Esterhazy, 145, Mathieu Dreyfus.
  48. Instr. Ravary, 8 décembre, Esterhazy.
  49. Cass., I, 204, Picquart.
  50. Procès Zola, I, 295, 348, Picquart.
  51. Ceux du train et de la gare de Meaux.
  52. Lettre de Tézenas (du 10 décembre 1897) à Ravary. (Cass., II, 229.)
  53. « Le général Billot ne veut pas de cette audition gênante pour son ami Reinach ; mais mon droit est absolu. » (Dép. à Londres.)
  54. 14 décembre.
  55. Instr. Ravary, 15 et 16 décembre. Dupré, Vandembossche, Royne (Cass., II, 299 à 303). Les autres employés déclarèrent n’avoir aucun souvenir précis. Ravary avait rendu une ordonnance prescrivant de saisir ma serviette (qui m’avait été rendue le soir même).
  56. 18 décembre.
  57. Il me dit, notamment, que le bordereau, comme la lettre à Mme  de Boulancy, avait été fabriqué par le procédé indiqué dans l’article d’Émile Gautier (Voir p. 117) ; Esterhazy lui en avait fait la démonstration.
  58. Il tint le même raisonnement à Mathieu Dreyfus.
  59. Instr. Ravary, 8 décembre 1897. (Cass., II, 117.)
  60. Pellieux l’avait mise sous scellés, à la suite de la confrontation du 30 novembre entre Esterhazy et Mme  de Boulancy qui, tous deux, signèrent avec lui sur l’enveloppe.
  61. Rennes, II, 567, Belhomme.
  62. Dép. à Londres, 1er  mars 1900.
  63. Même déposition.
  64. 14 décembre 1897. (Pièce n° 2.)
  65. Dép. à Londres, 1er  mars 1900.
  66. Cass., I, 587, Esterhazy.
  67. Cass., I, 506 : Rennes, II, 475, Couard ; 571, Belhomme.
  68. Rennes, II, 570. 571. Belhomme. — En fait, il modifia plusieurs des signes caractéristiques de son écriture, boucla ses f, redressa les M majuscules. (Note de Mornard.)
  69. Dép. à Londres, 5 mars 1900.
  70. Lettre du 8 décembre 1897, (Pièce n° 17.)
  71. Cass., II, 250, Esterhazy ; Dép. à Londres (Éd. de Bruxelles), 71 : « Je trouvai étrange que les experts obéissent si rapidement à l’impulsion qui les dirigeait dans la question du bordereau et fussent si longs à se décider dans l’autre affaire. » En effet, ils étaient saisis depuis le 30 novembre de la lettre « du Uhlan », et, seulement depuis le 12 décembre, du bordereau.
  72. Cette visite est avouée par Belhomme : « Il vint me confirmer ses dires devant Ravary. » (Rennes, II, 573.)
  73. Rennes, II, 573, Belhomme : « C’est ce que désirait Esterhazy. »
  74. Cass., I, 224. Bertulus : « Il me répondit : « Ce sont des notes destinées à un général. » Il n’a pas dit à quel général. »
  75. Variante, sur l’autre brouillon : « Comme vous le pensiez. »
  76. Ces cinq mots sont supprimés sur l’autre brouillon.
  77. Variante : « Ce Belhomme est complètement gâteux. »
  78. Variante : « M’assassinent ».
  79. L’autre brouillon s’arrête là.
  80. Cass., Instr. Bertulus ; Cass., II, 234, Instr. Bertulus, notes saisies chez Esterhazy, scellé no 1, communiquées, le 27 septembre 1898 par le garde des Sceaux au procureur général.
