Histoire de l’Affaire Dreyfus/T5/4

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Eugène Fasquelle, 1905
(Vol. 5 : Rennes, pp. 264–337).

CHAPITRE IV

RENNES

I. Mercier et le général de Saint-Germain, 265. — Désaccord entre Demange et Labori ; l’Auberge des Trois-Marches, 267. — Les sept juges de Rennes, 268. — Lettre d’Esterhazy à Carrière, 270. — Mercier et Bertillon, 274. — II. Révélations sur la captivité de Dreyfus à l’île du Diable, 277. — Première audience du procès, le 8 août, 279. — Interrogatoire de Dreyfus, 285. — III. Le conseil de guerre examine les dossiers secrets à huis clos, 296. — Chamoin et Mercier, 297. — Lettres de Dreyfus à Boisdeffre, 302. — IV. Mercier sommé par la presse de produire la preuve mystérieuse qu’il détient, 304. — Mathieu Dreyfus et les notes du bordereau, 307. — V. Arrestation de Déroulède, de Buffet et de leurs complices, 308. — Guérin au fort Chabrol, 312. — VI. Déposition de Casimir-Perier, 314. — Déposition de Mercier, 320. — La fausse nuit historique, 325. — Mensonges de Mercier, 328. — Scène dramatique avec Dreyfus, 335. — VII. Effet produit par la déposition de Mercier, 337. — Le commandant de Bréon et le colonel de Villebois-Mareuil, 340. — Lettre ouverte à Mercier sur le bordereau annoté dans le Gaulois, 341. — VIII. Tentative d’assassinat contre Labori, 342. — Le meurtrier demeure introuvable, 354. — Accusations dirigées par certains revisionnistes contre Mercier, 358. — La Libre Parole accuse Labori de s’être fait tirer une balle par un compère, 361. — Convalescence de Labori, 365. — Mornard à Rennes, 368. — IX. Mercier rappelé à la barre ; questions de Jouaust et de Brogniart, 370. — X. Le bordereau sur papier fort, 371. — XI. Confrontation de Casimir-Perier et de Mercier, 372. — Questions posées par Demange, 374. — XII. Dépositions de Billot, Cavaignac, Zurlinden et Chanoine, 377. — Hanotaux, 379. — Lebon, 381. — XIII. Réquisitoire de Roget, 383. — Protestation du colonel Schneider contre la déposition de Mercier, 386. — Cuignet, 387. — Boisdeffre, 388. — Gonse et les camarades de Dreyfus, 389. — Déposition de Picquart ; incidents ; Lauth et Billot, 392. — La veuve d’Henry et le bordereau sur papier épais, 396. — Bertulus, 397. — XIV. Labori reprend sa place à la barre ; ses questions à Mercier, 398. — Freystætter et Maurel ; la dépêche Panizzardi, 400. — Maladie de Du Paty ; il est questionné par commission rogatoire, 403. — Absence de Maurice Weil, 405. — Cordier et Lemercier-Picard, 406. — Painlevé, 408. — Jouaust et Labori, 410. — Deloye ; sa déposition réfutée par Hartmann ; sa riposte à Labori, 413. — XV. Opinions contradictoires sur l’issue probable du procès, 415. — Optimisme de Galliffet, 417. — Inquiétude de Waldeck-Rousseau, 419. — Lettre de Claretie aux juges ; article de Chevrillon, 421. — XVI. Siège du fort Chabrol, 422. — Émeute du 20 août, 425. — Assassinat du colonel Klobb au Soudan ; mort des capitaines Voulet et Chanoine, 427. — XVII. Les experts et les chartistes à Rennes, 433. — Bertillon, 435. — Valério, 438. — Teyssonnières et Belhomme, 439. — Article du Nouvelliste de Bordeaux sur le bordereau annoté, 440. — XVIII. Déposition de Freycinet ; le « Syndicat », 441. — Lebrun-Renaud et la légende des aveux, 442. — Les témoins de Quesnay, 444. — XIX. Parti que tirent Mercier et Boisdeffre de l’absence d’Esterhazy au procès, 446. — Déposition d’Émile Picot, 447. — Lettres d’Esterhazy à Roget, à Mercier et à Jouaust, 449. — XX. Tentatives de Waldeck-Rousseau pour obtenir du gouvernement allemand les notes du bordereau, 451. — Lettres du comte de Bulow, 453. — Poursuites contre Lissajoux, 456. — XXI. Cernuski, 457. — Mathilde Baumler, le lieutenant Wessel et Stanislas Przyborowski, 458. — Rapports de Cernuski avec Brücker, 460. — Révélations de Cernuski à Quesnay de Beaurepaire, 462. — « Austerlitz », 464. — Rollin et Mareschal à Zurich, 465. — Arrestation de Mosetig à Vienne, 469. — Lettre de Cernuski à Jouaust, 472. — Les registres de l’archiviste Dautriche, 473. — Rollin et Lajoux, 474. — Départ de Cernuski pour Rennes, 475. — XXII. La dernière semaine du procès, 476. — Hartmann et Fonds-Lamothe, 477. — La circulaire de Boisdeffre sur les manœuvres, 478. — XXIII. Cernuski à Rennes ; ses visites à Mercier, Cavaignac, Roget et Carrière, 479. — Sa déposition, 480. — Labori réclame les notes du bordereau et les témoignages de Schwarzkoppen et de Panizzardi, 482. — Ses dépêches à l’Empereur allemand et au Roi d’Italie, 487. — Cernuski entendu à huis clos, 488. — Schœnebeck, Mosetig et Adamowitch, 489. — Feinte maladie de Cernuski, 490. — Rejet des conclusions de Labori, 492. — Note du Moniteur de l’Empire, 494. — XXIV. Cuignet et le dossier ultra-secret, 496. — Billot et le document libérateur, 497. — Déposition de Trarieux, 498. — Zurlinden et le petit bleu, 501. — Article de Drumont sur les deux Bordereaux, 502. — Mercier contre Freystætter ; la dépêche Panizzardi et le dossier secret de 1894 ; réplique de Demange. 503. — Fin des dépositions, 510. — XXV. Réquisitoire de Carrière, 511. — Labori renonce à la parole, 514. — Allocution de Loubet à Rambouillet, 520. — Plaidoyer de Demange, 522. — Note d’Auffray à Carrière, 526. — XXVI. Dernière audience, 528. — Réplique de Carrière, 530. — Les circonstances atténuantes, 531. — Déclaration de Dreyfus, 532. — Il est condamné par cinq voix contre deux, 533. — Lecture du verdict, 534.




I

Le premier procès de Dreyfus avait été jugé en trois jours ; le second va durer cinq semaines, vingt-neuf audiences (7 août-9 septembre).

Il y eut à Rennes, pendant tout ce mois, comme deux villes : la bretonne, retournée, en apparence, à son calme habituel, avertie par les grandes mesures d’ordre qu’avait prises le gouvernement, mais où l’hostilité persistait, se lisait partout, aux visages contractés, aux regards obliques, au dur silence de tout ce qui était indigène ; et une ville nouvelle, venue du dehors, parisienne et cosmopolite, aussi bruyante que l’autre était taciturne, où les passions éclataient et fumaient dans un dernier incendie. Chaque matin, au petit jour, dans la température déjà brûlante, cette autre Rennes se vida à la salle du conseil de guerre, y déversa ses troupes ennemies de témoins, de journalistes, d’amateurs d’émotion, qui se défiaient, se mesuraient du regard ou du geste, puis continuaient jusqu’au soir, dans les cafés et dans les rues, le combat judiciaire.

Nulle atmosphère moins saine, surtout aux juges-soldats, tout ensemble chargée d’électricité et frelatée, alors qu’il eût fallu celle des altitudes, où l’esprit, comme le corps, retrouve son équilibre dans la fraîche et légère clarté.

Les officiers de la garnison et les témoins militaires à charge fraternisèrent du premier jour ; plusieurs avaient été camarades aux mêmes régiments ; les nouvelles amitiés ne furent pas les moins ardentes. L’esprit de corps s’arrêta à Hartmann, à Ducros, à Freystætter, mis en quarantaine[1].

Mercier descendit chez le général de Saint-Germain, son ami de vieille date, que nous avons vu présider le conseil d’enquête contre Picquart[2] et qui avait pris, depuis quelques mois, sa retraite à Rennes où il recevait beaucoup de monde, tout ce qu’il y avait de titré et de bien pensant, bon nombre de prêtres, et les généraux Lucas et Julliard avec leurs états-majors, qui s’en trouvaient très honorés. Saint-Germain était un petit homme, ventru et hottu, presque bossu, la figure mauvaise, qui avait souffert pendant toute sa carrière de son physique et en était devenu plus méchant, toujours en mouvement et en colère, et pourvu d’une femme qui n’était pas moins enragée que lui ; depuis l’arrêt de la Cour de cassation qui avait désigné Rennes, elle se livrait à une propagande acharnée dans les salons, les petits ménages des officiers et jusque chez ses fournisseurs et les boutiquiers. La maison des Saint-Germain sera ainsi le quartier général de Mercier, où il se concertera avec les autres témoins à charge et d’où les officiers d’ordonnance des deux généraux rennais porteront ses propos au cercle militaire[3] ; les membres du conseil de guerre continuaient à y fréquenter, d’ordinaire silencieux, mais d’autant moins sourds.

Mercier, qui avait naturellement le ton et l’allure du commandement, se fit par surcroît un air imperturbable et invaincu qui servait de masque à ses inquiétudes et ajouta à son prestige sur tous ces gens habitués à obéir. Du premier jour, les autres anciens ministres et tous les chefs militaires (en disponibilité ou encore en activité, Roget comme Boisdeffre ou Gonse) s’empressèrent autour de lui. À peine arrivé, il se présenta chez le colonel Jouaust, qui n’osa pas lui fermer sa porte ; il avait avec lui ses deux fils, bien que Galliffet eût interdit le séjour de Rennes, pendant toute la durée du procès, aux officiers étrangers à la garnison.

Au contraire, dans le camp revisionniste, rien qui ressemblât à une hiérarchie. Non seulement on allait poursuivre le combat dans l’ordre dispersé, mais le désaccord s’élargissait entre Demange et Labori. Mathieu, qui n’eût voulu ni diminuer ni enfler le procès, va employer le meilleur de sa diplomatie, son sens droit des choses, son expérience douloureuse des hommes, à enrayer les conséquences de l’erreur d’avoir accepté de diviser la défense de son frère. Labori, depuis sa première discussion avec Demange, se répandait en propos tumultueux ou calculés sur « les errements du procès de 1894 », le danger « de perdre encore une fois la partie par pusillanimité » et la duperie de ne pas attaquer, dans le vain espoir « d’obtenir un acquittement de bienveillance[4] ». Demange, sans plus ressentir ce qu’il y avait d’hostilité à son endroit dans ces discours que ce qu’ils contenaient de vérité, persistait à conseiller beaucoup de ménagements, ne voyait dans le procès de Dreyfus que Dreyfus. Pour les principaux artisans de la revision, ce n’étaient pas des chefs : les uns n’en avaient pas l’étoffe ; les autres (Trarieux, Picquart) ne furent sollicités à aucun moment de prendre une apparence de direction ; — « ce qui frappe dans cette singulière armée, écrira Chevrillon[5], c’est que les grades y sont abolis » ; — enfin, Scheurer se mourait à Luchon, et Zola, Clemenceau et moi avions décidé de ne pas aller à Rennes « pour éviter des occasions de passion et de trouble[6] ». Dès lors, on allait beaucoup s’agiter, beaucoup discourir, tantôt s’illusionnant, tantôt se décourageant, surtout à l’Auberge des Trois Marches, où l’on se réunissait pour les repas, presque en face de la maison du général de Saint-Germain, et chez les deux professeurs rennais, Aubry et Basch, qui luttaient depuis deux ans contre presque toute la ville et la connaissaient bien. Mais on laissera faire le hasard et Mercier.

Les étrangers, journalistes et curieux, vinrent en grand nombre de tous les pays, surtout d’Angleterre et d’Allemagne, et manquèrent souvent de réserve. On a déjà dit qu’en prenant parti, du premier jour de l’Affaire, ils avaient aidé à irriter des instincts qu’ils ne soupçonnaient pas chez un peuple aussi hospitalier et qu’ils continuèrent à exaspérer. Comme la légende du Syndicat était plus vivace que jamais, les petits commerçants de Rennes nommèrent les monnaies étrangères des « dreyfusardes[7] ».

Les dossiers du procès de 1894 et l’enquête de la Cour de cassation avaient été mis depuis un mois à la disposition des juges, tous anciens élèves de l’École polytechnique et, dès lors, au contraire de Carrière, fort instruits et très supérieurs à la moyenne des officiers. Ils passèrent de longues heures à les étudier, ballottés entre le crime évident d’Esterhazy et leur longue certitude professionnelle que Dreyfus était coupable, désireux qu’il le fût et se raccrochant à la preuve de Mercier, s’il se décidait à la livrer ou, seulement, à en confirmer l’existence. C’est ce que plusieurs disaient aux amis qui les questionnaient : « que Dreyfus était encore innocent, mais qu’il faudrait voir[8] ».

Sauf le commandant Lancran de Bréon, d’une famille très catholique (son frère était prêtre), et qui avait envoyé son offrande à la souscription Henry[9], c’étaient des gens de modeste extraction, sans passions religieuses ou politiques, plutôt républicains. Le hasard, l’ancienneté dans chaque grade qui les avait désignés, eût pu donner à Dreyfus des juges beaucoup plus foncièrement hostiles. De fait, le doute était dans chacun d’eux, comme leur préoccupation du témoignage de Mercier eût suffi à le prouver, surtout chez le vieux Jouaust, qui n’avait plus rien à attendre de la fortune, à la veille de prendre sa retraite à Rennes même, où il était né et s’était marié, belle tête un peu dure, la figure balafrée d’une épaisse moustache blanche, le front haut, « sans transparence », le regard fermé, mais brave homme autant que bon soldat, tendu et timide, et dont la rudesse n’était qu’un masque[10].

Les autres juges étaient le lieutenant-colonel Brogniart, directeur de l’école d’artillerie, d’humeur inquiète, avec de la tristesse dans le regard et le visage tout en angles ; les commandants Merle et Profilet, camarades de promotion de Cavaignac, le premier resté très jeune à quarante-huit ans, la mine aimable et éveillée ; le second, prématurément blanchi, qui passait pour fin, comme beaucoup de gens de façons polies, qu’elles soient naturelles ou calculées ; enfin, les deux capitaines, Parfait, figure froide et attentive, et Beauvais, d’aspect énergique, avec de gros yeux ronds, mais vifs, et de beaucoup le plus intelligent de ces sept soldats.

Aucune instruction spéciale ne leur fut adressée. Brugère, à son passage à Rennes[11], ne s’occupa que de son inspection, ne dit pas un mot de l’Affaire à Jouaust, son camarade de quarante ans, qu’il tutoyait. Chamoin et Paléologue, délégués par Galliffet et Delcassé, n’eurent d’autre mission que de renseigner leurs ministres et d’expliquer les dossiers secrets.

La veille de l’ouverture des débats[12], Esterhazy adressa de Londres une longue lettre à Carrière.

Depuis près d’un an qu’il avait pris la fuite, il ne vivait, comme on a déjà vu, que de son infamie, en trafiquant au détail, tantôt vendant aux journaux des lambeaux d’aveux, et toujours mêlés de mensonges et de réticences, tantôt se faisant payer des intervalles de silence par ses anciens amis. Comme il croyait à l’acquittement de Dreyfus[13], il guettait surtout dans le procès de Rennes une dernière occasion de tirer argent des munitions qui lui restaient. L’innombrable correspondance dont il harcela alors son avocat Cabanes[14] et les rédacteurs de la Libre Parole n’a pas d’autre objet. Il avait fait avertir Freycinet (en mars) que ses papiers et un récit circonstancié de son histoire étaient déposés dans une banque de Londres et que, s’il venait à disparaître, comme Henry ou Lemercier-Picard, le tout serait aussitôt publié[15], même « les lettres qui avaient le grave tort d’être très compromettantes pour un autre malheureux[16] ». D’autres fois, il essayait sur des journalistes de nouveaux mensonges, d’ailleurs inexplicables : « Je suis l’auteur du bordereau, mais non pas de celui qui a été communiqué aux experts et qui n’est qu’une copie du mien[17]. »

Malgré l’assurance de Roget qu’il avait « rogné les ongles à Esterhazy », ses anciens protecteurs gardaient des inquiétudes à son endroit. Ils affectaient de n’attacher nulle importance à ses inventions contradictoires, de mépriser ses menaces, laissaient ou faisaient dire qu’il était vendu aux juifs, finissaient toujours par céder, par lui jeter un os. En effet, ils avaient beau se persuader que ses munitions étaient fort épuisées (après ses révélations sur la collusion et son demi-aveu au sujet du bordereau), pourtant ils n’en étaient pas sûrs ; — de fait, il n’avait pas encore produit sa réserve, notamment les lettres d’Henry et de Du Paty, à l’époque de l’enquête Pellieux et de l’instruction Ravary[18] ; — et, surtout, Mercier redoutait qu’il se décidât, dans un accès de colère, à user du sauf-conduit qui lui avait été adressé et à paraître à Rennes.

Esterhazy, sentant ses avantages, poussa vivement sa pointe :

L’univers entier est contre moi, écrit-il à Cabanes, mais j’ai l’âme d’un soldat de Sforze… Il ne faut pas acculer un reître tel que moi au désespoir ; un reître n’est pas un employé des contributions indirectes… Quand je produirai mon boniment n° 2, ils seront tous perdus. Ah ! les canailles ! les sales, les ignobles coquins !… Quelque assassiné que je sois, le jour où je le voudrai, il y aura deux grands chefs qui n’échapperont pas au châtiment… Quand vous verrez des nationalistes, vous leur direz que je suis sans argent, que Judet est un misérable, que Gonse ira au bagne… Ces gens-là vont me forcer à les tuer, à tuer Du Paty… Pour Dieu, faites-leur savoir que c’est de la démence. Ah ! les brutes ! Envoyez-moi quelqu’un de sûr, qu’ils m’envoient quelqu’un, je leur dirai ce qui va leur arriver… Dites bien que je me réserve de produire moi-même mon affaire… Je prouverai pièces en mains qu’ils sont des misérables et tout sera fini… Je ne mourrai pas seul et me ferai de belles funérailles… J’ai deux lettres formelles relatives aux instructions qui m’ont été données pour expliquer la facture du bordereau ; ils vont me contraindre à les sortir… Je vous jure par mes enfants que je les tiens, que je ne veux pas les tuer, que je voudrais les sauver. Envoyez-moi quelqu’un ; faites part de ce que je vous dis à M. de Beaurepaire, à qui vous voudrez, mais, au nom de Dieu, qu’ils ne me forcent pas à les achever[19] !