  81. Enq. Bertulus, 11 juillet 1898, Christian ; 19 juillet, Esterhazy.
  82. Dans sa déposition à Londres (1er  mars 1900), il dit : « Je me mis en colère : je reçus alors une note m’annonçant que les experts reviendraient sur leur avis, et il en fut fait ainsi. » — Cass., II. 250 : « J’ai invité Christian à aller chez Du Paty pour le prier de presser le dépôt du rapport. »
  83. Cass., II, 232 ; Mémoire, 70 et 103, Christian. — « Quelques jours après, dit Christian (II, 232), une explication eut lieu entre Du Paty et Mme  Pays, et celle-ci, au nom d’Esterhazy, désavoua ma démarche ; je n’ai pas revu Du Paty. » — Du Paty raconte qu’il mit Christian à la porte (Cass., II, 195). — Plus tard, Esterhazy écrivit à Christian : « Du Paty ne t’en veut nullement. » (II, 232, 249.)
  84. Rennes, II, 477, Couard.
  85. 26 décembre 1897.
  86. Plus tard, Couard (Cass., I, 504 ; Rennes II, 485) et Belhomme (Cass., I, 508) dirent que « seulement quatre ou cinq mots, tant au recto qu’au verso, avaient pu être calqués ».
  87. Rapport Ravary.
  88. Billot (Cass., I, 13) dit qu’il ne s’occupa pas de l’expertise : « Je, n’ai pas pu entrer dans les détails. »
  89. Rapport du 9 janvier 1898 au général de Pellieux : « Cette pièce nous paraît être d’une origine très suspecte et nous semble plutôt une imitation courante et à main levée de l’écriture du commandant Esterhazy qu’une pièce originale. » — Procès Zola, II, 88, Pellieux ; 84, Varinard. « Le rapport des experts, demande le président, a dit que c’était un faux, n’est-ce pas ? — Pellieux : Je ne me rappelle pas exactement les termes. — Varinard : Je ne me rappelle pas non plus les termes exacts du rapport. — Me  Clemenceau : Je crois que les experts ont dit que, s’il y avait un doute, il devait profiter à l’accusé. » (II. 89.) — Varinard, au lendemain de l’acquittement d’Esterhazy, avait été plus catégorique : « Cette lettre est faite de toutes pièces. Les retouches y sont nombreuses. Or, Esterhazy ne retouche jamais son écriture ; elle est entière comme son caractère. » Charavay y mit plus de réserve : « La lettre nous a paru plutôt l’œuvre d’un faussaire habile qu’un original. Elle exprime des sentiments très spéciaux qui, à cette époque, cela ressort de l’enquête, ne pouvaient être ceux d’Esterhazy. Il y avait des doutes qui devaient profiter à l’accusé. » (Matin du 15 janvier 1898.)
  90. Pellieux lui fit communiquer le rapport des experts (Procès Zola, I, 483). — Le 24 décembre, Esterhazy avait écrit à Pellieux une lettre pressante au sujet de « l’expertise Boulancy ». Pellieux lui répondit le 29 : « Le général de Pellieux a l’honneur de faire connaître au commandant Esterhazy que les experts n’ont pas encore déposé leur rapport…, etc. » (Scellés Bertulus, 23.)
  91. Temps du 28 décembre 1897.
  92. Cass., II, 120. Esterhazy.
  93. Droits de l’Homme du 12 janvier 1889 : Aurore, etc. D’ailleurs, on n’en fournissait nulle preuve.
  94. Ravary communiqua son rapport à Bertulus qui lui dit : « Tant que vous n’aurez pas établi que le petit bleu est un faux, et que ce faux est l’œuvre de Picquart, rien ne tient. » (Cass., I, 220.)
  95. Au procès Zola (I, 267), Pellieux dit que Saussier refusa de rendre l’ordonnance de non-lieu, « malgré l’opinion de beaucoup d’autorités supérieures à la sienne », que Saussier voulut que l’affaire allât jusqu’au bout et qu’Esterhazy fût jugé par ses pairs, etc. Pellieux convient, d’ailleurs, qu’Esterhazy ne se présenta pas devant le conseil « comme un accusé ». Billot (Cass., I, 13) affirme qu’il laissa Saussier entièrement libre de sa décision. À Rennes (I, 174), il raconte que « les ministres, réunis autour du chef de l’État, le 1er  janvier, inclinaient à accepter le non-lieu », mais « qu’il conféra avec Saussier et lui laissa la liberté que la loi lui accordait ». Saussier, après avoir délibéré longuement, se serait écrié : Alea jacta est !