Cabanes, soit qu’il fût dupe, soit qu’il en fût arrivé à faire le jeu d’Esterhazy, montra ces lettres, affirma que tout était à craindre du misérable, en proie aux furies, abandonné de tous, de la fille Pays elle-même qui se cachait à Lourdes sous un faux nom[20] ; c’était vrai qu’il manquait, parfois de pain, « seul au monde, plus seul mille fois que dans les solitudes du désert, dans une solitude morale, quelque chose d’atroce[21] ». Et pourquoi n’ira-t-il pas à Rennes ? Qu’y risquait-il ? Pour Cabanes, son devoir d’avocat était de l’y engager, et c’était l’avis des quelques amis qui lui étaient restés et qui l’en pressaient[22].

Alors même qu’Esterhazy ne viendrait pas à Rennes avec des intentions hostiles, Mercier vit fort bien qu’il y mettrait l’ancien État-Major en fâcheuse posture et d’abord, qu’il rendrait impossible le coup du bordereau annoté. Mercier, en effet, s’était arrêté, à la réflexion, à une nouvelle version où Esterhazy ne jouait plus aucun rôle[23]. S’étant abouché avec Bertillon, il avait adopté le système de l’anthropométreur sur l’écriture artificielle dont Dreyfus aurait fait usage pour ses trahisons ; dès lors, le bordereau sur papier pelure reproduisait exactement, sauf l’annotation impériale, le bordereau sur papier fort et ainsi disparaissait l’impossibilité matérielle où l’abominable histoire se heurtait au premier pas, car, tantôt, dans les diverses versions qui avaient couru, l’écriture naturelle d’Esterhazy était réputée l’écriture naturelle de Dreyfus, quand le bordereau sur papier pelure était une copie, et tantôt ; quand c’était un calque, l’écriture décalquée de Dreyfus devenait celle d’Esterhazy. Au contraire, avec le gabarit de Bertillon, le bordereau sur papier pelure et le bordereau sur papier fort donnent la même écriture, qui n’est l’écriture naturelle ni de Dreyfus ni d’Esterhazy, mais l’écriture artificielle du juif ; l’intervention d’Esterhazy (pour substituer le bordereau sur papier pelure au bordereau rendu à l’Allemagne) est sans objet ; la ressemblance, selon Bertillon, de toutes ces écritures — d’Esterhazy, de Mathieu et d’Alfred Dreyfus[24] — n’est plus qu’une coïncidence singulière. Ainsi, au moyen de l’absurdité de Bertillon, Mercier atténuera l’absurdité du faux impérial et, du même coup, il s’allégera d’Esterhazy[25].

Il n’y avait pas moyen, d’autre part, de tenter l’aventure si Esterhazy venait à l’audience. En effet, il y sera mis en demeure de s’expliquer sur le système de défense qu’il a adopté depuis la mort d’Henry et qui a voisiné si longtemps avec la légende du bordereau annoté ; pour justifier qu’il a écrit le bordereau par ordre, il ne lui suffira pas de dire qu’il a en vain demandé à sa femme de rechercher « des lettres de Sandherr dans ses papiers de Dommartin[26] » ; il en appellera forcément à Mercier et à Boisdeffre, les sommera de convenir de son prétendu rôle au service du contre-espionnage ; eux, sans se perdre, n’y pourront consentir ; sur quoi, furieux, il est homme à tout avouer, n’y risquant plus rien, et à ne rien laisser de leurs toiles d’araignée. Mercier lui-même, malgré son audace, n’eût pas tenu à une confrontation avec lui. Même si Esterhazy consentait à recommencer la tragique scène muette du procès Zola, rien qu’à se faire voir à Rennes, il sauve Dreyfus.

Il parut donc nécessaire de lui envoyer « quelqu’un », comme il n’avait cessé de le réclamer, et la négociation fut vivement menée, sans qu’on sache toutefois ni le nom de l’émissaire (quelque collaborateur de Drumont) ni le chiffre de la rançon[27]. Esterhazy, par contre, donne lui-même la date de l’opération. Il écrit, en effet, à Cabanes, le 31 juillet, qu’il lui a adressé la veille le canevas de sa déposition et que, sauf avis contraire, il va partir pour Rennes[28] ; et six jours après, il avise Carrière qu’il n’ira pas[29], « parce qu’il sait le conseil de guerre résolu à acquitter Dreyfus » et, surtout, « parce qu’il est sans ressources », dans l’impossibilité « matérielle » de faire le voyage[30] — En conséquence, il doit se résigner à défendre son honneur seulement par écrit : « Devant Dieu et par la mémoire sacrée de mon père, je jure n’être entré en rapports avec Schwarzkoppen que par l’ordre de Sandherr[31]. »

C’était assurément gênant qu’il continuât à se dire l’auteur du bordereau, même par ordre ; mais comment fût-il revenu sur tant de déclarations sans éveiller le soupçon d’avoir été payé pour se rétracter ? L’ancien État-Major en sera quitte pour raconter que cet absurde roman lui a été dicté par le Syndicat.

La plupart des revisionnistes (sans chercher à dégager ce qu’il avait mêlé à ses menteries de vérités, notamment sur la façon dont le bordereau avait été pris chez le concierge de l’ambassade, « intact dans son enveloppe », et déchiré ensuite par Henry) se satisfirent de la commode explication « que le misérable ne trouverait jamais le courage d’avouer son crime ».

II

Ce qu’on attendait surtout, c’était Dreyfus.

Sauf pour quelques amis d’autrefois, ses anciens chefs et ses anciens camarades de l’État-Major, et les journalistes qui avaient assisté à la dégradation, il n’était qu’un nom, un symbole, d’innocence ou d’infamie, l’inconnu.

Il s’était laissé arracher dans ces derniers temps quelques confidences sur son séjour à l’île du Diable, confidences très incomplètes encore, parce qu’il avait la pudeur de ses souffrances, une espèce de terreur à se les rappeler et le souci d’éviter aux siens une vision trop précise de son martyre, mais qui, venues aux journaux par Mathieu Dreyfus[32], avaient provoqué un mouvement d’horreur. On n’avait connu, jusqu’alors, des atrocités de l’île du Diable, que ce que Lebon m’avait dit par inadvertance de la mise aux fers et ce qu’il avait fait dire un peu plus tard de ses autres « mesures de précaution », pour rassurer et assouvir les antisémites, à l’époque où ils feignaient de redouter que le malheureux ne s’échappât et s’inquiétaient qu’il fût trop bien traité ; Dreyfus lui-même, dans aucune de ses lettres, n’avait rien dit du régime sauvage qui lui était infligé, parce que l’administration pénitentiaire avait pris la précaution de lui faire défense d’en relater quoi que ce soit. On n’a pas oublié que les partisans de la Revision furent presque seuls à protester d’abord contre la double boucle et l’in pace, la double palissade ; que Trouillot n’osa point modifier les prescriptions de Lebon, et quels événements il fallut pour que Dupuy autorisât le condamné à se promener pendant quelques heures sur son rocher[33]. Mais maintenant on pouvait réaliser, ou à peu près, ce qu’avait été ce calvaire de quatre ans, ce long attentat contre l’humanité qui n’avait pu être commis d’ailleurs qu’en violation de la loi[34], et si savamment combiné, à la fois par la haine et par la lâcheté, qu’on y croyait voir le calcul déterminé de se débarrasser de l’innocent par la folie ou par la mort. On apprit ainsi ce que nous avons raconté en son lieu de cette agonie, comment il tombait à terre, brûlant de fièvre, en proie au délire, étouffé par les syncopes, brisé ou déchiré par les fers ; que vingt fois les gardiens avaient cru, les bourreaux avaient espéré que c’était la fin ; qu’à chaque fois il se relevait, redressé par l’implacable volonté de vivre jusqu’à l’heure de la justice. Et non seulement on l’avait encagé comme une bête, enchaîné, meurtri dans sa chair, condamné par une illégalité supplémentaire à une solitude et un silence qui semblaient devoir être éternels ; mais, comme l’esprit, qui soutenait seul ce corps en loques, refusait de s’éteindre et s’épurait au contraire à chaque nouvelle torture, on s’était attaqué délibérément à ce plus profond de l’homme que l’Inquisition elle-même a tenu pour sacré. Lorsque le valet de bourreau choisi par Lebon avait intercepté pendant des semaines les lettres de Lucie ou de Mathieu Dreyfus, le seul lien matériel qui rattachât encore le misérable à un peu d’espérance, il lui disait : « Votre famille vous abandonne, vous renie… », et guettait sur le visage du maudit le succès de l’effroyable invention qui devait en venir à bout. Enfin, après le premier arrêt de la Chambre criminelle, Dreyfus n’avait eu pour suivre les péripéties du drame que les variations de son supplice finissant, des soubresauts de rigueur et de relâchement qui correspondaient aux alternatives de recul et de progrès dans la marche laborieuse de la vérité. Quand la zone de lumière s’étendait, les liens qui l’attachaient au Caucase tropical se détendaient. La revision semblait-elle s’éloigner, Deniel redoublait de dureté[35].

C’était l’homme qui revenait de cet enfer qu’on allait voir.

Il était sept heures du matin, le 8 août, quand le président du conseil de guerre donna l’ordre d’introduire l’accusé. La salle des fêtes du Lycée était bondée, près de cent témoins, les militaires en tenue, sauf Chanoine, autour de Mercier qui s’installa au premier rang, à côté de Casimir-Perier, après avoir salué la veuve d’Henry, « enveloppée d’un long voile de deuil[36] », et tout l’ordinaire public des grandes journée de l’Affaire, déjà frémissant des sensations nouvelles qu’il était venu chercher à Rennes, surtout des écrivains et des artistes, plus de quatre cents journalistes, de nombreux officiers de la garnison, et beaucoup de femmes, de tous les mondes, en claires toilettes d’été et plus passionnées, dans les deux partis, que les hommes. Un silence complet[37] se fit dans cette foule aussitôt que Jouaust eut prononcé les quelques mots qui indiquaient que la tragédie allait commencer, et toutes les têtes se tournèrent, « d’un même mouvement », vers une petite porte à droite de la scène où deux gendarmes en faction marquaient que Dreyfus allait paraître et cesserait désormais d’être une entité. « La curiosité était si intense, avoue Barrès, qu’elle atteignait à l’angoisse[38]. »

Quelques secondes, « trois minutes », s’écoulèrent et Dreyfus entra, en uniforme de capitaine d’artillerie, d’un pas ferme, rapide, volontairement « automatique et cadencé[39] », le regard net derrière le lorgnon, droit sur la salle où tout le monde était debout. Un instant, comme ébloui par la splendide lumière qui coulait des fenêtres, il parut s’arrêter. Il avait trois degrés à monter jusqu’à sa place, au bas de la tribune des avocats. Ses jambes chancelaient sous lui ; la secousse fut trop forte ; tout son sang affluant au cœur, il crut qu’il allait tomber, se roidit encore, d’un effort douloureux, cependant que son visage, l’enveloppe de fer de cette âme d’acier, demeurait immobile, impénétrable, plus fermé qu’un mur. Militairement, dans l’attitude du soldat sous les armes, il salua le conseil, s’assit à l’invitation du président, retira son képi. On eût dit une statue.

Tandis que le greffier Coupois donnait lecture des pièces (les ordres de nomination des juges et de mise en jugement, l’arrêt des Chambres réunies et le vieil acte d’accusation de d’Ormescheville), tous les yeux continuaient à darder sur lui ; et il les sentit, ceux qui se mouillaient comme ceux qui réussissaient à rester hostiles, mais sans en éprouver aucune gêne, regardant à son tour, « la tête très haute, de peur de paraître la baisser », et « trouvant bon de voir des êtres humains[40] ».

Il avait trente-neuf ans, mais semblait sans âge, à la fois vieux et jeune, les cheveux blanchis, « seulement une couronne de cheveux gris », très ras, la courbe du crâne dénudé, un crâne très vaste, « comme pour contenir plus de matière à souffrance[41] », la nuque décharnée, desséchée par le soleil des tropiques, la face rétrécie et contractée, les yeux « vitrifiés[42] », d’un bleu si pâle qu’ils en semblaient blancs, le corps qui avait comme fondu, un peu de chair collée sur des os qui la perçaient ; par contre, la taille à peine voûtée, « redressée contre les destinées[43] », l’énergique menton aux méplats saillants, la moustache fine et restée châtaine, surtout l’éclat factice du teint où l’affaiblissement du cœur amenait, à chaque respiration, des flots de sang qui l’empourpraient et firent dire à Barrès « qu’il rosissait comme un petit cochon[44] ». Les partisans de la recondamnation, quelque décidés qu’ils fussent d’avance à le trouver à la fois bien portant et « antipathique », ont confessé eux-mêmes la première impression, toute mécanique, que leur fit l’apparition de cette « chair vivante et broyée[45] » ; une telle ruine humaine cria d’abord plus haut que la haine irréconciliable, la froide résolution préconçue de fermer au ressuscité le chemin de la pitié. Mais, lui-même, il leur vint en aide, ne voulant pas de ce chemin pour aller aux cœurs, l’abandonnant aux coupables : « Qu’on cherche à apitoyer, quand on est fautif, cela se conçoit ; un innocent ne doit s’adresser qu’à la raison[46] » ; et non seulement l’idée de jouer de ses souffrances lui eût fait horreur, mais il avait fait effort pour dissimuler sa misère physique le plus qu’il était possible, pour cacher sous le décor d’un soldat invaincu la loque d’homme que le bagne, le climat meurtrier et Lebon avaient fait de lui et, à la lettre, farder son squelette. — Ainsi, il a fait ouater son uniforme, ce qui donne un semblant de carrure à ses épaules et à sa poitrine[47], et, relevant à peine d’une crise violente de fièvres, le foie congestionné, incapable de supporter d’autres aliments que le lait et les œufs, il s’est gorgé de stimulants, crainte de se trouver mal[48] et pour s’armer d’une force factice. — En conséquence, les drôles de la presse antisémite vont tourner contre lui cet âpre vouloir et cette touchante supercherie. Ils virent que l’âme seule tenait debout ce pauvre corps et que son uniforme, tout rembourré qu’il fût, « était sur lui comme sur un mort[49] » ; et ils écrivirent « qu’il n’avait nullement souffert ni du climat ni des gardes chiourmes pendant sa lointaine retraite », « sa villégiature » à l’île du Diable, que « sa mine éclatait de santé » et « qu’il était comme honteux dans l’habit militaire qu’on lui avait rendu[50] ».

Il entendit plus qu’il n’écouta l’acte d’accusation de 1894 (les anciennes hypothèses, abandonnées par l’ancien État-Major lui-même, sur les notes du bordereau, les sales histoires sur les femmes âgées avec qui il aurait vécu), s’anima seulement à l’appel des témoins, des chefs et des camarades qu’il avait connus au ministère et sur les champs de manœuvres, qui l’ont fait condamner, le croyant peut-être coupable, et qui, le sachant certainement innocent, sont conjurés pour le faire condamner une seconde fois. Mercier, Gonse, Boisdeffre répondirent par un « Présent » sec, « bref comme un signal de bataille[51] », lui jetèrent un rapide regard. Absents Du Paty « indisposé », Weil « malade », Esterhazy. Le greffier dit qu’on n’en avait « pas de nouvelles » (sa lettre arriva seulement dans la soirée), et Carrière qu’on ne savait pas « s’il viendrait ou ne viendrait pas, mais que « cela dépendait absolument de lui et qu’il fallait passer outre aux débats[52] ». Les avocats y consentirent, ne pouvant pas faire autrement, mais sans saisir l’occasion de dire tout de suite ce qui aurait dû dominer le débat : que la fuite d’Esterhazy après la mort d’Henry, aujourd’hui son refus de comparaître quand il pouvait parler (ou mentir) sans qu’il lui en coûtât un cheveu, sa peur manifeste d’affronter Dreyfus, équivalaient à l’aveu qu’il était l’auteur du crime ; que c’était la preuve directe de l’innocence de l’homme qui avait payé pour lui ; et qu’ainsi, devant la raison humaine et le plus simple bon sens, la cause était entendue[53]. Au contraire, on allait rengager l’affaire comme si Esterhazy n’avait jamais existé.

Jouaust annonça qu’il faisait citer, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, le lieutenant-colonel Guérin, le contrôleur Peyroles, le commandant de Mitry et le capitaine Anthoine, — puisque la défense elle-même a appelé Lebrun-Renaud, rouvert la question des aveux malgré l’arrêt des Chambres réunies, — et six des témoins de Quesnay.

Le vieux colonel s’était longuement préparé à l’interrogatoire de Dreyfus et à paraître impartial, — c’est-à-dire, « selon la tradition française[54] », hostile, à épouser l’accusation et à traiter l’accusé en coupable. Naturellement bon, mais non moins bourru, il affecta encore de durcir sa voix et de bousculer cet homme qui, rien qu’en raison de son effroyable infortune, aurait eu droit à moins de brusquerie. Presque tous les auditeurs et, par la suite, des millions de lecteurs s’y trompèrent, ne devinèrent pas que cette rudesse, c’était pour la salle, et qu’il inclinait déjà à l’acquittement[55]. Pourtant, il ne réussit pas à dominer toujours sa compassion, qui perça quand même, mouilla ses premières paroles[56].

Il commença par faire passer à Dreyfus le bordereau, lui demanda s’il reconnaissait la fameuse pièce.

Dreyfus, debout, toujours roide, la regarda rapidement, l’infâme feuille jaunie, non moins usée que lui-même, et, la repoussant d’un geste presque machinal, répondit d’abord à mi-voix « qu’elle lui avait été déjà présentée en 1894, mais qu’il ne la reconnaissait pas ». — Esterhazy, quand le président Lœw lui avait montré le bordereau, avait goguenardé : « Je le reconnais ; seulement, il a changé de ton[57] ». — Puis, brusquement, une sorte de cri « rauque » se fit entendre, « arrachant, pour passer, la gorge étranglée[58] », et que la sténographie nota ainsi : « J’affirme encore que je suis innocent, comme je l’ai déjà affirmé, comme je l’ai crié en 1894… Je supporte tout depuis cinq ans, mon colonel, mais encore une fois, pour l’honneur de mon nom et celui de mes enfants, je suis innocent, mon colonel[59]. » Mais l’on ne perçut distinctement, dans ce sanglot, que quelques mots : « Honneur… enfants… innocent… », et son invocation répétée à Jouaust : « Mon colonel ! » qui parut aux plus endurcis comme les deux bras tendus d’un suppliant[60]. Il se décolora entièrement[61], flageola sur ses jambes, comme en proie au vertige ; mais « ses yeux pleins de larmes ne pleuraient pas » ; et il avait repris le calme, où il mettait sa dignité d’innocent, bien avant que les spectateurs et les juges fussent revenus du frisson qui les avait secoués, — et ce fut tout ce qu’il donna à l’émotion ou à l’éloquence.

Mathieu, affreusement pâle, eût voulu crier pour lui[62].

Jouaust, quand il put raffermir sa parole : « Alors vous niez ? — Oui, mon colonel. » Mais il ne dit plus qu’un mot de l’écriture du bordereau (alors que c’était tout le procès), à savoir qu’elle ressemblait à celle de Dreyfus et que cette analogie avait été la cause de son arrestation, et aussitôt il entama l’éternelle discussion si Dreyfus avait pu connaître les informations qui étaient énumérées sur le papier pelure d’Esterhazy.

Dreyfus, s’il n’avait pas repris avec son uniforme d’emprunt toute sa passivité militaire, aurait refusé de diminuer sa défense par la discussion de ces arguties : « Qu’y a-t-il d’écrit sur une note qu’on n’a pas, aurait-il répliqué, sur une note qu’on n’a jamais lue ni vue ? Le frein hydraulique, les troupes de couverture, les formations de l’artillerie, l’expédition de Madagascar, il n’y avait pas, en 1894, un officier qui n’eût pu écrire une note, pas un journaliste militaire qui n’eût pu écrire un article sur chacun de ces quatre sujets. Esterhazy lui-même a déclaré qu’il connaissait, à l’automne de 1894, tous les éléments du bordereau. Il allégua seulement que, n’étant allé qu’en août aux écoles à feu, il n’avait pu les connaître au printemps, et que le bordereau était de mars ou d’avril[63]. C’était la date, en effet, que l’accusation lui attribuait alors, mais cette date, déjà, était un faux ; Gonse, Boisdeffre, Mercier lui-même, en sont convenus depuis[64]. Ainsi Esterhazy, de son propre aveu, aurait pu écrire toutes les notes du bordereau à l’époque, en septembre, où il a été pris à l’ambassade d’Allemagne, et, de son propre aveu encore, à la veille de l’arrêt des Chambres réunies, c’est lui qui l’a écrit. Que savez-vous si les renseignements d’Esterhazy n’étaient pas des plus vulgaires ? Vous voulez qu’ils aient été des plus secrets et que je les aie connus. Cela n’est pas ; mais je l’accorde. Et après ? »

Mais Dreyfus, à la fois trop militaire et trop affaibli, ne trouva pas dans sa présence d’esprit ce refus de disputer sur des hypothèses ; ou, si l’idée lui en vint[65], il l’écarta, « par déférence », parce qu’il était déjà redevenu la machine qu’est un subordonné devant un chef qui a un galon de plus. Ainsi, il se crut tenu de répondre, une heure durant, au minutieux interrogatoire de Jouaust, sur ce qu’il avait connu à l’École de guerre ou à l’École de pyrotechnie, dans son service à l’État-Major ou dans « des conversations particulières », ou sur ce qu’il n’avait pas connu de la pièce de 120 et de la structure intime de son frein, des tableaux d’approvisionnement et de la suppression du service des pontonniers ; et, dès lors, ce fut lui qui parut chicaner, alors que toute cette chicane avait été savamment inventée contre lui, afin de l’écarter du terrain solide qu’était le bordereau d’Esterhazy et de l’enliser dans l’absurde. — Quand il convient d’avoir su ce que son métier le mettait dans le cas de savoir, Jouaust recueille (ou feint de recueillir) sa réponse affirmative comme une preuve contre lui ; quand il nie d’avoir été informé de certains détails, c’est qu’il a apparemment des raisons de cacher la vérité. Indistinctement, le vieux colonel a ramassé toutes les inventions arbitraires ou saugrenues de d’Ormescheville, de Cavaignac ou de Roget, qu’elles concordent ou non, sur les renseignements qu’Esterhazy a été dans l’impossibilité d’avoir (bien qu’il se fût refusé lui-même à alléguer une pareille sottise) et que, « seul, a pu réunir un officier d’État-Major, artilleur et stagiaire ». Et il répétait invariablement, du même ton revêche et parfois brutal, et en fronçant les sourcils : « Vous avez pu connaître… Il n’est pas impossible que vous ayez connu… Il est probable que vous saviez… Il était donc indiqué que vous ayez pu connaître…[66] » Dreyfus, d’une mémoire sans défaillance, établit que telle ou telle question n’a pas été traitée dans son bureau ou dans sa section ; Jouaust, s’entêtant, riposte « qu’on savait ce qui se passait d’une section à une autre » ; en tout cas, « qu’on avait pu en parler dans les couloirs » ; et, enfin, sur cette remarque, la seule que se permît le malheureux : « Il n’y a d’impossibilité à rien, dans ces conditions, mon colonel… », — que c’était exact, « mais que toutes ces choses réunies formaient au moins des présomptions…[67] ». — Il dit encore « qu’un jeune officier avait le droit de s’instruire, mais qu’il y avait des limites[68] », et que Dreyfus « avait sans doute des motifs de connaître les questions de transport » (sur les lignes de l’Est).

Jouaust avait rappelé à Dreyfus que « la loi lui donnait le droit de dire tout ce qu’il croyait utile à sa défense », mais il l’oublia lui-même, dans sa préoccupation de lui paraître hostile, et, quand le malheureux essayait d’user de son droit, il l’interrompait sèchement, avec d’impatients mouvements : « C’est de la discussion… » S’il sentait (on peut le supposer) le néant de l’accusation, d’autre part, il se croyait tenu par le réquisitoire de d’Ormescheville, devenu celui de Carrière, et c’était, en effet, une des absurdités juridiques de l’Affaire qu’il fût condamné ainsi à « un interrogatoire de déraison[69] ». Pourtant, rien ne l’obligeait à faire siennes, par le ton et par le geste, tant de misères et de sottises, non seulement les allégations frauduleuses de Guénée, reconnues comme telles par le faussaire lui-même, sur les maîtresses de Dreyfus et ses prétendues habitudes de jeu, mais encore les inventions plus récentes et non moins basses des continuateurs d’Henry et des « témoins » de Quesnay.

Dreyfus ne répondit que par des faits, simplement énoncés, ou par des dénégations « sans phrase », quand il n’y avait qu’à nier : « Vous avez écrit au capitaine Rémusat pour avoir des renseignements confidentiels[70]. — Je ne lui ai pas écrit. — N’avez-vous pas posé des questions indiscrètes au capitaine Boullenger ? — Je me souviens de lui avoir dit : « Qu’est-ce qu’il y a de neuf au quatrième bureau ? » — N’êtes-vous pas allé à Bruxelles, en 1894 ? — Non, en 1885 ou 1886. — Comment fréquentiez-vous une Autrichienne suspecte d’être une espionne ? — Le commandant Gendron (l’ancien adjoint de Sandherr, qui allait également chez Mme Déry) a déposé, au procès de 1894, qu’il n’avait jamais vu son nom sur les listes d’espionnage. — Ne vous êtes-vous jamais livré à des dépenses qu’il s’agissait de masquer par la bonne tenue des comptes de votre intérieur ? — Jamais. — N’avez-vous pas dit au capitaine Duchatelet que vous aviez perdu chez une femme galante la forte somme ? — J’affirme que je n’ai jamais joué. — N’avez-vous pas joué aux courses ? — Jamais. » Ou encore : « Pourquoi votre présence en Alsace a-t-elle été tolérée ? — Pendant sept ans, les passeports m’ont été refusés. — Et cependant vous y êtes allé ? — Trois fois, en me cachant, en passant par la Suisse. — Et une fois là-bas ? — Je ne suis pas sorti de chez moi. — N’avez-vous pas suivi les manœuvres allemandes à Mulhouse ? — Jamais. — Vous n’avez pas tenu conversation avec un officier de dragons ? — Jamais je n’ai causé avec un officier allemand. » Voilà tout (exactement) ce que Jouaust avait retenu comme de moins extravagant et écrit sur de longues feuilles qu’il tenait à la main, et s’il n’avait pas demandé : « N’avez-vous pas écrit au commandant Esterhazy ? », on eût pu croire qu’il n’en avait jamais entendu parler.

Dreyfus lui fit toutes ses réponses d’une voix claire, assurée ([71], nullement cette voix « blanche », aigre, et sans timbre qu’on lui avait tant reprochée (sans toutefois que rien n’y vibrât ou n’y frémît des colères ou des souffrances accumulées pendant cinq années), et comme s’il passait un examen. Enfin, il réussit encore à se maîtriser, « à rester à l’alignement », quand Jouaust, arrivé à ses derniers feuillets, l’invita à raconter la visite de Du Paty, dans sa prison, à la veille de la dégradation, et ses propos à Lebrun-Renaud. Bien que la tragédie, cette fois, fût plus forte que lui et qu’au souvenir de l’affreuse journée, ses mains s’agitaient d’un tremblement continu, sa sensibilité resta encore tournée au dedans et, s’empêchant de pleurer sur lui-même, hypnotisé jusqu’au bout par son héroïque conception d’un surhomme militaire, il employa le formidable empire qu’il avait sur ses nerfs à retrouver sa précision et son impersonnalité. Cependant, il oublia de discuter, évoqua :

Cette conversation (avec Lebrun-Renaud) a été un monologue haché. Je lui ai dit : « Je suis innocent… » Je sentais au dehors tout un peuple ému auquel on allait montrer un homme qui avait commis le crime le plus abominable qu’un soldat puisse commettre ; je me rendais compte de l’angoisse patriotique qui étreignait ce peuple, et je disais : « Je voudrais crier à la face du peuple que ce n’est point moi qui suis coupable. Je voudrais essayer de faire passer dans cette foule le frisson que j’éprouve. Je voudrais lui faire comprendre que l’homme qu’elle croit avoir commis ce crime n’est pas celui qui a été condamné. Je vais crier à la face du peuple mon innocence. » J’ajoutai : « Le ministre le sait bien ». Cela se rapportait à ce que j’avais dit au lieutenant-colonel Du Paty de Clam lors de sa visite ; je lui avais dit : « Dites au Ministre que je ne suis pas coupable[72]. »

Jouaust, visiblement remué, sous le choc direct de la vérité, n’osa pas prononcer le mot d’aveux, qui eût sonné comme une fausse note ; il demanda seulement, parce que c’était sur son projet d’interrogatoire, quelle avait été la pensée ou « l’arrière-pensée » de Dreyfus, quand il avait dit que son innocence serait reconnue dans trois ans : « Pourquoi ce chiffre ? un innocent doit désirer que son innocence soit reconnue le plus tôt possible. » Sur quoi, Dreyfus expliqua posément que Du Paty lui avait signifié l’impossibilité où l’on était d’employer « tous les moyens d’investigation pour faire immédiatement la lumière », et que, dès lors, « il ne pouvait pas espérer » que son innocence fût établie avant quelques années.

Ainsi Dreyfus apporta dans son interrogatoire la même fierté stoïque et simple que dans tous les actes de sa vie, mais cela encore ne fut compris que de quelques-uns qui avaient de l’officier français le même idéal que lui et savaient que la vraie innocence répugne aux tirades et aux tréteaux ; ceux-là redoublèrent en conséquence d’estime pour cet homme qui, après avoir épuisé les souffrances, jetait un voile sur ses blessures, ne revendiquait que son honneur et ne faisait appel qu’à la conscience, à la seule force de la vérité et à la raison. C’était, d’autre part, inévitable que, dans un pays où domine l’esthétique du théâtre, et dans cette affaire où tout, depuis deux ans, avait l’allure du drame, l’impuissance de Dreyfus à s’extérioriser et son absence de rayon lui causeraient un nouveau tort. Les antisémites et les « patriotes » ne se tinrent pas de joie que l’innocence de leur victime fût si peu décorative. Ils l’eussent traité de « comédien » s’il avait été « bon » où ils lui reprochèrent d’avoir été « mauvais » ; son incapacité à jouer un rôle, à vibrer au dehors, leur offrait un thème plus facile, un moyen plus sûr de barrer la route au peu d’humanité et de bonté qui menaçait de rentrer dans les cœurs. L’olivâtre Barrès, qui avait l’air d’un métis portugais, Drumont, au type, si caractérisé, d’un professeur crasseux de Talmud, et l’authentique juif Meyer ne tarirent pas sur son physique « ingrat » et « sans âme ». Il était bien l’homme de cette basse laideur : « Ce misérable étranger n’exprime jamais un sentiment juste et à quoi nous puissions nous accorder[73] » ; « pour parler, encore faut-il avoir quelque chose à dire, sentir avec quelque vivacité[74] » ; « il ne parle pas, il aboie[75] » ; « chez lui, nulle humiliation que d’être pris[76] » ; quand il n’ergote pas cyniquement, « avec une dextérité d’avoué madré[77] », « ses perpétuels Ce n’est pas vrai ont l’impudence de mensonges d’écolier[78] » ; parfois, il y met un « ton de haine », comme pour en faire « une injure à tous ces témoins (les généraux) qui auraient donc menti » ; « ce disciple d’Avinain », « aussi têtu que crapule », « n’a qu’un système : nier, qu’une tactique : fuir[79] » ; il s’est réfugié dans sa correction comme dans une tanière, « bête traquée qui a peur et se rase[80] ». — Cette attitude si militaire, qui eût dû toucher surtout les militaires, les irrita, au contraire, comme un reproche ou une leçon ; Chamoin, le délégué de Galliffet, ne raisonna pas autrement que les camarades : « Il n’a pas su émouvoir ; le cœur n’a pas parlé… Il nie tout, les faits principaux et les faits accessoires[81] », comme si, les faits accessoires étant aussi faux que les principaux, il n’était pas obligé de tout démentir sous peine de mensonge. — Enfin, le gros du public et beaucoup de ses meilleurs partisans, qui n’étaient pas moins infectés de romantisme, eussent voulu que ce spectre qui revenait de la mort, ce Lazare ressuscité, « dans son linceul à galons d’or tout neufs », leur donnât le frisson, ou le régal, d’une scène de mélodrame ; qu’avant de répondre à ses juges, il maudît ses bourreaux ; au moins « qu’il se laissât aller, laissât crever son cœur gonflé de tant de misères », se vidât dans une crise de sanglots et de reproches qui eût caressé « les sentimentalités à fleur de peau » et les haines, et fait partir les applaudissements[82], Ils voyaient sans doute ou, plutôt, ils entrevoyaient que, s’il avait été ce révolté banal et ce genre de victime, il fût mort depuis longtemps à la peine, au lieu que le ressort d’acier qu’il avait été, « ployant et ne brisant pas », n’avait pas peu aidé « à soulever le monde par sa détente[83] » ; et encore, ce qui n’était pas moins exact et ce qui était plus facile à saisir, que ce pauvre homme, qui reparaissait parmi les hommes pour la première fois depuis cinq ans, et pareil à « une carcasse disloquée[84] », avait déjà grand’peine à se tenir, à entendre les questions et à y répondre sans défaillance. Mais, pourtant, ils furent déçus, s’avouèrent « déconcertés et déroutés », tant ils étaient incapables, eux aussi, en vrais Français, de juger les hommes et les choses à une autre lumière que celle de la rampe et de comprendre un innocent autrement que gémissant, se frappant la poitrine, étalant ses plaies et accusant le destin. On lui aurait su gré des larmes qu’il aurait versées ; on lui en voulut de celles qu’il retint, ou qu’il sécha trop vite. Il fallait un acteur et c’était un soldat.

III

Le conseil ayant décidé, par cinq voix contre deux, de procéder d’abord à l’examen des dossiers secrets, en présence de l’accusé et de ses défenseurs, mais à huis clos, les audiences publiques furent suspendues pendant quatre jours[85].

Les avocats, ici, commirent une nouvelle erreur. Ils eussent dû protester, réclamer qu’on vidât enfin publiquement le dossier d’Henry ; — il tenait, en 1894, dans une enveloppe et avait grossi depuis jusqu’à « ce miracle de fécondité », près de 400 pièces ; — on n’aurait eu à craindre que l’ironie, les sarcasmes de l’étranger. Au contraire, le huis clos, « dans l’intérêt de la défense nationale », permettait aux légendes que la Cour de cassation avait cru détruire, de repousser. Au passage des porteurs de cette paperasse, les amis de Mercier s’exclamaient que « la preuve de la culpabilité était là » ; les mêmes journaux qui avaient si longtemps raconté que mieux valait mettre le traître en liberté que de faire voir le dossier secret à la justice civile, affirmèrent que le huis clos avait été ordonné, en haut lieu, dans l’intérêt de Dreyfus[86].

Chamoin, le matin où s’ouvrirent les débats, était entré au lycée en même temps que Mercier et « l’avait salué très respectueusement[87] ». Mercier, saisissant l’occasion, lui remit la note, qu’il tenait de Du Paty, sur la traduction de la dépêche de Panizzardi[88], sans lui en nommer d’ailleurs l’auteur ni lui demander autre chose que d’en prendre connaissance[89], et sans que l’idée vînt à Chamoin de refuser une communication aussi irrégulière. Mercier (si on pouvait l’en croire) n’aurait pas attaché grande importance à ce papier ; il y avait vu des signes, des groupes, auxquels, « n’étant pas cryptographe », il n’entendait rien, et il aurait remarqué seulement que « Du Paty s’intéressait à savoir si un mot se trouvait deux fois répété dans la dépêche[90] ». — Ainsi, il lui aurait échappé que Du Paty, après Cuignet, arguait de faux le décalque officiel, et insinuait, en outre, que le faux se compliquait probablement d’un meurtre : en effet, le commandant Munier, que Sandherr avait chargé, en 1894, de vérifier la traduction du télégramme et qui aurait conclu à un texte défavorable à Dreyfus, « a été trouvé mort dans un train[91] ». — Le texte falsifié était reproduit à la première page de la note[92], les déductions exposées à la deuxième page et à la troisième. — D’autre part, Chamoin ne pouvait s’y tromper. Il s’était convaincu, lors de l’enquête des Chambres réunies, « non seulement de l’authenticité du décalque », mais aussi de l’exactitude de la traduction officielle, et sa conscience, le respect de sa propre signature au bas du procès-verbal qu’il avait dressé, devant Mazeau, avec Paléologue[93], enfin les ordres formels de Galliffet lui faisaient un devoir d’affirmer devant le conseil que la version du ministère des Affaires étrangères était bonne et sincère. Il décida, en conséquence, de ne tenir aucun compte de la note de Mercier.