  96. Ordre de mise en jugement du 2 janvier 1898. — Rochefort dit que le renvoi d’Esterhazy devant un conseil de guerre était « un acte de colossal bon plaisir », une « infamie » ; de même, Drumont. Cassagnac injuria « le Syndicat juif », affirma « qu’Esterhazy n’était pas le traître », mais ajouta : « Le procès sera un procès de complaisance. »
  97. 16 janvier 1898.
  98. Art. 439 du Code pénal.
  99. Cass., I, 568 ; II, 340, Gonse ; II, 339, Mercier. — « Le fait, dit Gonse, s’est passé fin décembre 1897. »
  100. Scheurer m’écrivit : « Je ne crois pas à l’histoire d’un rapport défavorable des experts, parce que, jusqu’à preuve du contraire, je ne crois pas à la coquinerie de ces trois hommes. Nous dépendons de trois consciences… » Cependant, il était inquiet, mais sans rien regretter « de la campagne de justice et d’honneur que nous avons entreprise au milieu d’inavouables passions et d’intérêts méprisables ». (De Thann, le 29 décembre 1897.)
  101. Notes inédites.
  102. Je le tenais de Mathieu Dreyfus, qui le savait du greffier Vallecalle.
  103. De Scheurer : « Quel soufflet appliqué sur la joue de la France par les Jésuites ! C’est cela qui me fait souffrir ! » (31 décembre.) « Je ne me sens ni découragé ni en détresse. J’ai eu un moment de désespoir après avoir reçu votre lettre sur le résultat de l’expertise. J’ai vivement ressenti la responsabilité que j’ai encourue à l’endroit du martyr de l’île du Diable et j’ai fait l’examen de ma conduite depuis le commencement de la lutte. Le lendemain, j’avais repris ma sérénité et ma confiance dans la justice immanente. Ne m’avez-vous pas rappelé récemment que l’affaire Calas a duré trois années ? Je sais bien que le mort pouvait attendre… Je me résigne, sans peine, à tout ce qu’une défaite pareille peut me réserver et réserver à ceux qui m’ont accompagné. Mais rien ne me fera renoncer, mon cher ami, à l’œuvre commencée ; j’y ai mis toute ma réflexion et tout mon cœur… Seulement il faut savoir attendre ; c’est ce qu’il y a de plus difficile pour nous autres Français. » (Du 3 janvier 1898.)
  104. Temps du 5 janvier 1898.
  105. Temps du 6.
  106. Siècle du 5.
  107. Marguerite Durand. Clémence Rover, Séverine. Mme  Constant Bradamante, Daniel Lesueur, Hélène Sée, etc. — Le premier numéro de la Fronde parut le 9 décembre 1897.
  108. Ranc, Jaurès, Lacroix, Yves Guyot, Clemenceau, L, V. Meunier, etc., auxquels se joignirent Cornély et Cassagnac.
  109. Gazette de Cologne, Gazette de l’Allemagne du Nord, Post, etc. du 5 janvier : tous les journaux publient la même note officielle : « Si le capitaine Dreyfus a trahi, ce ne peut être qu’en faveur d’une autre puissance. Il se peut que le gouvernement français ait intérêt à jeter là-dessus un voile épais. Du côté de l’Allemagne, il n’y a absolument rien qui empêche de jeter sur les débats la lumière la plus vive de la publicité. »
  110. « Vous avez promis au Sénat de verser tout le dossier Dreyfus au conseil de guerre. Dès lors, ces pièces secrètes si graves, si redoutables que vous n’avez pas voulu les montrer aux patriotes les plus éprouvés, elles seront connues du commandant Esterhazy… Tous les autres secrets dont la divulgation, dit-on, compromettrait les intérêts de la défense nationale, seront connus du commandant Esterhazy… Mais la France ne connaîtra pas les dépositions décisives, et un cauchemar douloureux continuera à peser sur la conscience de ce noble pays. » (7 janvier 1898.)