Le lendemain, à la première séance du huis clos quand il en vint, dans son explication du dossier secret, à la dépêche du 2 novembre, il raconta donc les étapes successives du déchiffrage et conclut que la dernière version, à laquelle les cryptographes s’étaient arrêtés, était seule exacte, comme cela avait résulté, dès 1894, de la contre-épreuve de Sandherr et avait été reconnu plus tard par le comte Tornielli. Il y avait ainsi entente complète, « absolue », entre les deux ministères de la Guerre et des Affaires étrangères sur la traduction, « et la discussion ne pouvait pas être ouverte à nouveau ». Mais, entre temps, « dans le feu, dit-il, de la conversation[94] », « il oublia la résolution qu’il avait prise avec lui-même de ne pas se servir de la note qu’il tenait de Mercier », et il en lut la première page, d’où il tira diverses conclusions, notamment que les partisans de la traduction inexacte, et parmi eux Du Paty, avaient été « de bonne foi[95] ». Pour les autres pages, il était inutile de les lire, parce que les assertions qui s’y trouvaient étaient « complètement fausses[96] ». Labori ayant réclamé alors de voir l’étrange pièce, il y consentit après quelque hésitation[97], mais à la condition que la défense (ni les juges) ne regarderaient à la deuxième et à la troisième pages.

Chamoin, à la réflexion, sentit l’affaire mal enfournée Il ne devait pas recevoir de pièces d’un témoin[98], — surtout d’un témoin comme Mercier, à la fois accusateur et accusé ; — l’ayant reçue, il devait, sans en prendre connaissance, la remettre à Jouaust[99] ; ne la remettant pas à Jouaust, il ne devait pas la produire[100], et, la produisant, il devait la lire tout entière[101]. En conséquence, et tant par loyauté que par prudence, il finit par se dénoncer lui-même à Labori, le matin de la dernière audience à huis clos ; puis, sur le conseil qu’il en reçut, il raconta à la séance qui suivit que la note ne faisait pas partie du dossier et comment elle lui avait été remise par Mercier ; il en donna cette fois entièrement lecture et « s’excusa sur son ignorance des choses de la justice ». Mercier lui ayant alors réclamé la pièce, il refusa de la lui rendre, la remit à Jouaust[102], et en fit son rapport à Galliffet. Celui-ci, toujours gêné quand il s’agissait de Mercier, se contenta, quelques jours après, de faire venir Chamoin et de lui « laver la tête » : « Je vous couvre, allez-vous-en, ne recommencez pas[103]. »

La mentalité spéciale de Chamoin, qui apparaît si vivement dans cet incident, se manifesta également au cours du long commentaire qu’il fit du dossier secret de la Guerre. Au contraire de Paléologue, qui expliqua celui des Affaires étrangères avec sa netteté coutumière et attesta sans ambages la loyauté de Munster et de Tornielli, le délégué de Galliffet s’appliqua à tout atténuer, à laisser planer des doutes sur la valeur de tant d’informes chiffons, que les juges ne regardaient encore qu’avec respect et une manière de crainte sacrée, et surtout à couvrir tous les chefs qui avaient eu recours aux faux avérés d’Henry. Après s’être fait le commissionnaire de Mercier, il se fit ainsi l’avocat d’office de l’ancien État-Major, si bien que de Mercier à Lauth et à Cuignet tous allaient arriver intacts à la barre, avec le prestige de leurs galons et des situations qu’ils avaient occupées ou qu’ils occupaient encore. Il était en droit de ne pas se porter leur accusateur, mais à condition de ne rien laisser subsister des déductions niaises ou perfides qu’ils avaient tirées de ces pièces stupides ou falsifiées, écartées comme telles par la Cour de cassation et rejetées avec plus de mépris encore par Galliffet qui n’avait pu regarder à cette paperasse « sans pouffer de rire[104] ». L’enquête de la Chambre criminelle continua, dès lors, à rester suspecte aux yeux des membres du conseil de guerre. Les juges civils avaient eu leur opinion ; ils auraient la leur qui ne serait pas, au surplus, très différente de celle de Chamoin, muet sur l’opinion de son ministre, alors qu’il passait pour son interprète, et affirmatif seulement sur les faux dont Cuignet lui-même était convenu et sur la dépêche de Panizzardi.

Comme aucune question ne lui fut posée ni sur les lettres de l’Empereur allemand ni sur le bordereau annoté, il se borna à déclarer qu’il versait aux débats toutes les pièces relatives à l’Affaire, sans aucune exception ; — il ne savait rien, en effet, de celles qui avaient été dissimulées par les successeurs d’Henry au bureau des renseignements, parce qu’elles étaient favorables à Dreyfus ; — et il communiqua toutes celles qu’il avait aux avocats comme aux juges, sauf un lot de cartes-télégrammes de cette amie de Schwarzkoppen qui avait écrit le petit bleu, mais personne n’insista pour les voir.

D’Esterhazy, comme à la première audience publique, il fut à peine question. Demange eut l’impression que la plupart des juges le tenaient pour un agent du « Syndicat[105] ».

À la dernière audience, Chamoin donna lecture des lettres que Dreyfus avait écrites à Boisdeffre de l’île du Diable et, tout soldat qu’il fût et de nature peu sentimentale, sa voix trembla, pendant que les juges, non moins émus, affectaient d’examiner le graphisme de ces feuilles tragiques. Dreyfus seul parut rester impassible. La séance levée, le général ne put se tenir de faire part à Demange de son étonnement : « Moi, un peu plus, j’aurais pleuré ! » Demange lui répondit que Dreyfus lui avait murmuré qu’il allait éclater en sanglots et qu’il s’était félicité ensuite, comme d’une victoire, de s’être maîtrisé.

Au dehors, quand, rentrant du lycée à la prison, il passait entre deux rangées de soldats, les journalistes de la presse féroce le guettaient, et, quand son pas ralentissait, quand sa pauvre face semblait contractée, sa tête moins droite sur les épaules épuisées, ils télégraphiaient joyeusement « qu’il se sentait pris[106] » et qu’il avait été hué par des « patriotes[107] ».

IV

Maintenant que royalistes et nationalistes étaient ainsi rassurés sur Dreyfus et sur son manque d’offensive, ils escomptaient d’autant plus la déposition de Mercier, fixée à la première audience publique. Pendant le long entr’acte des séances à huis clos, on ne vit que lui, dans les rues et sur les places de Rennes, mais très calme, sans une hésitation dans la voix, pour répéter « à tout venant » que « Dreyfus était plus qu’un traître, le roi des traîtres[108] ». Selon Cavaignac, qui se collait à lui tout le temps et dont la face glabre, d’un jaune de citron, tourmentée par les regrets et la haine, s’épanouissait d’un ricanement mauvais à le voir si certain de vaincre, « sa déposition serait la plus importante du procès[109] » ; et les officieux renchérissaient : « Quand il aura parlé, le procès sera virtuellement clos ; il n’y aura plus qu’à clore les débats, à réexpédier Dreyfus à l’île du Diable et à sonner l’hallali de Reinach[110]. »

Pourtant, le laissera-t-on parler ? pourra-t-il « tout dire » ? Nous avons raconté comment Mercier, depuis plusieurs semaines, avait presque simultanément répandu son double mensonge, la plus audacieuse imposture à double face qu’on eût encore inventée, à savoir qu’il avait entre les mains une preuve irrécusable, mais qu’il ne pouvait en faire usage qu’en risquant de se faire arrêter pour violation de secret d’État ; et comment sa presse, au signal qu’il avait donné lui-même, lui enjoignit de passer outre : « Vous faites le centre de cette vaste affaire nationale ; c’est pour en porter tout le poids : un grand honneur ou l’infamie[111]. »

Il n’est pas impossible que ces « patriotes » exaspérés ne fussent pas tous dans le secret de la comédie ; tous, quoi qu’il en soit, contribuèrent à accréditer que Galliffet avait défendu de dire publiquement le mot de l’énigme, le mot décisif et libérateur, celui qui illuminerait tout ce qu’il y avait dans l’affaire de contradictoire et d’obscur, et que Mercier hésitait devant cet ordre du ministre de la Guerre. Les appels, les sommations de parler, qui avaient recommencé avec une force croissante à la veille du procès, continuèrent donc, roulèrent comme des décharges d’artillerie, pendant les journées qui précédèrent la reprise des audiences publiques : « Violez le secret professionnel, clamait Quesnay, ne vous en tenez pas au dossier, messieurs les généraux, livrez le côté mystérieux de l’Affaire[112]. » De même Rochefort, qui ne voulait pas que « Rennes complétât Sedan[113] », et Barrès, les moines de la Croix, Coppée qui savait de source sûre qu’« il y avait, au fond du dossier, un fait à divulguer, un nom à dire tout haut, qui serait la cause d’une guerre[114] » ; mais la guerre valait mieux que la honte, « parce que la France, courant aux épées, acclamerait le plus brave pour lui confier son armée, son drapeau, tous les pouvoirs » ; et tel était aussi l’avis de Drumont et de Déroulède. Le premier, dans une lettre ouverte à Mercier, lui signifia « les ordres de la Patrie », qui étaient de « sauver le drapeau » en révélant enfin toute la vérité[115] ; l’autre, dans une dépêche à son ami Galli qu’il avait envoyé à Rennes, mit le général en demeure « de ne plus rien taire de ce qui devait être utilement dit » : « Dites-lui bien qu’il n’est pas un patriote sincère qui puisse lui faire un reproche de violer les secrets d’État… Sa longue réserve a suffisamment prouvé ses longs scrupules, Quelles que soient désormais les conséquences de ses révélations, elles ne sauraient être pires, ni plus dangereuses pour la nation, que les résultats de son premier silence. Toutes les consignes, tous les ordres de tous les Galliffet du monde, pèsent d’un poids bien léger en face de cette loi suprême : le salut du Peuple[116]. »

À l’appui, les deux juifs Meyer et Pollonnais racontèrent que Munster avait invité Galliffet à ne tolérer « aucune indiscrétion préjudiciable à l’Allemagne », et qu’un des témoins militaires lui avait écrit « qu’il ne se préoccuperait, en déposant, d’aucune conséquence diplomatique ou autre[117] ».

Galliffet démentit officiellement ces deux impostures ; Mercier fit distribuer le journal de Déroulède[118], avec sa dépêche à Galli, dans les rues de Rennes et annoncer qu’il avait pris son parti, pourtant sans lever encore la consigne de se taire, autrement qu’en conversation, du bordereau annoté[119] : « Il ne reculera pas, il dira le mot, sortira le terrible papier dont il est providentiellement muni[120] ; la justice elle-même s’avancera avec lui à la barre[121]. »

Mathieu Dreyfus, qui ne s’était jamais payé de beaucoup d’illusions et qui savait voir, écouter et se renseigner, n’avait pas attendu la fin des audiences à huis clos pour considérer la situation comme « très grave ». Il m’écrivit[122] « qu’il redoutait le pire » et qu’il n’y avait qu’un moyen, un seul, de sauver son frère, c’était d’obtenir du gouvernement allemand « l’une ou l’autre des preuves absolues qu’il avait du crime d’Esterhazy », par exemple les notes du bordereau[123].

Il ne s’ouvrit toutefois de ses craintes qu’à quelques-uns et, sans dissimuler que la bataille serait rude, s’appliquait à rassurer ceux des revisionnistes qui, partis pour Rennes comme pour une facile victoire, y avaient trouvé, à leur étonnement, un ennemi plus implacable que jamais, une atmosphère irrespirable de parti-pris et de haine, et en étaient déjà aux récriminations qui sont l’ordinaire présage des défaites. Havet professait que Mercier « devrait être déjà entre quatre gendarmes ».

V

Pendant que ces incidents se succédaient à Rennes, Waldeck-Rousseau, à Paris, se décidait à prendre l’offensive contre les conspirateurs.

On a vu comment la trahison de divers affiliés de Déroulède et de Guérin avait réuni entre ses mains les fils de leurs intrigues et qu’il était informé de leur dessein de faire leur coup le jour même où Mercier déposerait au conseil de guerre[124]. Le bruit que menaient les journaux au sujet des écrasantes révélations qui se produiraient à l’audience du 12 août lui parut une confirmation que le signal partirait de Rennes[125]. Préfecture de police et Sûreté générale, renseignées à des sources différentes, donnaient les mêmes avis[126]. Lépine, en l’avertissant, cette même semaine, que le duc d’Orléans aurait secrètement quitté Marienbad pour une croisière sur la côte bretonne, qu’une dépêche interceptée annonçait qu’il était en route pour Paris[127], que Barillier avait procédé « à une sorte de mobilisation partielle de ses ligueurs » et que « Guérin complétait ses approvisionnements », ne cacha pas ses craintes, conseilla formellement l’arrestation immédiate des principaux meneurs. « Privés de leurs chefs, les bandes seront hors d’état de nuire[128]. » Plus tard, ce sera trop tard. Et, dans l’état d’esprit de l’armée, mieux vaut prévenir l’ennemi que l’attendre dans la rue.

Waldeck-Rousseau porta aussitôt l’affaire au Conseil[129] : les complots parallèles, d’avant Reuilly, dont les preuves étaient aux dossiers de Dupuy ; le nouveau complot où Guérin et Déroulède marchaient cette fois d’accord, et ce que la police croyait avoir surpris d’une tentative du prétendant en Bretagne. Il n’y eut qu’une voix qu’il fallait mettre les fers au feu. (10 août.) Galliffet a raconté plus tard que, si Waldeck-Rousseau lui avait fait appel, c’était qu’il le savait homme à « taper sur tout le monde[130] ». Il en sera quitte pour ne pas aller, de quelques jours, à son cercle.

Une entorse à la légalité n’eût pas été pour l’inquiéter, mais Waldeck-Rousseau assura que le terrain était solide, qu’on n’aurait pas à rentrer dans le Droit, qu’on y était en plein.

Il exposa en quelques mots la question juridique, l’accusation à porter devant la Haute Cour : 1° le complot est manifeste, autant pour le moins qu’il y a dix ans celui de Boulanger, caractérisé par des actes préparatoires et continus, — les embauchages, « les réunions et manifestations pour tenir tout le monde en haleine et pour se compter », l’armement et la mise en défense du fort Chabrol, les dépêches du prétendant, la liste des fonctionnaires trouvés chez les agents du duc[131] ; — 2° la tentative de Reuilly n’est pas couverte par l’acquittement de Déroulède et de Marcel Habert en cour d’assises. En effet, ils y ont été déférés seulement pour « provocation », en vertu de la loi sur la presse ; eux-mêmes, ils n’avaient pas cessé de réclamer d’être poursuivis devant la Haute Cour pour crimes de complot et d’attentat[132] ; surtout, la Chambre des mises en accusation, en déclarant dans son arrêt : « Ces crimes ne sont pas établis quant à présent[133] », a indiqué, réservé, qu’ils pourraient l’être par la suite. On ne peut donc opposer à de nouvelles poursuites contre Déroulède « ni l’application de la règle non bis in idem, ni le principe de l’autorité de la chose jugée[134] ».

Le complot et l’attentat « en vue de changer le gouvernement » sont prévus et punis par les articles 87 et 89 du Code pénal ; l’article 10 du Code d’instruction criminelle confère au préfet de police le droit certain de procéder aux arrestations et perquisitions nécessaires.

Armé du vote unanime du Conseil, Waldeck-Rousseau établit ensuite lui-même la liste des conspirateurs à mettre à l’ombre. Leur notoriété, l’éclat de leurs démonstrations publiques désignaient les principaux chefs : Buffet, Déroulède, Marcel Habert, Guérin, Godefroy, Lur-Saluces, Baillière, Barillier, Sabran, Moisson de Vaux, Dubuc ; pour les sous-ordres, Grimaud de Monicourt, Chevilly, Guixou-Pagès, Poujol dit de Frechencourt, Ghaîsne de Bourmont et Parseval, du groupe royaliste, Brunet, Girard, Davout dit Cailly, antisémites, Georges Thiébaud, et quelques bouchers et boyaudiers de la Villette[135], il tira au jugé, comme il est presque impossible de ne pas faire en pareil cas. Aucun d’eux n’était innocent, même Thiébaud, malgré le double jeu dont on l’accusait ; mais il y en avait de plus coupables.

L’opération policière fut fixée au matin du 12 août, quelques heures avant la déposition de Mercier.

Lépine ne donna ses instructions que dans la nuit. Dès le lever du jour, ses commissaires se présentèrent au domicile des divers inculpés. La plupart s’y trouvaient, encore au lit ou à peine levés, et se laissèrent emmener sans résistance, à l’exception de Thiébaud qui refusa d’ouvrir sa porte et se sauva par les toits[136] ; Déroulède fut arrêté à sa campagne de Croissy et Sabran à Cauterets. Marcel Habert, qui avait découché, apprit de bonne heure l’arrestation de Déroulède, rédigea un manifeste et disparut. Guérin, pendant que la police faisait irruption chez sa mère, était chez une maîtresse d’où il se rendit à son fort Chabrol où la police arriva trop tard ; il déclara qu’il recevrait à coups de fusil quiconque essayerait d’en forcer l’entrée. Enfin, trois des principaux royalistes, Moisson de Vaux, Lur-Saluces et Buffet, avertis par quelque trahison[137], s’étaient enfuis ou cachés ; on télégraphia aussitôt leur signalement aux frontières, mais Buffet, seul, fut reconnu (à Feignies, au moment où il allait passer en Belgique), et ramené à Paris. De Vaux, qui était malade, voulait surtout éviter la détention préventive ; il se constitua prisonnier à la veille du procès devant la Haute Cour et son exemple fut suivi successivement par Habert et Lur-Saluces. Pour Ramel, bien que des plus compromis, il fut laissé en liberté provisoire, ainsi que l’ex-juge Grosjean. Le duc de Luynes resta quelque temps en Belgique, bien qu’il ne fût pas inculpé ; Dubuc fut arrêté seulement en septembre.

L’attention était tellement concentrée sur Rennes que ce coup de filet produisit peu d’émotion. Sauf le personnel des Ligues, le gros des royalistes et des césariens n’était pas initié au complot, et les républicains, avec leur ordinaire incapacité de prévoir, n’y croyaient plus. L’impression générale fut que Waldeck-Rousseau, par ce Fructidor atténué, avait voulu surtout nettoyer la rue, ce qui était, en effet, l’un de ses objectifs. Libéraux et radicaux se réservèrent, inquiets les uns des conséquences, les autres du bien-fondé de l’audacieuse opération. « Si le complot (d’avant Reuilly) avait été réel, Dupuy serait inexcusable[138]. » Waldeck-Rousseau eut toute la responsabilité. Il ne s’était ouvert de son dessein à personne en dehors de ses collaborateurs immédiats ; les conspirateurs, qu’il mettait dans l’impossibilité de nuire, et les républicains, qu’il préservait, furent également surpris. Le coup fait, point de phrases, rien qu’une note très simple. Les mêmes gens, qui avaient monté l’attentat de Reuilly et avaient promis de recommencer, allaient tenir parole ; le gouvernement, averti, a résolu de les devancer ; l’instruction est confiée au juge Fabre[139]. En une nuit, la République était dégagée, sans une goutte de sang, par le seul réveil de la Loi.