  111. Dép. à Londres, 1er  mars 1900. — Selon Esterhazy, Boisdeffre aurait envoyé Pellieux chez Tézenas pour régler cette question des experts. Tézenas affirme qu’il causa seulement, à cette époque, avec Du Paty.
  112. Lettre du 6 janvier 1898.
  113. Article 53.
  114. 18 juillet 1872. — Pradier-Fodéré, Commentaire du Code de Justice militaire, 70 ; Dalloz, Répertoire, 2038 ; Pandectes françaises, 55, 182 et 183 ; Leclerc, Code de Justice militaire annoté, art. 54.
  115. Labori, Grande Revue du 1er  novembre 1901.
  116. « Dès le début, par les pièces secrètes, par les formes violées, par les obstacles entassés devant l’œuvre de Justice, la question même de l’innocence de Dreyfus devenait, en quelque sorte, secondaire. Sur le fait, ma certitude ne fut complète qu’après les débats du procès Esterhazy. » (Même article.)
  117. « J’ai fait à Demange, sur sa demande personnelle, le sacrifice de ne pas me faire couvrir par une commission d’office… J’ai renoncé à cette sauvegarde par déférence confraternelle. »
  118. Procès Zola, II, 518, Casella.
  119. Procès Zola, II, 519, Casella.
  120. Récit de Casella dans le Coriere di Napoli du 27 juillet 1898. — Casella eût voulu se faire citer au procès Esterhazy ; Demange, Labori et Leblois s’y opposèrent.
  121. 9 janvier 1898. — Il annonça aux journalistes que son acquittement était certain. (Matin du 10.)
  122. Capitaines Cardon, du 28e régiment d’infanterie, et Rivals, du 12e d’artillerie ; lieutenants-colonels Marçy, du 1er  régiment de génie, et Gaudelette, de la garde républicaine ; colonels Bougon, du 1er  cuirassiers, et de Ramel, du 28e d’infanterie.
  123. Né le 21 juin 1843, capitaine pendant la guerre, colonel en 1892, général de brigade du 25 mai 1897.
  124. Procès Zola, I, 226, Pellieux : « Le conseil de guerre, je puis presque le dire, n’a pas eu à juger un accusé. Dans la justice militaire, c’est possible ; cela ne l’est pas, je crois, dans la justice civile. Le conseil n’a pas eu à juger un accusé formellement accusé, voilà ce que je veux dire. Esterhazy avait été l’objet d’une proposition d’ordonnance de non-lieu de la part du rapporteur et de la part du commissaire du gouvernement ; par conséquent, il s’est présenté, devant le conseil de guerre, muni de cette proposition d’ordonnance de non-lieu. »
  125. Napoléon était opposé à l’institution des conseils de guerre, sur le territoire de la République. Il proposa d’attribuer aux cours impériales « la connaissance de tous les crimes et délits commis à l’intérieur ». (Conseil d’État, 21 février 1809.)
  126. Lettre du 6 janvier 1898 à X…
  127. 10 et 11 janvier 1898.
  128. Les instructions lui furent données à la suite d’une conférence qui eut lieu entre Méline, le garde des Sceaux Milliard et Billot. Saussier fut « prévenu ». (Rennes, III, 487, Billot.)
  129. Réplique du commandant Hervieu ; jugement.
  130. Instr. Fabre, 67, Picquart ; 114, Scheurer.
  131. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  132. Mémoires de Scheurer.
  133. Varennes, dans l’Aurore du 12 février 1898.
  134. Note de Du Paty à Esterhazy : « Le général se fera citer, c’est entendu. »
  135. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  136. Procès Zola, I. 388, Quillard ; 390, Jaurès.