Il n’est pas douteux que la conspiration avait des complices dans le corps d’officiers. Waldeck-Rousseau n’en voulut impliquer aucun. Donner à croire que l’armée n’a pas cessé d’être fidèle, c’est à la fois la servir et la préserver. Un avertissement suffira : la suppression des tentateurs (en prison ou en fuite).

À Rennes, le 12 août au matin, quand le conseil de guerre reprit ses séances, rien des événements de la nuit n’y avait encore transpiré.

VI

La déposition de Casimir-Perier, qui précéda celle de Mercier[140], en eût pu être le contre-poison si ces cerveaux de soldats n’avaient été intoxiqués au point que les poisons seuls s’y absorbaient.

L’ancien Président de la République s’était récemment irrité que les journaux nationalistes et Carrière l’eussent mis en cause, comme le seul homme, avec Mercier, qui fût informé du secret de cette ténébreuse histoire. On l’avait vu courir aussitôt chez Krantz, alors ministre, et exiger que Carrière démentît ses propos ou fût frappé pour les avoir tenus à un journaliste[141]. Il avait toujours accepté la responsabilité de ses actes, mais n’en supportait pas d’autre.

Il commença donc son témoignage par cette déclaration qui ne répondait, dans sa pensée, à rien de précis, mais qui recevait des manœuvres souterraines de Mercier une importance capitale et qui aurait été décisive en d’autres temps :

Vous me demandez de dire la vérité, toute la vérité ; je l’ai juré, je la dirai sans réticences et sans réserves, tout entière. Quoi que j’aie déjà dit dans le passé (à la Cour de cassation), on persiste à croire ou à dire — ce qui, malheureusement, n’est pas toujours la même chose, — que je connais seul des incidents ou des faits qui pourraient faire la lumière, et que je n’ai pas jusqu’ici dit tout ce que la justice aurait intérêt à connaître. C’est faux… Je ne veux sortir de cette enceinte qu’en y laissant l’inébranlable conviction que je ne sais rien qui doive être tu et que j’ai dit tout ce que je sais[142].

Impossible de démentir plus fortement que l’Affaire eût un côté mystérieux ; le plus simple bon sens voulait que cet homme, qui était descendu par scrupule du plus haut poste, n’allât pas se parjurer pour le plaisir.

Il prononça cet exorde de son ton le plus tranchant, « d’une voix métallique, claironnante[143] », les yeux dans les yeux de Jouaust, et il ne mit pas moins d’énergie et d’accent dans le reste de son discours. Il ajouta seulement quelques détails à son précédent récit, — notamment, à propos de son entretien du 6 janvier 1895 avec Munster, le texte de la note de Hohenlohe[144] qui n’avait pas encore été publié, — mais insista avec force sur ce que Mercier lui avait dit du peu d’importance des documents énumérés au bordereau, sur l’ignorance où il avait été tenu de la communication des pièces secrètes aux seuls juges, et sur son entretien avec Lebrun-Renaud, qui ne lui avait pas soufflé mot des aveux. L’article du Figaro, qui avait motivé sa réprimande à Lebrun et dont il donna lecture, « ne mettait, en effet, dans la bouche du capitaine Dreyfus, depuis le commencement jusqu’à la fin, qu’une protestation en faveur de son innocence » ; comment « la pensée lui serait-elle venue de parler d’aveux à l’officier qui avait raconté cette protestation à un journaliste » ? Il ne l’avait d’ailleurs reçu, à la demande de Mercier, que pour le tancer de ces bavardages et pour l’inviter à se taire.

Ayant juré de dire tout ce qu’il savait, il raconta ensuite comment Waldeck-Rousseau et moi nous étions venus l’entretenir, à la veille du procès de 1894, de la question du huis clos, mais pour rattacher à cet épisode, qui était déjà connu[145], une interpellation inattendue à Dreyfus.

On n’a pas oublié que l’objet de notre démarche était de porter au Président de la République l’engagement formel de Demange que, « si les débats avaient lieu autrement qu’à huis clos[146] », il n’y serait fait aucune allusion à la provenance de la pièce accusatrice ; que Casimir-Perier nous dit seulement « qu’il transmettrait notre désir » au Conseil des ministres[147] ; et que le vieil avocat, peu au fait de la politique et le meilleur des hommes, avait donné « trop d’espérance à son client[148] », soit pour le consoler et l’encourager, soit qu’il se fût fait lui-même illusion sur le courage des hommes publics.

Le souvenir de la déception qui suivit hanta Dreyfus à l’île du Diable ; il s’était persuadé, non sans motif, qu’il n’aurait pas été condamné si le huis clos n’avait pas été prononcé ; et il ne comprenait toujours pas pourquoi sa requête n’avait pas été admise. Cependant, il avait continué à se taire du prétendu secret, comme s’il eût pu résulter quelque danger pour la France qu’il nommât l’Allemagne à son rocher, et sa fidélité à cette consigne de silence était l’une de ses fiertés. Ainsi, il avait dit au gouverneur, un jour qu’il se sentait trop malheureux, combien sa justification était difficile, puisqu’« il avait engagé sa parole au Président de la République de ne jamais dévoiler l’origine de la fameuse lettre[149] », et il avait écrit, une autre fois, à Deniel : « Cette parole que j’avais donnée à M. Casimir-Perier, je l’ai tenue… D’ailleurs, ne l’eussé-je pas donnée, que ma conscience de soldat loyal et dévoué à son pays m’eût, de la même manière, imposé strictement ma conduite[150]. »

C’était cette lettre, écrite dans la fièvre, que Casimir-Perier avait sur le cœur, depuis qu’Alphonse Humbert l’avait publiée avec le rapport de Deniel sur « les agissements de Dreyfus à l’île du Diable[151] ». Il l’avait interprétée de la façon la plus étroite, — « qu’il aurait échangé sa parole, étant Président de la République, avec un officier accusé de trahison[152] », — et, bien que j’eusse donné aussitôt la clef de l’erreur, en racontant la démarche de Waldeck-Rousseau et la mienne à l’Élysée, la réponse qui nous avait été faite et ce que Demange, « par bonté d’âme », y avait pu ajouter d’espoir dans ses entretiens avec Dreyfus[153], il s’était buté à ne pas comprendre qu’une telle infortune, après quatre années de martyre, ne pesât pas les termes comme un notaire. Il n’avait jamais su mépriser la presse ; les articles des nationalistes sur « ses négociations » avec Dreyfus l’écorchèrent au vif. Sa susceptibilité, pour le dernier goujat de plume qui l’éclaboussait, avait quelque chose de pathologique. Et, maintenant, il réclamait, « exigeait », des explications immédiates sur ce prétendu engagement « qu’il n’aurait pas tenu et qu’il ignorait » ; non pas qu’il eût été ému pour lui de la lettre de Dreyfus où il en était question, a mais pour l’honneur de la magistrature qu’il avait occupée et pour la République[154] ».

Ce misérable incident ayant été exploité par les partis avec une extrême perfidie, il était de bonne politique de prendre les devants à l’audience et de l’y faire éclaircir. Mais Casimir-Perier eût pu poser la question simplement, sans âpreté ni solennité, et, pour tout dire, humainement. Au contraire, il ne se contenta ni de l’explication que lui donna Demange[155], qui était conforme à celle que j’avais déjà produite et qu’il aurait pu trouver de lui-même, ni de la protestation de Dreyfus : « Il n’est jamais entré dans ma pensée que le Président de la République eût pris à mon égard un engagement et qu’il ne l’eût pas tenu[156] » ; et, comme le pauvre homme, abasourdi, désemparé devant tant de hautaine et puérile violence, ne se souvint pas sur l’heure de sa lettre à Deniel, que Demange et Labori avaient également oubliée[157], il insista sans pitié : « Ma satisfaction n’est pas complète… Je n’invoque rien de mon autorité passée ; j’invoque la dignité de la fonction que j’ai remplie ; je demande à ne pas sortir de cette audience avant que l’on sache qui a menti ici ; je l’exige… Je demande au conseil de guerre de bien vouloir faire rechercher la lettre à laquelle je fais allusion ; cela peut être dans l’intérêt de l’accusation ; je regarde plus haut et plus loin[158]… »

Les spectateurs, même des plus hostiles à Dreyfus, s’étonnèrent d’une telle véhémence, inexplicable, en effet, pour qui n’avait pas pénétré cette nature complexe et contradictoire, le plus loyal des hommes, mais avec des nerfs exaspérés de femme. Ce manque de générosité, une telle préoccupation de soi dans un tel drame, parurent aux socialistes la justification de leurs furieuses attaques d’autrefois contre la dure dynastie des Perier[159], et ils lui appliquèrent la formule de Port-Royal « sur ces honnêtes gens devant le monde, mais qui ne passeraient pas devant Dieu[160] ».

Disons tout de suite qu’à l’audience suivante il s’était ressaisi et s’empressa d’accepter les explications complémentaires de Demange qui avait trouvé la lettre au dossier et prenait sur lui toute la responsabilité du malentendu[161]. Le regret de s’être laissé emporter pour si peu perça alors dans sa réponse à Demange et dans le regard qu’il jeta à Dreyfus. Mais il ne lui en avait pas moins causé un nouveau tort.

Dès que Casimir-Perier eut achevé sa déposition, Mercier, en uniforme, parut à la barre. Enfin, l’obus à mitraille de la vérité allait éclater.

Mercier, après avoir prêté serment, s’assit (Casimir-Perier avait déposé debout), vida sur une tablette un lot de documents très bien classés, les uns qui lui venaient d’amis personnels ou des témoins de Quesnay, les autres qui lui avaient été communiqués soit par l’ancien État-Major soit par le bureau des renseignements[162], annonça que « sa déposition serait forcément un peu longue[163] », et commença, d’une voix basse, nonchalante, volontairement sourde, « d’une voix de vieille dame[164] », qu’on entendait à peine, une interminable conférence sur toute l’Affaire.

L’attente d’une péripétie de théâtre était telle qu’au bout d’un quart d’heure la déception se peignait sur tous les visages. Adversaires et partisans se sentirent également frustrés. Après la réédition, si bruyamment annoncée, du coup d’Henry au procès Zola, cette plate reprise des chicanes de Roget équivalait, pour le gros du public, à l’aveu qu’il n’y avait pas de preuves contre Dreyfus[165]. Plusieurs, jusqu’à la dernière minute, se dirent : « Il n’est pas possible qu’il n’ait pas autre chose dans sa giberne. La vraie déposition va venir… »

« On ne pouvait pas croire que ce fût cela ; c’était cela pourtant[166]. » Ou il semblait que c’était seulement cela, aux quelques lambeaux de phrases mâchonnées qui arrivaient à l’auditoire, des phrases qu’on avait l’impression d’entendre pour la millième fois, sauf que Mercier n’y appelait plus Panizzardi et Schwarzkoppen, comme aux précédents procès, par des initiales. Mais les temps étaient si loin où Delegorgue invoquait « l’honneur et la sécurité du pays » pour défendre de nommer l’attaché allemand[167], et ces noms, qui avaient été redoutables, étaient tellement usés, que ce manquement à la consigne ne parut même pas une nouveauté. De temps à autre, on voyait Mercier passer au greffier des lettres, les vieilles pièces secrètes et quelques nouvelles, et Coupois les lisait comme les premiers papiers venus. Mais le mot promis, le mot libérateur, le mot éclair ne venait toujours pas.

Au contraire de ce public désappointé, les juges écoutèrent l’ancien ministre de la Guerre avec une attention et un intérêt soutenus, ne perdirent pas un mot[168]. Ils étaient flattés qu’il ne parlât que pour eux, les soldats, indifférent à la badauderie des civils, pesant chaque phrase, surtout celles où il avait entortillé les allusions au secret d’État qu’il leur avait fait confier en souterrain. Dreyfus, les avocats, Casimir-Perier, qui s’était assis derrière Mercier, ne comprirent rien à ces mêmes phrases, les plus importantes du discours, où en était tout le poison ; ils n’y démêlèrent que l’embarras de l’accusateur en déroute devant les faits, devant l’impossibilité de dégager Esterhazy du bordereau, et, d’ailleurs, l’entendirent à peine[169], tant il bredouillait intentionnellement, lui dont la voix, autrefois, à la tribune, portait, claire et nette, dans toute la Chambre.

C’était le beau de l’opération : non plus la communication clandestine, mais la suggestion, à la fois publique et honteuse, du faux.

Mercier y procéda avec un art consomme, tronquant les textes, falsifiant les dates, faussant les faits, parfois rien que par l’incorrection et l’obscurité du langage, l’inexactitude voulue, le vague et l’équivoque systématiques, se contredisant dans la même phrase jusqu’à l’absurde, mais toujours de façon à conduire, à ramener les juges à l’abominable mensonge sous-entendu.

Barrès, qui vit très bien le jeu de Mercier, s’amusa à le dire : « Il a indiqué toutes les pistes au bout desquelles se trouvaient les preuves[170]. » Pourquoi pas les preuves elles-mêmes ? — Non, rien que les pistes, seulement le réseau de mensonges et de sottises qui aboutissent au faux impérial, ne s’expliquent que par le bordereau annoté ou l’expliquent. Voici quelques-unes de ces « pistes » :

Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne s’occupait personnellement de ces affaires d’espionnage[171] ; il s’en occupait souvent[172] ; les chefs de cet espionnage correspondaient directement avec lui de Paris, de Bruxelles et de Strasbourg[173]. — Cette remarque n’est pas oiseuse, elle servira à faire apprécier l’importance de la déclaration de M. Mertian de Muller sur ce qui s’est passé, en 1894, au château de Potsdam[174]. — M. de Muller a vu, sur la table du cabinet de l’Empereur, un numéro de la Libre Parole où ces mots : « Le capitaine Dreyfus est pris » étaient écrits au crayon rouge… On a l’air de considérer le capitaine Dreyfus comme une personne que tout le monde connaît, sur laquelle il n’y a pas besoin de donner de détails[175]. — Ce système d’espionnage était parfaitement connu en Allemagne ; quand le colonel de Schwarzkoppen a pris plus tard le commandement de l’un des régiments de la garde impériale, ce régiment a été désigné dans l’armée allemande sous le nom de régiment Dreyfus[176]. — Il faut examiner avec une extrême méfiance les démentis de la diplomatie étrangère qui peuvent être opposés par raison d’État ; dussent même ces démentis venir d’une bouche impériale ou royale, je vous demanderai de ne les accepter qu’avec une extrême réserve[177]. — M. Casimir-Perier, dans sa déposition devant la Chambre criminelle, a parlé de la démarche quelque peu insolite qui avait été faite auprès de lui par l’ambassadeur d’Allemagne ; mais il n’a pas été jusqu’au bout de sa déposition. Il n’a pas dit que, ce même jour, nous sommes restés, lui, président de la République, le président du Conseil et moi, de huit heures du soir à minuit et demi, dans son cabinet, à l’Élysée, à attendre si la paix ou la guerre allait sortir de cet échange de communications[178]. J’avais ordonné au chef d’État-Major, M. le général de Boisdeffre, de m’attendre au ministère de la Guerre avec le nombre d’officiers nécessaires pour expédier immédiatement, si besoin était, les télégrammes prescrivant la mise en vigueur des mesures préparatoires de la mobilisation. Vous voyez que nous avons été à deux doigts de la guerre[179].

Du moment que l’Empereur allemand « s’occupe lui-même et souvent des affaires d’espionnage », « qu’il correspond directement avec ses agents », quoi d’étonnant qu’il ait annoté le bordereau ? Si la guerre, un soir, a été à la veille de sortir de l’affaire Dreyfus, comment ne pas conclure que l’Empereur allemand avait un intérêt personnel à ne pas être compromis dans cette basse histoire d’espionnage ?

Le récit de cette prétendue « nuit tragique » est le morceau capital de la déposition de Mercier, celui qui portera le plus, prêtera le plus aux commentaires : « C’est là, diront ses amis, dans les replis profonds de cette crise diplomatique, qu’il faut chercher le foyer de l’abcès ; tout le reste est infection par rayonnement[180]. »

Mercier, qui, jusqu’à ce point de sa déposition, a suivi fort exactement l’ordre chronologique, commet ici l’une de ses plus étonnantes supercheries ; il place la démarche allemande avant le procès de Dreyfus, alors qu’elle lui est postérieure de quinze jours[181], et il justifie par là sa forfaiture, sur laquelle il avait refusé jusqu’alors de répondre[182]. S’il a donné au colonel Maurel « l’ordre moral » de communiquer les pièces secrètes aux seuls juges, c’est qu’il n’y avait pas alors d’autre moyen de concilier les intérêts de la défense nationale et ceux de la justice. D’une part, il ne pouvait pas « laisser les juges dans l’ignorance des charges qui pesaient sur Dreyfus » et « il n’avait pas confiance dans le secret relatif du huis clos » ; d’autre part, cette rude alerte lui avait ouvert les yeux sur les dangers du dehors ; la situation militaire était fort mauvaise. — « Nous nous trouvions dans un état d’infériorité absolue », en pleine transformation du plan de mobilisation et dépourvus d’artillerie à tir rapide, et la situation diplomatique n’était pas moins inquiétante. « Nous ne savions pas », au lendemain de la mort de l’empereur Alexandre III, « si la Russie marcherait[183] ». L’on ne devait pas, dès lors, « à ce moment-là, désirer la guerre[184] ». — Enfin, comme il est impossible, sans la fausse date, que l’ultimatum allemand ait eu pour objet la restitution du vrai bordereau, Mercier se tait du but précis de la démarche de Munster, — il ne veut pas mentir, penseront les officiers, et il lui est défendu de dire toute la vérité — et il insiste seulement sur ce que Casimir-Perier « s’est arrêté dans sa déposition ».

Tout à l’heure, pendant que Mercier racontait les angoisses de cette nuit imaginaire, Casimir-Perier n’a pu retenir son indignation. Par deux fois, de sa place, il a protesté, démenti son ancien ministre d’un geste violent, demandé la parole. Mais Mercier, impassible, a continué son récit, Mercier qui, au contraire de Casimir-Perier, n’aurait pas « négocié » avec moi et qui n’a pas eu d’autre pensée que le salut et l’honneur de l’armée.

Sa grande force, avec son incroyable audace d’imposture, c’est que nul n’a sondé plus profondément, ne connaît mieux que lui la mentalité des militaires. Le même argument, qui paraît absurde aux civils, leur paraît décisif. Quand il reprend, à la stupeur des civils, les divagations de Roget et de Cavaignac sur les pièces secrètes et les notes du bordereau, il sait que la plupart des officiers, loin de s’étonner de ces redites, s’applaudiront de cet accord de tous les grands chefs et que cet accord même leur sera une preuve de plus contre Dreyfus.

Alors même qu’une parcelle d’esprit critique serait restée dans ces cerveaux disciplinés, les plus hardis s’attaqueraient seulement aux raisonnements et aux déductions de Mercier ; les faits et les documents qu’il produit ne sauraient être controuvés ou apocryphes. Or, presque tous le sont, tantôt des faux, encore inconnus, d’Henry, tantôt d’insolents mensonges, d’une telle effronterie qu’ils paraîtraient ailleurs des gageures. — Henry a postdaté du 30 novembre 1897, le brouillon d’un rapport que l’attaché militaire autrichien, Schneider, avait adressé à son État-Major à une époque où il était encore incrédule à l’innocence de Dreyfus[185] ; l’Autrichien étant devenu par la suite aussi affirmatif sur Esterhazy que s’il l’avait eu lui-même à ses gages, Mercier atteste que la fausse date, qui est le principal intérêt de la pièce, est exacte[186]. — La lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen, sur l’organisation militaire des chemins de fer, qu’Henry, comme je l’ai raconté, avait faussement datée d’avril 1894[187], n’était arrivée à l’État-Major qu’en 1895, le 28 mars, alors que Dreyfus était déjà à l’île du Diable et que Mercier n’était plus ministre ; il déclare qu’il l’a fait communiquer au colonel Maurel, avec les autres pièces du dossier secret, le 21 décembre 1894, trois mois avant qu’elle eût été écrite[188]. — La livraison des plans directeurs aux attachés étrangers a commencé bien avant l’arrivée de Dreyfus à l’État-Major ; ces documents étaient payés 10 francs pièce ; une note, interceptée, de Schwarzkoppen désigne son fournisseur sous les initiales D. B. ; et ce misérable trafic a continué, sans interruption, jusqu’en ces dernières années[189] ; il sait tout cela, s’en tait et affirme, ce que Cavaignac et Cuignet eux-mêmes ont renoncé à soutenir, que « ce canaille de D… », c’est Dreyfus[190]. — Il a su, le jour même, par Picquart et par Sandherr, que le dossier secret a été ouvert en chambre du conseil et dépouillé par les juges[191] ; et il jure ne l’avoir su que cinq ans plus tard, après la séance de la Chambre où Dupuy a proposé de le mettre en accusation : alors seulement, il a cherché à se renseigner[192]. — Si Casimir-Perier n’a point permis à Lebrun-Renaud de lui faire part des aveux de Dreyfus, c’est « qu’il était encore sous l’émotion » de son entretien avec Munster, qui n’eut lieu que plusieurs heures après, et « hypnotisé par les menaces d’une guerre imminente[193] ». — « La marque de fabrique du bordereau », c’est cette phrase sur les troupes de couverture : « Quelques modifications seront apportées par le nouveau plan » (de mobilisation), phrase qui se trouve dans la circulaire du 15 octobre 1894 aux commandants de corps d’armée ; les Allemands ont donc été avertis « six semaines auparavant[194] ». Or, la circulaire ne contient pas la phrase du bordereau, mais celle-ci : « Quelques modifications ont été apportées aux centres de fabrication », c’est-à-dire, non du dispositif des troupes de couverture, mais des boulangeries de campagne[195]. — Si Dreyfus n’a pas répondu à l’invitation du commandant Ducros, lui offrant de visiter l’atelier de Puteaux[196], cela ne démontre pas qu’il ait été accusé à tort d’indiscrétion et de curiosité suspecte, mais « qu’il savait déjà que Mercier avait préféré au canon Ducros, dès lors sans intérêt, le canon du colonel Deport[197] ». — « Dreyfus devait croire qu’il irait aux manœuvres » (en septembre) ; « il paraissait plus spécialement désigné qu’un autre, parce qu’il était attaché à la section des manœuvres ». Or, Dreyfus savait depuis le mois de mai qu’il n’irait pas aux manœuvres ; il en avait été instruit, ainsi que tous ses camarades, par une circulaire signée de Boisdeffre et de Gonse, que Mercier n’avait pas ignorée[198], et les officiers du 3e bureau (opérations militaires et instruction générale de l’armée) ne sont pas « plus désignés » pour aller aux manœuvres[199] que ceux du 4e (étapes et chemins de fer) ou du 2e (organisation et tactique des armées étrangères). — « Le fameux papier pelure, quoi qu’en disent les experts, est de fabrication courante » ; aucune conclusion à en tirer, tout le monde pouvait en avoir : Mme Séverine est convenue qu’elle se servait toujours « du papier du bordereau » ; Mercier lui-même en a fait fabriquer devant lui, à Paris, et il a su d’un nommé Calais, papetier au Mans, où Dreyfus était en garnison en 1884, que ce marchand en avait eu en vente à cette époque[200]. Cependant, il n’est pas établi qu’Esterhazy se soit servi du même papier[201] et ses deux lettres au tailleur Rieu (reconnues authentiques par Esterhazy) sont probablement des faux[202].

Aussi bien toute la campagne en faveur de la revision a été payée par un complot international, « à coups de millions, dont 35 venus rien que d’Allemagne et d’Angleterre, » ainsi que Freycinet lui-même l’a dit au général Jamont qui a autorisé Mercier à invoquer sa parole devant le conseil de guerre[203].

Il garda l’écriture du bordereau pour la fin de son discours, sachant bien qu’il était guetté surtout à ce défilé, et, en effet, pour le passer, se courba, se fit petit, presque ridicule, mais d’autant plus sûrement échappa, sauvant son mensonge, — puisque le système de Bertillon était le seul, comme on l’a vu, où le bordereau annoté pouvait se concilier avec le bordereau sur papier pelure, — puis lançant une dernière flèche invisible, pendant que les « intellectuels », à le voir invoquer l’anthropométreur, trébucher, semblait-il, au trou du fol, se débattre dans les contradictions, ne comprenaient plus du tout, se demandaient s’ils ne s’étaient pas trompés sur ce magnifique criminel qui ne serait qu’un imbécile[204].

Il faudrait le Pascal des Provinciales pour faire voir que jamais jésuite ne s’est plus impudemment appliqué à « entre-détruire » ses assertions[205], à insinuer par la même phrase le contraire de ce qu’il paraît y dire et à faire sortir le mensonge de l’équivoque ou de l’absurde. Ainsi, quand il dit « qu’il persiste à croire que le bordereau est du capitaine Dreyfus », il dit, en même temps, que, « même s’il avait été écrit par un autre, il n’aurait pu l’être que sous son influence » ; en d’autres termes, si le bordereau peut avoir été « fait et écrit » par la même personne, la personne qui a écrit matériellement le bordereau peut cependant ne pas être la même qui la « inspiré[206] » ; l’important, dès lors, ce n’est pas de connaître le scripteur, toujours sujet aux disputes des experts, mais « l’inspirateur » ; et l’inspirateur, c’est Dreyfus, que Mercier a connu en fait par l’annotation impériale, mais qui lui a été dénoncé également par la cryptographie, science aussi certaine que la graphologie est conjecturale. « Le bordereau, en effet, est une véritable épure géométrique », dont « les lignes et les mots ont été tracés ou placés suivant des lois déterminées. » Le mot-clef « intérêt », « qui est à la fois le procédé mécanique et la raison psychologique de la trahison, » une fois découvert dans une lettre, sans date, de Mathieu Dreyfus à son frère, n’importe qui, « en appliquant les procédés de repérage aux mots et aux lettres, pourra reproduire le bordereau de telle façon qu’il se superpose exactement sur l’original ». Si vous prenez le calque du mot intérêt du bordereau, « il se mettra sur le même mot » de la lettre de Mathieu. « Il ne s’agit pas ici de l’écriture, mais du placement des lignes, des mots… » C’est l’expérience que Bertillon va faire devant le conseil de guerre. Mais « si Esterhazy était venu déclarer qu’il est l’auteur du bordereau, j’aurais demandé qu’on le lui fit faire devant vous pour bien montrer qu’il ne le pouvait pas[207] ».

Il sait qu’Esterhazy ne viendra pas et que si, d’aventure, le gredin se ravisait, la bataille serait perdue de toutes façons. Ce sont les chances de la guerre.

Il parlait depuis quatre heures, sans avoir encore tourné les yeux vers Dreyfus, assis à deux pas de lui et, semblait-il, impassible. Quand il arriva à sa péroraison (visiblement apprise), il se tourna, d’un geste qui n’était pas moins étudié, vers l’homme, s’efforça de le regarder « comme une chose[208] », et récita : « Si le moindre doute avait effleuré mon esprit, je serais le premier à le déclarer et à dire devant vous au capitaine Dreyfus : Je me suis trompé de bonne foi… » Mais Dreyfus, pour le coup, n’y put tenir et, se dressant, marchant, le bras tendu, vers Mercier, lui hurla en plein visage le cri qui lui gonflait la poitrine : « C’est ce que vous devriez faire ! » Il semblait vouloir se jeter sur lui, pendant que les applaudissements partaient de tous les coins de la salle. Le capitaine de gendarmerie, préposé à sa garde, le fait rasseoir. Mercier, tout à coup très pâle, tous ses traits se contractant, essaie de reprendre sa phrase : « Je viendrais dire…[209] » ; mais Dreyfus lui crie à nouveau : « C’est votre devoir ! » et les derniers mots du général se perdent dans le tumulte des acclamations et des huées. On entend à peine que « sa conviction n’a pas subi la plus légère atteinte » et qu’aucune preuve n’a été apportée en faveur du condamné, « malgré l’énormité des millions follement dépensés. »

Il était midi et l’audience avait commencé un peu après six heures. Comme Demange se levait à son banc[210], Jouaust prononça l’ajournement des débats au surlendemain (le lendemain était un dimanche), mais sans oser interrompre Casimir-Perier qui s’était avancé à la barre et demandait, « d’une voix violente[211] », à être confronté avec Mercier.

Claretie dit très bien qu’il parut, en ce moment, incarner la loi, le pouvoir civil.

À la sortie, un journaliste[212], comme Mercier passait devant lui, le traita d’assassin[213].