  137. Procès Zola, I, 267, Pellieux : « La meilleure preuve que le conseil a été indépendant, c’est qu’il a refusé le huis clos. »
  138. Procès Esterhazy, (compte rendu sténographique), 125.
  139. Les rédacteurs judiciaires présents à l’interrogatoire comprirent la faute qu’avait commise Esterhazy : « Puisqu’il ne savait pas la cause de ces cambriolages, pourquoi ne s’adressait-il pas tout uniment au commissaire de police ? Personne ne songea à lui poser la question. » (Fronde du 11 janvier ; etc.)
  140. Procès Esterhazy, 138.
  141. Procès Zola, I, 273, Pellieux.
  142. Notamment au sujet de sa lettre de juin 1894 à Weil. Esterhazy affirmait qu’elle était de 1895. Luxer reconnut lui-même qu’elle était contemporaine du bordereau (145).
  143. Procès Esterhazy, 145.
  144. Procès Esterhazy, 152.
  145. Mémoires de Scheurer.
  146. Procès Esterhazy, 160. — La déposition d’Autant fut confirmée par son fils et par l’éditeur Stock.
  147. Libre Parole du 9 janvier 1898.
  148. Procès Zola, I, 392, Jaurès ; Rennes, III, 483, Trarieux ; lettre de Zola à Félix Faure : « On a vu cette chose ignoble… »
  149. Procès Zola, I, 296 ; Rennes, I, 470, Picquart.
  150. Procès Zola, I, 276, Pellieux.
  151. Pellieux convient qu’il est intervenu fréquemment. (Procès Zola, I, 274.)
  152. Procès Zola, I, 296 ; Cass., I, 205, Picquart.
  153. Cass., I, 209, Picquart. — Les lettres furent versées au dossier.
  154. Procès Zola, I, 290 ; Cass., I, 206, Picquart.
  155. Le détail de cet incident entre Leblois et Henry devant le conseil de guerre a donné lieu, entre les mêmes témoins, à une nouvelle confrontation au procès Zola : « Henry, dépose Leblois, n’a pas parlé de photographies et n’a pas précisé la date ; il a dit qu’il y avait un dossier, une enveloppe sur laquelle se trouvait les mots « dossier secret » et il n’a pas dit qu’une photographie était sortie de cette enveloppe. » (I, 361.) « Leblois, déclare Henry, a dit que, devant mes affirmations précises, il ne pouvait pas me donner un démenti. »
  156. Instr. Fabre, 43, Pellieux.
  157. Esterhazy, Dép. à Londres, 1er  mars 1900.
  158. La défense et l’accusation renoncèrent à son témoignage (Rennes, III, 143, Bernheim). Voir t. VI, 336 et suiv.
  159. Lettre de Pellieux (du 11 janvier 1898) à Esterhazy. Même déclaration au procès Zola (II, 88).
  160. Cass., I, 206, Picquart. — Dès la veille, l’Écho de Paris annonçait qu’il serait déféré à un conseil d’enquête.
  161. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  162. « Après la plaidoirie de Me  Tézenas qui prit fin à 8 h. 5, le conseil se retira pour délibérer. Trois minutes s’écoulent, et les juges rentrent dans la salle d’audience. » (Temps du 13 janvier 1898.) — Jeanmaire, secrétaire de Tézenas, à un rédacteur du Soir : « Cette délibération n’a pas duré plus de trois minutes, juste le temps matériel de poser les questions. Je n’avais pas eu le temps de ranger mes papiers que les juges rentraient. »
  163. Procès Zola, I, 247, Pellieux : » Si j’ai participé à cette œuvre d’acquittement, j’en suis fier. » — L’un des juges, Bougon, écrira plus tard : « Dans le doute, on acquitte ; condamner, ce serait infâme. » (Progrès de l’Oise du 29 novembre 1902.)
  164. Les journaux (Libre Parole, Intransigeant, Patrie, etc.) inventèrent que le général de Luxer et les juges félicitèrent Esterhazy, l’embrassèrent. — Voir p. 217, note 1.
  165. Tous les journaux du lendemain.