  1. Barrès : « On se montre, dans la cour du Lycée, les commandants Hartmann et Ducros qui se promènent sans qu’aucun de leurs camarades ne les aborde. Cette quarantaine durera jusqu’à ce que ces messieurs quittent l’armée. » (Journal du 30 août 1899.)
  2. Voir t. III, 324.
  3. Le 3 août 1899, à la veille du procès, le général Lucas adressa une « note de service » au directeur de l’Avenir, le seul journal revisionniste de Rennes, « pour l’inviter à cesser immédiatement le service de sa feuille au cercle militaire ». Cette décision avait été provoquée par une pétition des officiers du cercle ; ils alléguaient un article où Napoléon était traité d’Esterhazy chanceux ».
  4. Labori, Journal du 13 décembre 1901 : « Il paraissait convenable, non de dire toute la vérité et de provoquer, de la part de tous, de complètes explications, comme je l’ai toujours voulu du premier jour au dernier, mais de ménager tout le monde pour obtenir ce que j’appellerai… etc. »
  5. Chevrillon, Huit jours à Rennes.
  6. Zola. La Vérité en marche, 148.
  7. Barrès, loc. cit., 204. — « Les commentaires de la presse anglaise ont fait à Dreyfus plus de tort que de bien. Ils étaient si violents que, s’ils avaient visé des juges anglais, les éditeurs de ces journaux eussent été condamnés à la prison pour mépris de la justice. » (Rapport de Lord Russell de Killowen à la Reine, du 16 septembre 1899, sur le procès de Rennes, dans sa biographie par Barry o’Brien. — Lord Russell, alors Chief-Justice, assista aux dernières séances du procès.)
  8. Voir p. 220.
  9. 3e liste : « Bréon (commandant) et Mme Bréon, 5 francs. »
  10. Pour la physionomie du procès de Rennes, voir Ajalbert, Dessous du procès de Rennes ; Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme ; Jean-Bernard, le Procès de Rennes ; Chevrillon, Huit jours à Rennes, dans la Grande Revue du 1er  février 1900 ; Claretie, Impressions de Rennes dans le Temps (août-septembre 1899), sous le pseudonyme de Linguet ; Séverine, Vers la lumière ; et les articles, presque quotidiens, de Jaurès, Viviani, de Maizières (Gaulois), Marcel Prévost (New-York Herald), G. Bec (Écho de Paris), Varennes (Aurore), Gaston Salles (Siècle), Serge Basset (Matin), Ducuing (Journal des Débats). — Pendant toute la durée du procès, je fus tenu au courant des variations de l’affaire par Mathieu Dreyfus, Gast et Basch, qui m’écrivaient presque tous les jours. Les lettres de Gast, d’un accent très personnel, vives comme des photographies instantanées, me donnaient l’opinion de Picquart. Je reçus également des communications fréquentes de Trarieux, de Bernard Lazare et de Labori.
  11. 22 juillet 1899. — Drumont raconta que Brugère avait pressé sur les juges militaires. Il le savait d’Esterhazy qui avait écrit à Cabanes : « Vous pouvez faire savoir à Boisandré que je tiens de la source la plus sûre que l’Empereur d’Allemagne a exercé une pression violente sur le conseil de guerre en faveur de Dreyfus et contre moi, à qui Schwarzkoppen et son maître ne pardonnent pas de les avoir roulés. C’est en invoquant la démarche impériale que Brugère a parlé à Jouaust. Ce fait est absolument certain. » Dans une autre lettre : « J’envoie à Boisandré un long récit officiel, sûr, certain, de l’intervention de Schwarzkoppen. » — Barrès, 213 : « Quel fut, l’objet de la longue entrevue (de Brugère) avec le colonel Jouaust ? » De fait, Brugère le reçut simplement à dîner avec les autres officiers supérieurs.
  12. 6 août.
  13. « Ma substitution à Dreyfus est chose décidée entre le gouvernement et les généraux… Le conseil de guerre de Rennes est un conseil d’artilleurs de choix ; Dreyfus sera acquitté, c’est promis, juré… Le conseil de guerre se refusera formellement à chercher les preuves de la culpabilité de Dreyfus… etc. »
  14. Voir t. IV, 521.
  15. « Vous pouvez assurer en toute certitude qu’on paiera cher les infamies et les lâchetés dont on m’a abreuvé à saturation. J’en ai assez, j’en ai assez, et je montrerai à tous ces émasculés de quatre sous ce que c’est qu’un condottiere, puisque condottiere il y a. »
  16. Lettre du 1er  avril 1899 à Cabanes : « Les lettres qui sont chez N… ont le grave tort d’être très compromettantes pour un autre malheureux ; je ne les produirai qu’à la dernière extrémité. » Il s’agit manifestement d’Henry.
  17. Liberté du 14 juillet ; Rennes, II, 568, Belhomme.
  18. Il ne les produisit que six mois après, en février 1900, dans sa déposition devant le consul de France à Londres.
  19. Lettres à Cabanes de juin et de juillet 1899. — Mêmes menaces dans ses conversations, à la même époque, avec Serge Basset. Il s’y dit également certain de l’acquittement de Dreyfus : « La vérité, c’est que tout le monde va se donner sur mon dos le baiser Lamourette et qu’au cinquième acte, apothéose, on verra Boisdeffre et Gonse, Clemenceau et Reinach en maillots roses et en tutus, venir danser un pas de quatre autour de Loubet… Cette armée qui collectionne les coups de pieds au derrière comme les enfants des timbres-poste… On a fait du prétoire un office pour valets de pied… Je méprise tellement toute cette prostitution mâle que je me foutrais de leurs injures et de leurs infamies si je n’avais à défendre mon nom et mes enfants… Je ne mourrai pas seul… etc. »
  20. Elle écrivait à Cabanes qu’elle avait peur d’être arrêtée.
  21. Lettre d’Esterhazy à Cabanes.
  22. Esterhazy communiqua à Cabanes la lettre suivante d’un ami, qui ne signait pas, mais dont l’écriture lui était évidemment connue : « Mon cher ami, les journaux disent-ils vrai en racontant, que vous n’allez pas venir ? l’heure est si grave que tous les témoignages sont indispensables pour éclairer l’opinion. Je vous supplie dans votre intérêt et au nom de notre vieille amitié de ne pas vous dérober, afin que personne n’ait rien à vous reprocher, que votre conscience soit tranquille et vos amis contents de vous. ».
  23. Voir p. 334.
  24. Rennes, I, 140, Mercier et II, 364-369, Bertillon.
  25. Voir p. 502 l’article de la Libre Parole du 6 septembre 1899, les deux Bordereaux, où il n’est pas question d’Esterhazy, au contraire de l’article du Gaulois du 14 août.
  26. Lettre à Cabanes, du 8 juin : « Elle n’a pas daigné me répondre. »
  27. Esterhazy (Dép. à Londres, éd. belge, 116) dit que l’avocat Lafay vint le trouver de la part de Quesnay, mais sans préciser à quelle date. Il s’agit vraisemblablement d’une autre négociation, pour le compte seulement de Quesnay.
  28. Du 31 juillet 1899 à Cabanes : « Je vous ai envoyé hier une très longue lettre, projet de déposition à faire au commandant Carrière pour le cas où vous trouveriez que je ne dois pas aller à Rennes. Je vous demandais de m’accuser réception par un télégramme non signé… »
  29. Lettre du 6 août à Carrière.
  30. « Il est enfin une autre raison que vous trouverez, sans doute, secondaire, c’est que je suis sans ressources… Je ne puis donc matériellement aller à Rennes… » etc.
  31. Lettre à Carrière dans le Matin des 7 et 8 août.
  32. Ces récits de Mathieu Dreyfus furent divulgués par Havet (lettres du 8 et du 21 juillet 1899), par Clemenceau (Aurore du 9) et par moi (Siècle du 7 et du 12). — Guillain (note du 8) déclina toute part dans les actes de barbarie qui avaient été exercés contre Dreyfus et qui sont, en effet, antérieurs au ministère Dupuy, sauf la suppression des lettres et des vivres en février-mars 1899, mais dont la responsabilité incombe manifestement à Deniel seul. (Voir p. 48.) Lebon (lettre du 12) esquissa la justification qu’il devait présenter au procès de Rennes. (Voir p. 381.)
  33. Voir t. II, 550 ; III, 167 et 311 ; IV, 141 et 374.
  34. Code pénal, articles 114 et 115.
  35. Le Matin du 7 août (avant la première audience) publia le rapport officiel du ministère des Colonies sur le séjour de Dreyfus à l’île du Diable. L’auteur du rapport (Jean Decrais, fils du ministre) y reproduisait de nombreux extraits de la correspondance des autorités administratives et médicales de la Guyane, de Deniel, etc. Tous les récits de Dreyfus s’y trouvèrent confirmés, et au delà.
  36. Écho de Paris du 9 août 1899.
  37. « Une ondulation dans les rangs, puis un silence, un silence inouï. » (Séverine, Vers la Lumière, 363.)
  38. Barrès, Scènes du Nationalisme, 137.
  39. Varennes, Aurore du 9. De même Bec, dans l’Écho : « Avec quelque chose de raide et d’automatique. »
  40. « Une phrase que ce criminel semble avoir prononcée après cette première audience trouve une force singulière pour pénétrer les cœurs par le chemin de la pitié. On lui demandait son impression ; il répondit que « c’était bon de voir des êtres humains ». (Barrès, 140.)
  41. Chevrillon, loc. cit.
  42. Séverine.
  43. Serge Basset.
  44. Barrès, 142 : « De minute en minute, le sang vient colorer sa peau, puis le laisse tout blême… À chaque respiration… etc. » — « Le sentiment de honte et d’anxiété qui mettent sur sa face une rougeur ardente. » (Écho de Paris.)
  45. Barrès : « Toute la salle bougea d’horreur et de pitié mêlées. » Maizière ; « L’émotion qui étreint tout le public. » (Gaulois.) Forzinetti m’écrivit : « À ce moment, rien n’existait pour moi, je ne voyais que lui… » Bernard Lazare : « Les visages étaient pâles, croyez-moi. On a essayé après de raisonner, d’analyser ; mais, tout d’abord, on n’y pensait pas. »
  46. C’est ce qu’il dit lors de sa déposition au second procès en revision : « Je n’avais qu’un devoir, faire appel à la raison et à la conscience des juges… C’est moi qui ai de la pitié pour les hommes qui se sont déshonorés en faisant condamner un innocent par les moyens les plus criminels. »
  47. Barrès : « Ses épaules ont de la carrure, mais le tailleur militaire les a certainement ouatées, car les genoux pointent sous le pantalon flambant neuf et des plis épais trahissent la maigreur des cuisses. » (Loc. cit., 138.)
  48. Cinq Années, 329.
  49. Chevrillon, loc. cit.
  50. Libre Parole, Éclair, Journal et Gaulois du 9.
  51. Claretie.
  52. Rennes, I, 8 et 9, Carrière.
  53. Clemenceau : « Je vois avec surprise que la présence ou l’absence d’Esterhazy paraissent indifférentes à M. le commandant Carrière. » L’article est intitulé « la Folle Journée ».
  54. Chevrillon.
  55. « Un magistrat trop dur, c’est pour la salle, et il vous acquittera. » (Barrès, 138). Mathieu Dreyfus eut l’impression que Jouaust « croyait » à la culpabilité de son frère, Bernard Lazare, au contraire, « qu’il jouait un rôle de malveillant ; il ne m’a paru redouter qu’une chose, c’est qu’on l’accusât d’être favorable à Dreyfus ». Même impression de Forzinetti : « La rudesse qu’il montre me paraît voulue, c’est une attitude étudiée. »
  56. Jean-Bernard, loc. cit., 18.
  57. Voir t. IV, 522.
  58. Varennes, Aurore du 8 août 1899.
  59. Rennes, 22, Dreyfus.
  60. Barrès, 139.
  61. « Il n’est pas pâle ; il n’est pas blême ; il y a dans sa peau du gris de fer, du bleu d’acier. » (Varennes.)
  62. « Pour moi, qui le connais si profondément, qui sais qu’il ne vibre pas extérieurement, qu’il ne le peut pas, j’aurais voulu crier pour lui lorsque, dans sa protestation d’innocence, la voix s’arrêtait dans sa gorge, et que ses yeux, pleins de larmes, ne pleuraient pas. » (Lettre du 8 août)
  63. Affaire Esterhazy. 129, 130, et Enquête Pellieux (Cass., II, 99 à 101). — Voir t. III, 102.
  64. Procès Zola, II, III, Pellieux et Gonse ; Cass., I, 18, Cavaignac ; 42, Zurlinden ; 57, Roget. — Voir t. III, 430 et t. IV, 368, etc.
  65. C’est ce qu’il dit à Demange après l’audience : « J’aurais peut-être dû refuser de répondre à toutes les questions qui m’étaient posées sur le bordereau. Ce sont des points inconnus pour moi. Le bordereau ayant été écrit par un autre, les documents qui y sont mentionnés doivent être expliqués par un autre et non par moi. Mais le président du conseil avait le devoir de me poser ces questions et je devais y répondre, ne serait-ce que par déférence pour son grade. » Ces propos furent connus et reproduits par les journaux. (Jean-Bernard, 27.)
  66. Rennes, I, 22 : « La question du frein intéresse évidemment un officier d’artillerie. Vous êtes officier, sortant de l’École de guerre, et il n’y a donc rien d’impossible à ce que vous vous en soyez occupé… Vous deviez fréquenter les officiers de la garnison de Bourges et, par conséquent, ceux de la fonderie ; il n’y a donc rien d’impossible à ce que vous ayez su dans vos conversations… » 23 : « Vous étiez au deuxième bureau ; il n’est donc nullement impossible… Il n’y a rien d’impossible à ce que vous ayez eu dans des conversations de bureau, de couloir, connaissance de détails… » 24 : « Il était donc tout à fait indiqué que vous ayez pu connaître les difficultés du plan des transports… » 25 : « Il est probable que vous saviez… » 26 : « Avez-vous eu connaissance de renseignements sur les batteries du 120 ? — Non, mon colonel. — C’est pourtant le troisième bureau qui a envoyé ces renseignements au quatrième ; par conséquent, vous auriez pu les connaître. — J’étais à la section des manœuvres. — C’est possible, mais, dans ces conditions-là, on sait ce qui se passe d’une section à l’autre… etc. »
  67. Rennes, I. 27, Jouaust.
  68. « Vous êtes signalé comme ayant le désir de connaître des détails sur le fusil de 1886. — Mon but était de m’instruire. — Un jeune officier… etc. » (I, 33).
  69. Clemenceau, Justice militaire, 147.
  70. Cass., IV, 170, réquisitoire Baudouin : « A-t-on entendu le capitaine Rémusat ? On s’en est bien gardé. »
  71. Claretie : « La voix qu’on me disait aigre est très mâle et assurée. » De même Jaurès. Pour Barrès, la voix est « sans timbre », en harmonie « avec cette tenue sans frisson ». (Loc. cit., 139.)
  72. Rennes, I, 40, Dreyfus.
  73. Barrès, 157.
  74. Jules Soury, Campagne nationaliste, 86.
  75. Barrès, 154 : « Jules Soury a osé employer le mot juste : l’homme qui aboie. » — Ces commentaires de Barrès sont coupés par des phrases plus douces, « d’une pitié calculatrice, féroce et meurtrière », dit très bien Jaurès. (Petite République du 18 août 1899.) Ce « Deniel de la littérature » affecte parfois « de plaindre Dreyfus souffrant » pour l’accuser ensuite « avec plus d’autorité ».
  76. Barrès, 154.
  77. Lepelletier, Écho du 9.
  78. Déroulède, dépêche à Galli : « Le frère et ami de Reinach et de Jaurès est bien mal conseillé… etc. »
  79. Gaulois, Petit Journal et Intransigeant du 8 août 1899 ; Écho : « Et lui niait, niait, niait… »
  80. Barrès, 143. — Millevoye (Patrie du 8) et Maurras (Gazette de France du 9) faussèrent le compte rendu des débats, prêtèrent à Dreyfus des réponses qu’il n’avait pas faites. Quand cela fut relevé, ils alléguèrent de mauvaises transmissions télégraphiques.
  81. Rapport du 7.
  82. Séverine, 366. — Cornély : « Je sens qu’à sa place je m’emporterais, je cracherais sur mes accusateurs et sur mes bourreaux toute ma rage et toute leur infamie, moyennant quoi la presse nationaliste m’accuserait d’être un cabotin. »
  83. Séverine.
  84. Clemenceau, Justice militaire, 371.
  85. 8, 9, 10 et 11 août 1899.
  86. Écho, Éclair, etc. — Je réclamai « la publication intégrale du dossier secret » (Siècle du 11 août) ; de même Clemenceau : « Il faut que tout soit montré. Que Demange et Labori aient toujours cette nécessité présente à l’esprit. » (12 août.) — Cassagnac : « Pourquoi les avocats de Dreyfus se sont-ils inclinés aussi facilement devant une pareille mesure ? »
  87. Rennes, II, 224, Chamoin.
  88. Voir p. 240.
  89. Rennes, II, 226, Mercier : « J’ai remis cette note au général Chamoin en le priant de voir s’il y avait quelque chose de vrai là-dedans, et je me proposais de la lui redemander deux ou trois jours après, en lui demandant s’il fallait en tenir compte… » 230 : « C’était à titre de document privé et c’est par suite d’un malentendu complet que le général Chamoin s’est cru autorisé à le communiquer au conseil. »
  90. Rennes, II, 226, Mercier.
  91. Ibid. II, 227, 228. — Voir t. 1, 246, 277, 358 ; III, 600, et 647, etc.
  92. Version n° 1 (selon Du Paty) : « Arrestato capitano Dreyfus ; ministro della guerra trovato relazione (ou prova) segreta offerta Germania… etc. » Or, la première ébauche cryptographique porte : « Arrestato capitano Dreyfus che non avuto relazione con Germania… » — Voir t. Ier, 246.
  93. Voir p. 72.
  94. Rennes, II, 225, Chamoin ; 227, Labori : « Je rends hommage à la profonde sincérité du récit de M. le général Chamoin qui est entièrement conforme à ce qui s’est passé. »
  95. Ibid., 227, Labori : « M. le général Chamoin en avait tiré des conclusions disant que le colonel Du Paty était de bonne foi. »
  96. Ibid., 229, Chamoin.
  97. Ibid., 227, Labori : « Je voudrais cependant faire préciser un point, c’est que, pour avoir connaissance de la note, j’ai dû insister. C’est exact ? — Chamoin : C’est exact. » Labori avait demandé à voir la note au moment où Chamoin la repassait à son officier d’ordonnance, le capitaine Moreau.
  98. Rennes, II, 224, Chamoin : « J’ai commis là une première irrégularité ; je n’ai aucun scrupule à le reconnaître. Je ne me suis peut-être pas assez préparé aux difficultés de la mission que j’ai à remplir ; j’agis franchement, simplement, et je dis tout. »
  99. Ibid., 225, Chamoin : « Si j’avais bien rempli ma mission… »
  100. « J’ai donc commis une deuxième erreur… »
  101. « J’avais commis une réelle faute, et je le reconnais très sincèrement et très loyalement, en demandant qu’on ne regardât pas la deuxième et la troisième pages… »
  102. Sur une deuxième réclamation écrite de Mercier.
  103. Procès Dautriche, 649, Galliffet ; Rennes, II, 229, Chamoin : « L’incident aux yeux du général de Galliffet n’a aucune importance et il a bien voulu approuver ma conduite à ce sujet. »
  104. Procès Dautriche. 649, Galliffet.
  105. Lettre de Mathieu Dreyfus, du 9 août 1899 : « Ils croient qu’Esterhazy est notre homme de paille, qu’il a joué un rôle, convenu d’avance avec le Syndicat, et que Picquart a été placé dans ce but au bureau des renseignements… Hier, pendant le dépouillement du dossier secret, on lut le rapport de Sandherr (sur la visite que Mathieu et Léon Dreyfus lui avaient faite en 1894) ; quand on arriva au passage où je disais que j’arriverais à découvrir la vérité et à cette réponse de Sandherr : « Pour cela il faudrait que vous eussiez l’autorisation de vous installer au ministère de la Guerre, que tous les officiers du bureau fussent mis à votre disposition… », Jouaust et Brogniart se tournèrent l’un vers l’autre, en faisant un geste d’intelligence : et il a semblé à Demange qu’ils avaient dû voir dans cette phrase le germe de l’idée que j’aurais mise plus tard à exécution, l’installation d’un homme à moi à l’État-Major : Picquart… »
  106. Écho et Libre Parole du 10 août 1899 : « Il marche lentement ; son dos est voûté davantage… »
  107. Gaulois et Intransigeant du 9 : « L’accusé a été conspué par la foule. Au moment où il se rendait à la prison, le cri de « À bas le traître, hou ! hou ! » s’est fait entendre. On a été obligé d’établir un barrage pour empêcher que les assistants ne se précipitassent sur Dreyfus, »
  108. Barrès, 137.
  109. Gaulois du 9 août 1899.
  110. Éclair, Libre Parole, Intransigeant : « Mercier dira tout. C’est plus qu’il n’en faut pour réexpédier Dreyfus à l’île du Diable. Reinach est perdu ; l’hallali de la bête puante va sonner. » Liberté du 11 : « À peine aura-t-il commencé, racontent les amis de Mercier, qu’il n’y aura plus de procès. Tout sera fini. Il a sur lui un papier, et quel papier ! Le général dira tout et prouvera tout. » Patrie du 12 : « Le général Mercier a exposé ses angoisses et ses scrupules patriotiques au vieux de Mahy qui lui a répondu : « Il faut tout dire. » Sur quoi Mercier « J’ai en vous une confiance absolue ; je parlerai et, si l’on ne m’assassine pas en route, le procès Dreyfus sera vite terminé.
  111. Barrès, Journal du 4 juillet, Dreyfus ou les grands chefs.
  112. Écho du 6 août 1899 : « Il faut divulguer tous les secrets de 1894… »
  113. Intransigeant du 9.
  114. Gaulois du 8.
  115. « Mon général, parlez ! parlez !… Ne pensez qu’à sauver le drapeau. La France écoute. » (Libre Parole du 11.)
  116. Dépêche du 7 août 1899. — Barrès n’en écrira pas moins, accusant, à l’ordinaire, les revisionnistes des mensonges et des manœuvres de leurs adversaires : « Les amis de Dreyfus avaient répandu le bruit que le général produirait certaines pièces et qu’il serait arrêté pour faux et violation des secrets de l’État. Aussi les curiosités attendaient, exigeant une péripétie de théâtre. » (154.)
  117. Gaulois et Soir des 8 et 9.
  118. Drapeau du 10.
  119. Voir p. 261. — Un rédacteur de l’Agence Nationale avait cependant raconté que Mercier, sur le bordereau, « réservait quelque chose dont ses amis n’avaient pu lui arracher le secret. Il connaît l’origine et la paternité originale du bordereau, » (7 août.) Le Petit National du 9 donna une version du bordereau « par ordre » qui était fort semblable à celle d’Esterhazy et qui fut reproduite par la Libre Parole. On fit courir également le bruit que Mercier raconterait que la femme Bastian avait signalé Dreyfus avant la découverte du bordereau. C’est, à peu près, ce qu’elle raconta au second procès en revision.
  120. Liberté du 12 août 1899.
  121. Gaulois du 12. (Voir p. 34.)
  122. 8 août.
  123. Il m’écrivit encore le 10 : « La meilleure solution, qui dissiperait toutes les obscurités, ce serait la remise par l’Allemagne d’une ou de deux notes du bordereau, et d’une note postérieure à 1894. Un document postérieur, de l’écriture d’Esterhazy, est indispensable, afin que l’on ne nous dise pas que les notes du bordereau, communiquées par l’Allemagne, sont de l’écriture de Dreyfus, puisque le bordereau émane de lui ; car ils en sont là. »
  124. Voir p. 258.
  125. Haute Cour, V, 159, acte d’accusation du procureur général Bernard ; VII, 15, Lépine.
  126. Ibid., 102, Bérenger, rapport à la commission d’instruction.
  127. Dépêche du 8 août 1899.
  128. Haute Cour, VII, 15 et audience du 7 décembre 1899, Lépine.
  129. À Rambouillet où Loubet était en villégiature.
  130. Procès Dautriche, 657, Galliffet.
  131. Haute Cour, V, 107 et 108, Bérenger.
  132. Instr. Pasques, 94 et 110. (Voir p. 4 et 87.)
  133. Arrêt du 28 avril 1899.
  134. Haute Cour, V, 85, Octave Bernard. — Bérenger, dans son rapport, conteste, en ce qui concerne Déroulède et Habert, « qu’il y ait dans la qualification nouvelle : commis un attentat, des éléments non relevés lors de la première poursuite : provoqué directement à un attentat » (105). Il estime, en outre, par voie de conséquence, que « l’accusation d’attentat, légalement impossible à l’égard des inculpés précédemment traduits devant le jury, n’est point davantage admissible en ce qui touche les inculpés non compris dans les précédentes poursuites », Guérin, Baillière, Buffet, Godefroy, etc. (106). Par centre, il admet la poursuite, pour complot et actes préparatoires, à l’égard de tous les accusés (107 et 108).
  135. Les frères Viollet, Sarrazin, Victor et Gaston Dumay, Severt, etc. — Des mandats d’amener furent également lancés contre Le Menuet, l’un des secrétaires de la Ligue des Patriotes, de Susini, employé d’imprimerie, Goujat dit Maillard, publiciste.
  136. Il disparut pendant deux mois et fut l’objet d’une ordonnance de non-lieu. Cité comme témoin à la Haute Cour, Thiébaud expliqua ainsi son cas : « J’ai été compris dans le complot uniquement parce que le Préfet de Police s’est dit : « Il doit en être. » Et c’est parce que j’ai été libre que je suis resté libre. » (16 décembre 1899.)
  137. On a raconté (mais sans qu’aucune preuve en ait été fournie) que Demagny, secrétaire général au ministère de l’Intérieur, les aurait fait prévenir par Arthur Meyer, avec qui il était en relations d’affaires et qui l’aurait gagné secrètement à la cause royaliste. Waldeck-Rousseau avait la plus entière confiance en Demagny, ancien chef du cabinet de Constans et de Freycinet, conseiller d’État, ministre plénipotentiaire, secrétaire du conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur, l’un des grands fonctionnaires de l’époque. L’infidélité de Demagny ne fut soupçonnée qu’après sa mort. On trouva, dans un coffre-fort qu’il avait au Crédit Lyonnais, une somme considérable (plus d’un million) dont l’origine ne put être établie. S’était-il contenté de spéculer à la Bourse ? avait-il trafiqué de son influence ? était-il entré dans quelque négociation avec le duc d’Orléans ? Peu d’affaires sont restées plus mystérieuses. Waldeck-Rousseau, à qui la veuve de Demagny avait demandé d’être le tuteur de ses enfants, refusa de gérer cette fortune inattendue.
  138. Charmes, Revue des Deux Mondes du 1er  septembre 1899 : « La nouvelle du grand complot a rencontré de l’incrédulité. »
  139. Note Havas du 12 août.
  140. Au début de l’audience, Dreyfus, sur une question de Jouaust, reconnut la copie du bordereau qui avait été prise par le directeur du dépôt de Ré dans l’un de ses vêtements. (Voir t. Ier, 569.) Le greffier Coupois donna ensuite lecture du rapport du docteur Ranson, sur l’attitude de Dreyfus pendant la traversée à l’île du Diable, et d’une lettre du même sur « le roman » que le Gaulois avait publié à ce sujet. (Voir t. I, 569, et IV, 422.) — Sur la déposition de Delaroche-Vernet, secrétaire d’ambassade à Berlin, qui précéda celle de Casimir-Perier, voir p. 378.
  141. Rennes, I, 67. — Voir p. 180. — À la veille du procès, les journaux avaient recommencé à le mettre en cause : « Casimir-Perier qui sait tout et ne veut rien dire. » (Quesnay.) « C’est lui dont nous sommes le plus pressés d’entendre la justification. » (Judet.)
  142. Rennes, I, 61, Casimir-Perier
  143. Claretie, Ducuing, etc.
  144. Voir t. Ier, 524.
  145. Voir p. 318. — La presse antisémite et nationaliste échafauda toutes sortes de romans sur cette visite : « Quand vous réfléchirez qu’aujourd’hui Reinach est plus que jamais le chef du syndicat de trahison… » « La conjonction de Reinach et de Waldeck, c’est la conjonction de Blücher et de Wellington, pour un nouveau Waterloo. » (Libre Parole du 13 et du 14 août.) De même l’Écho, l’Éclair, la Croix, etc.
  146. Rennes, I, 66, Casimir-Perier. — Voir t. Ier, 367.
  147. « J’ai répondu à M. Waldeck-Rousseau, comme à M. Joseph Reinach, que je ne pourrais que transmettre leur désir, que, personnellement, je ne pourrais rien pour y donner satisfaction. »
  148. Rennes, I, 165, Demange : « Ai-je donné trop d’espérance à Dreyfus ? C’est possible. C’était un accusé et c’est un peu notre rôle de les consoler et de les encourager. »
  149. Rapport de Deniel : « Agissements de Dreyfus à l’île du Diable. Le 7 octobre 1897, Dreyfus dit à M. le Directeur : « Au moment de mon procès, j’ai, par l’intervention de Me  Demange, engagé ma parole d’honneur envers le Président de la République, M. Casimir-Perier, de ne jamais dévoiler l’origine de la fameuse lettre qu’on m’attribue, qui m’a fait condamner et que tous les experts n’ont pas voulu certifier être de moi. » (Rennes, I, 93.)
  150. Voici le début de la lettre : « Lors du premier conseil de guerre, j’avais demandé à M. Casimir-Perier, président de la République, la publicité des débats. Après m’avoir fait donner ma parole de me soumettre à certaines conditions trop naturelles, trop légitimes, M. le Président de la République me fit répondre par l’intermédiaire de Me  Demange qu’il se confiait à ma parole et qu’il demandait la publicité des débats. Elle ne fut cependant pas accordée. Pour quels motifs ? Je l’ignore. Cette parole… etc. » (24 novembre 1898.)
  151. Éclair du 15 avril 1899. — Voir p. 48.
  152. Rennes, I, 66, Casimir-Perier.
  153. Siècle du 16 août. (Crépuscule des Traîtres, 401 à 404 ; l’article est intitulé : Res sacra miser.)
  154. Rennes, I, 66, Casimir-Perier.
  155. Rennes, I, 71, 72, Demange.
  156. Ibid., 73, Dreyfus.
  157. Ibid., 72, Demange : « S’il y a eu quelque part imprimé qu’un engagement aurait été pris par M. le Président de la République vis-à-vis du capitaine Dreyfus, cela n’a pas été sous sa plume, cela a été dit par ceux auxquels faisait allusion tout à l’heure M. Casimir-Perier, qui écrivent souvent ce qu’ils ne croient et ce qu’ils ne pensent pas. »
  158. Ibid., 73 et 74, Casimir-Perier.
  159. Jaurès : « Casimir-Perier, tout entier à des préoccupations personnelles bien puériles… Les attitudes hautaines et le vide orgueilleux de la pensée qui ne sont conciliables ni avec l’émotion humaine ni avec la dignité vraie… etc. »
  160. Sainte-Beuve, Port-Royal, II, 550.
  161. Rennes, I, 165, Demange : « Je ne voudrais pas que cela pût retomber sur ce malheureux capitaine… — Monsieur le Président, je n’ai rien à ajouter ; je remercie Me  Demange qui m’a donné satisfaction complète. » (Mouvement prolongé.)
  162. Par exemple la pièce dite des chemins de fer et la note Schneider. (Voir p. 328.) Quand Labori lui demandera d’où il tient cette note : « Je ne veux pas répondre à la question, mais je déclare que je prends sous ma responsabilité la traduction qui a été présentée au conseil. » (II, 24.)
  163. Rennes, I, 75, Mercier. — Le compte rendu sténographique de sa déposition comprend 65 pages in-octavo. Mercier publia lui-même, au cours du procès, une édition revisée de sa sténographie qu’il envoya aux juges. Quelques-unes de ses corrections sont insignifiantes, d’autres sont de véritables faux : « Le travail du commandant Mollard sur Madagascar contenait des renseignements statistiques… » ; Mercier corrige : « des renseignements techniques ». — « Vous voyez donc que ces documents sont importants et que l’Allemagne ne s’y trompe pas. » ; compte rendu revisé : « Vous voyez donc que l’Allemagne emploie le mot formation absolument dans le même sens que nous l’adoptons nous-mêmes. » — « Gobert dit que le doute ne lui paraissait pas possible… » Compte rendu revisé : « Il dit que le doute n’était pas possible. » — « Le capitaine Dreyfus, entre autres, critiquait… » Compte rendu revisé : « Le capitaine Dreyfus critiquait… » — Il supprime les protestations de Casimir-Perier (97 et 103) au sujet de « la nuit historique ».
  164. Marcel Prévost : « Le général a une voix et un physique ingrats, presque une voix de vieille dame… » (New-York Herald). Claretie : « La voix de clairon de Casimir-Perier était celle d’un soldat. Du général Mercier, on n’entend rien. » Varennes : « D’une voix basse, ennuyée, nonchalante. » Libre Parole : « D’une voix faible qui se perd complètement. » Siècle : « D’une voix très faible qu’on entend à peine. » Ducuing : « À mi-voix, lentement, sans chaleur ni passion. » Barrès : « À la suspension de l’audience, on vint dire au général que le public L’entendait mal et qu’il devait élever la voix : « C’est pour le tribunal que je parle », répondit-il. » (154).
  165. Cassagnac : « C’est un simple avocaillon, un filandreux procureur… Il s’est borné au réquisitoire le plus vague… Quand on n’a pas autre chose dans sa giberne, on n’entame pas certains procès. » (Autorité du 15 août 1899.)
  166. Marcel Prévost : « … Il n’est pas venu autre chose : la stupeur se peignait sur tous les visages, de revisionnistes ou non. » Barrès : « Les curiosités attendaient une péripétie de théâtre. « (Voir p. 306. « On attendait le mot révélateur le coup de massue. » (Journal des Débats.)
  167. Voir t. III, 461.
  168. Barrès, 154. — « Le conseil écoutait Mercier avec une grande attention. » (Lettre de Gast.)
  169. Rennes, I, 84, Demange : « Voulez-vous me permettre de demander à M. le général Mercier d’élever un peu la voix ; nous ne l’entendons même pas du banc de la défense. »
  170. Barrès, 155.
  171. Rennes, I, 77, Mercier.
  172. I, 95.
  173. I, 77.
  174. Ibid.
  175. I, 94.
  176. I, 79.
  177. Rennes, I, 83, Mercier.
  178. Compte rendu sténographique : « M. Casimir-Perier fait un geste de dénégation. » (Sensation.) — Mercier, dans son compte rendu revisé, supprime cette parenthèse.
  179. Rennes, I, 97, Mercier. — Compte rendu sténographique : « M. Casimir-Perier fait un geste pour demander la parole. » Supprimé au compte rendu revisé par Mercier.
  180. Barrès, 175.
  181. 21 décembre 1894, condamnation de Dreyfus ; 5 janvier 1895, dépêche du chancelier allemand ; 6 janvier, entrevue de Casimir-Perier et de Munster.
  182. Au procès Zola (voir t. III, 366) et à la Cour de cassation (voir t. IV, 365).
  183. Cette prétendue inquiétude est de pure invention. (Voir Rambaud, Histoire de Russie, 828.)
  184. Rennes, I, 97 : « À ce moment-là, devions-nous désirer la guerre ? devais-je désirer pour mon pays une guerre entreprise dans ces conditions ? Je n’hésite pas à dire non… Je devais, par intérêt et aussi par dévouement pour mon pays, faire tout ce qui était possible pour éviter la guerre… D’autre part, devais-je laisser les juges dans l’ignorance des charges qui pesaient sur Dreyfus ? » — Plus loin (103), quand il raconte qu’il a envoyé Lebrun-Renaud chez Casimir-Perier, le lendemain de la dégradation, dans la matinée du 6 janvier : « M. le Président de la République et M. le Président du Conseil, encore sous l’émotion très vive de la soirée que je vous ai racontée et des menaces de guerre imminente avec l’Allemagne, étaient hypnotisés… » Or, Munster ne se rendit à l’Élysée que dans l’après-midi, cinq ou six heures après Lebrun-Renaud. (Voir t. Ier, 538.)
  185. Voir t. III, 48.
  186. Rennes, II, 76 : « Quelle est la date de cette pièce ? — Mercier : 30 novembre 1897. » Dans son compte rendu revisé, Mercier supprime la question de Jouaust et sa réponse. — J’ai établi (III, 49) que la date du 30 novembre 1897 n’était même pas celle de l’entrée du brouillon de Schneider au service des renseignements, attendu qu’Henry l’avait fait voir, dès le 17, à Paléologue.
  187. Cass., IV, 223. — Voir t. IV, 475.
  188. Rennes, I, 81, Mercier : « cette lettre de Panizzardi est du commencement de 1894. » 99 : « Je mis sous un pli cacheté les pièces secrètes dont je vous ai donné communication. » 483 (en réponse à Demange qui lui a demandé d’énumérer les pièces secrètes) : « Vous aviez le billet dans lequel l’attaché militaire italien disait qu’il allait avoir l’organisation des chemins de fer français. » — On peut admettre que Mercier, quand il eut connaissance de la pièce des chemins de fer, soit à l’époque de l’enquête de la Chambre criminelle, soit à la veille du procès de Rennes, ait été trompé, lui aussi, par la fausse date d’Henry. Aucune erreur de mémoire ne peut expliquer sa déclaration qu’il a eu entre les mains en 1894 une pièce de 1895 et qu’il l’a communiquée aux juges de Dreyfus. — Il applique également à Dreyfus la lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen où l’initiale D… a été récrite par Henry (de l’aveu même de Bertillon et de Cuignet) sur un grattage, mais ajoute cette fois « qu’il n’a pas connu cette lettre » pendant qu’il était ministre (I, 83). — J’ai toujours supposé que la date inscrite par Henry sur cette pièce (mars 1894) était un faux. (Voir t. II, 388.) Si, cependant, la date était exacte, c’est-à-dire si la pièce a été réellement interceptée à l’époque où Mercier était ministre, il faudrait en conclure qu’il n’en a pas fait usage contre Dreyfus, en 1894, parce qu’elle portait encore, de son temps, l’initiale P. Il aurait su, dès lors, à Rennes (ce qui ne fut établi qu’en 1904) que le D avait été récrit sur un P, et n’en aurait pas éprouvé plus de scrupule pour profiter de cet autre faux d’Henry et appliquer la pièce à Dreyfus.
  189. Voir t. Ier, 30. — En 1897, lettre de Schwarzkoppen mentionnant l’envoi de cinquante plans directeurs de Calais et de cinq plans de Mézières. (Cass., IV, 27, rapport Boyer.)
  190. Rennes, I, 82, Mercier : « On a dit que le sans-gêne avec lequel la personne dont il s’agit était traitée ne pouvait pas s’appliquer à un personnage aussi utile pour les Allemands que l’était un officier de l’État-Major général… Or, il est évident que plus la position d’un agent de trahison est élevée, plus ceux qui s’en servent doivent avoir de mépris pour lui… Ils l’avaient entièrement à leur discrétion… etc. »
  191. Voir t. Ier, 412 et 451.
  192. Rennes, I, 99, Mercier : « Ce n’est qu’alors que je me suis cru le droit d’aller trouver le colonel Maurel et de me renseigner sur ce qui s’était fait au conseil de guerre ; je ne l’ai su qu’à ce moment. »
  193. Rennes, I, 103, Mercier. — Compte rendu sténographique : « M. Casimir-Perier proteste et se lève à demi pour demander la parole. » Mercier, dans son compte rendu revisé, supprime cette parenthèse comme les précédentes.
  194. Rennes, I, 128, Mercier : « C’est seulement à cette date du 17 octobre que les commandants de corps d’armée en reçurent l’avis… etc. »
  195. « Je demeure d’accord que si on cherche ces paroles (J’en condamne la pratique) dans Lepsius au nombre de 82 où vous les citez, on les y trouvera. Mais que dira-t-on, mes Pères, quand on verra en même temps qu’il traite en cet endroit d’une question toute différente de celle dont nous parlons, et que, l’opinion, dont il dit en ce lieu-là qu’il en condamne la pratique, n’est en aucune sorte celle dont il s’agit ici, mais d’une autre toute séparée ? » (Provinciales, XIIIe lettre.)
  196. Voir t. IV, 516.
  197. Rennes, I, 116, Mercier.
  198. Ibid., 132. — Circulaire du 17 mai 1894, signée Gonse (Rennes, III, 289.)
  199. La section prépare les manœuvres au ministère même, mais ne se déplace pas.
  200. Rennes, I, 136, Mercier.
  201. Compte rendu sténographique : « On a trouvé des lettres du commandant Esterhazy sur du papier pelure. » Compte rendu revisé : « Sur un papier pelure », — pour indiquer que ce n’est pas le même papier que celui du bordereau.
  202. Rennes, I, 137, Mercier. — Il faut passer (ou il y faudrait un volume) sur les erreurs secondaires, presque toutes voulues, et les vulgaires sottises : « Les expressions du bordereau comme : note, formation, plan nouveau, indiquent tout de suite quelqu’un qui est au courant des habitudes du ministère. » (106.) « Trois documents sur cinq concernent le service de l’artillerie. » (107.) « D’abord au sujet du manuel, le bordereau dit : « Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer. » Cela n’est pas français, mais il n’est pas surprenant qu’une tournure vicieuse de ce genre-là se soit trouvée sous la plume du capitaine Dreyfus qui, par son éducation et ses habitudes de famille, appartient à l’industrie. » (108.) « Dreyfus, ayant été à Bourges, a dû s’initier aux détails du frein. » (119). « Henry était, par ses aptitudes, par son instruction générale, peu apte à connaître les questions qui se traitaient à l’État-Major. » (131.) — Sur Esterhazy, Mercier reprend, contre Esterhazy lui-même, la vieille thèse qu’il ne pouvait pas connaître les sujets traités au bordereau.
  203. Rennes, I, 106, Mercier. — Voir p. 82 et 441.
  204. Jaurès : « C’était pitié vraiment de l’entendre ressasser ces niaiseries réfutées cent fois. Il prend à son compte les inventions folles de Bertillon, c’est sur elles qu’il s’est appuyé à la fin de son réquisitoire de néant. Il essaye, au moyen des inventions délirantes de Bertillon, de renvoyer à son bagne lointain l’innocent incommode… » — Clemenceau : « Il invoque l’autorité de Bertillon ; c’est tout dire. » — Cornély : « Il a été, au choix, un sous-Roget ou un sous-Bertillon. »
  205. « Quel est le but que vous vous proposez dans vos écrits ? Est-ce de parler avec sincérité ? Non, mes Pères, puisque vos réponses s’entre-détruisent. » (XVe lettre.)
  206. Rennes, I, 140 : « Je laisse de côté toutes ces considérations relatives aux écritures parce que je considère qu’elles ont peu d’importance, attendu que quelle que soit la personne qui a fait le bordereau, quelle que soit la personne qui l’a écrit, je persiste à croire qu’il est écrit de la main du capitaine Dreyfus parce que l’écriture du bordereau ressemble à celle de trois personnes, le capitaine Dreyfus, M. Mathieu Dreyfus, le commandant Esterhazy ; mais l’écriture du capitaine Dreyfus diffère de l’écriture du bordereau par certaines dissemblances qui sont toutes empruntées à l’écriture de membres de la famille Dreyfus : vous trouverez toutes ces dissemblances soit dans l’écriture de M. Mathieu Dreyfus, soit dans l’écriture d’une personne qui signe Alice. En tout cas, je persiste à croire que le bordereau est du capitaine Dreyfus, attendu qu’il résulte pour moi de l’examen technique du bordereau qu’il ne peut pas être d’Esterhazy et qu’il va résulter de l’examen cryptographique du bordereau qu’il est du capitaine Dreyfus. » Ce dernier alinéa est modifié comme suit dans le compte rendu revisé : « Je persiste donc à croire que le bordereau a été écrit par le capitaine Dreyfus, mais je n’attache pas grande importance à cette question parce que, même si le bordereau a été écrit par un autre, son examen cryptographique va démontrer qu’il n’a pu l’être que sous l’inspiration du capitaine Dreyfus. » — Jaurès, dans son discours du 7 avril 1903, rapproche, avec beaucoup de force, le texte sténographique du texte, revisé : « Voilà le système, mais prenez garde ! Ce n’est pas autant que vous l’imaginez de la folie pure : c’est le point par où le système du bordereau annoté vient cependant affleurer comme par une pointe à la surface du procès. » — De même, Raoul Allier, loc. cit., 99.
  207. Rennes, 1, 141.
  208. Barrès, 155 : « Il regarde le traître comme une chose »
  209. Rennes, I, 143, Mercier : « Je viendrais dire au capitaine Dreyfus : Je me suis trompé de bonne foi, je viens avec la même bonne foi le reconnaître, et je ferais tout ce qui est humainement possible pour réparer une épouvantable erreur. »
  210. « Le Président (au général Mercier) : Vous avez terminé ? — Mercier : Oui. — Me  Demange se lève pour poser une question. — Le Président : L’audience sera reprise lundi matin. » (Rennes, I, 143.)
  211. Petite République du 13 août 1899.
  212. Georges Bourdon, rédacteur au Figaro, secrétaire adjoint de la Ligue des Droits de l’Homme.
  213. Matin du 13 : « Je suis désolé d’avoir cédé à un mouvement d’indignation… Au moment où le général Mercier passait devant moi, je n’ai pu me retenir de dire entre mes dents Sauf l’Aurore, où Clemenceau écrivit que « c’était le mot de la situation », la plupart des journaux revisionnistes se bornèrent à raconter l’incident. — Bourdon, arrêté par Hennion, fut presque aussitôt relâché. Le surlendemain, après la tentative d’assassinat contre Labori, Mercier retira sa plainte.